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La communication politique dans les élections au Sénégal: l'exemple du PS(Parti Socialiste) et de l'AFP(Alliance des Forces de Progrès) en l'an 2000

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par Hamad Jean Stanislas Ndiaye
Université Gaston Berger de Saint-Louis (Senegal) - Maitrise de Sciences Politiques 2004
  

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L'effritement du « ndiguel » 94

Les confréries ont toujours constitué au Sénégal des lieux où les liens sont plus que solides. En effet, outre l'influence spirituelle, elles ont une assise économique et sociale certaine, qui leur permet de dégager des stratégies susceptibles d'aider leurs membres à faire face aux divers problèmes de la vie. On peut même dire que ces confréries constituent une forme de hiérarchie sociale parallèle à l'Etat, avec en leur sein des conditions particulières de participation et d'action auto définie.

Néanmoins, en l'an 2000, on assiste à un « effritement du soutien traditionnel » 95

En effet, la crise aidant, les politiques d'ajustement structurelles inopérantes - « dont la politique modeste n'a pas matière à se réjouir » 96 , l'éveil d'une conscience citoyenne mais aussi l'intervention des intellectuels, vont accentuer la retenue des chefs religieux envers l'action politique.

Il n'en demeure pas moins que certains marabouts vont s'afficher totalement pour le soutien du pouvoir, sans pour autant pouvoir garantir l'effectivité du vote de leurs disciples (talibés) par le biais de la consigne de vote (ndiguel) . Ils avaient trop tendance à perdre de vue le caractère secret du vote et le passage obligatoire par l'isoloir, pour accomplir ce devoir civique.

Ainsi que le remarque, Linda J. BECK « Dans la vie politique sénégalaise, depuis l'indépendance, la « politique politicienne » a joué un rôle fondamental pour la mobilisation

94 Employé ici au sens de consigne de vote donnée par une autorité religieuse

95 cf. Amadou DIAGNE La problématique du changement politique au Sénégal, mémoire de maîtrise de science politique, UGB de SaintLouis, année 2000/2001, p.29

96 ZUCCARELLI F., La vie politique sénégalaise 19401988, Paris, 1988, CHEAM, p.80

et la légitimation politique. Mais ainsi que l'a clairement montré la défaite électorale du président Diouf en mars 2000, la capacité des réseaux clientélaires à assurer la réélection des candidats sortants a été profondément remise en cause par des forces multiples la démocratisation, l'urbanisation, les migrations internes et les difficultés économiques de l'Etat sénégalais » 97 .

Etudiant le sens de l'Etat au Sénégal, Donald Cruise O'BRIEN relève que « le Parti socialiste

et le régime se singularisaient par la distribution de faveurs et de ressources, de soutien aux clientèles, aux clans. Pour ce faire, il passait par des intermédiaires, des personnes ayant une audience locale, du prestige et de l'autorité. C'est ainsi que certains marabouts, les chefs de confréries, sont devenus des grands électeurs, donnant des consignes de vote à leurs disciples, toujours en faveur du parti gouvernemental »98 . Mais des changements vont s'opérer dans le fonctionnement de cette relation à la fin des années 1980, en particulier à la suite du ndigeul de

1988 lors de la présidentielle. Les disciples ont montré à cette occasion qu'ils n'étaient pas

aussi obéissants qu'ils auraient pu en avoir l'air, surtout en matière électorale. Le ndigeul de

1988 va provoquer une réaction sévère des disciples, jusque dans la ville même de Touba. En effet, des lettres anonymes ont été jetées pardessus le mur extérieur de la résidence du Khalife Général des Mourides.

Les talibés font désormais la différence entre le ndigeul en matière de religion, toujours respecté et le ndigeul politique qu'ils ne se sentent plus tenus de suivre. Ce changement important est le signe palpable d'une extension du sens de l'Etat parmi l'électorat sénégalais.

Le marabout n'a plus le mandat de parler ou d'agir pour les talibés lors des scrutins.

L'effritement a aussi été secrété du dedans par certains marabouts. En effet, à la présidentielle

de 1993, le Khalife Général des Mourides, Serigne Saliou MBACKE décidait de ne plus donner

de consigne de vote à ses fidèles : il sauvegardait ainsi son autonomie, préservait la confrérie des éventuels ravages du factionnalisme politique, mais laissait aussi entendre que l'Etat n'était plus à considérer comme la propriété d'un seul homme politique, à savoir le président toujours renouvelé.

Un autre dignitaire de la confrérie mouride, Serigne Khadim MBACKE, dans une déclaration télévisée du 9 février 1988, appela à voter Wade contre Diouf car

97 Linda J. BECK, Le clientélisme au Sénégal : un adieu sans regrets ? in Le Sénégal contemporain (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés,Paris, 2002, p.529

98 O'BRIEN D. C., Le sens de l'Etat au Sénégal in Le Sénégal contemporain (sous la direction de) Momar

Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002, p.503

« quant à Abdou Diouf, il nous a privé de travail et si Dieu veut le bonheur du peuple sénégalais, Abdou Diouf ne sera pas réélu. Inutile de continuer à prier s'il est réélu puisque Dieu nous aura abandonné ».

Et lors du processus électoral en 2000, la neutralité politique du Khalife Général des Mourides, qui a renvoyé dosàdos le pouvoir et l'opposition, est tout à fait symptomatique de la mutation que traverse la société. Cette équidistance a mis en péril le ndiguel sur lequel le système socialiste s'appuyait pour remporter les compétitions électorales depuis 1951. Le pacte ne connaissait plus sa vitalité d'antan.

Par ailleurs, à force d'appeler à voter en faveur d'un chef de parti pour donner ensuite les consignes contraires, certains marabouts vont effriter la base morale qui permettait au ndiguel

de fonctionner. Il devenait de plus en plus évident, pour les fidèles, que de telles consignes résultaient d'un marchandage dont ils ne voyaient pas les effets dans leur vie quotidienne.

En plus de ces leaders de la confrérie, plusieurs fidèles ont été révoltés par la consigne de voter pour Diouf, qu'ils considéraient comme le principal responsable de la crise économique qui les frappait de plein fouet. En tout état de cause, ces contradictions ont discrédité le mercenariat maraboutique.

On peut penser que l'intrusion des marabouts dans les processus de démocratisation est frauduleuse et porte un coup sérieux à la libéralisation du jeu politique. De plus en plus d'ailleurs, surtout dans les villes, les marabouts sont désavoués dès l'instant où ils choisissent

de soutenir un régime décrié.

Dans la période de pré campagne et de campagne pour l'élection présidentielle, une bonne partie du peuple sénégalais semble avoir rompu avec la vision obscurantiste qui concevait le pouvoir politique comme une affaire des dieux et dès lors, le pouvoir spirituel n'avait plus à interférer dans ses rapports avec ce même pouvoir politique.

A cet effet, les connexions et interactions politicoreligieuses sont de plus en plus décriées par

les citoyens. Tels ces commerçants mourides de Sandaga (grand marché de Dakar) qui se disent voter pour qui il veulent car « pour le reste, Serigne Saliou ne nous recommande que le travail

et l'adoration de Dieu ».99 .

99 Walf Fadjri du 15 novembre 1999

Le rejet se veut aussi critique et comme le note ce couturier de Sandaga, « les ndigeuls des premiers khalifes étaient désintéressés en ce sens qu'ils reposaient sur l'intérêt de la collectivité. De nos jours, les dividendes tirés des ndigueul périphériques sont toujours en espèces et le talibé n'en verra rien » 100 Naît une certaine indocilité qui ouvre une nouvelle séquence sociale. Au delà de l'apparence, c'est une remise en cause de la société dont les valeurs et les fondements doivent être réinterprétés et redéfinis. L'heure n'est désormais plus à

la convenance sociale ; c'est celle de la rupture, cette forme de résistance aux procédures de domestication de la pensée et de subordination de la conscience. Et le talibé se trouve seul face

à l'isoloir et à l'urne, échappant ainsi à tout marabout, qui ne représente plus forcément une garantie face à la montée de la contestation.

Le mouvement et l'évolution démocratique vont corroder cette forteresse qui s'ouvre progressivement aux vertus du pluralisme politique. Cette césure va créer les conditions favorables à l'esprit de libre examen duquel les talibés s'émancipent au fur et à mesure de l'emprise du consentement social. On observera une érosion de ce pacte historique, fait qui va fortement laminer le soutien rural du PS, durement éprouvé par des années de réforme économique. La tendance à l'affaiblissement du ndiguel est une des données de structure du Sénégal sous Abdou DIOUF. Elle s'explique par plusieurs facteurs largement analysés par Sheldon GELLAR et dont les plus importants peuvent être cités : 101

les conséquences de l'urbanisation sur le contrôle des fidèles et adeptes par les marabouts ;

l'institutionnalisation de l'isoloir ;

la tendance des citoyens à faire la distinction entre l'autorité politique et celle, religieuse, des marabouts ;

la réduction des ressources permettant à l'Etat d'entretenir une clientèle de plus en plus nombreuse et enfin l'action des organisations réformistes musulmanes.

L'absence de ndiguel ou sa fragmentation, le versant moral de la crise et la paupérisation accentuée de la population, ont semblé, pour certains candidats -dont le discours politique était quelque peu religieux et culturaliste à l'image de Iba Der THIAM, Cheikh Abdoulaye DIEYE

100 Ibid.

101 Voir les travaux de S. GELLAR, Le climat politique et la volonté de reforme politique et économique au

Sénégal, Rapport préparé pour l'USAID/Sénégal, Dakar, août 1997

et Ousseynou FALL ouvrir des espaces de mobilisation sur la base d'une adhésion tacite à des valeurs supposées partagées par la grande majorité de la population.

Mais les résultats du premier tour indiquent que les sénégalais, ayant recouvré une citoyenneté, n'ont prêté leur attention qu'aux propos qui avaient un rapport direct avec leurs préoccupations quotidiennes qui se résument à manger, se soigner, s'éduquer et se former, trouver du travail.

La particularité de cette élection de février mars 2000 aura été l'autonomisation en construction dans la société. Déjà, lors d'une rencontre religieuse le 31 décembre 1999, au Stade Demba DIOP de Dakar, le jeune marabout mouride Serigne Modou Kara MBACKE surnommé le marabout des jeunes essuyait des huées lorsqu'il cita le nom du premier secrétaire du PS, Ousmane Tanor DIENG, présent à la cérémonie. Ce sera aussi le cas quand, pendant le second tour, il déclare selon le quotidien Wal Fadjri, que des « visions nocturnes inspirées par Ahmadou Bamba » lui ont révélé que Diouf allait vaincre au second tour. La réaction de certains fidèles mourides a vite neutralisé les propos du jeune marabout 102

Dès lors, comment apprécier cette volonté de séparer le religieux du politique ?

Elle traduit, d'une certaine façon, que l'individu exige la reconnaissance publique de cette liberté qui lui revient de droit. Il s'agit là de mutations sociologiques profondes de la société, qui n'ont été perçues ni par le pouvoir, ni par les 'marabouts grands électeurs' qui n'ont pas vu

la transmutation, du fait de la crise et du pluralisme des médias, du 'talibé' en 'citoyen' : cette

prise en charge par luimême de son propre choix est sans aucun doute l'innovation sociale la plus importante.

Désormais, les rapports hommes politiques et citoyens électeurs se tisseront face à face.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo