Le 'malêtre' et le 'mal vivre' des partis
politiques.
L'étude des partis politiques est un objet canonique en
science politique, cependant les partis politiques ont mauvaise presse. Ils
sont souvent contestés, accusés de confisquer la "chose
publique" et de manipuler les citoyens. Ils sont alors considérés
comme des "fossoyeurs" de la démocratie (Rousseau, Guizot, Madison,
Schmitt...). Cette mauvaise image est accrue par les liens
fréquents entre les partis politiques et les affaires de
corruption et les achats d'allégeances... Perçus comme
des organisations éloignées des préoccupations du
plus grand nombre, les partis politiques sont pourtant des
éléments essentiels des régimes démocratiques
(Tocqueville...). En tout cas, la question se pose de
savoir ce qu'est un parti politique dans un
système démocratique.
Et la réponse est bien vite trouvée : «
Oui. Ce sont des dictateurs. Ils ne sont pas sincèrement
démocrates. Le parti, c'est de la foutaise, un système de petits
copains. Les élections, c'est de la rigolade. Moi, je le dis, ce sont
des dictateurs. » 75
Le paysage politique sénégalais semble donner
raison à l'auteur puisque les partis politiques jugés trop
nombreux et estimés entre 84 et 89 au Sénégal,
reflètent plus souvent la personnalité du leader qu'une
quelconque idéologie. Le citoyen en arrive donc à être
convaincu que tout dépend du label, qui reste libre sur le marche
politique et que l'étiquette qui lui est apposée, importe peu.
La politique ne fait plus vraiment recette au regard des
pratiques que les citoyens y décèlent et
les sempiternels revirements ne sont pas pour redonner à
la volonté de gérer les affaires de la
75 KANE C.H., Les gardiens du temple, Paris, Stock,
1995, p.202
cité, ses lettres de noblesse. Il demeure aussi
que « chez nous, la vie politique semble se ramener, pour
beaucoup, à des luttes et à des courses pour le
Pouvoir. Comme si la vie politique était un marche à
conquérir ou à protéger. Les rivalités de personnes
l'emportent sur
les débats de choix de société.
Les moyens utilisés ne s'embarrassent guère souvent
de
principes moraux et religieux. Les intérêts
personnels et ceux de son clan passent avant le bien
de tous les citoyens... » 76
Le résultat est étonnant et
l'éventail politique déploie toute la gamme des
séductions : des conservateurs féodaux ou intégristes,
jusqu'aux trotskistes ou aux populistes africains, en passant par
divers échantillons de socialisme (autogestionnaire, travailliste,
social démocrate, national progressiste...), les
sénégalais euxmêmes se perdent et en restent perplexes.
La vérité la mieux partagée dans
l'électorat est que les hommes politiques ne font plus que de
la 'politique politicienne', en fonction de leurs
intérêts particuliers.
Au Sénégal, les hommes politiques ne sauraient
échapper à cette critique au point même que beaucoup
voient la politique comme répugnante et se convainquent que
'les promesses n'engagent que ceux qui y croient'.77). La
politique n'a pas bonne presse et, pour beaucoup, elle
est devenue un moyen d'ascension sociale. Mais l'enjeu majeur qui
s'attache à ce débat a trait à
la dimension éthique dans le jeu politique.
Se posent aussi la question des élites et celle
du 'parachutage' politique. Cette dernière technique, qui
s'est introduite dans le système politique
sénégalais, frustre sur le plan psychologique, nombre de
militants qui s'intéressent peu ou prou à la vie de leur parti.
Ils ont cette impression que leurs voix ne comptent que les jours des
élections mais que, pour tout le reste, on leur demande d'approuver
et d'applaudir ce qui a été décidé à
Dakar, en bureau politique...par dessus leurs têtes. L'arrogance des
élites se retourne contre elles avec la fin du chantage à
l'intelligence, à la compétence et produit une sorte de retour du
boomerang ; Abdou DIOUF en aura fait les frais avec cette jeunesse
qu'il s'était aventuré à qualifier en 1988, de
« jeunesse malsaine ».
76 Extrait de la Déclaration de l'Eglise Malienne, le 17
février 1991 rapportée par Moussa Makan CAMARA in
Questions brûlantes pour démocratie
naissante, NEA Dakar 1998, p.17
77 Lire MAAREK, Philippe J. Communication et Marketing de
l'homme politique, Collection communication politique et publique, Paris,
LITEC, 1992
Comme pour le referendum de juillet 2005 en France sur
la nouvelle constitution de l'Europe,
le rejet n'était pas pensable... Pourtant, en cas de
suffrage universel, il n'y a plus de hiérarchie entre ceux d' «
en haut » et ceux d' « en bas ». Enfin, c'est la
preuve que ni les médias ni les élites ne font l'opinion et
l'élection et qu'en sociologie électorale, la capacité de
prédiction ou
de prédication est très mince. La tare de ce
segment de la classe politique tient elle, dès lors, à son
identité intellectuelle qui lui a rendu la société
inaccessible ? Au point de reconnaître avec François ZUCCARELLI
qu' « ...il leur manque le minimum d'adhésion populaire dont
ils se sont coupés par une construction idéologique et des
querelles de chapelles totalement obscures pour leurs concitoyens »
78
Osons poser le débat avec Dominique WOLTON
: « Pourquoi si peu de modestie et d'autocritique ? Pourquoi
ignorer à ce point que les citoyens ne sont pas dupes ? Que cette
classe dirigeante médiatisée, pointe visible de l'iceberg,
fasse attention : elle laisse dans l'ombre ces milliers d'élus
(...) qui ont souvent une bien meilleure compréhension de la
société que ces élites ; elle oublie les syndicats,
associations, les mouvements d'éducation populaire,
systématiquement identifiés à des corporatismes. Les
citoyens voient tout et savent tout. Ils n'ont pas toujours raison, mais
impossible de construire ce nouvel espace politique en sous estimant à
ce point les récepteurs qu'ils sont ». 79
Les citoyens ont donc pris conscience de la nature de
ce genre de communication, politique certes, mais plus ou moins intuitive :
les partis ne communiquent véritablement que quand ils ont des
manifestations en vue, les militants et éventuels électeurs
étant considérés comme des acteurs passifs. Ce qui
explique que souvent le discours politique soit inadapté aux
réalités des populations. L'impact des politiques
communicationnelles est aussi à limiter car il existe toujours
des électeurs au choix déjà arrêté et
les a priori ne résistent pas toujours ; ce qui
explique, du reste, le basculement de beaucoup de fiefs et bastions dans un
camp adverse.
Ce peu d'effet donnait le signal d'alarme du discrédit
de la classe politique dans son ensemble, c'estàdire de la faillite du
multipartisme. La volonté de 'Sopi' n'était pas
nécessairement une acceptation du PDS au détriment du PS.
Nombreux étaient, parmi la population, les Sénégalais
78 Zuccarelli F. La vie politique sénégalaise
(19401988), Paris, CHEAM, 1988, p.94
79 Pas de démocratie sans communication
politique, Article paru dans l'édition du journal LE
MONDE du
05.06.05
qui mettaient tous les hommes politiques, à quelque bord
qu'ils appartenaient, dans la même catégorie.
Néanmoins, il nous faut reconnaître que s'il est
vrai que l'innocence militante a été ébranlée
par
les désillusions idéologiques et les
'crimes' commis au nom des beaux principes et si les
scandales politico financiers ont sapé la confiance populaire envers la
classe politique, on ne peut pour autant en déduire que la
dimension politique soit abandonnée. Assurément, le
mécontentement politique traduit le refus de la situation existante et
exprime la revendication d'un changement des mentalités et d'une
redéfinition des structures participatives de la vie publique. Et
« si la politique compte peu aujourd'hui, c'est parce qu'on nous a
appris depuis vingt ans qu'il n'y avait, en tous domaines, `pas d'autre
politique possible' » 80
Le souci majeur de notre étude aura
été, au delà du recueil du discours politique des
deux leaders de l'AFP et du PS, de donner la parole aux populations
destinataires de ce discours. En effet, il ne convenait pas, pour nous,
de nous en tenir au seul 'parler' des formations politiques ;
encore nous fallaitil nous référer aux citoyens pour juger des
éventuels impacts de cette communication. Cette préoccupation
nous a conduit à mener des enquêtes à Dakar, Saint Louis et
Rufisque.
Même si l'objectif n'était pas pour nous,
une investigation sur le vote proprement dit, le premier souci
consistait, dans un premier temps, à s'assurer que les
composants de l'échantillon avaient effectivement voté lors de
ces joutes électorales et ensuite, s'ils en étaient
au premier accomplissement de ce devoir civique.
Les réponses nous révèlent que ces
citoyens n'en étaient pas à leur première
expérience électorale et que depuis l'âge de la
majorité civile et politique (passé de 21 à 18
ans), voter constituait pour nombre d'entre eux, mais pas tous, « un
impérieux devoir ».
Quant aux motifs les ayant poussé au vote, la
« volonté de changement » l'emporte même sur la
volonté d'accomplir le « devoir de citoyen »
; ainsi tous invoquent le « changement ».
Néanmoins, l'enquête montre que très peu d'entre eux
ont vraiment pris la peine d'assister physiquement aux meetings et autres
manifestations d'ordre électoral, préférant les stations
de radio et certains quotidiens, « qui relayent toujours le
message ». En effet pour eux, « le
80 CHEVENEMENT J.P., Le courage de décider,
Editions Robert Laffont, février 2002, p.16
discours reste toujours le même » de la
part des « politiciens » ; aussi se
réservaientils « le choix » d' « aller
tranquillement voter au jour du scrutin ».
Avaientils déjà choisi leur camp et
arrêté leur vote ? A ce propos, les réponses recueillies
nous renseignent que tout devait concourir au « changement
» pour « qu'il (Abdou Diouf) s'en aille » :
« Nafi jogge ! ». Fin en soi ou pas, les raisons
pour fonder ce départ du candidat socialiste s'imposaient puisque
« Yaage nafi torop ! Da nio sonnoon ! » ( Il a trop duré !
Nous étions fatigués !).
Le départ du chef de file des socialistes se
présentait, quelque peu, comme un tout ou rien. Mais au
delà de cette vision plus ou moins apocalyptique, tous les
moyens n'étaient pas pertinents pour le traduire en
réalité : le seul et unique moyen devait être le vote des
citoyens ! Rares auront été les occasions de voir les citoyens
sénégalais aussi sûrs de leur vote, du poids et
de la valeur réelle de la carte électorale. Ce qui
ne dissipait pas entièrement des doutes quant à
l'éventualité d'une « confiscation des
votes » ou de « fraudes » par le régime
socialiste.
A cet titre, la communication des partis n'aura « pas
vraiment » influé sur leur choix, qui reste fondamentalement
motivé par le charisme et la « personnalité »
du leader. Pour autant, l'impact
de « certaines promesses » ou engagements
relayés par la presse, ne saurait être négligé avec
notamment la sénégalisation des informations par le
biais des langues nationales. L'explication
de cet usage des langues nationales et surtout du wolof, se
justifie à bien des égards par le fort taux
d'analphabètes au Sénégal mais aussi, par le
rôle déterminant de la presse en tant que véhicule
et média du discours politique, qui doit épouser les idiomes du
public ciblé.
En définitive, les citoyens rencontrés se
disent accorder « très peu de crédit » ou
« aucun crédit » au discours politique, se rappelant
toujours que « les promesses électorales n'engagent que ceux
qui y croient » et que « les politiciens oublient les gens
dès qu'ils sont élus ». Pareil constat traduit le fait
que la politique est toujours mal vue ou perçue parce que jugée
« sale » et
où tous les coups sont permis ; les hommes
politiques « sont de mauvaise foi » et « ils
sont
tous pareils ». C'est donc de faux
discours qui lassent et amusent souvent le peuple qui n'écoute
plus que par dépit ; « ils ne sont là que pour
euxmêmes et seuls leurs intérêts propres dictent leurs choix
et comportements ».
Ce discours pas franc des hommes politiques
explique, pour nos interlocuteurs, la transhumance qui est devenue
constante depuis l'alternance. Et face à l'essor noté de
la
transhumance politique, naît un sentiment de «
déception », de « trahison » ou de «
perte de repères ou d'idéologie ». On ne laisse
plus de réelle place à l'idéologie ou à
l'éthique politique parce que « la politique est devenue un
moyen d'ascension sociale ». Tout de même, certains
enquêtés voient dans cette transhumance une réelle
volonté de « participer à l'édification de la
nation (...) de travailler pour le pays ». Et que cela, loin
d'être décrié ou fustigé, devrait être
salué et apprécié à sa juste valeur de
« citoyenneté librement assumée » car
« c'est un choix politique et légitime jusqu'à preuve
du contraire ».
Pour ce qui est du rapport argent/vote en période
électorale, l'appréciation se fait en termes
de « corruption » et d' « hypocrisie
».
Mais, il subsiste un paradoxe qui frise quelque peu
le ridicule et qui veut que l'homme politique corromet ses concitoyens
pour être élu et prétende, par la suite, lutter
contre la corruption . Les enquêtés remettent cette attitude dans
une vision machiavélique de la politique où, avec la ruse et la
chance, « tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins
» et seul le but final, à savoir l'élection, compte.
Si d'aucuns voient dans cette « corruption
» des citoyens par les hommes politiques
un « manque de dignité », il
appartient plutôt aux premiers d'éduquer les seconds et de
les amener à « faire la politique autrement » ; ils
reconnaissent toutefois que les citoyens restent
« fragiles et démunis » face
à cet « investissement », du fait de la
précarité et de l' « injuste répartition des
biens ».
Pour d'autres, le phénomène argent/vote ne
saurait obligatoirement être assimilable à une corruption
mais comme étant plutôt « un autre moyen de
convaincre l'électeur ». Voilà pourquoi, selon eux
« le citoyen ne devrait, en aucun cas, avoir d'état d'âm
e » car « cet argent
est et reste le sien (...) c'est l'argent du contribuable
sénégalais ».
La seule attitude à adopter se résume donc
à « je prends et je vote pour qui je veux ! je suis seul dans
l'isoloir et face à l'urne !»
Les propos d'un jeune propriétaire d'une galerie d'art
sont clairs à cet effet et pour qui « la politique
politicienne ne peut pas se purifier car c'est de l'ordre du matériel et
du terrestre »
(yeufou aduna la ! c'est des choses de ce bas monde
!)
Quant au regard à jeter sur la manière de faire la
politique depuis l'avènement de l'alternance, beaucoup de nos
interlocuteurs s'accordent à dire que « rien n'a
fondamentalement changé »
car les méthodes sont restées les mêmes, la
corruption persiste, l'impunité se maintient dans
une certaine mesure, le train de vie de l'Etat reste
élevé, l'existence de faveurs partisanes et le culte de
l'arbitraire persiste de même que la réaffirmation de
l'allégeance du politique au religieux et les promesses non tenues.
Tout ne saurait pour autant être négatif aux yeux
des enquêtés car « le citoyen est plus libre »
en paroles et pensées, « le Sénégal est en
chantier » au regard des infrastructures et « Wade est
beaucoup plus ouvert et plus accessible que Diouf (...) il communique plus et
on le voit plus ».
Le grand souhait et l'appel émis restent, en
définitive, une « politique plus honnête »
et
« autrement faite », plus de respect pour
le peuple et les engagements pris devant lui. Ce qui doit passer par un
« changement des mentalités autant chez les citoyens que chez
les hommes politiques » afin de « tenir un langage
vrai » et préserver une certaine « éthique
» par « une plus grande culture politique ».
Tout cela devrait sans doute conduire, selon eux, à un
renouvellement de la classe politique sénégalaise vu que
« ceuxlà s ont vieux ».
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