B De par la dimension personnelle des candidats.
Avec l'élection présidentielle des 21
février et 19 mars 2000, les hommes politiques
sénégalais
sont, peutêtre sans s'en rendre compte,
entrés dans l'ère de la campagne électorale
personnalisée. Une campagne où l'idéologie et
le programme politicoéconomique sont relégués en
arrière plan au profit de la politique spectacle. Dans cette formule
inventée par les Nordaméricains, seule compte l'image, la
bonne image du candidat. Le marketing politique adopte désormais
les mêmes outils que la publicité.
Le candidat socialiste sera apparu comme l'un des leaders
sinon le plus charismatique de la scène politique du pays depuis
le départ de Senghor. Son passé au sein de la haute
administration va beaucoup militer en sa faveur avec son passé
de technocrate et travailleur sérieux, rigoureux et consciencieux.
Cet homme, tant par la carrure que par le regard, intime le respect et fascine
même jusque dans le camp adverse de l'opposition. Et ce n'est nullement
un hasard si en parlant de changement, beaucoup de
sénégalais aient reconnu la grandeur et la valeur de cet
homme d'Etat dont l'entourage reste, selon eux, le maillon faible .
L'atmosphère tendu qui entoure le scrutin de l'an 2000 aura aussi
aidé le candidat DIOUF dont le peuple a toujours gardé une image
d'homme d'Etat serein, pacifique, posé et ayant un sens assez
élevé des responsabilités qui sont les siennes. Aussi, va
t'il sans trop le vouloir ou même s'en rendre compte, constituer l'homme
de la stabilité, à un moment où certains leaders de
l'opposition ne manquaient pas de faire allusion directe au coup d'Etat qui
frappait la Côte d'Ivoire voisine. Il
ne fallait surtout pas que le chaos envahisse l'un
des rares îlots de paix et de stabilité non seulement du
brasier ouest africain, mais d'un continent secoué et
déchiré par toutes sortes de conflits. DIOUF avait aussi su
faire preuve de tact et de beaucoup de réalisme dans la crise avec
le voisin nord mauritanien, conflit durant lequel les échos de missiles
irakiens braqués sur
le Sénégal avaient fini de circuler au sein des
populations.
C'est donc cet homme, n'ayant globalement rien perdu
de ses valeurs humaines qui se sera présenté devant le
jugement électoral des sénégalais. Sa volonté
d'apaiser le climat politique aura eu des effets de même que son
éternel refus de s'attaquer à ses adversaires politiques dans
les débats qui rythment la campagne ; et pour lui
« sur le chemin qui nous réunit, il faut chercher ce qui
nous unit ».
NIASSE va, pour sa part, bénéficier d'une
forte et spontanée adhésion et d'un grand élan de
sympathie. Ce qui est sans nul doute du à son
'courage politique'. Les sénégalais n'avaient jamais
été habitués à pareil schisme et cassure au sein du
régime socialiste, un parti au pouvoir qui avait plus ou moins
réussi à toujours discipliner ses troupes et les
réunir autour de l'essentiel.
En effet, son irruption sur la scène de l'opposition va
bouleverser les calculs, les pronostics et
les données du paysage politique. Plus, elle va lui
imprimer une nouvelle dimension ; celleci se caractérise notamment par
un engouement certain de la population en droit de vote pour le
scrutin de l'an 2000.
Et le discours de NIASSE aura été « assez
crédible » aux yeux du peuple.
Il est incontestable que son entrée en
"indépendant" sur la scène politique aura perturbé
la hiérarchie traditionnelle des partis. Niasse en jouant à fond
sur son côté rassurant et sage, a su séduire pas mal de
déçus du PS, qui hésitaient pour autant à
s'engager aux côtés de l'imprévisible Wade. Autre
facteur déterminant, l'âge. En l'an 2000, Niasse a l'avenir devant
lui, Wade est en fin de carrière. Les professeurs d'université,
une centaine, qui ont créé l'Alliance Nationale des
Universitaires pour le Progrès (ANUP) , un groupe de soutien
à Niasse, estimeront qu'il « est le seul à pouvoir
assurer une alternance crédible, dans la stabilité (...)Le plus
important (...), c'est de mener avec Niasse une réflexion sur le devenir
du Sénégal ».
Ancien Premier Ministre, Ministre d'Etat et Ministre
des Affaires Etrangères, la dimension personnelle du leader
progressiste aura certainement permis une oreille attentive du
côté des citoyens sénégalais, lui que l'on dit jouir
d'une importante assise financière, d'un enracinement politique et des
réseaux internationaux lui permettant de soutenir la
confrontation avec l'entourage de DIOUF. Lisant la résolution
générale du premier congrès ordinaire de l'AFP tenu
à Dakar les 1er et 2 mars 2003, Bouna Mouhamed SECK, chargé des
élections du parti notera que « dès la
déclaration du 16 juin 1999, des milliers d'hommes, de femmes, et de
jeunes
se sont faits l'écho d'un immense espoir qui a
été le socle sur lequel s'est bât i le parti
».
Le contexte aura accompagné et soutenu le parti
progressiste ainsi que le reconnaît son leader, pour qui, «l'AFP
a vu le jour dans un contexte particulièrement riche en
événements, au mois
de juillet 1999, au moment où les
sénégalaises et les sénégalais étaient
habités par de multiples
interrogations sur le présent et sur l'avenir
de leur pays ». S'y ajoute que « cet appel avait
conforté dans leur lutte, ceux qui, déjà refusaient toute
compromission avec le régime en place
et s'étaient engagés dans la voie de
mener à l'alternance démocratique »69 .
En ce sens il
« aura contribué à transformer une
aspiration en une alternance politique, en une réalité qui aura
montré que le mode de développement du pouvoir au
Sénégal pouvait non seulement se faire de manière
démocratique, mais pouvait également s'effectuer sous la
forme d'une alternance politique consacrant la chute d'un régime qui
avait régné pendant quarante ans »70.
Il est aussi aisé de remarquer que le discours
de NIASSE aura suscité beaucoup plus d'adhésion chez les
femmes et les jeunes, piliers de l'électorat. Se voulant incarner le
« Parti des Femmes et des Jeunes », le leader de l'AFP va
militer pour la promotion de la Femme et du Jeune et « plus de la
femme d'ailleurs, car elle est la maman du jeune mais ce dernier reste porteur
d'espoir, de force et de vitalité ».
Malgré la réalité des effets du discours
politique sur les citoyens, cet impact est à relativiser vu que
« le discours du responsable politique, qui reste essentiellement
autoréférentiel, n'est pas toujours bien et directement compris
par le public ('l'électorat'). L'expression politique risque
d'apparaître comme déconnectée de la réalité
sociale et de perdre ainsi sa raison d'être aux yeux du citoyen confondue
avec la logique médiatique actuellement dominante, la médiation
ne remplit donc plus son rôle d'aide à l'échange
démocratique » 71 .
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