B Relecture et recomposition du paysage politique
sénégalais:
pour une ouverture du jeu politique
Le Sénégal a une histoire de
compétition politique et de pluralisme associatif qui date de la
fin
du 19eme siècle, et tous les sénégalais
n'acceptaient pas, de bon gré, la contraction de l'espace politique sous
le parti unique, quelque « paternaliste » et « bienveillant
» que l'Etat clientéliste senghorien ait pu être.
Dès 1968, les grèves se multipliaient avec la croissance
du chômage dans les villes. Vers la même époque, la
mauvaise gestion par l'Etat du secteur agricole suscitait un
mécontentement paysan de plus en plus vif.
En guise de réponse, les paysans furent nombreux
à abandonner la culture de l'arachide qui constituait à
l'époque la principale source de devises du Sénégal avec
l'approbation de leurs
60 Sud Hebdo, numéro 15, 7 juillet 1988
chefs religieux, qui commençaient à prendre leurs
distances par rapport au régime PS, de plus
en plus impopulaire61).
Mais lorsque se lève l'aube de l'an 2000,
l'échiquier politique sénégalais est
déjà riche et diversifié du fait du pluralisme. En
effet, le processus de libéralisation de la vie politique que Senghor
avait voulu limiter à trois courants, est encouragé et
approfondi par son successeur Abdou DIOUF.
De sorte que l'on en arrive à recenser près de 70
partis politiques. Aussi la présidentielle de
l'an 2000 seratelle âprement disputée et très
ouverte au regard des multiples offres des partis
en lice.
En tentant d'évoquer les particularités de
ce scrutin, nous n'avons pas manqué de citer le nouveau visage
et la recomposition du champ politique sénégalais qui en devient
plus ouvert par le jeu des alliances ou coalitions et celui des nouveaux partis
qui tentent de percer et de s'imposer.
On peut y lire une 'maturité' de l'opposition
politique qui fait bloc avec un seul mot d'ordre :
débouter un régime socialiste vieux de quarante ans
!
Mais ce qui reste inédit en l'an 2000, se
trouve, sans conteste, dans le nouveau visage qu'a offert l'opposition
politique sénégalaise, notamment avec l'apparition de l'URD
et de l'AFP. Leur sécession aura été un
élément de décrispation et de meilleure redynamisation
de la vie nationale, par l'agrandissement de la brèche
déjà ouverte dans l'ancienne bipolarisation jusqu'à
présent campée par le Parti Socialiste et le Parti
Démocratique Sénégalais.
Cette irruption sur la scène de l'opposition va
bouleverser les calculs, les pronostics et les
données du paysage politique.
En effet, s'est constitué un 'bloc historique'
car jamais l'histoire politique du pays n'aura connu pareille convergence
des partis opposés au régime en place avec lequel ils ont
décidé de finir à tout prix. L'illustration la plus
parfaite du 'raslebol' des partis de l'opposition trouve son
paroxysme lorsque, le 21 octobre 2004, elle `marche' sur
Paris à l'occasion d'une visite du Président DIOUF en
République Française ; visite en marge de laquelle le
président devait
61 BECK Linda J., Le clientélisme au
Sénégal :un adieu sans regrets ? in Le
Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba
DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris,
2002, p.536
délivrer un important discours au Palais Bourbon,
siège de l'Assemblée Nationale de France. C'est justement ce
moment et cet instant précis que les leaders de l'opposition choisissent
pour entrer en action par le biais d'une conférence de presse
au coeur de la capitale, afin de dénoncer avec force les
dérives du « modèle » de démocratie du
Sénégal, un « label qui n'est plus vendable
».
Cette campagne dénonçait la «
désagrégation de l'Etat » et défendait
l'idée selon laquelle le
« président DIOUF, minoritaire, veut être
président à vie ».
« La stabilité c'est nous ! », tel
avait semblé être le cri de l'opposition qui se soude. Mais c'est
surtout la crainte de voir le président DIOUF
s'éterniser au pouvoir qui motive incontestablement le
regroupement de l'opposition qui n'exclut pas le risque d'explosion de
violence si le président s'acharne à se maintenir au
pouvoir, après l'élection de l'an 2000, comme ils le
soupçonnaient.
En effet, au lendemain des législatives de 1991, la
majorité socialiste à l'assemblée nationale votait un
amendement constitutionnel amendement Niadiar SENE62,
abrogeant la limitation des mandats du président. Et pour l'opposition,
DIOUF ne remporte les élections que grâce à
un système de fraude particulièrement
élaboré et elle s'en disait prête à obtenir par la
rue, ce
qu'on ne peut obtenir par les urnes. Le message était donc
clair.
Amath DANSOKHO leader du PIT dira se battre pour que
l'alternance se fasse « par les suffrages » et que
personne n'empêcherait les sénégalais d' «
explorer d'autres voies pour faire partir Monsieur DIOUF ». Il
rappellera, pour justifier l'interpellation direct des hommes politiques
français, qu'à
« toutes les élections, la veille du
scrutin, il y'a des vols de jaguars français au dessus
de
Dakar ».
Landing SAVANE, chef de file de AJ/PADS recommandera
à cet effet, à ces « amis » du
régime socialiste « de le dissuader de truquer les
élections de l'an 2000 », se disant déterminé
à ne plus faire de concession.
Dans ce même registre peut s'inscrire le retour du
'pape du sopi' au Sénégal après une longue
période d'exil à l'étranger. Ce come back aura
donné naissance à un véritable ras de marée,
d'accueil et de liesse populaire, de celui qui incarnait le sopi et
que les populations, ont tenu à accompagner et à acclamer. Le
succès était tel que le régime socialiste et les
médias d'Etat et
62Du nom de son initiateur, le Député Niadar
SENE
notamment la RTS (Radiodiffusion Télévision
Sénégalaise) que beaucoup assimilent à ' RTS Rien Tous
les Soirs' se seront illustrés par leur absence. Mais le relais
sera passé par le biais des médias privés et notamment les
stations de radio qui auront fait vivre ce retour du candidat
de la CA 2000, 'à chaud'.
Ce bloc historique de l'opposition devait
réécrire l'Histoire politique du Sénégal et
éloigner le spectre d'une « démocratie sans
alternance ». Et si l'effritement du soutien traditionnel au
pouvoir socialiste est réel, il a fallu aussi que les partis de
l'opposition se montrent un peu plus
'agressifs' pour le changement en exerçant une
forte pression politique sur le régime d'Abdou
DIOUF.
Cette pression n'avait qu'un seul levier : le changement, une
aspiration partagée aux élections
de l'an 2000. Ce retour en force d'une opposition jadis
morcelée et éparse, aura démontré un engagement
politique en nette évolution.
En décidant de faire de l'échiquier politique
sénégalais, un espace plus ouvert à la
compétition,
le regroupement plus ou moins global de l'opposition, relevait de
trois défis: D'abord, ne plus laisser DIOUF seul 'maître du
jeu politique';
Ensuite, sortir de la traditionnelle bipolarisation PS/PDS;
Enfin, surmonter la fragmentation pour mettre fin a
l'hégémonie du PS.
La campagne électorale aura, à cet effet,
reflété une évolution générale sur une
durée assez longue et les pressions d'une opposition à nouveau
visage, pour une démocratie plus pluraliste
au Sénégal, ainsi que peuvent en témoigner
les facteurs ciaprès:
les revendications de réformes institutionnelles,
réduisant les pouvoirs du Président de la République
et renforçant l'Assemblée Nationale, pour
l'avènement d'un régime semi parlementaire;
l'apparition de nouveaux partis politiques sous la
direction de chefs religieux, la politisation croissante de la jeune
génération de petitsfils de marabouts et l'apparition plus
ou moins prononcée, de thèmes religieux au cours de la
campagne;
la candidature inédite d'un leader syndical autonome;
la démission de piliers du PS tels que Djibo KA et
Moustapha NIASSE et leur décision de se porter candidats contre DIOUF
à l'élection présidentielle ;
Au total, sept candidats se seront présentés
contre DIOUF :
Abdoulaye WADE, candidat de la Coalition pour l'Alternance
2000 ; Iba Der THIAM de la Convention des Démocrates et des
Patriotes (CDP Garab gui); Mademba SOCK63 , le
fougueux leader syndical de l'Union Nationale des Syndicats Autonomes du
Sénégal (UNSAS) avec son parti le Front de Rupture pour une
Alternance Populaire (FRAP) ; Djibo Leity KA64
de l'Union pour le Renouveau Démocratique (URD) ;
Moustapha NIASSE65 leader de l'Alliance des Forces de
Progrès (AFP) et de la Coalition De l'Espoir 2000 (CODE 2000)
; Cheikh Abdoulaye DIEYE du Front pour le Socialisme et la
Démocratie/ Benno Jubel
(FSD/BJ) ; Ousseynou FALL, petitfils de Ibra FALL et
leader du Parti Républicain du
Sénégal (PRS).
A l'approche du scrutin de février 2000,
l'opposition aura surmonté sa fragmentation structurelle
grâce à des alliances ayant débouché sur une
(re)configuration politique dominée par trois grandes forces :
La CA 2000 de WADE
La CODE 2000 de NIASSE et de ses alliés ( huit partis dont
l'AFP, le RND, l'Alliance Jef Jel...).
L'URD de Djibo KA.
Par cette multiplication des lieux de contestation
et de mobilisation et une pratique systématique
d'élargissement des fractures au sein du PS, les groupes oppositionnels
offraient, aux yeux des sénégalais, les possibilités d'un
compromis entre différentes sensibilités. A tort
ou à raison, ils présentaient
désormais ainsi une alternative crédible au sein du
paysage politique sénégalais. Et dans le cadre du FRTE,
pour la première fois, ces procédures de contestation
n'entraînaient ni la recherche d'une confrontation qui aurait pu
aider le PS à
63 Il avait été emprisonné sous
l'accusation d'avoir saboté les installations électriques du
pays au cours d'une grève des employés de la
société nationale SENELEC
64 Il avait quitté le PS en 1998 pour ensuite
créer son parti et bénéficiait d'une grande
popularité parmi les
Halpulaar et les jeunes urbains
65 Ancien PM et ancien Ministre des Affaires
Etrangères, un des principaux rivaux de DIOUF au sein du PS à la
succession de SENGHOR. Après avoir quitté le PS de façon
officielle en 1999, il crée l'Alliance des Forces de Progrès
(AFP) et a su attirer un certain nombre de cadres anciens du PS, qui avaient
été marginalisés par Ousmane Tanor DIENG
recourir à des mesures exceptionnelles de contrôle
de l'ordre public, ni la menace de boycott, qui aurait pu faire la part belle
au parti au pouvoir.
En se politisant et en élargissant son personnel par
l'adjonction d'un segment en provenance du
PS (KA et NIASSE), l'opposition sénégalaise
se posait véritablement en force politique désormais
prête à jouer les urnes contre Abdou DIOUF.
Cette première étude aura eu pour objet
la construction du discours politique des deux formations politiques en
direction de l'électorat sénégalais. Le discours
sera apparu, sans conteste, antagonique: le PS s'engageant pour obtenir un
nouveau mandat et l'AFP, nouvelle formation politique qui s'arrime
à l'opposition et tente de s'imposer sur le champ politique
national. Le discours étant prononcé, la suite de notre
étude sera de tenter de voir son éventuel impact et la
réception à laquelle il va donner lieu.
|