3.2. Nature de la loi comme fondement de l'Etat.
Dans Philosophie Politique, Weil fait valoir le
constat que la loi crée aussi bien l'égalité que
l'inégalité. La société est comparée, en
effet, à une vaste scène où se joue une pièce de
théâtre ; seuls ceux qui portent un
« masque » et se conforment au cadre dessiné par la
loi, sont égaux, car ils se conforment à ce que la loi approuve
et tolère. Ceux qui sortent de ce cadre quels qu'en soient les motifs,
sont déchus de l'égalité et c'est cette attitude (de
sortir du cadre) qui définit le criminel et le crime. Car, c'est celui
qui ne se conforme pas au scénario ainsi élaboré, en
d'autres termes, celui qui ne marche pas selon les principe de la loi, qui est
ipso facto, le criminel, et l'acte ainsi posé le crime.
Le criminel est donc celui qui agit à titre individuel
et qui se singularise. Par cet acte, il marque une séparation d'avec la
communauté et donc une opposition à ce que celle - ci
définit comme juste et bon. Ces prescrits sont ceux du droit
pénal et du droit criminel. Ils dénaturent quelque peu la
réalité. Le droit civil est plus conséquent car il
établit en quelque sorte que les hommes ne sont pas égaux.
Le droit civil parle en effet des hommes en tant que
débiteurs et créditeurs, employeurs et employés. Il
établit cette dichotomie essentielle pour définir et comprendre
la réalité des rapports entre individus, une
réalité qui a caractérisé jadis la
société traditionnelle mais qui continue également
à caractériser la société moderne.
Les hommes ne sont pas tous égaux, ils le sont en tant
qu'ils doivent remplir les mêmes fonctions, jouer les mêmes
rôles, porter le même masque. L'égalité que la loi
établit est celle de tous ceux qui jouent les mêmes rôles
(ex : tous les employés). C'est la structure de la
société et sa forme historique qui la placent dans une lutte
permanente avec l'extérieur - la nature d'abord, violence
première et, dans l'Etat moderne, les autres Etats particuliers,
violence seconde, qui constituent des ennemis potentiels - qui impose
l'égalité de fait, dans une société moderne, parmi
tous les membres qui la constituent. Cette égalité trouve son
expression et sa nécessité dans l'emploi de toutes les forces
humaines disponibles. D'où le formalisme juridique compris comme
l'effort que l'Etat moderne fait pour calculer l'issue la meilleure de
tous les conflits qui naissent des interactions de la société. La
fonction de la loi comme celle du droit est une fonction utilitaire non morale.
Elle vise d'abord à garantir l'ordre et la paix et non à
transformer les hommes. Mais la loi seule est vide, l'Etat seul est une
structure amorphe, ce sont les fonctionnaires issus de la communauté
qui donnent vie, force et forme à la loi et à l'Etat.
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