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Le Réseau Formation Fleuve au Sénégal : pour une régulation participative de l'offre de formation agricole et rurale

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par Xavier MALON
Université Toulouse 1 Sciences sociales - Diplôme d'Université - Ingénierie de formation et des systèmes d'emploi 2007
  

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I.5- LE RESOF : UNE TENTATIVE DE RÉPONSE-FORMATION TERRITORIALISÉE

I.5.1- DES UTOPIES COLONIALES ET POST-COLONIALES DE LA MISE EN VALEUR DU FLEUVE SÉNÉGAL14(*), À LA STRATÉGIE NATIONALE DE F.A.R DE 1999

Prenant sa source en Guinée, dans le massif du Fouta-Djalon, le fleuve Sénégal coule vers le nord, et traverse des contrées de plus en plus arides, confinant au désert près de son embouchure. De tout temps, la crue du fleuve a été essentielle à la mise en culture des deux rives, d'autant plus que les pluies se raréfiaient. Cette crue annuelle apparaît en fin de saison des pluies et permet l'exploitation de la moyenne vallée, plaine alluviale cultivée en saison sèche après le retrait des eaux. Un système de production millénaire s'est ainsi construit dans le temps, jouant de la complémentarité des cultures et parcours de décrue dans le Walo (basses terres), qui succédaient aux cultures et pâturage s sous pluie du Diéri (hautes terres).

Selon une étude de l'IRD pour l'Organisation de Mise en valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) en 1999, sur la période 1946-1971 65 000 hectares sont cultivés côté Sénégal, alors que les surfaces inondées sont estimées à 312 000 ha des deux côtés du fleuve (pour 108 000 ha cultivés).

Ainsi que l'explique assez crûment Adrian Adams, « .../...Les projets de mise en valeur du fleuve, fondés depuis l'époque coloniale sur la riziculture irriguée, n'ont jamais tenu compte de ce système de production millénaire. A partir des années 1960, les pluies et la crue ont fortement diminué, disparu même certaines années. Pour l'élevage comme pour l'agriculture, la sécheresse allait simplifier les choses, en permettant aux « développeurs » de faire comme si les systèmes de production traditionnels de la Vallée appartenaient désormais au passé ; l'avenir, c'était l'agriculture irriguée. Avec l'adhésion du Sénégal au programme de l'OMVS, la politique de la table rase devenait irrévocable ; les barrages projetés ne supprimeraient pas la pluie, mais ils permettraient de supprimer en grande partie la crue ».

Plusieurs décisions de l'OMVS, créée en 1972, lui donnent malheureusement raison, nous allons le découvrir.

Au nombre de ses objectifs figurent la sécurisation des économies pour les rendre moins dépendantes des conditions climatiques, et l'amélioration des revenus des habitants du bassin du fleuve, cette organisation annonce un programme fondé sur la construction de deux barrages estimés à 136 milliards de FCFA fin 70, l'un pour constituer une réserve en amont et l'autre en aval pour empêcher la remontée des eaux salées.

L'irrigation, la navigation et l'énergie (centrale hydro-électrique au barrage de Manantali) sont les trois volets prévus.

Il était prévu de mettre en valeur rien de moins que 400 000 hectares de cultures irriguées (blé et riz), soit quatorze fois plus qu'avant, et dans un délai de moins de dix ans ; après vingt ans de crue artificielle mais dégressive, il paraissait évident que l'intégralité de la population de la Vallée serait occupée à travailler dans les périmètres irrigués (PNUD- OMVS, 1974).

En 1987 et de 1989 à 1992, l'OMVS est directement responsable de l'absence d'emblavement puis de la destruction des cultures de décrues : elle privilégie la hauteur d'eau du réservoir et refuse d'opérer les lâchers nécessaires, ou le fait à contre emploi, noyant ce qui a été emblavé.

Peu à peu, on assiste à une dichotomie régionale :

  • n l'essentiel des périmètres aménagés se situe dans la zone du delta, où la tradition d'une agriculture marchande intensive en capital se développe, avec double culture annuelle.
  • n Dans la Vallée, où il y a peu de commercialisation des récoltes, et peu de ressources non-agricoles en dehors de l'émigration, l'affectation des terres est accaparée par les notables, commerçants et émigrés qui se font attribuer légalement le foncier, qui appartenait souvent auparavant à la famille au sens large.

Les stratégies traditionnelles de survie, où l'on se détourne ponctuellement de l'agriculture lorsque les conditions de l'année hypothèque la rentabilité des maigres moyens disponibles, risquent alors d'aboutir à l'exclusion des paysans « historiques » du domaine irrigué, dont on doit rentabiliser l'investissement initial chaque année, et si possible deux fois l'an.

A la suite de plusieurs études et critiques très virulentes contre la politique de l'OMVS, de 1987 à 1990, les travaux de l'Institute for Development Anthropology, basé aux Etats-Unis, démontrent le double intérêt des cultures de décrue, plus rentables et productives à surfaces égales, en minimisant les risques. Le Sénégal est favorable à cette option, privilégiant l'idée d'une crue permanente contrôlée à partir du barrage, sans que cela ne soit incompatible avec la production d'électricité.

Ce point de vue s'attirera les foudres du Haut Commissaire de l'OMVS qui le considérera comme un affront à l'autorité de l'OMVS, et l'expert de l'Institut ayant produit cette étude se verra rappeler par le personnel OMVS « qu'il était dangereux même de poser des questions au sujet de la crue artificielle, car cela pourrait donner à croire aux paysans qu'ils y avaient droit ».

Au final, comme au temps du baron ROGER, la réalité des chiffres ramène les objectifs initiaux à ce qu'ils n'ont jamais cessé d'être, c'est à dire des utopies :

Potentiel irrigable : 240 000 hectares

Superficies aménagées : 94 000 hectares

Superficies encore exploitable  : 64 000 hectares ( où la maîtrise de l'eau est possible)

Surfaces cultivées : 35 à 40 000 hectares (tous systèmes confondus)

Production de riz : 85000 tonnes (début 60), jusqu'à 200 000 T (2002-2004)

On notera pour l'anecdote que l'objectif fixé l'an passé est de doubler cette production d'ici à trois ans (seulement) pour satisfaire la demande nationale ; celle-ci a obligé le pays à importer (en moyenne sur la période 2000 - 2003) 630 000 tonnes de riz, et 240 000 tonnes de blé...

En 1985, la Nouvelle Politique Agricole, qui butera sur les contraintes de l'ajustement structurel, puis le Programme National de Vulgarisation Agricole jusqu'en 1995, se focaliseront au plan national sur l'augmentation de la production, pour accroître les recettes d'exportation du jeune Etat Nation. Elles oublieront l'importance de la productivité, et feront peu de cas du Capital Humain du secteur agricole, réduisant le rôle du producteur à la seule exécution des tâches techniques de production, très encadrées par les techniciens de l'Etat.

Le bon encadreur, pour avoir des résultats, n'hésitait pas parfois à brandir la menace de la chicote lorsqu'un producteur de son secteur manifestait quelques velléités d'indépendance.

La chute tendancielle des cours mondiaux des matières premières agricoles, combinée aux effets de la sécheresse (et de la descente au sud des isohyètes), ainsi que le désengagement brutal de l'Etat des fonctions d'approvisionnements et de collecte, laissera exsangue l'économie rurale et ses principaux acteurs, peu préparés à s'adapter à un nouvel environnement plus contraignant, dont ils ignorent les règles de fonctionnement du marché.

Cette situation sonnera le glas de la vulgarisation de type « training and visit », conceptualisée par le « gourou » de la Banque Mondiale, D. BENOR.

Il s'agissait en ait d'un système de type Top-down de transmission de consignes techniques (sous forme de paquets technologiques) identifiées par le sommet de l'échelle du dispositif comme les plus pertinentes ; mais cette position était très éloignée des réalités sociologiques et du terrain. Les vulgarisateurs étaient désormais évalués sur le nombre de thèmes techniques diffusés, le nombre de visites effectuées chez les producteurs, et accessoirement sur le taux d'adoption de ces nouvelles pratiques performantes en milieu paysan.

Malheureusement pour ce système de développement et ses défenseurs, et heureusement pour les paysans, leur bon sens légendaire leur permettra de faire le tri des innovations dont ils pouvaient tirer une plus value, et d'ignorer les autres, dont certaines étaient manifestement inadaptées aux réalités, ou qui auraient pu leur coûter cher.

Nous citerons par exemple l'incitation à abandonner les cultures associées dans les champs de case, technique jugée trop brouillonne et peu compatible avec la performance moderne et cartésienne, qui utilisent pourtant rationnellement l'espace, la fertilité du sol et les complémentarités de plantes aux besoins différents, et qui représentent surtout par leur diversification une garantie de sécurité alimentaire plus efficace que la monoculture, en cas d'attaque parasitaire massive ou d'incident climatique.

L'ancien paradigme, qui avait montré ses limites, laissera alors la place à une approche participative, non directive et plus réactive : la naissance du Conseil Agricole et Rural renvoie la vulgarisation ancienne formule à la préhistoire.

Sous l'impulsion de la Banque Mondiale, la plupart des pays d'Afrique sub-saharienne élaborent durant la seconde partie des années 90 des Programmes de Services Agricoles (conseil, recherche) et d'Appui aux Organisations de Producteurs.

Englués dans la crise liée à l'affaiblissement de l'Etat, mais aussi sans doute aveuglés par leur statut social avantageux qui les avait coupé durablement des réalités du monde agricole, les acteurs du dispositif national de formation agricole, quasi-exclusivement public, ne surent saisir l'opportunité de prendre en marche le train des réformes du développement rural.

La réflexion nationale qui conduira à la conception, puis la mise en oeuvre du programme PSAOP, à l'aube du troisième millénaire, laissera les professionnels « institutionnels » de la formation sur le bord du chemin. Il s'agissait pourtant du principal programme d'investissement du secteur agricole issu de l'ajustement structurel, et l'un des plus largement dotés en financement.

Au démarrage de sa mise en oeuvre, ce sont essentiellement des chercheurs sénégalais qui s'apercevront du hiatus ; ils initieront et piloteront à son terme une vaste réflexion spécifique à la F.A.R, en considérant que même si le dispositif existant était jusque là très peu impliqué dans la formation directe des producteurs, il n'en demeurait pas moins le seul dispositif pourvoyeur de ressources humaines qualifiées dont avait besoin le nouveau Conseil Agricole et Rural. La nouvelle Agence Nationale du Conseil Agricole et Rural (ANCAR) prévoyait de pourvoir assez rapidement chacune des 320 Communautés Rurales en conseiller agricole de base, via ses dix directions régionales.

Cette réflexion spécifique, qui durera un an et demi s'appuiera sur une triple analyse historique, diagnostique et prospective, pour proposer en mai 1999 une Stratégie Nationale de FAR ; celle-ci sera validée au cours d'un atelier national réunissant 120 acteurs de la formation et du développement rural.

En faisant le choix d'une agriculture paysanne familiale, elle pointe pour la première fois la nécessité de répondre aux besoins des ruraux dans tous les domaines, pour accompagner les mutations d'une nouvelle économie rurale dans laquelle émergeront de nouveaux métiers (liés au désengagement de l'Etat d'un certain nombre de fonctions qu'il assumait jusque là).

En insistant par ailleurs sur l'indispensable alphabétisation de tous les ruraux, la SNFAR recommande de mettre en place, sous forme participative, la régulation du sous-secteur pour améliorer la qualité globale des prestations offertes, et réduire le décalage important constaté entre l'offre et la demande de F.A.R.

A la suite de cet atelier national, l'Etat créera un comité national de planification stratégique de la FAR (2000), qui restera lettre morte en raison de l'alternance politique intervenue au même moment.

La coopération suisse, très engagée dans la FAR depuis 1975 (à travers un appui direct aux établissements de formation des techniciens et ingénieurs), et dont la représentation locale compte plusieurs acteurs de la Recherche Agronomique sénégalais, sera à l'initiative de plusieurs expérimentations conduites à l'échelon local et régional, dont notamment :

  • n Mise en place d'un pilotage régional de la FAR (2000) sous l'égide du Conseil régional de Ziguinchor ;
  • n Appui à dix écoles communautaires de base en Moyenne Casamance, pour en faire une alternative au système scolaire classique, peu adapté aux contraintes et au système de valeurs en milieu rural,
  • n La mise en réseau des acteurs de la FAR dans la Vallée du Fleuve Sénégal, pour démontrer la pertinence d'une régulation participative dans un territoire, par ses acteurs (Collectivités Locales, OPA, services étatiques de développement rural et de formation, établissements privés) : le RESOF.

* 14 Source : http://www.iied.org/pubs/pdf/full/X170IIED.pdf. L'auteur, Adrian Adams vit depuis vingt ans au Sénégal et travaille avec une association paysanne de la Vallée. Dans son dernier livre «A claim to land by the river : a household in Senegal 1720-1994» elle décrit comment les organisations paysannes ont lutté pendant 20 ans pour défendre leur vision du développement, centré sur les populations locales, en contraste avec les objectifs de développement des organisations gouvernementales responsables des projets d'irrigation dans la Vallée

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