Approche par la demande
(de formation ?)
Après plusieurs décennies durant lesquelles
chacun en était arrivé à estimer que la compétence
d'un prestataire de formation se mesurait à la qualité de son
catalogue de produits, une inversion de tendance s'est amorcée depuis
quelques années, en partie liée au fait que de nombreux
organismes, qu'ils soient publics ou privés, se sont contentés de
gérer une rente en renouvelant peu leur offre.
Ce constat, largement partagé par les clients
habituels, s'est traduit d'abord par une désaffection puis un rejet de
l'offre-catalogue (les tentatives de mesurer l'impact réel des
formations dispensées sur l'amélioration des performances des
bénéficiaires, organisations et individus, n'y sont pas non plus
étrangères).
La demande s'est alors largement réorientée vers
l'attente de services « sur mesure »,
individualisés, pour tenter de réduire le gap constaté
entre les apports trop abstraits, trop généraux, de la formation,
au regard de la complexité et de la spécificité des
réalités du terrain.
Bon gré mal gré, les offreurs de formation ont
donc été contraints de se réajuster, dans un contexte de
concurrence de plus en plus vive. C'est la raison pour laquelle aujourd'hui,
tous les opérateurs de formation se réclament d'une
démarche d'approche par la demande de formation.
Dans la région de Kaolack (bassin arachidier), une
quarantaine d'entretiens conduits et initiés par le Bureau de la
Formation Professionnelle Agricole (Ministère de l'Agriculture)
auprès d'acteurs situés sur l'offre, sur la demande, et pour
certains sur les deux volets, a mis en évidence que tous revendiquent
une approche guidée par la demande de formation, qui recouvre selon les
cas des modalités, des postures et des compétences très
diverses et parfois assez éloignées.28(*)
Dans certains cas rencontrés, l'expression des besoins
a lieu annuellement, à l'occasion d'une assemblée
générale villageoise ; parfois, elle constitue une
étape, au démarrage du projet. En règle
générale, les outils généralement mis en oeuvre
sont peu nombreux : diagnostic rapide, étude-filière,
entretiens préalables, bibliographie existante sur le sujet.
Force est de constater cependant qu'un biais
considérable est introduit au début même du
processus ; ce biais se situe à un double niveau :
- n Au niveau du demandeur, conscient que l'outil
formation est généralement le moins coûteux et le plus
facilement accepté par le bailleur de fonds sollicité, le
problème initialement identifié va plus ou moins consciemment
orienter l'intéressé vers une recherche de solution axée
sur la formation, couplée avec la pré-identification de personnes
ou structures ressources dont les compétences sont reconnues sur ce
domaine d'intervention.
- n Au niveau de l'offreur, qui a donc
été approché sur la base de ses compétences en
formation, le souhait d'aller dans le sens du demandeur est évidemment
légitime, tout au moins commercialement parlant. De plus, c'est un
formateur qui va se charger « d'analyser la demande »
reçue ; dès lors, on peut mettre en doute sa capacité
de recul pour aborder dans une approche systémique le contexte de la
future intervention à définir, d'une part parce qu'il ne
possède pas nécessairement les outils adaptés, et d'autre
part parce qu'il est humain, devant une situation méconnue, de se
raccrocher à ce qu'on sait faire.
On constate donc que cette nouvelle approche,
proclamée comme une révolution dans le monde de la formation, a
peu modifié les pratiques, et n'a que modérément permis
d'atteindre les effets escomptés, à savoir une plus grande
satisfaction du demandeur, et un impact plus visible sur les pratiques des
formés.
Tout au plus peut-on mettre à son actif l'instauration
d'un dialogue moins superficiel entre l'offreur et le demandeur, lequel
accède ipso facto au statut d'interlocuteur crédible ; il
s'agit bel et bien d'une avancée, toutefois l'atteinte des
résultats espérés bute encore sur l'absence ou la
maîtrise limitée d' outils spécifiques.
Au Sénégal, le diagnostic sur l'offre et la
demande de formation agricole et rurale réalisé en 2004, avec
l'appui du CNEARC de Montpellier, a permis de mettre en évidence
l'intérêt et d'appliquer le concept de construction sociale de la
demande de formation. Ce souhait reposait au départ sur la
volonté de mettre en pratique les principes issus de l'atelier de 1999
qui a abouti à la définition de la stratégie nationale
FAR :
- n Passer d'une logique de projet d'assistance classique à une
logique d'accompagnement où l'initiative est laissée aux acteurs
ruraux.
- n Impliquer les acteurs ruraux dans l'identification et la formulation de
leurs propres besoins de formation.
- n Créer des cadres de concertation entre ruraux et
formateurs'
Dans le cadre de l'agriculture familiale, les mêmes
interlocuteurs expriment à la fois une demande sociale et une demande
économique. Dès lors, les services techniques d'appui au
développement, rural comme local, doivent s'adapter pour remplir
efficacement leur rôle d'accompagnement des acteurs locaux dans un
environnement complexe et fluctuant. Des responsables d'organisations
professionnelles agricoles, d'associations de développement
féminines, le disent à leur façon :
- « L'environnement de la production est plus
important que la production elle-même ».
-« Le travail sur la demande, trop parcellaire,
aboutit encore souvent à « des demandes passéistes,
éventées », par méconnaissance des
opportunités potentielles que pourrait offrir l'environnement
global.29(*)
Dans l'approche mise en oeuvre au cours de ce diagnostic dans
la région de Ziguinchor30(*),
nous avons considéré que :
1) Tout changement technique ou organisationnel
durable résulte d'un processus social de construction de
problèmes et de recherche de solutions, menés par les
professionnels, face à une situation qu'ils jugent difficile,
2) Ces processus de dialogue, réflexion,
expérimentation produisent de la connaissance,
3) La formation est un levier, parmi d'autres,
d'accompagnement des acteurs dans le changement.
Dans ce cadre, la demande est donc l'expression par les
professionnels de leurs préoccupations, dans un cadre qui permet de les
transformer en problèmes traitables. Il s'agit donc en
réalité d'une demande d'aide à la recherche de solutions,
la solution pouvant éventuellement être de la formation.
On parle donc de construction de la demande : une demande
ne s'identifie ni ne se recueille, elle n'est jamais donnée, mais
construite, grâce à un processus interactif de réflexion.
On parle de construction sociale, car l'ensemble des acteurs concernés
sont impliqués dans l'analyse et le dialogue.
A la démarche traditionnelle identification,
recensement des besoins de formation, nous privilégions désormais
l'appui à la formulation d'un problème et la recherche d'une
solution (la formation pouvant en être une). Ce passage s'appuie sur les
travaux de Jean-Pierre DARRE31(*), docteur en ethnologie et fondateur du GERDAL (Groupe
d'expérimentation et de recherche développement et actions
localisées) ainsi que sur les travaux du CNEARC32(*) de Montpellier qui s'en est
inspiré. Cette démarche guide depuis 2003 les interventions du
Bureau Formation Professionnelle Agricole du ministère de l'agriculture
du Sénégal.
Les besoins de formation recensés posent comme
évidente la logique du « problème », que
sous-tend la demande initiale ; une expression courante traduit
parfaitement cette façon de procéder :
« recueillir les besoins de formation » ; on serait
tenté de forcer le trait en parlant de « cueillette des
besoins de formation ».
La réalité est somme toute plus complexe dans la
majorité des cas ; un problème s'apparente davantage
à une construction intellectuelle qu'à un fruit que l'on cueille,
et la recherche de solutions peut commencer quand le problème est
formulé. Dans cette perspective, la demande est le point de
départ de l'appui, mais : qu'entend-on par demande ? Comment
la faire exprimer ?
Le point de départ
une situation, vécue comme non satisfaisante
la demande initiale
un point de vue, une préoccupation (pour l'acteur
concerné)
point de vue lui même résultant d'une position
sociale et d'une pratique professionnelle
l'appui à la construction sociale de la
demande
1- transformation en problème traitable
Aide à l'exploration, à l'extension de la
surface du problème
2- formulation d'un problème :
comment faire pour .... ?
3- recherche co-active de solutions
(agriculteurs, élus, agents de développement,
formateurs)
Dans ce schéma, les principaux intéressés
à l'origine de la demande sont acteurs du processus ; ils
participent à la réflexion, à l'analyse de la situation,
apportent leur connaissance de l'environnement social, environnemental,
économique.
La recherche de solution conduite avec eux rend possible leur
prise d'initiative et rend plus improbable la perspective de solutions
inapplicables car trop éloignées des contraintes qu'impose le
contexte : nous sommes très loin d'un besoin de formation au sens
d'une situation subie, au sens d'un besoin physiologique.
C'est pourquoi nous serons tenté de conclure ce
paragraphe en considérant qu'il est plus prudent de parler d'approche
par la demande, par opposition à l'approche par la demande...de
formation.
* 28
Dossier
de capitalisation des expériences de formation dans la région de
Kaolack -BFPA disponible sur le net.
* 29
Atelier
sur l'approche par la demande - Kaolack 06/2006.
* 30 Dossier 1 - restitution
finale, in Diagnostic de l'offre et de la demande de FAR 05/2004
(CNEARC-CESAG)
* 31 Auteur de La production de
connaissances pour l'action. Arguments contre le racisme de l'intelligence,
Paris, Maison des sciences de l'Homme, 1999
* 32 Equipe
BROCHET M.- TOUZARD I.-BOUSSOU V. (CNEARC Montpellier)
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