8 Démocratique, la
révolution des réseaux ?
La réalité, c'est que le cyberespace, comme tout
espace social, est un mélange de valeurs qui s'affrontent et de
paramètres contradictoires. Nous sommes juste au milieu non d'une
révolution de la communication ou de l'information comme l'appelle les
experts, mais d'une révolution du pouvoir.
En utilisant les réseaux qui leur sont accessibles, les
individus découvrent une nouvelle voie pour prendre le pouvoir
détenu jusqu'alors par ces grandes institutions que sont les
gouvernements, les entreprises et les médias. Des courants tels que la
personnalisation, la décentralisation et la
"désintermédiation", le contournement des intermédiaires,
permettent déjà d'avoir plus de contrôle sur la vie
quotidienne, les hiérarchies s'aplanissent et le pouvoir descend vers
l'utilisateur final. Les processus de prise de décision sont en pleine
mutation.
Les communications sont désormais facilitées avec
la famille, les amis et même les étrangers à l'autre bout
de la planète, mais le système n'est pas parfait (ex : les
interruptions en cas de catastrophe naturelle existent). Nous disposons de plus
en plus quand et comme nous le voulons d'informations diverses et
variées. Les transactions commerciales via les réseaux sont
rendues moins coûteuses car les courtiers et les intermédiaires
sont contournés. De nouvelles formes d'engagement et d'organisation
politiques sont possibles; elles sont sources d'une mobilisation qui a fait ses
preuves par exemple dans le cas des activistes, de Belgrade au Chiapas en
passant par le Tibet avec l'usage de sites web globaux et de listes de
diffusion de messages. Aterritorialité qui permet de défendre son
territoire et sa liberté.
Les réseaux interconnectés permettent de
transcender les limites de la géographie et des contextes locaux pour
faire de nouveaux bonds sociaux. Les vies humaines sont également
enrichies par la possibilité d'apprendre et d'explorer avec un niveau de
profondeur jamais atteint auparavant. Moyennant l'obtention d'un accès
pour tous, et si tout le monde optimise correctement l'usage du réseau,
la révolution du pouvoir pourrait bien réussir à renforcer
les individus et la démocratie, comme les "cyberutopistes" le
prédisent. Le changement de pouvoir qui s'opèrent peut
générer de vrais dangers pour l'individu et pour la
société. Il est possible d'imaginer quelques uns des
scénarios possibles :
- Griserie: amenée par la prise du pouvoir détenu
par les politiciens accusés d'être trop souvent corrompus, les
intermédiaires trop coûteux et les géants de la presse
à sensation, aller trop loin au risque de perdre de vue les bons
côtés des régimes démocratiques républicains,
la qualité que les intermédiaires apportent aux produits et
services, la valeur que les journalistes transmettent en vérifiant
l'intégralité de leurs informations.
- Hébétude: séduits par le confort de la vie
en ligne, le risque est grand d'oublier que rien ne remplace le contact en face
à face, avec des amis, des voisins, des professeurs, des
collègues de travail, des citoyens, et le plaisir subtil dû au
hasard des rencontres, rétrécissant les horizons individuels et
privant d'opportunités intéressantes de vie, d'échanges
humains.
-Prise au piége de l'interactivité:
enthousiasmés par la sensation d'une liberté sans limites avec
cette nouvelle vie de branché, ne pas voir de quelle façon les
grandes institutions, surtout les entreprises, influencent toujours et
même réduisent nos choix. Cliquant naïvement dans l'univers
virtuel l'être humain pourrait croire qu'il est maître de sa
destinée, alors qu'en fait, ce qui lui est offert en ligne est
principalement sous-tendu par des objectifs de profit. Pis encore s'il ne
remarque pas que des droits aussi fondamentaux que la liberté
d'expression et la protection de la vie privée se retrouvent plus ou
moins subtilement limités.
-Motivé par le désir légitime de simplifier
son existence et d'entretenir des relations avec des personnes du même
milieu, risquer sans le vouloir d'augmenter la fracture sociale et le
déclin de l'Etat- nation. En ligne, probablement utiliser des
technologies de filtrage élaborées pour éliminer les
messages et informations non désirés, y compris ceux qui sont
pourtant les clés pour une culture politique ouverte. Hors ligne,
l'écart entre ceux qui possèdent les informations et les autres
risque d'augmenter. Avec moins d'expériences et de sources d'information
partagées, les citoyens ressentiront moins de points communs et
d'obligations envers leurs semblables.
Le nouveau contrôle individuel offert par la technologie
peut être aussi bien l'élément le plus prometteur de notre
nouveau monde en ligne que le plus décevant.
Les réseaux ne sont pas par essence démocratiques.
En fait, l'impact social et politique du Net par exemple dépend
entièrement de la façon dont les usagers s'en servent.
La liberté sans contrainte n'est plus une liberté
démocratique. Les gouvernements ont un rôle à jouer pour
contrôler les frontières électroniques, résoudre les
conflits, promouvoir la concurrence et la croissance et en particulier garantir
que les bénéfices de la révolution du pouvoir soient aussi
larges que possible.
Protéger les droits de chacune des parties
impliquées dans ces nouvelles formes de communication doit permettre de
préserver la liberté d'expression en ligne, la vie privée
et la défense des consommateurs. Les réseaux peuvent être
utilisés pour renforcer la société civile et la
sphère publique, en créant des espaces pour les communications
sans entraves et non commerciales, en fortifiant les coopérations et en
préservant les cultures minoritaires.
Les communautés virtuelles et l'exploration en ligne
peuvent être très satisfaisantes et sources d'un fort
enrichissement culturel, en particulier pour ceux que les interactions sociales
du monde réel effraient d'autant plus s'ils vivent dans un environnement
répressif, mais les réseaux doivent être utilisés
pour renforcer les communautés d'intérêt et non pour les
laisser à l'écart.
Face à cette révolution des circuits de
décision, les individus doivent rééquilibrer leur nouveau
pouvoir avec leurs responsabilités envers la société dans
son ensemble. La préservation de la liberté d'expression dans le
cyberespace, par exemple, dépendra non seulement de l'abrogation de
certaines lois qui peuvent s'avérer inadaptées, ou de
l'interruption de poursuites judiciaires inadéquates contre les
fournisseurs d'accès, mais aussi de la conduite des individus et des
entreprises. Il est nécessaire de garder à l'esprit que le
cyberespace, la société en réseau, n'est qu'une brique en
construction et que d'autres concepts fondamentaux dont nous avons pas encore
l'idée viendront naturellement à sa suite.
La liberté d'expression et la démocratie en
général, peuvent s'épanouir à l'ère des ntic
mais seulement si chacun fait les sacrifices requis, c'est-à-dire
travaille à préserver une sphère publique
dédiée à l'interaction entre les citoyens, sans succomber
aux illusions du cyberespace ni à la séduction du contrôle
individuel total, et si chacun s'engage à utiliser la technologie pour
favoriser la diversité et l'interdépendance, en évitant
l'exclusion et l'intolérance. Les réseaux ne seront
démocratiques que parce qu'ils auront été construits
ainsi.
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