le rejet du discours politique.
Autant pour Abdou DIOUF que pour Moustapha NIASSE,
le discours politique n'aura pas
toujours été opérant sur les destinataires
au point que « les idées ne suffisent plus pour
être
élu » 72
Mais le discours qui sera apparu le plus contesté reste,
sans doute, celui du candidat socialiste.
En effet, malgré les engagements fermes d'Abdou DIOUF,
candidat à sa propre réélection, le sort était
déjà jeté ! L'électorat
sénégalais, dans sa grande majorité, avait
déjà choisi son camp... et l'appel du candidat Diouf
lancé entre les deux tours au leader de l'URD, Djibo Kâ, qui a
accepté, loin d'améliorer sa situation, lui aurait même
valu, en plus de la scission au sein
de ce parti, selon certains observateurs, un vote sanction de
militants socialistes, inquiets d'une
marginalisation certaine qui les frapperait, au cas
où M. Kâ reviendrait aux affaires après la victoire du
président sortant.
Et en voyant Abdou Diouf entreprendre, avec
frénésie, une campagne de proximité tous azimuts entre
les deux tours, beaucoup d'électeurs ont senti quelque part que
c'était l'hallali et que l'alternance était
à portée de bulletin. Et en pleine campagne
électorale, l'ébruitage de l'augmentation du salaire des 140
députés 73 , va ajouter à leur désir
d'en finir avec des gens perçus comme se servant mais qui ne
servent pas l'Etat. Le président Diouf annoncera lors d'une
conférence de presse au palais entre les deux tours qu'il n'avait jamais
eu connaissance d'une telle décision.
Si, globalement, les facteurs susmentionnés
peuvent expliquer les limites dans les effets du discours du
président sortant, une radioscopie de la déroute cinglante qui en
a résulté en appelle cependant d'autres, plus ou moins
factuels ou liés à l'évolution même de la
scène politique sénégalaise. Toute force
s'épuise et le Parti Socialiste, au pouvoir depuis 40 ans, ne
pouvait échapper à cette loi naturelle. L'usure du pouvoir a fait
que le PS et la plupart des dirigeants qui l'incarnaient, avaient fait
naître chez la majeure partie des Sénégalais, la conviction
qu'on ne pouvait plus rien attendre d'eux, car malgré quatre
décennies à la tête du pays, les choses sont allées
de mal en pis .
72 MAAREK Philippe J., Communication et Marketing de
l'homme politique, Collection communication politique et publique
73 Lire à ce propos WAL Fadjri du 19
février 2000
Le rejet du discours politique du PS traduit aussi
l'échec de la campagne de Jacques SEGUELA, perçu quelque
peu comme un nouveau Jean COLLIN, à propos duquel Amath
DANSOKHO disait que « ce Sénégal est, sous bien des
rapports, politiquement développé et ainsi, nous ne pouvons
pas accepter un président qui est incapable d'assumer
ses responsabilités et qui se met sous la protection de Collin.
Et cet aspect est un problème politique de fond qui blesse le
sentiment national des sénégalais » 74
Certes, en 2000, l'auteur de la « Force tranquille
» est aux côtés du candidat socialiste, mais
« Ensemble, changeons le Sénégal
», n'aura pas vraiment fait recette. En fait, le
consultant
(qu'il soit américain ou français) ne transforme
pas la manière de faire de la politique là où il
débarque.
C'est peutêtre cela qui explique la débâcle
de Séguéla et de son équipe qui, pourtant, avaient
foulé le sol sénégalais, auréolés d'une
longue liste de succès électoraux .Mais l'univers politique
sénégalais a ses propres réalités qui
n'obéissent pas forcément aux calculs et stratégies
cartésiens élaborés à partir des cabinets des
spécialistes occidentaux du marketing politique. Et malgré leur
expérience et leurs gros moyens, ces "spécialistes du
convaincre", ces "faiseurs d'images", n'ont pu faire avaler
leur pilule aux électeurs sénégalais décidés
à changer le cours
de leur Histoire.
Au soir du 19 mars, des analystes expliquèrent la
défaite de Diouf par sa « froideur » et son
« éloignement » visàvis des
préoccupations des masses populaires écartelées entre la
misère,
la promiscuité et l'extrême pauvreté.
Ces masses ne comprirent peutêtre pas pourquoi,
malgré ce mal vivre généralisé, les
socialistes étaient allés chercher un consultant étranger
(Jacques Séguéla) qu'ils auraient payé à coup de
millions de francs Cfa...C'est cette méconnaissance du terrain qui a
fait commettre au gourou français une erreur fatale : faire poser
le candidat socialiste en costume cravate au milieu d'un champ et tenant
entre ses mains une aubergine. Avec ce slogan : "Ensemble, faisons
mûrir les fruits". En confondant les fruits et les légumes,
il a précipité la débâcle des verts.
Qui plus est, au moment où les Politiques d'Ajustement
Structurel étaient appliquées dans toute leur rigueur, atteignant
les populations dans leur minimum vital, l'Etat, qui aurait dû donner
l'exemple, par une cure d'amaigrissement, maintenait un train de vie assez
dispendieux, allant jusqu'à augmenter le nombre des ministres dans le
gouvernement et celui des parlementaires
74 Le Devoir, numéro 4, 29 mars 10 avril 1988,
p.3
(les députés, plus les sénateurs). Cette
attitude, que certains opposants politiques ont qualifiée
de « ma tey » (« j'en ai cure ! Je
m'en fous ! », allait provoquer une profonde césure entre
Diouf
et son peuple. Et dès, lors celuici était
accusé d'être insensible aux maux dont souffraient les populations
et cela d'autant plus que sa politique de communication fut médiocre :
on le disait distant, même si ceux qui l'ont approché
étaient convaincus du contraire.
La gestion socialiste a été également un
autre facteur qui a pesé sur le choix des Sénégalais en
l'an 2000. Que ce soit au niveau des collectivités locales, de
l'appareil de l'Etat ou dans les sociétés nationales, la gestion
était très souvent jugée opaque et parfois
carrément ruineuse. Et
le peuple ne comprenait pas pourquoi les auteurs
identifiés de malversations étaient maintenus
à leur poste ou pire, parfois promus à
d'autres responsabilités. Cette impunité avait plus ou
moins convaincu beaucoup de Sénégalais, qu'il n'était
pas nécessaire de se tuer à la tâche «
républicaine » ou pour brûler les étapes et
accéder à la table de banquet, il fallait une adhésion
au PS et un militantisme d'ostentation (la transhumance
précipitée de socialistes vers le PDS ou l'AFP, le prouve).
A cela, s'ajoutait la politique prédatrice
développée par des lobbies de toutes sortes dont certains
étaient une excroissance du pouvoir et quelques fois
alliés aux monopoles, qui avec arrogance, avaient mis le
territoire économique sénégalais en coupe
réglée, bloquant toute possibilité de progrès au
profit des populations.
On a pu dire par ailleurs au lendemain de la défaite
d'Abdou Diouf, qu'il a perdu parce que la demande sociale était
insatisfaite. En termes clairs, c'est le chômage et les
défaillances constatées dans beaucoup de secteurs comme la
santé, l'éducation, la sécurité, l'agriculture
et
les routes...Au final, tous ces facteurs, dont chacun constituait
un ruisseau, ont convergé pour
donner un fleuve impétueux, dont les flots ont
eu raison d'un régime installé depuis l'indépendance
et qui croyait en avoir encore pour longtemps sur les
sénégalais.
Moustapha NIASSE aura également connu un frein à
son discours.
Ainsi malgré l'engouement, l'adhésion
suscitée et une campagne placée sous le sceau de
l'éthique et de la morale, un échec sera noté : le
candidat de l'AFP et de la CODE 2000 aura fait peur et n'aura pas totalement
rassuré aux yeux de certains destinataires de son message.
Comme nous l'avons montré, dans la construction du
discours politique, l'AFP et son leader ont
du affronter le dilemme progressiste qui consistait à ne
pas apparaître comme le `clone du PS'
ou même un ` PS bis'.
Il faut bien admettre que la situation personnelle du
Secrétaire Général de l'AFP n'était pas
commode. Difficile, en effet pour lui, de trouver le ton juste pour
critiquer un régime pour lequel les Sénégalais
continuaient à avoir les yeux de Chimène et dans lequel
il a joué les premiers rôles pendant de nombreuses
années. Ce n'était pas non plus une sinécure pour
quelqu'un comme Moustapha Niasse, qui a milité au sein du PS où
il a occupé pratiquement tous les postes de responsabilité
pendant presque quarante ans, de renier en bloc tout son bilan.
Résultat, mis à part dans son fief électoral de
la région de Kaolack, son message électoral n'aura pas
vraiment connu une ampleur aussi grande hormis certains endroits où les
soutiens ont pu agir.
L'adhésion massive et spontanée sera donc
apparue comme un sursaut ponctuel, sans doute, dicté par une
frustration des populations, trop longtemps contenue et qui ont semblé
voir dans
le réquisitoire de l'homme leur propre discours.
Mais on serait bien tenté de croire que l'engouement n'aura
duré que le temps de la campagne qui devait chasser le régime
socialiste.
L'impact des médias ayant transmis le message politique
est aussi à relativiser, car ne manquant pas souvent à l'image
des médias d'Etat de se faire instruments d'une propagande du
régime
en place.
En réalité, les médias sont le moteur de la
communication politique, mais à deux conditions. D'abord éviter
d'être trop liés aux élites et conserver la
fonction de médiation entre les
différents milieux de la société. Ils
doivent refléter l'hétérogénéité de
celleci. C'est leur rôle démocratique. D'autant qu'en
'haut', les dirigeants n'ont souvent plus de rapports avec la
réalité
et n'y accèdent qu'à travers les
médias. Si les médias ne reflètent pas mieux la
diversité, le
risque d'incommunication augmente. Et le nombre de
supports ne suffit pas à rendre plus transparente et
compréhensible la société, car tous parlent de la
même chose, au même moment. Pas assez ouverts, pas assez
pluralistes, trop conformistes. L'espace médiatique ne transcrit
pas assez l'hétérogénéité culturelle et
sociale.
Les médias ne sont pas les portevoix des seuls hommes
politiques et des sondeurs ; ils doivent refléter les autres
opinions. Ils sont garants de
l'hétérogénéité, faute de quoi il n'y
a pas de respiration démocratique. L'éloignement et le rejet
des médias de la part des citoyens peuvent
s'expliquer par leurs représentations de la vie sociale
et politique. Il peut exister un rejet des médias comme, d'ailleurs,
il peut exister un rejet du fait politique, auquel il est
très étroitement lié. Ce
désintérêt, cet absence d'engagement, marquent la
limite de la communication politique comme pour mieux rappeler que
l'engagement politique est, comme tout ce qui relève d'une
médiation entre le singulier et le collectif, une affaire de
désir : pour que s'instaure pleinement la médiation, encore
fautil qu'à son pôle collectif soit effectivement articulé
un pôle singulier, celui du sujet, qui ne peut exister que pour autant
que l'y pousse la force réelle de son désir.
L'éloignement du sujet de la communication à
l'égard des médias correspond au désintérêt.
Il peut y avoir une lassitude du public pour les médias, et,
en particulier, pour l'information politique dont ils sont porteurs. Mais la
lassitude, le sentiment d'ennui que peut provoquer une activité, renvoie
toujours à l'absence de culture ou à l'absence de désir.
Le public peut s'éloigner des médias faute d'avoir
été préparé à leur usage, et, à cet
égard, le rôle de l'école est essentiel, mais il peut
aussi s'éloigner d'eux par absence de désir pour
l'engagement. C'est ce qui peut conduire, précisément, les
médias, pour retrouver une puissance de captation du public
condition, par ailleurs, de leurs ressources dans une économie
libérale à tenir un discours lui aussi éloigné de
l'engagement et du fait politique.
On peut tout de même ajouter que, la communication des
partis se heurte à la nature même de
la transaction politique qui repose sur la
capacité à faire adhérer à un projet
politique ou à croire en un homme. De plus en plus sceptique,
le récepteur garde une part de librearbitre suffisamment forte
pour être capable de ne pas céder automatiquement aux
sirènes de la persuasion programmée. Même repris à
la télévision ou sur les ondes radio, avec l'insistance
complaisante de certains commentateurs, leur effet n'a rien de
mécanique.
Cependant, l'accélération de la
professionnalisation politique et le rapprochement de plus en plus
marqué avec la logique des campagnes publicitaires ne manquent pas
d'être inquiétants au moment où les programmes des
candidats se limitent à quelques vagues idées
générales et à des intentions...forcement
généreuses. En l'an 2000, la notion de sanction a
ré émergé dans les références et dans
les esprits et cette élection présidentielle a
été l'occasion pour les populations, d'exercer leur libre
arbitre.
Le rejet du discours politique qui est constaté dans
cette étude, révèle un état et une
situation
qui ont tendance à se généraliser dans
l'échiquier politique non seulement national sénégalais
mais mondial pourraiton dire.
En effet, mal vue parce « sale », la politique
se retrouve confrontée à un 'malêtre' et à
un 'mal
vivre'.
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