7.
Une menace pour le lien social :
Les thuriféraires du Réseau sont marqués
voire déterminés par une religiosité qui instaure une
véritable dynamique. Elle est non déiste, spiritualiste, dualiste
et anti-humaniste. Elle prône l'unification des consciences en
"conscience collective" dans un même continuum associant les humains et
les "machines intelligentes", la communication permanente, séparation
physique et fin de la rencontre directe, rapport de déni à la loi
et à la médiation, confusion entre la représentation et le
représenté, entre le virtuel et le réel.
7.1 Deux modèles de développement d'Internet
:
Opposé à ces "fans", le pragmatisme de tous ceux
qui voient dans Internet un outil réellement précieux, mais rien
qu'un outil.
Philippe Breton fait l'hypothèse que, à l'aube du
XXI ème siècle, la stratégie des premiers est
la plus attractive et exerce en tout cas une réelle fascination
notamment sur la jeunesse. La nouvelle religiosité remplit d'une
certaine façon le même rôle que les utopies
révolutionnaires des années soixante et soixante-dix, en captant
le désir de changement et en le sortant de l'espace du politique.
Tant que l'option du "tout- Internet" correspondra sur le terrain
avec l'ouverture de nouveaux marchés et la perspectives de nouvelles
sources de profit dans le monde des actionnaires, le modèle de
développement actuellement dominant, construit sur des promesses
à la base de son argumentaire grand public et empreint des valeurs du
libéralisme, perdurera.
Nous avons affaire à un déploiement en deux temps,
où les promesses d'un mieux-vivre et d'un mieux-être permettent
d'attirer progressivement les gens vers une nouvelle vision du monde.
7.2 Une information aux limites de la propagande :
La discussion doit bien sûr sortir d'un faux débat
"pour ou contre", et porter plutôt sur les différents
modèles de développement de cette nouvelle possibilité
technique.
Les véritables ressorts du nouveau culte ne sont que
très rarement explicités, et les ntic sont
présentées sous un angle déterministe. Les réseaux
informatiques vont automatiquement changer en profondeur et pour le meilleur
nos modes de vie. Un constat : il n'y a pratiquement aucun débat de
société sur ces questions.
Une quasi-clandestinité :
Le point de vue anti-humaniste explicite des nouvelles
conceptions heurte en général l'opinion. L'idée selon
laquelle l'homme est au centre du monde et devrait être la
première source de nos préoccupations en tant qu'humains reste
fortement implantée au coeur de nombreuses cultures.
La résistance de l'humanisme qui nourrit notre culture est
toujours très forte, et le milieu de la cybernétique des
années quarante s'y sont cassé les théories au point
d'avoir dû passer pratiquement dans la clandestinité.
De nos jours seule la science-fiction permet à la rigueur
de passer outre. L'ouvrage de Pierre Lévy, World Philosophie, a, de
cette façon, été d'une réception difficile
notamment en France.
L'idée selon laquelle les machines pourraient devenir
intelligentes, notamment à l'image de l'homme, est certes couramment
reprise par les médias, mais elle dépasse rarement le stade de la
curiosité scientifique ou de l'utopie exotique. La peur reste bien
présente, même au coeur du "phénomène Internet",
comme dans le cas du Golem, d'un retournement diabolique contre l'homme. Du
coup, la publicité, par exemple, ne se contente jamais d'informer sur
les fonctionnalités des produits qu'elle vante, mais tente
quasi-systématiquement de leur construire une légitimité,
faite le plus souvent d'universalité, de communauté, de
liberté et de connaissance.
Chaque transformation d'une activité sociale en une
activité prise en charge par le réseau comme le commerce
électronique par exemple, est en général
évaluée isolément. Chaque étape de
l'"internétisation" du monde est en soi fascinante et anodine. C'est
l'ensemble qui pose problème.
Une forme de prosélytisme :
Le procédé : matraquage systématique de
messages implicites répétés jusqu'à saturation et
provoquant l'adhésion à des valeurs du seul fait de leur
énonciation, tout en masquant les conséquences de cette
adhésion.
"Combien de temps encore, demande à ce sujet Lucien Sfez,
allons-nous subir la propagande (le mot est trop faible) de la presse et du
gouvernement en faveur d'Internet, huitième merveille du monde, hors de
laquelle il n'est point de salut ?"
Passé un certain seuil de diffusion, un objet technique
devient indispensable, même s'il n'est pas souhaité et si son
usage pose problème. Pour atteindre ce seuil, la publicité vise
d'abord les couches sensibles à toutes les formes possiblement
applicables de néo-propagande, notamment la jeunesse qui constitue bien
sûr toujours une cible privilégiée pour tout ce qui porte
la promesse d'un monde nouveau.
L'engouement récent pour la "netéconomie" a
montré la puissance de ce discours. De même qu'il faut se
connecter au Réseau, il fallait participer à l'économie de
ce secteur et rejoindre la Promesse, l'argent étant bien devenu ici une
mesure du nouveau monde, argent spéculatif, bulle financière
créée en faveur d'une économie frisant en permanence le
krach boursier ce qui met en péril bien au-delà de ce petit
monde.
La révolution Internet va-t-elle se poursuivre ?
:
Le thème de l'"inéluctabilité" de la
"révolution Internet" est partie intégrante du discours
promotionnel qui a envahi les médias à la fin des années
quatre-vingt-dix. Il annonce une révolution des modes de vie et de la
société elle-même que rien ne pourra arrêter, en
s'appuyant sur un raisonnement déterministe trop
intéressé, une sorte de lieu commun.
La numérisation des activités humaines semble une
condition sine qua non du développement tous azimuts des médias
en réseau, alors que les gisements d'information sont limités ce
qui, en toute bonne logique, devrait provoquer un essoufflement.
Robert Cailliau, co-inventeur du web n'hésite pas à
déclarer : "Pour parler franchement, je suis un peu déçu.
Je ne trouve pas que le web évolue si rapidement. (...) Au fond, c'est
toute l'informatique qui souffre d'un non-changement de paradigme. Les
ordinateurs vont toujours plus vite, mais il n'y a quasiment pas de nouvelles
idées : l'architecture est toujours la même, le fonctionnement
aussi."
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