3.
L'incarnation d'une vision :
Le thème de la société de l'information
semble constant depuis les années cinquante, faisant l'objet d'une
redécouverte cyclique. Presque dès les débuts, de nombreux
textes de science-fiction mettent en scène une telle
société et décrivent avec précision, comme le fait
par exemple Isaac Asimov, Internet, le multimédia, les communications
virtuelles.
La tension entre les éléments charismatiques et les
réalités de l'organisation à grande échelle
configurera les réalités politiques de la science dans une
société postindustrielle. La notion de noosphère,
inventée par le jésuite Teilhard de Chardin, est reprise par
McLuhan dans "La galaxie Gutenberg" car elle correspond pour l'intellect
à ce que la biosphère est pour la vie et que l'auteur
interprète comme "le cerveau technologique de l'univers".
Aujourd'hui le discours est simplement sorti des cercles des
spécialistes qui lui ont donné naissance et il touche un vaste
public. Le culte de l'information s'est incarné et s'est
vulgarisé via le culte de l'Internet.
3.1 Un discours ancien :
C'est au sein de la "cybernétique" inventée par le
mathématicien Norbert Wiener dans les années quarante que le
premier "culte de l'information" est né. Il défend en effet une
"vision du monde" plus ample faisant de l'information le noyau dur d'une
représentation globale du réel, provoquant progressivement le
dégagement d'un véritable paradigme, et qui s'impose aujourd'hui.
L'expansion du paradigme s'est faite progressivement depuis un
demi-siècle à des domaines de plus en plus nombreux comme
l'automatique, l'informatique et l'intelligence artificielle, le biologie et la
génétique, les sciences humaines et sociales, la philosophie et
la psychanalyse, les sciences de la communication et le monde des
médias, le champ des idées politiques, se cristallisant
actuellement autour d'Internet.
Armand Mattelart a bien mis en évidence les liens entre
l'idéologie contemporaine de la communication et le thème plus
ancien de l'"utopie planétaire".
Pierre Musso de son côté, a décrit avec
précision l'influence plus ancienne de la pensée saint-simonienne
des réseaux sur le discours d'accompagnement d'Internet.
L'information selon Wiener :
Le monde, et donc tous les êtres qui en relèvent,
quels qu'ils soient, est composé de deux grands éléments :
d'un côté les formes, les idées, les messages, les
"informations", de l'autre le désordre, le hasard, l'entropie.
c'est-à-dire d'un côté l'esprit, de l'autre la
matière.
L'information est le "nom pour désigner le contenu de ce
qui est échangé avec le monde extérieur à mesure
que nous nous y adaptons et que nous lui appliquons les résultats de
notre adaptation". L'entropie est sa négation, et sa présence
concrète dans l'Univers est assimilable à l'imperfection, au
hasard, à la désorganisation, à la mort. Seule
l'information permet de lutter contre elle et elles représentent les
deux faces de la réalité. Tout est information, message,
mouvement, sauf lorsqu'il y a délitement entropique. Pensée qui
inaugure une "ontologie radicale du message" et s'établit dans une
véritable mystique de la communication.
Cette nouvelle vision du monde parait comme une approche
"antimétaphysique", en ce qu'elle postule qu'il n'y a rien
derrière le réel ramené à l'échange
permanent et visible des informations qui le constituent. Le nouveau paradigme
est une pensée de la relation qui enferme le réel dans le
relationnel et le relationnel dans l'informationnel.
Une nouvelle vision de l'homme et de la société
:
Wiener va explorer deux axes majeurs de réflexion, qui
constitueront les branches centrales de la nouvelle vision informationnelle du
monde : d'une part, une réflexion sur la nature de l'humain qui le
conduira à prendre des positions théoriques anti-humanistes ;
d'autre part, une réflexion de nature quasi sociologique sur la
société idéale qui devrait se reconstruire autour de
l'information.
Voici donc le projet d'un homme nouveau, essentiellement
constitué d'information. "Il n'existe pas de différence
fondamentale absolue de démarcation entre les genres de transmission
utilisable pour envoyer un télégramme d'un pays à un autre
et les genres de transmission possibles théoriquement pour un organisme
vivant tel que l'être humain".
"Le fait que nous ne pouvons pas télégraphier d'un
endroit à un autre le modèle d'un homme est dû probablement
à des obstacles techniques, (...) il ne résulte pas d'une
impossibilité quelconque de l'idée elle-même".
Le modèle de société qu'il dessine à
partir du point central qu'est l'information et sa circulation, est une
société sans Etat, fondée à la fois sur des petites
communautés de vie et sur un système de communication mondial, et
dans laquelle la notion d'égalité s'étend bien
au-delà du règne des humains en incluant les machines
intelligentes.
Pierre Lévy, cinquante ans plus tard explique : "En
s'interconnectant (..) l'humanité se constitue peu à peu en
noosphère, en monde des idées, en réceptacle actif des
formes. Ce faisant, elle découvre que le monde réel est un monde
des idées, un univers des formes".
Norbert Wiener est à l'origine d'une vision qui fait voir
le monde autrement si on accepte de la partager. La forme et l'information ne
faisant qu'un, elle institue donc l'information comme valeur clé dont la
reconnaissance donne la direction du progrès. Cette valorisation confine
à la sacralité. C'est dans la direction de cette vision que
certains s'attribueront la mission de faciliter la communication partout
où cela est possible, ce qui signifie construire des dispositifs
techniques dont la finalité principale sera de permettre la
communication.
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