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conclusion :
Les technologies de l'information sont productrices d'utopies, de
mythes qui sont des déformations de la réalité mais qui en
même temps concourent par leur existence dans l'imaginaire des individus
à sa construction, en agissant sur la mobilisation des acteurs, sur
leurs usages et in fine sur la diffusion de la technique. Dans le cas
d'Internet, par exemple : les circonstances et le milieu, gratuité,
universitaires, dans lequel le 'réseau des réseaux' a vu le jour,
sont constitutifs de l'idéologie des premiers utilisateurs fondée
sur les principes d'échanges égalitaires et de la libre
circulation des informations. L'extension au secteur industriel privé
puis au grand public, bien que marquée par cette utopie fondatrice,
aboutit à un cadre sociotechnique nouveau issu des usages et des
attentes de ces nouveaux usagers. De nouvelles pratiques sont nées ou
naissent, impactant réellement et concrètement les anciennes,
favorisant l'émergence d'une "intelligence collective" (Pierre
Lévy).
La mondialisation des techniques ne crée pas la
communication mondiale, ni même l'avènement d'un seul monde,
application de la notion de village global, non plus que l'avènement
d'une société nouvelle débarrassée des pouvoirs,
des idéologies et des inégalités. Le fonction de
communication à travers l'informatisation et la mise en réseaux
de toutes natures oblige les entreprises à repenser de fond en comble la
structuration de leur système d'information et de leur organisation, et
pousse à créer des systèmes de collaboration qui mettent
en place à tous les niveaux une efficacité- force.
Par ailleurs, imaginer la dimension mondiale des supports du
caractère contingent des contenus est devenu une
nécessité, et il faut rappeler qu'il n'y a pas de culture sans
acculturation et donc sans reconnaissance de l'égalité des
différents partenaires. Le défi essentiel reste celui du
être ensemble et de la cohésion sociale. Il ne réside pas
dans l'affirmation des droits individuels en dépit du fait que les
nouveaux médias peuvent assez facilement créer l'illusion d'un
isolement de personne à personne renforçant au passage le
sentiment de l'importance de l'ego tout en suscitant des comportements
tautistiques.
Une réglementation pertinente est nécessaire et
doit s'attacher à préserver la légitimité des
différents points de vue et la référence à
l'existence d'une norme- repère minimum, commune suffisamment solide et
souple, tout comme l'habitude citoyenne d'en pratiquer l'usage.
En outre, si le mécénat environnemental qui
connaît un fort succès depuis ces dernières années,
est
la figure hypertrophiée d'une responsabilité
illimitée envers la vie, et si à travers lui, les acteurs,
entreprises par exemple, se donnent une mission quasi divine de protection et
de développement de la vie, l'idéal de vie qu'il semble vouloir
défendre est encore bien loin de transparaître au niveau des
réseaux et de leur régulation.
La communication n'est plus définie comme une simple
affaire à deux, mais comme un système circulaire, un orchestre
dont chacun fait partie et où tout le monde joue en suivant une
partition invisible. On ne communique pas, on participe à la
communication. Pour le psychiatre Eric Berne (analyse transactionnelle), le jeu
est un schéma de conduite, une sorte de scénario, que la personne
suit de manière répétitive dans ses relations à
autrui. Par exemple, elle se situe toujours en victime et place autrui dans la
position de persécuteur ou de sauveur. De plus, l'individu en situation
de communication, tente de produire, de faire reconnaître et de
défendre une certaine image de soi; en ce sens, il est possible de
parler de stratégies identitaires, en parties inconscientes et qui
sous-tendent une part importante des communications.
Et l'on peut émettre l'hypothèse que se
créent des noeuds d'information porteurs instinctifs ou
désignés de la connaissance et du savoir pleins de vie, agissant
comme les supports de réactions au sein du tissu social par exemple mais
pas seulement. Sont nés les agents puis les avatars, interfaces
individualisés des humains à l'imaginaire de la technique,
destinés à l'accompagner partout, anges gardiens virtuels de son
voyage, son périple à travers le (les) cyberespace(s).
"L'égalité étant au fondement- même de
l'échange marchand et cet espace étant une mise en scène
de marché, les acteurs présents sur cette scène mettent en
place un espace de communication socialement défini par la situation. Si
à Carpentras, la situation sociale du marché contribue à
la mise en scène d'un espace public où tous peu ou prou se voient
devenir des enfants du pays, à Barbès en revanche, où tous
les gens en présence sont d'origines très diverses et où
on est "tous l'étranger de quelqu'un", la communication à
l'oeuvre semble se jouer plutôt sur la mise en scène d'une
certaine idée dans une société "multiculturelle". En fait,
on joue à être dans une société de la
multiculturalité où, de façon fictive, tout le monde
serait pareil, tout le monde serait différent, où tous
différents parce que tous semblables et où l'on serait tous
équivalents parce que tous différents". Cette idée d'une
communication orchestrée ...nous ramène à une
interprétation possible ou probable. Il s'agit en communiquant de
produire du sens, circuler par le sens, en donnant du sens, en résonnant
du sens, véritable polyphonie du sens.
L'analogie de l'orchestre a pour but de faire comprendre comment
on peut dire que chaque individu participe à la communication
plutôt qu'il n'en est l'origine ou l'aboutissement. L'image de la
partition invisible rappelle plus particulièrement le postulat
fondamental d'une grammaire du comportement que chacun utilise dans ses
échanges les plus divers avec l'autre. C'est en ce sens que l'on
pourrait parler de modèle orchestral de la communication. Et la
représentation de feedback positif mais surtout négatif permet
une conceptualisation à la fois plus simple et plus
générale : par autocorrections successives, le système ou
le sous-système est capable de retourner à la stabilité,
d'exprimer un état stable du sens.
Pour Norbert Wiener et la cybernétique (1948) comme pour
Ruesch ou Watzlawick et bien d'autres, "la communication est une matrice dans
laquelle sont enchâssées toutes les activités humaines". A
notre époque des réseaux nouveaux s'intègrent au vivant et
deviennent un composant fondamental de son développement. Les
réseaux agissent donc comme autant de portées tant pour la
composition suivant les règles que pour l'improvisation de l'infiniment
la musique du monde des humains et de leurs semblables.
Si comme l'a si bien dit Anne Cauquelin, "le réseau est
un concept de passage", la communication par les nouveaux médias
à base de réseau(x) opère d'ores et déjà un
tri sur le vivant qu'elle exprime, un petit coup d'hominisation, participant au
phénomène que Michel Serres a dénommé et
décrit "HOMINESCENCE".
"Le récit du passé, c'est la
mémoire,
le présent du présent, c'est la
vision,
le présent du futur, c'est
l'attente."
Saint - Augustin, Confessions, XI,
20-26
23 octobre 2001. Minutes d'éternité, attente.
Une petite fille de trois ans et demi salue et parle, quelque
part dans la Russie contemporaine dans le monde contemporain; depuis un
gigantesque laboratoire aéronautique terrestre elle salue sa maman qui,
spationaute en direct derrière un hublot de la première Station
Spatiale Internationale, laisse flotter en apesanteur devant elle un de ses
compagnons favoris, son nounours.
ANNEXES
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