Déconstruire le régime socialiste.
« Je suis prêt »...tel
était le cri de schisme définitivement consommé
entre Moustapha
NIASSE et le pouvoir socialiste. En choisissant cet
espoir et en l'affichant au grand jour, il s'exposait au piège
d'assumer ce passé politique, qu'il `reniait' pour porter l'AFP sur les
fonds baptismaux.
Le leader progressiste dira ne rien regretter, pour avoir
« servi avec loyauté (...), fierté » , ne
rien renier de ce passé qu'il a choisi et
qu'il assume pleinement. Il se dira même décidé
à s'engager « avec la même volonté et la
même détermination » et à se mettre à la
disposition de son pays.
Dès lors, s'inscrivant dans une dynamique d'opposition
'antidiouf', le discours de l'AFP et des compagnons de Moustapha
NIASSE ne sera pas tendre à l'endroit du régime socialiste, qui
se retrouve entre le marteau de la traditionnelle opposition et l'enclume de la
nouvelle, incarnée par les deux dissidents du PS.
Pour cet ancien membre du système
socialiste, l'objectif logique se résume en une
déconstruction du PS, idéologiquement, politiquement et
structurellement parce qu'étant une formation jugée
corruptrice des masses et usée par l'exercice du pouvoir.
Et le ton est vite donné, lorsque le 16 juin
1999 soit deux jours après la reconnaissance
officielle du parti, retentit l'appel du leader de l'AFP, un
appel par lequel le leader se dit prêt et avoir choisi l'espoir.
NIASSE y dresse un réquisitoire particulièrement virulent
contre « la mainmise de groupes d'intérêts mafieux
sur le pays, le clientélisme archaïque et
étriqué, la manipulation de la Constitution et des institutions,
l'absence totale de projet de société... » et pour
celui qui se présentera comme le plus redoutable adversaire d'Abdou
DIOUF, « changer
le Sénégal est un impératif absolu
». Convaincu que « des ruptures sont parfois
nécessaires quand vient le temps du destin », il se dit
« prêt ».
Même s'il ne manque pas d'être l'objet de
diatribes acerbes et d'une rare violence, en tout cas dans le contexte qui a
toujours été celui du Sénégal jusquelà, il
campe, dans un réquisitoire empreint d'un grand courage politique,
les maux dont souffrent, selon lui, ses compatriotes
sénégalais et dit sa décision de se
démarquer du régime socialiste. Dans sa déclaration
de
rupture, NIASSE constate que « ...les raisons
d'espérer qui étaient pour chaque sénégalais une
source de confiance, semblent inexorablement se dérober ».
Quelques temps plus tard, devant les Sénégalais de
l'étranger, à Paris, il n'hésitera pas à prendre
des accents populistes car « Pendant que les bouches pleines mentent,
inventent et manipulent,
les ventres creux meurent (...) les vieilles mamans
(...) vont acheter des os au marché pour
donner le goût de la viande au riz ».
Evoluant dans une logique de déconstruction du
régime socialiste, le diagnostic auquel il se livre est
significatif car provenant d'un homme qui fut, de tout temps, un acteur du
système et qui a toujours assumé de hautes responsabilités
dans les organes du pouvoir de l'Etat comme
du PS.
Au moment où il tourne le dos à la famille
socialiste, le leader progressiste s'estime guidé par
« la conviction de ce que le PS, miné de
l'intérieur par des luttes intestines, usé par l'exercice
du pouvoir surtout dans les 10 dernières
années du magistère de DIOUF, traduisait l'usure du pouvoir
lassé, épuisé mais imbu de sa force et du monopole qu'il
exerçait presque dans tous les domaines, sans limites et sans
contraintes ». Ce que le leader de l'AFP qualifie
d' « immobilisme dévastateur du fait de la
conscience de l'esprit impérial » ou encore
de « reflex impérial du pouvoir usé
(...) à l'image de cet Empereur qui, tant qu'il vit,
reste
Empereur ».
Il demeure néanmoins que combattre le régime
socialiste implique sans nul doute le départ de
cet « Empereur » qui dira, dès les
débuts de la campagne électorale, ne pas connaître
« l'usure
du pouvoir ».
Et même s'il le réclame ardemment parce
que souhaitable et préférable pour le peuple
sénégalais en cet instant précis de son histoire
et dans ce contexte particulier de l'an 2000, Moustapha NIASSE ne
considère pas le départ de DIOUF comme une fin en soi. «
Parce que cela aurait été vain, irresponsable,
personnellement vindicatif et sans signification » aussi
« parce que dans la vie politique, la
focalisation sur un individu devient vaine quand on
considère cette focalisation comme une fin en
soi ». Pour lui, « le départ de DIOUF
n'était qu'un point ou un aspect de la vision globale de l'AFP et de son
idéal politique (...) son départ était juste une voie
obligée pour provoquer les changements».
Dans cette visée, le leader de l'AFP soutenue par
huit autres partis dans le cadre de la CODE
2000 (Coalition De l'Espoir 2000) mettra l'accent
sur l'impératif que constitue la reconstruction de l'Etat
démocratique à un moment où « le
système politique, depuis longtemps, est conçu au travers
d'un pouvoir politique personnalisé qui sur concentre autour d'un
pouvoir présidentiel aux contours indéfinis, la quasi
totalité des pouvoirs y compris Législatif et Judiciaire
»30 .
En effet, « jamais dans l'histoire de ce pays, les
interrogations n'ont été aussi nombreuses sur tout ce qui touche
à l'avenir et aux perspectives d'une nation qui, jusquelà, avait
su faire face
à toutes les incertitudes politiques,
économiques et sociales, quelles qu'en fussent les causes,
les manifestations et les effets ».
Le tableau que dresse le candidat de la CODE 2000, est donc des
plus noirs et accablants pour
le régime socialiste. Mais le discours ne peut
prospérer que conjugué et mis en perspective face
à la réalité que vit le peuple. Et
« les événements, parfois douloureux, survenus au cours
des deux dernières décennies, ont montré que le peuple
sénégalais, fidèle à son histoire, a, chaque fois,
pris délibérément le parti de ne pas céder au
découragement, de ne pas reculer devant l'adversité, de
surmonter les épreuves et d'afficher une foi en Dieu et une
fierté enracinées dans sa culture ».
Le diplomate devenu homme politique et sachant que la
tâche de liquidation d'un système
auquel il aura appartenu de tout temps, ne sera pas
aisée, se livre donc à une plaidoirie dans laquelle la condition
de ses concitoyens est rappelée. Ce discours, à dessein,
remarque qu' « Après tant de promesses non tenues, tant de
rendezvous manqués et tant d'occasions ratées,
les sénégalais en sont arrivés,
hélas, à osciller devant l'impossible choix entre la
résignation et
la révolte ».
Mais comme face au dilemme auquel se trouvait confronté
'l'âne de Buridan', qui tant assoiffé
qu'affamé, se tenait à équidistance d'une
nourriture et d'une boisson et ne pouvait se résoudre
à choisir entre l'une et l'autre, le peuple doit opter
pour sa survie. Ce que le leader de l'AFP préconise, c'est donc le rejet
du régime en place car « jamais, sans doute, depuis 1960, le
fossé n'a été aussi grand entre ceux qui sont
censés assurer la direction du pays et nos populations ».
S'installe alors le débat sur la crise de la représentation et de
la représentativité, ravivé par « le
discrédit et la méfiance(...) forts à l'égard des
dirigeants » et « là où,
précisément, la recherche
30 Quotidien Le Matin du lundi 24 janvier 2000 p.3
de l'intérêt général devait
constituer l'unique finalité de l'action politique, l'on ne rencontre,
le plus souvent, qu'une succession de manipulations d'appareils, que de
démarches marquées du sceau d'un clientélisme
archaïque et étriqué ou encore des luttes d'influences
synonymes de courses acharnées et de dérives sapant,
gravement, le moral des sénégalais. Ces courses et
dérives, érigées en système de gouvernement, ont
débouché sur (...) un affaissement de l'Etat
et une dépréciation continue de son
autorité quand celleci ne se manifeste pas des réflexes de
violences au détriment du citoyen ».
Devant pareil constat, il invite à l'adhésion du
peuple pour changer le régime socialiste. Pour Moustapha NIASSE,
devant ce constat d'irresponsabilité « l'urgence est
à un véritable sursaut » qui redonnera ses
lettres de noblesses à la politique et qui permettra à
tous ses concitoyens d'être, après Dieu, enfin maîtres de
leur propre destin, car pour peu que le peuple dise non aux artifices
politiques et juridiques, « la route menant à un tel objectif
est accessible
et personne (...) n'a le droit de se taire, malgré les
menaces et les provocations ».
Néanmoins, il faudra attendre la campagne
électorale de la présidentielle, pour voir le discours
de l'AFP et du leader de la CODE 2000 monter d'un cran et se
faire plus virulent. Le combat s'annonçait donc difficile pour un
ancien socialiste, même ayant choisi avec beaucoup de courage
politique de rejoindre l'opposition, car il était épié et
attendu sur de nombreux terrains
à la fois. Le leader progressiste le
reconnaîtra en avouant que l'écueil qui se devait
d'être surmonté était d' « éviter la
confusion naturelle entre le PS...» qu'il venait de quitter
« ...et un
PS bis que serait l'AFP ».
En ce sens, le dilemme progressiste aura pesé
telle une épée de Damoclès au dessus de la
CODE 2000.
Le premier jet devait donc logiquement consister pour
NIASSE à discréditer le pouvoir de DIOUF par une remise en
cause de tout un système politique, tout un mode de gouvernance dans un
parti qu'il considérait comme « ayant vieilli et ayant
volontairement tourné le dos à tout effort d'innovation, de
rénovation, de rajeunissement et d'adaptation aux circonstances et
demandes du peuple sénégalais ». Et lorsque à
Kédougou, le candidat socialiste sollicite « un nouveau mandat
pour un avenir en rose », le leader de l'AFP prédit
à Bignona dans le sud, casamançais, que « le 27, le
peuple déracinera le pouvoir qui l'appauvrit »31 .
Comme pour dire
31 Quotidien Le Matin du mardi 8 février 2000
que « l'Etat ne doit pas être une abstraction au
service d'une ambition ou d'ambitions limitées
à un c ercle restreint »32).
Tout au long de la campagne électorale, le discours de
NIASSE va se résumer à une invitation
au peuple afin de faire advenir le changement au sommet de
l'Etat et de libérer les énergies pour un «
Sénégal, autrement géré ». Si pour
lui, « Rufisque a été sacrifié par
l'égocentrisme », il rappelle aux paysans de la Vallée
qu'ils ont l'avenir du Sénégal entre leurs mains et invite les
populations de Bakel à prendre leurs responsabilités le
27 février 2000. Dans la 'mythique cité du rail',
Thiès, capitale du chemin de fer, le leader progressiste martèle
encore qu' « il faut choisir entre la récession
économique et le progrès »33 . Et lorsque,
depuis Fatick, le candidat du PS annonce « la chronique de la
défaite de l'opposition », le dissident socialiste rappelle
au peuple que « DIOUF a mené le pays à l a
déroute ».
Et lors du Congrès d'investiture de l'AFP à Kaolack
le 15 janvier 2000, Madieyna DIOUF, par
ailleurs numéro 2 du parti, en dressant le
« bilan catastrophique de DIOUF » constatera
à
l'endroit de l'électorat juvénile que «
...les jeunes sont fatigués de la politique sans envergure
du PS... ».
On aura pu le comprendre : le combat pour la
déconstruction du régime socialiste a été
délicat pour le leader de l'AFP et de la CODE 2000. Mais
n'étant pas « une fin en soi » pour Moustapha
NIASSE, le départ du président Abdou DIOUF et de son
régime ne constituait qu' « un aspect de la vision globale de
l'AFP et de son idéal politique ».
Après avoir confirmé le schisme, il fallait
l'assumer et tenter de s'imposer comme une force dans le paysage politique
sénégalais. Ce qui devait constituer le prix à payer
« pour un Sénégal autrement géré
».
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