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La dialectique " INDIVIDU - SOCIETE " et sa rationalisation dans l'universel concret chez Eric Weil


par Emmanuel Lenge
Université Saint Pierre Canisius - Grade de bachelier en Philosophie 2005
  

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2.5. L'individu insatisfait et déchiré se pose lui-même en thème de sa réflexion.

L'individu découvre que la société, contrairement à ses prétentions n'est qu'une abstraction, une simple partie de la réalité.

Pour notre auteur, c'est le rôle de la philosophie de montrer en quoi la société est une partie de la réalité et en quoi ses vues sont partielles. Le philosophe pense que les vues de la société sont partielles en ce que justement elle laisse l'individu insatisfait : alors même qu'elle prétend satisfaire ses besoins, elle l'enferme dans un cercle vicieux. En effet, elle promet à l'individu la satisfaction de ses besoins, s'il prend part au travail social, c'est - à - dire s'il entre dans la lutte avec la nature extérieure. La société sait qu'elle n'a rien à offrir à l'individu sinon la satisfaction de ses besoins, elle s'efforce alors d'entretenir en lui le besoin et de remplacer tout besoin satisfait par un besoin à satisfaire. Le besoin apparaît ainsi comme bipolaire, il est à la fois le mal qu'il faut éliminer par la satisfaction et le moteur du bien (non pas un bien en soi mais un bien compris uniquement comme une absence du mal), par la satisfaction des besoins.

Ayant compris le fonctionnement de cet engrenage sans but, l'individu peut renoncer à participer au travail mais ce renoncement entraîne aussi le renoncement à la jouissance des avantages que le travail de la société procure, et donc accepter l'impératif de mourir. Une attitude aussi radicale ne résoudrait cependant rien, le problème demeurerait car c'est un problème universel.

L'individu sait néanmoins qu'il ne désire plus être un simple numéro dans la société. Il revendique le droit de disposer dans cette société d'un peu de temps de liberté, de loisirs après s'être dépensé au travail et d'une vie privée à laquelle il pourra donner un sens.

Ici se pose cependant un problème suscité par la question des loisirs. Dans la société moderne les loisirs prennent des proportions parfois démesurées, ils menacent l'échelle des valeurs établies dans la société, et ainsi surgit une question à la fois éthique et philosophique : doit on travailler pour disposer de plus de temps dans les loisirs ou accorder plus de place aux loisirs pour pouvoir travailler plus efficacement ?

Si le travail constitue le sens de l'existence humaine, comment faire pour que l'humanité ne le perde pas avec l'accroissement des loisirs, dont la proportion tend à dépasser ce qui est exigé par la reconstitution psychologique de l'espèce ? Pour Weil, le problème des loisirs c'est la forme sous laquelle le problème de l'individu devient problème pour la société.

Face à ces antinomies on peut se demander s'il faut tout simplement abroger les lois de la société moderne pour résoudre le problème (Mais peut-on supprimer les lois de la nature?). La réponse s'impose aussitôt : cela n'est pas possible, car ce sont des déterminations qui permettent à l'homme d'agir rationnellement et de se déterminer raisonnablement car une liberté absolue serait une liberté sans emploi.

Ainsi, l'individu s'oppose à la société et la juge. Il la juge parce qu'il est insatisfait d'un monde, d'une société qui se conçoit uniquement comme rationnelle, comme simple lutte avec la nature extérieure et rejette tout le sacré traditionnel. Nous avons vu au début de ce travail, qu'au fondement de la société et de la communauté, se trouve la morale. La société moderne, étant diversifiée et multiculturelle, peut - elle encore se fonder sur une morale ? Comment une morale peut elle être concrète et valable si les hommes vivent selon les préceptes les plus divers et sont prêts à mourir pour des valeurs qui s'excluent et changent à travers le temps ? Toute morale est marquée par l'historicité et donc par la facticité et par l'arbitraire. Sa validité est relative. De là découlent l'anarchisme de la société et la règle selon laquelle il ne faut pas juger ! «Une vraie morale ne peut s'établir que d'un point de vue transhistorique. Si une morale commune doit exister, elle ne peut qu'être formelle au delà de la diversité des morales concrètes. Dans la société moderne, la morale pure est abstraite i.e oublieuse de la réalité. Le sentiment qui prévaut actuellement est de nier toute morale concrète ou d'y voir le domaine d'un conflit accentué par l'historicité. La morale universelle est raison, mais elle doit trouver le moyen de se réconcilier avec la société réelle.

Pour ne pas demeurer dans une réflexion formelle, l'individu se trouve dans l'obligation de comprendre le monde dans lequel il vit. C'est ainsi que « l'individu, s'il ne se sert pas de la réflexion formelle pour nier toute obligation, découvre présent en lui un sens concret et universel, une morale universelle pour tous ceux qui y adhèrent et qui vivent en son sein. Mais il a subi l'influence du formalisme rationnel et il ne peut pas s'empêcher de savoir, serait-ce malgré lui, que cet universel est un universel particulier, qu'il aurait pu naître dans un autre monde moral. Pour Eric Weil, les difficultés de ce monde, et plus particulièrement les plus grandes, sont celles qui sont liées à l'opposition du concret historique et de l'universel formel.

Pour conclure cette partie, nous reprenons cette affirmation de Weil qu'il ne peut exister de pensée là où il n' y a pas de loisir, de sécurité, de protection du besoin immédiat, en l'absence d'une certaine richesse sociale et d'un ordre politique et policier suffisant. La réconciliation de la société et de la communauté historique, de la raison et de l'entendement, du calcul et de la morale vivante existe, elle reste à parfaire. Elle existe dans l'Histoire des événements quotidiens et passés :

Aucun homme d'Etat, aucun prédicateur, aucun moraliste dans son enseignement pratique, aucun administrateur ayant affaire aux hommes ne réussit, n' a réussi ni ne réussira jamais s'il considère vraiment la technique et la morale, les moeurs et le calcul comme des entités indépendantes et entre lesquelles il devrait opter. 24(*)

* 24 Eric WEIL, op. cit. pp.125-126

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"