A Le PS, pour un « changement dans la
continuité ».
De par les discours de tous les étatsmajors
politiques en présence lors de ce scrutin, le changement sera
apparu comme la seule constante, le PS allant même
jusqu'à s'en réclamer « dans la continuité
». Cette attitude devait répondre au souci de
reconquérir un peuple avide de changement et de nouveau souffle.
Ainsi au second tour, la politique du candidat DIOUF qui est
en tête avec 41% des suffrages contre 31 % pour Abdoulaye WADE, va
radicalement changer de stratégie pour épouser les contours
du sopi réclamé par les citoyens
sénégalais. En effet, avec les départs de KA et de
NIASSE, cette irruption des forces de révolte sur la
scène politique et sociale aura pris au dépourvu le pouvoir
qui, désespéramment, tenta de s'approprier le mouvement du
changement.
Le candidat Abdou DIOUF va prendre la mesure du péril et
n'hésitera pas à se lancer dans les
37 O'BRIEN D C., Le sens de l'Etat au
Sénégal in Le Sénégal
contemporain,(sous la direction de) Momar
Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et
Sociétés, Paris, 2002, p.504
38 CROZIER M., L'acteur et le système, Paris,
Seuil, 1977
promesses les plus spectaculaires : tout ce qui était
refusé est désormais accordé sans condition
-sinon celle d'un nouveau mandat , pour annihiler le mouvement
de défiance et de rejet; le candidat socialiste acceptera même le
principe d'un faceàface avec WADE dans le cadre d'un débat
contradictoire39.
La campagne pour le deuxième tour va être
davantage axée sur la proximité parce qu'il fallait pour DIOUF
« être beaucoup plus proche des citoyens ». Il aura
vite remarqué que lors des grands meetings, « on n'a
pas le temps vraiment de conduire le dialogue avec les
populations » et laisse entendre que le problème c'est qu'
« il faut avoir une grande capacité d'écoute, il faut
écouter les populations, les citoyens, et il faut écouter les
jeunes ».
Les "verts" l'avaient si bien compris qu'ils
essayèrent de rectifier leur tir au second tour en
faisant mener à leur candidat une campagne de
proximité. Le président sortant, pour la première
fois, accepta de descendre dans "l'espace public" en initiant des
dialogues directs avec les jeunes, les personnes âgées, les
paysans, etc., qui se relayèrent pour lui poser des questions
sur sa gestion et ses ambitions pour le Sénégal s'il passait le
cap du 19 mars. C'était cette quête effrénée,
obsessionnelle, parfois pathétique des suffrages qui le poussa à
accepter, pour la première fois, d'être l'invité, pendant
près de deux heures, d'une émission populaire en wolof de la
radio privée Sud FM.
Il souhaite au cours de cette campagne du 2e tour,
vraiment privilégier l'écoute, puisqu'il reconnaît avoir
« décrypté le message ». Il mise aussi sur le
fait que « l'écoute permettra de savoir dans les
détails, encore davantage, sur les changements qui sont souhaités
par toutes
les populations et en particulier par la frange jeune
».
Il s'agit de ne pas être des marchands d'illusions, ne pas
promettre la lune, mais de dire ce qui
est possible. Pour lui, « il faut aller à
l'idéal, en partant du réel », selon la belle formule
de Jean Jaurès et il invite ses concitoyens à s'accorder
car étant « prêt à faire ce que veut le
peuple », dont il se veut être l'esclave.
Pour le candidat socialiste dont le parti sort quelque peu groggy
du premier tour, les « gens ne
se sont pas donnés la peine de lire le pacte de
croissance et de solidarité » qu'il leur proposait.
« En tenant compte du message fort »
reçu, « en faisant une campagne de proximité,
en explicitant mieux ce programme » il se dit convaincu de pouvoir
combler le gap et de s'assurer
la victoire au second tour.
39 Quotidien Le Matin 7 mars 2000
C'est juste qu' « il y a eu une absence de dialogue au
niveau approprié ».
Le PS sort donc groggy du premier tour. Ce que DIOUF
reconnaît puisque « un deuxième tour de scrutin n'a
jamais eu lieu au Sénégal et il n'était pas facile de s'y
adapter ».Il lui reste cependant à sonner la
remobilisation car les arguments ne manquent pas ; rassembler les
dernières forces et « comme un seul homme », aller
« tendre la main à ceux qui n'avaient pas voté »
pour le PS mais qui restent tout de même « des citoyens
libres de voter pour le candidat
de leur choix au deuxième tour, nonobstant les
consignes des candidats du premier tour ». Le
devoir du PS se devait donc d'être une tentative pour leur
expliquer son projet pour le Sénégal
et les amener à voter socialiste. Dès lors,
pour le leader socialiste, le ballottage et l'inédit second tour
ne pouvaient certainement pas constituer un échec pour son
parti car, pour
lui « l'échec ne se mesure pas à cela
».
Et même si « Les réussites (...)
politiques sont indéniables...Maintenant, il s'agit d'opérer les
changements » ; les socialistes étant «
maintenant mûrs pour les changements majeurs
réclamés par le peuple sénégalais ».
Le changement passera aussi irrémédiablement, en
cas de réélection du président sortant, par
un changement « Non seulement au niveau des structures,
des politiques, mais aussi au niveau des hommes. C'est clair et net
». DIOUF s'érigera donc en « l'homme de ces
changements »,
lui pour qui, « peu de gens connaissent ce peuple mieux
» que lui « pour l'avoir tant de fois servi et tant de fois
écouté dans ses épreuves les plus difficiles
».
Il propose dès lors au peuple de conquérir
ensemble « un avenir de progrès pour tous, donc de paix !
» Mais aussi pour DIOUF « il faut aller vers les
jeunes, les écouter d'abord et leur parler ensuite. Parce que si on
ne les écoute pas, ils auront le sentiment qu'on les ignore. Il faut les
écouter et leur parler », afin de comprendre leurs
préoccupations en leur proposant des solutions.
Au sortir du premier tour, DIOUF tire l'enseignement en ces
termes : « je m'engage pour des changements rapides et profonds (...)
Le peuple sénégalais a adressé à tous les
candidats, en particulier à moi qui ai en charge les destinées du
pays et qui suis arrivé en tête au premier tour du scrutin, un
message très fort pour le changement. Donc, je n'avais pas tort, pendant
la campagne électorale, de dire que je voulais changer le
Sénégal avec les Sénégalais. J'ai compris ce
message. J'ai compris surtout que le peuple sénégalais aspirait
au changement, à
un changement profond et accéléré. Je
suis venu lui dire que je suis prêt à aller dans le sens qu'il a
indiqué. Je m'engage, si je suis élu, à agir dans le sens
de ce changement accéléré et profond. Je m'engage à
réaliser ce changement dans tous les domaines de la vie nationale : dans
le domaine politique, économique, social, culturel. Je m'engage
surtout à réaliser les aspirations des jeunes à un pl
ein emploi décent et rémunérateur ».
Il s'engage aussi à lutter avec encore plus de
vigueur contre la pauvreté pour la réduire de façon
drastique et à terme, la supprimer définitivement du pays ;
à lutter contre l'insécurité dans tous les domaines qu'il
s'agisse de santé, d'environnement, d'éducation, bref dans
tous
les domaines de la vie nationale. Notons que le
président Abdou Diouf fera la même
déclaration en wolof pour une plus large diffusion de son
message.
En effet, il va au deuxième tour « avec la
volonté de gagner » aux côtés de son parti et de
ses alliés en préservant d `abord les acquis, pour ensuite
conserver ce qu'ils avaient obtenu au 1er tour. Mais DIOUF veut «
aussi élargir » et il sait que s'il veut gagner il
lui faut avoir des suffrages supplémentaires par rapport au premier
tour. Ce qui peut être atteint « par un travail
méthodique et sérieux et (...) un vrai travail de
proximité pour amener les abstentionnistes à voter au second tour
».
Après avoir entendu le peuple sénégalais
pendant la campagne électorale, après avoir
décrypté
le message du peuple sénégalais à
l'occasion du premier tour, il se dit comprendre « que le peuple
voulait des changements plus profonds et plus rapides ». Diouf et son
parti se lancent alors dans une politique de charme en direction de
l'électorat urbain, notamment de Dakar et Pikine, qui leur avait
largement tourné le dos le 27 février.
Face à un tel climat d'incertitude et à la
rapidité avec laquelle la plupart des chefs de parti ont discuté
avec et rejoint le camp de l'alternance incarné par WADE son concurrent
immédiat et adversaire au second tour, le tour du 19 mars sera
encore plus crucial que ne l'aura été le premier tour pour
le PS.
En ce sens, le camp socialiste reconnaît que rien ne sera
facile et sonne le rassemblement de cette grande famille. Les dissidences
conduites par Djibo KA et Moustapha NIASSE avaient
été fatales au PS et c'est la raison pour laquelle,
dès la publication des résultats du premier
tour du scrutin, plusieurs tentatives ont été
faites auprès de ces derniers pour reconstruire l'unité
autour de DIOUF.
Ce que fera savoir Khalifa SALL chargé des
élections du PS et pour qui « le parti reste ouvert
à tous »40 ; le candidat
socialiste entre les deux tours adressera une invite personnelle au
leader de l'URD pour amener à ses côtés « les
changements que veut le pays »41 .
Djibo KA rejoindra DIOUF mais ce retournement de veste
eut des effets assez limités en raison de la rébellion
immédiate des segments de son parti, issus de la gauche
sénégalaise, qui firent scission et se constituèrent en
URD/FAL.
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