1.2. Quelle différence y
a-t-il entre les sites médicaux et les autres e- enseignes ?
On constate une explosion des créations de start- up
Internet en France dans le secteur médical.
Beaucoup de dossiers circulent dans le capital-risque. Mais il
faut bien comprendre que ce secteur avec ses nombreuses particularités,
ne peut fonctionner comme un secteur marchand classique. D'abord sur le
créneau strictement professionnel, Business to Business (B2B), le
médecin n'est pas réellement habitué à payer.
Information, congrès... les labos pharmaceutiques financent presque
tout. En ce sens on se rapproche du Business to Consumer (B2C). Tous les sites
professionnels ou grand public dont le modèle se fonde sur le contenu,
doivent vivre essentiellement avec la publicité ou le sponsoring sur un
marché somme toute limité.
Avec le e- commerce il faut compter avec d'autres
spécificités. Le médicament n'est pas un produit banal. Sa
prescription, son commerce et son transport sont réglementés. Il
est interdit d'expédier un médicament par la poste. Par ailleurs
les pharmacies sont tenues de fournir les médicaments dans les six
heures. Le e- commerce ne peut donc guère jouer sur une livraison
rapide. Le portage à domicile ne peut concerner que quelques populations
ciblées comme les personnes à mobilité réduite. La
commande on line, à condition d'aller chercher ses produits à la
pharmacie pourrait satisfaire certaines populations comme les personnes
atteintes de maladies chroniques. Les lois visant à limiter le
déficit de la Sécurité sociale ou freiner le
développement de l'automédication encadrent encore un peu plus le
marché. Tout ceci peut changer mais dans ce secteur les
évolutions ne sont jamais rapides. En attendant, les nouveaux entrants
doivent avoir les moyens financiers de tenir.
Espérer vivre sur la vente de parapharmacie n'est pas non
plus évident. Le marché est bien plus réduit que celui du
médicament de prescription. Et dans ce cas la concurrence
s'élargit aux sites de e- commerce classiques par exemple ceux de la
grande distribution. Enfin le "client", là plus qu'ailleurs, doit
être en confiance, ce qui suppose établie la
légitimité des marques, par exemple celle du Vidal pour
l'information et des équipes. Pour ces raisons, les créneaux pour
les start- up sont assez étroits et les créateurs ne peuvent
espérer s'abstraire totalement de l'implication d'acteurs plus
traditionnels comme les assurances par exemple.
1.3. Plus concrètement,
voici ce que peut être le surf médical d'un patient
éclairé :
Muni d'une connexion Internet, d'une bonne connaissance de
l'anglais et d'un solide bon sens, tout patient atteint d'une grave maladie
voire chronique a désormais la possibilité de dépasser son
angoisse en surfant, et peut entrer en relations d'autres malades, leurs
familles, des praticiens et des soignants parfois très
éloignés etc.
Par exemple un bilan de santé ayant
révélé des anomalies biologiques, le patient ressort de
chez son généraliste avec une ordonnance d'échographie du
foie et de sérologie HVA, HVB, HVC, HIV et cytomégalovirus. Le
résultat d'analyse est sibyllin : "Anticorps anti-hépatite C
(réactif ortho 3ème génération et réactif
murex) : recherche positive (la recherche de l'ARN viral par biologie
moléculaire peut-être indiquée). Son médecin lui dit
alors : "Vous allez appeler le professeur Thierry Poynard, à la
Pitié. Il ne vous donnera un rendez-vous que dans quelques mois. Il n'y
a pas de risque à court terme, mais il vaut mieux être
soigné par une équipe de pointe. On va sans doute vous faire une
biopsie du foie et vous proposer un traitement par interféron.
"L'information essentielle reste à délivrer : "L'hépatite
C est une maladie qui évolue sur le long terme, elle se termine dans 25
% des cas par un carcinome hépatique suivi d'un coma d'environ trois
mois et la mort".
Le patient prend immédiatement rendez-vous à la
Pitié et, en attendant les trois mois requis, décide d'utiliser
sa connexion Internet pour essayer d'en savoir plus. En interrogeant votre
moteur de recherche favori, il arrive sur le site "Euroliver" où il
apprend que ce virus est à simple brin, de polarité positive,
d'environ 9 400 nucléotides, qu'il mesure de 50 à 60 nm de
diamètre et que son poids moléculaire est de 4 106 daltons.
Lorsqu'il lit que le virus code pour un grand polypeptide de 3 010 ou 3 011
acides aminés, et qu'il comporte au moins six génotypes, il
regrette probablement de ne pas avoir suivi d'unité de valeurs de
biologie à l'université. Un autre site, du département de
l'énergie américain, explique tout ce qu'il faut savoir sur
l'ADN, le génome humain, la manière dont un virus agit. Certes,
la lecture est ardue, mais elle vaut la peine. Le patient commence à
entrevoir les techniques liées à l'ADN recombinant, et il
découvre une sorte de bibliothèque en ligne contenant un
très grand nombre d'articles de revues médicales
professionnelles. Cela lui donne l'idée de taper le mot clé
"Poynard" : le professeur avec lequel il a rendez-vous publie beaucoup sur
cette maladie et dans les plus grandes revues. En quelques jours le patient a
découvert ce qu'était cette maladie et quel était le
protocole de consensus pour la soigner. Il décide alors d'avoir le point
de vue de ses collègues, les malades. Premier point qui inquiète
: la biopsie du foie. En fouinant un peu sur un site de Geocities, il apprend
que cet examen "de routine" provoque un décès sur 10 000 actes
pratiqués et que dans 1 à 5 % des cas, on souffre d'une douleur
dans le bras gauche comparable à celle provoquée par un infarctus
du myocarde. Il découvre ensuite un excellent site canadien,
tourné vers le grand public, puis le site dédié à
l'hépatite C du centre des maladies infectieuses d'Atlanta, qui le tient
au courant des dernières évolutions, en complément du site
de l'American Liver Foundation. Il trouve enfin une liste de discussion sur
cette maladie, ce qui lui permet de dialoguer avec ses collègues
d'infortune, d'apprendre les trucs qu'ont les uns ou les autres pour diminuer
les effets secondaires du traitement, de se soutenir le moral. Il peut alors
convaincre son généraliste de lui prescrire un génotypage
du virus et une PCR quantitative. Fort de sa toute nouvelle érudition,
il se permet de lui dire qu'il s'agit d'une reverse PCR qui utilise comme
amorce la région 5' non codante du génome.
Lors de son rendez-vous à l'hôpital, le
médecin lui explique ce qu'il sait déjà. Et il peut lui
glisser : "Ne pensez-vous pas que, dans le cas d'un génotype 1B,
l'interféron d'Amgen donne de meilleurs résultats que l'alpha-2b
?", montrant ainsi qu'il a longuement étudié le sujet, qu'il veut
s'en sortir, et qu'il ne croira pas n'importe quoi. Il peut alors discuter,
d'égal à égal serait très prétentieux, de la
meilleure approche thérapeutique pour son cas. Il en profite pour
demander la morphine avant la biopsie et pas après.
Actuellement encore, le malade ne parlant pas ou insuffisamment
l'anglais n'aura malheureusement pas accès à toutes ces
informations. Et, sans doute plus grave, l'utilisateur d'Internet qui n'a pas
le réflexe du journaliste de vérifier ses sources va tomber sur
des sites décrivant des traitements qui, au mieux, s'affirment plus
efficaces que le protocole de consensus, au pire promettent une guérison
à 100 % avec un traitement inconnu.
L'Internet et les réseaux sont en passe de
révolutionner la médecine, obligeant les médecins à
se recycler pour ceux qui ne le feraient pas, sous la pression des malades, qui
peuvent désormais suivre en direct une conférence de consensus,
qu'elle ait lieu à Paris, Montréal, Washington ou Tokyo. Restera
un grand effort d'éducation à entreprendre, pour, afin de
distinguer le plus efficacement possible le vrai du faux, expliquer à
nos enfants que ce n'est surtout pas parce qu'ils l'ont vu sur Internet que
c'est vrai.
Il faut constater tout d'abord la diversité des sources et
la croissance exponentielle de la quantité d'informations
médicales disponibles en ligne, qu'elles proviennent de
sociétés privées, des patients eux-mêmes ou des
associations de malades, des professionnels de santé, d'organisations
non gouvernementales, d'universités ou de centres de recherche,
d'organismes gouvernementaux etc.
"Internet et les réseaux redéfinissent les rapports
entre les acteurs de la santé. En réaction aux excès du
système américain du "managed care" qui limite l'accès aux
soins, il se produit un changement de rapport de force au profit du
consommateur, et l'hégémonie de la connaissance médicale
s'estompe". Internet par exemple permet en effet d'accéder à des
renseignements sur des maladies précises, des conseils de
prévention et d'hygiène de vie dans des domaines tels que la
diététique ou la nutrition, des informations sur les traitements
et les médicaments, sur les médecines alternatives, et les
recherches de services du type "à quel spécialiste s'adresser ?".
Les patients mieux informés, poussent leurs médecins à
accroître la qualité de leurs prestations. La plupart des sites de
santé sont gratuits et offrent un accès à
l'actualité médicale, aux journaux et aux bases de
données, même si de plus en plus de nouveaux services payants se
développent.
Les Etats-Unis ont également pris quelques longueurs
d'avance dans ce qu'il est convenu d'appeler la télé
médecine. L'un des objectifs des hôpitaux américains est
d'atteindre via Internet des patients américains isolés, et
certains testent des procédés de prise en charge dans les zones
rurales des pays en voie de développement. Plus d'une douzaine
d'hôpitaux américains sont engagés dans des projets
internationaux de télé médecine pour vendre des
interventions à distance (télé diagnostic,
télé formation, télé chirurgie), une façon
d'exporter leur savoir-faire et de rentabiliser leurs ressources humaines et
technologiques. Les limites de cette technologie sont celles de la bande
passante et de la qualité de service. En France, la télé
médecine repose encore à ce jour sur l'échange restreint,
limité à un nombre de participants bien définis, de
données cliniques confidentielles qui passent par des réseaux
fermés. Le problème de la confidentialité des
données fait figure d'épouvantail. Néanmoins les
protocoles Internet sont en train de s'imposer jusque sur ces réseaux
très fermés, et de toute évidence la télé
médecine est appelée à se généraliser.
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