La place des concepts dans la géographie scolaire ivoirienne : analyse des pratiques enseignantes dans la construction du concept d'espace urbain en classe de premièrepar Armand Emmanuel Bohoussou Université Paris Cité - Master 2 2023 |
CHAPITRE 2 : LE CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUECette recherche s'intéresse aux pratiques enseignantes en classe de géographie. Pour analyser les pratiques enseignantes, Robert et Rogalski cité par Choquet(2021, p. 2) proposent la prise en compte de cinq composantes importantes :
Leurs propositions, explicites, rejoint celle de Paun. Il résume ces propositions en deux aspects. En effet, l'étude des pratiques enseignantes requiert la prise en compte de deux aspects importants auxquels sont confrontés les enseignants au quotidien dans leur classe. Il s'agit de la gestion de la classe et la gestion du curriculum (Paun, 2006). Pour Paun, la gestion de la classe s'entend par la discipline des élèves. Et quant à la gestion du curriculum, elle part de la construction du savoir scientifique aux connaissances acquises par l'élève. Cette dernière s'inscrit dans le cadre théorique de la transposition didactique. Mais l'enseignant doit se référer à une approche pédagogique pour conduire les élèves à l'apprentissage. Ce chapitre vise à présenter d'une part les cadres théoriques de cette recherche et d'autre part la méthodologie. 1.Le cadre théorique 1.1- La transposition didactique Le concept de transposition didactique, utilisée dans de nombreux travaux de recherche en didactique, est évoqué pour la première fois par le sociologue Michel Verret en 1975 dans son ouvrage intitulé le temps des études. Pour Verret, toute action humaine, au-delà de l'école, qui vise la transmission d'un savoir, doit d'abord les transformer en vue de les rendre enseignables et faciliter leur apprentissage (Perrenoud, 2007). Ce concept est repris dans les travaux en didactique des mathématiques par Yves Chevallard en 1985. Ce concept a émergé après les 20 interrogations suscitées par l'apparition régulière des nouveaux savoirs dans l'enseignement des mathématiques. Chevallard s'interroge sur l'origine et le processus d'intégration de ces savoirs. Le titre de son ouvrage répond succinctement à cette interrogation à travers son intitulé « du savoir savant au savoir enseigné »(Chevallard, 1991, p. 1). Pour Chevallard (1991, p. 39), la transposition didactique désigne « le travail qui d'un objet de savoir à enseigner, fait un objet d'enseignement ». En effet, pour ce dernier, « un contenu de savoir ayant été désigné comme savoir à enseigner subit...un ensemble de transformations adaptatives qui vont le rendre apte à prendre place parmi les objets d'enseignements » (Chevallard, 1991, p. 39). Les savoirs scientifiques issus des recherches ne peuvent être enseignés directement dans un cadre scolaire. Ils doivent subir des transformations avant de devenir des savoirs enseignables et d'être intégré dans un cadre scolaire. Il existe deux niveaux de transposition didactique : un premier qui part des savoirs savants aux savoirs à enseigner dénommé la transposition didactique externe et un second, la transposition didactique interne qui part des savoirs à enseigner aux savoirs enseignés (Develay, 1992). La transposition didactique externe « représente le processus de transformation, d'interprétation et de ré-élaboration didactique du savoir scientifique constitué dans de différents domaines de connaissance » (Paun, 2006, p. 4). La transposition didactique externe est la première transformation que subissent les savoirs savants pour devenir des savoirs à enseigner. Ces savoirs à enseigner présentent les caractéristiques distinctes des savoirs savants dont ils sont issus. Pour Verret, cité par Bronckart et Plazaola Giger (1998, p. 36), ce savoir didactisé se caractérise par : « - la désyncrétisation, c'est-à-dire le découpage des savoirs émanant de la « pratique théorique » en « champs de savoirs délimités, donnant lieu à des pratiques d'apprentissages spécialisées » ; - la dépersonnalisation, c'est-à-dire « la séparation du savoir et de la personne »; - la programmabilité, ou organisation des savoirs en « séquences raisonnées permettant une acquisition progressive ». -la publicité du savoir à transmettre, c'est-à-dire par sa « définition explicite, en compréhension et en extension », et elle requiert d'autre part un processus de contrôle social des apprentissages. » Le résultat de ces transformations est contenu dans les programmes, les manuels, les textes officiels et les guides d'exécution des programmes. Cette première réélaboration est le fait de la « noosphère » constituée par les universitaires, les acteurs divers intervenants dans la construction des programmes scolaires. Ces savoirs constituent le curriculum formel ou 21 prescrit. Cette sélection des contenus à enseigner est appelée la transposition curriculaire externe. C'est une sélection rigoureuse qui tient compte des finalités assignées au domaine concerné et au niveau cognitif des élèves. Astolfi citant les travaux de Yves Chevallard et Marie-Alberte Johsua, des didacticiens de mathématiques, définit cinq (5) règles de la transposition didactique dans l'enseignement des mathématiques, dont deux essentielles dans le cadre de notre recherche. La première est relative à la modernisation nécessaire du savoir scolaire. En effet, « dans différentes disciplines, il apparait, périodiquement nécessaire, aux spécialistes de mettre à jour les contenus d'enseignement pour les rapprocher de l'état des connaissances universitaires. Il se crée, fréquemment dans ces cas, des commissions qui prennent pour base de travail divers travaux et propositions antérieures diffusées dans la noosphère » (Astolfi et al., 2008, p. 182). Il affirme qu'il faut un regard constant et une collaboration entre la science de référence et la discipline scolaire en vue de tenir compte des évolutions des savoirs savants dans la construction des savoirs à enseigner. En plus de la modernisation des savoirs, la seconde règle est relative à la nécessité d'un renouvellement curriculaire de la discipline scolaire. Cette règle permet d'éviter d'éloigner le savoir scolaire du savoir savant posant un problème de légitimité de ce savoir scolaire. Elle permet également de garder une distance entre le savoir scolaire et les savoirs du sens communs (Astolfi et al., 2008). Doba souscrit à la proposition de Astolfi, et constate que la construction du curriculum de géographie en Côte d'Ivoire est influencée par de nombreux partenaires nationaux et des institutions internationales. Son travail a porté sur la diffusion des savoirs de la géographie des risques dans l'enseignement secondaire ivoirien. Il soutient que les choix des savoirs à enseigner contenus dans les documents officiels, les programmes scolaires et les guides d'exécution des programmes éducatifs sont faits par une commission constituée d'enseignants chercheurs de l'ENS et d'inspecteurs généraux de l'éducation nationale. De ces entretiens avec les différents acteurs intervenant dans la chaine curriculaire ivoirienne, il révèle une faible collaboration entre l'enseignement supérieur et l'enseignement scolaire. Il a démontré que la présence d'un concept dans les curricula, notamment le concept des risques, était marginal, surtout à cause du paradigme disciplinaire dominant de la géographie ivoirienne, mais aussi du fonctionnement en vase clos de ces deux institutions. Ce qui a une incidence sur les savoirs scolaires à enseigner en géographie qui sont obsolètes (Doba, 2021). Par ailleurs, le curriculum prescrit ou formel est présenté comme une norme et influence fortement les savoirs enseignés (Paun, 2006). Dans l'enseignement du français, par exemple Dolz et al. (2006, p. 144) ont remarqué que « le curriculum recommandé est organisé sous forme de prescriptions qui sont 22 souvent dans un rapport complexe avec le curriculum enseigné. Les travaux sur ce dernier ont généralement une vision descendante qui va du curriculum officiel (plans d'études) au curriculum acquis (évaluations des apprenants) ». Dans sa thèse sur l'enseignement des EDD en classe de géographie, Oussou n'hésite pas à pointer ce premier niveau institutionnel de construction des programmes qui peinent à prendre en compte des problématiques actuelles et importantes de la géographie. Cette posture beaucoup plus dirigiste des programmes entraine une rupture entre les textes officiels et les pratiques enseignantes (Oussou, 2022). La transposition didactique externe est un concept important dans le cadre de notre recherche, car il permet de questionner la nature et le sens des concepts géographiques présents dans le curriculum prescrit, mais également les modalités d'intégrations des concepts géographiques. En outre, ce concept permettra de comprendre les fonctions assignées à la géographie scolaire à travers les concepts géographiques présents dans les programmes. La transposition didactique interne est le second niveau de la transposition didactique. Selon Paun (2006, p. 7) « elle représente l'ensemble des transformations successives et négociées subies par le curriculum formel dans le cadre du processus d'enseignement et d'apprentissage, tout au long du parcours professeur-élève ». La transposition didactique interne se déroule dans la classe. C'est le passage du savoir à enseigner au savoir enseigné. C'est une réappropriation du curriculum formel par l'enseignant. La transposition didactique interne selon Hertig (2012, p. 25) est un « processus ...pour l'essentiel sous le contrôle de l'enseignant ». Antibi André et Guy Brousseau donnent plus de précision sur la place de l'enseignant dans ce processus. À cet effet, ils soulignent qu'« une institution, dite «enseignante», se voit confier le projet de modifier l'univers culturel d'une autre institution, dite «élève», jugée hors d'état d'effectuer cette modification motu proprio, et qui, le plus souvent, ne ressent a priori aucun besoin ni aucune raison spécifique de cette modification » (Antibi & Brousseau, 2002, p. 48). Le résultat de cette réappropriation du curriculum prescrit par l'enseignant se décline en deux curricula : le curriculum enseigné ou réel et le curriculum réalisé ou appris (Chevallard, 1991). Philippe Perrenoud dans un article dévoile la part de subjectivité du professeur dans l'interprétation du curriculum prescrit. Il décrit de nombreux facteurs susceptibles d'influencer les contenus d'enseignements (Perrenoud, 1993). Paun abonde dans le même sens. Pour ce dernier, cette interprétation du curriculum par le professeur se réalise sous de nombreuses contraintes : « telles que sa formation initiale, son habitus professionnel, son rapport personnel et spécifique avec la science et la culture scolaire, les sens et les significations qu'il confère aux finalités de l'éducation (la définition qu'il donne de celles-ci), ses représentations à l'égard des élèves, en général, et à l'égard de 23 ceux avec lesquels il travaille, en particulier, les opinions de ses collègues de la salle des professeurs et non seulement, sa propre vision concernant le parcours scolaire des élèves, leurs préférences et leurs résistances » (Paun, 2006, p. 8) Le curriculum enseigné devient ainsi un outil de différenciation des pratiques enseignantes puisque c'est une réélaboration personnelle du curriculum prescrit. Ce concept est important pour notre recherche, car il permettra de distinguer les pratiques enseignantes qui sont à même de donner du sens aux savoirs et de susciter une appropriation des concepts géographiques par les élèves. Le curriculum réalisé désigne les connaissances acquises par l'élève dans un processus d'enseignement apprentissage. C'est « le résultat des réinterprétations et des négociations que celui-ci développe au cours de son interaction avec le professeur »(Paun, 2006, p. 9). Il révèle le niveau d'appropriation d'un objet d'enseignement réélaboré en connaissances par un élève. Il permet au professeur de réinterroger ces pratiques. Guy Brousseau cité par Astolfi et al. (2008) ne nie pas les avantages de la transposition didactique, mais insiste également pour une mise sous surveillance de la transposition didactique. En effet, il importe de faire attention aux transformations épistémologiques que peuvent subir le savoir au cours du processus de transposition didactique. Gibert Arsac cité par Astolfi et al. (2008) avance même l'idée d'une rupture épistémologique entre le savoir savant et le savoir scolaire. Ainsi, il précise que « l'étude de la transposition amène à exercer une vigilance épistémologique, c'est-à-dire à examiner si la distance, la déformation, entre l'objet de savoir et l'objet d'enseignement n'est pas telle qu'il ne reste en commun qu'une nomenclature et, dans le pire des cas, un langage pseudo-savant. On pourra parler dans les cas extrêmes de rupture épistémologique ; il conviendra de s'interroger sur les motifs de ces ruptures » Gilbert Arsac cité par Astolfi et al.(2008, p. 181). Cette citation permet de questionner, dans le cadre de cette recherche, le sens que les enseignants et les élèves donnent aux concepts dans la géographie scolaire ivoirienne. 1.2- Le modèle opératoire du concept 1.2.1- Un élargissement des théories de Vygotski et de Bruner Vygotski, dans sa théorie socio-constructiviste met l'accent sur l'environnement culturel et social dans le développement de l'enfant. Cette théorie s'inscrit dans le paradigme constructiviste. Pour Vygotski, l'outil fondamental d'interaction sociale est le langage qui permet la construction de la pensée, donc le développement de l'intelligence chez l'enfant. Pour Saussez, « Vygotski ne fait donc pas du social un facteur parmi d'autres du développement de 24 ces capacités, mais sa source »(2019, p. 6). En effet, c'est l'apprentissage avec l'aide d'un tiers qui précède le développement de l'enfant. Vygotski souligne, à cet effet, l'importance d'un tiers (enseignant, parent) dans le processus d'apprentissage à travers la théorie de la zone proximale ou prochaine de développement (ZPD) qui est la distance à parcourir entre ce que l'enfant sait et son niveau de développement potentiel, accessible grâce à l'interaction avec ses pairs. Par exemple, « prenons le cas de deux enfants possédant un âge mental équivalant à 8 ans. Avec l'aide d'un adulte, l'un résout des problèmes correspondant à l'âge de 12 ans, tandis que l'autre ne peut résoudre que des problèmes correspondant à l'âge de 9 ans » (Lecomte, 2016, p. 78). Le concept de ZPD est important, car il permet à l'enseignant de faire progresser les élèves dans les apprentissages. Dans le cadre d'un enseignement basé sur les concepts, il permet de passer des concepts spontanés acquis de manière empirique vers des concepts scientifiques acquis dans un cadre scolaire. Il est évident que l'élève ne peut pas tout redécouvrir lui seul. Il a besoin, dans les situations d'enseignement-apprentissage, de rentrer en interaction avec ses pairs et de l'enseignant médiateur pour l'aider à progresser dans ses apprentissages. Le modèle socio-constructiviste répond aux conditions pour faciliter les apprentissages. C'est sur cette théorie que s'appuie le modèle pédagogique présenté cette recherche. Le modèle opératoire du concept s'appuie sur la théorie socioconstructiviste de Vygotski. Britt Mari Barth est la conceptrice de ce modèle pédagogique. La théorie socioconstructiviste de Vygotski et les lectures de l'oeuvre de Bruner ont permis de définir ce modèle pour apprendre et comprendre (Barth, 2015). Britt-Mari Barth est enseignante chercheuse en éducation. Elle s'est beaucoup intéressée aux questions éducatives, surtout aux difficultés des élèves qui conduisent à l'échec scolaire, voire au décrochage scolaire. Elle s'appuie sur les travaux de J. Bruner. Bruner dans son ouvrage study of thinking qui montre que tout individu cherche indépendamment de son âge, à organiser le monde qui l'entoure en construisant des catégories ou des concepts (Barth, 2013). Cette formation de concept est inhérente à l'activité cognitive et débute dès la petite enfance. Chaque individu forme des concepts en fonction de ses connaissances, son expérience et sa culture. Ces concepts spontanés ou empiriques se fondent sur l'organisation des connaissances acquises d'un individu ; c'est ce que Bruner nomme cadre de référence ou structure cognitive. C'est lui qui permet à l'individu d'organiser sa pensée. Ce mode d`organisation des connaissances est inconscient et instable. Cependant, le modèle proposé par Britt-Mari Barth vise à faire acquérir des concepts scientifiques et à développer chez chaque individu une compréhension et une prise de conscience de son processus de conceptualisation : c'est la métacognition (Barth, 2015). Le titre du dernier ouvrage de Britt- 25 Mari Barth résume bien le modèle pédagogique qu'elle propose : élève chercheur, enseignant médiateur, donner du sens au savoir. Ce modèle pédagogique est aussi appelé la médiation sociocognitive des apprentissages. Cette médiation sociocognitive considère le savoir comme une construction sociale, culturelle et historique (Barth, 2012a). À ce sujet, selon Britt-Mari Barth : « deux présupposés issus de la théorie du développement de Vygotski étayent cette perspective : celle de l'origine culturelle de la pensée et de l'apprentissage, d'une part ; celle de la nécessaire médiation, d'autre part. Cette médiation est à comprendre dans le sens à la fois d'accompagnement (socio-) et d'instrumentation d'outils de pensée (cognitive) » (2012a, p. 14). Ce modèle pédagogique utilise le concept comme outil opératoire de la pensée et s'appuie sur le rôle médiateur de l'enseignant pour déclencher des démarches intellectuelles de l'élève en vue de l'abstraction. La culture représente à la fois une boîte à outil et le monde auquel nous devons nous adapter. C'est cette « boite à outil », selon Bruner qui permet à l'élève « de donner un sens à la réalité » Bruner cité par Barth (2013, p. 200). Ces outils peuvent être assimilés à des concepts (Barth, 2013). Il revient à l'enseignant de faire émerger ces concepts pour que les élèves donnent un sens au savoir. Pour ce faire, l'enseignant doit préalablement rendre le savoir accessible aux élèves. Cette figure illustre bien le rôle médiateur de l'enseignant : 26 Figure 1 : le rôle médiateur de l'enseignant dans le modèle opératoire du concept Source : d'après Barth (2013) 1.2.2- le concept outil de pensée Le savoir désigne les connaissances acquises par l'apprentissage ou par l'expérience. Dans un cadre scolaire, le savoir est varié en fonction des disciplines. Cependant, pour Britt-Mari Barth, toute connaissance, y compris les programmes scolaires, sont structurés comme des concepts. À cet effet, « quel que soit le niveau de complexité d'un contenu, on peut le traiter comme un concept et l'apprendre »(Barth, 2013, p. 37). Les concepts scientifiques sont des produits de la science, de la recherche et sont des outils pour comprendre (Mérenne-Schoumaker, 2017). Leur définition reste universelle. Ce qui importe, c'est que l'élève arrive à construire son savoir. Toutefois, le savoir transmis et à mémoriser fait souvent l'objet de fausse compréhension de l'élève : les confusions entre le mot et le sens, entre les éléments pertinents et non pertinents par rapport à un problème donné et la confusion dans le mode de raisonnement (Barth, 2015). Toutes ces difficultés représentent autant d'obstacles à donner du sens au savoir et à comprendre. Pour Britt-Mari Barth, Comprendre renvoie ici « à une norme, implicite ou 27 explicite, celle qu'on impose soi-même ou qui est imposée par un interlocuteur ou par la situation dans laquelle on se trouve »(Barth, 2015, p. 25). Les interactions et la structuration du savoir permettent d'arriver à une compréhension commune en donnant un sens au savoir ainsi élaboré. Le savoir ne se réduit pas à un contenu disciplinaire à acquérir, mais il comprend également les ressources matérielles, les stratégies d'apprentissage et les ressources humaines propres à chaque discipline. Pour acquérir ces connaissances disciplinaires, il faut connaitre les concepts qui fondent cette discipline. Les stratégies d'apprentissages communes à toutes les disciplines et qui donnent un sens au savoir relèvent de la conceptualisation (Barth, 2012a). En ce sens, « Le concept pourrait donc servir de modèle du savoir afin de réfléchir à sa signification et à son enseignement »(Barth, 2013, p. 34). Ce modèle pédagogique est axé sur le concept comme outil opératoire de la pensée. Chaque individu organise le monde qui l'entoure en fonction de sa structure cognitive et c'est cette dernière qui permet la formation spontanée de concept. Ce concept spontané pourrait dans le cadre d'un apprentissage scolaire devenir un concept scientifique. Selon le dictionnaire Larousse, un concept est une « idée générale et abstraite que se fait l'esprit humain d'un objet de pensée concret ou abstrait, et qui lui permet de rattacher à ce même objet les diverses perceptions qu'il en a, et d'en organiser les connaissances... »9. Le concept permet d'organiser la pensée, de la structurer et donner un sens aux différents objets qui nous entoure. En logique, un concept est un contenu de pensée, qui, lorsqu'il est appliqué à un objet, peut former une proposition10. Il recouvre ici le statut d'hypothèse ou d'idées qui doivent être confrontées à des faits par la recherche, puis, une fois validée, deviennent des lois ou des concepts scientifiques, sinon elles sont abandonnées. En linguistique, le concept représente le signifié, c'est-à-dire le sens du mot, tandis que le mot lui-même constitue son signifiant. Le concept est un terme abstrait qui se distingue donc de la chose désignée par ce concept.11 Un concept scientifique est un outil de pensée ou un savoir outil. Au-delà de ses fonctions de discriminations, d'interprétation des phénomènes, il permet également de les expliquer. C'est pourquoi, selon jean pierre Astolfi (2008, p. 26) « Un concept est un point de départ pour l'activité intellectuelle, car il confère un pouvoir explicatif nouveau pour celui qui en maîtrise 9 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/concept/17875 10 https://fr.wikipedia.org/wiki/Concept_(philosophie 11 https://fr.wikipedia.org/wiki/Concept_(philosophie) l'usage ». Cette dernière définition qui permet de donner une définition opératoire du concept. Selon Britt-Mari Barth, le concept est défini par trois éléments : - Une étiquette qui désigne le concept - Les attributs qui sont des caractéristiques pertinentes permettant de distinguer une idée d'une autre - Et des exemples qui sont des extensions du concept. Cette figure présente la définition opératoire du concept : Figure 2: définition opératoire du concept 28 Source : d'après Barth (2013) A ce niveau, elle insiste sur le fait de distinguer ce qui est pertinent de ce qui ne l'est pas dans une situation d'apprentissage. C'est cette capacité à distinguer que recouvre le sens de apprendre (Barth, 2013). Apprendre désigne alors la capacité de distinguer des attributs essentiels des attributs non essentiels. Par exemple, dans le cadre de la définition d'un rectangle, les attributs suivants peuvent être jugés essentiels ou pertinents : quatre angles droits, deux côtés opposés de même mesure...par contre la couleur ou l'orientation du rectangle ne sont pas des attributs essentiels (Barth, 2013). 29 Le concept outil opératoire de la pensée, ainsi défini, le rôle médiateur de l'enseignant doit permettre la construction des concepts par les élèves. 1.2.3- l'enseignant médiateur du savoir et de sa transmission Le rôle de l'enseignant dans ce modèle est essentiel. Pour Britt -Mari Barth, il ne s'agit plus de transmission de savoir, mais plutôt de transaction qui doit permettre la construction de savoir par l'élève. Elle affirme : « c'est en aidant l'élève à structurer les éléments, pour qu'ils prennent du sens, que l'enseignant lui est le plus utile. L'interaction verbale avec les camarades, le « conflit cognitif » est également un instrument qui permet, par la confrontation des représentations, d'approfondir la compréhension. Le langage ne rend pas seulement compte de la pensée, il participe à son élaboration même » (Barth, 2013, p. 186). L'enseignant doit alors structurer le savoir en tenant compte de deux aspects importants afin de réduire les situations qui pourraient induire les élèves en erreur. Car la façon dont le contenu est structuré par l'enseignant va influer sur la compréhension des élèves (Barth, 2013). Ainsi, l'enseignant doit être capable de distinguer les relations entre les concepts. Les concepts, selon Bruner cité par Britt-Mari Barth(2013) présentent trois types de relations : - Les concepts conjonctifs se distinguent par la présence d'un exemple d'attributs qui sont tous présents dans chaque exemple ils sont une conjonction d'attributs donc reliés par les relations et/et - Les concepts disjonctifs, sont eux définis par un ensemble d'attributs qui ne sont pas nécessairement présents dans chaque exemple donc identifiables par la relation soit /soit - Les concepts de relations qui ne se définissent que par rapport à un autre élément. Elle en donne un exemple avec le concept de petit ou grand. A côté des relations entre les concepts, un autre aspect semble tout aussi important. Il se décline en quatre : - le niveau de complexité du concept s'entend par le nombre d'attributs que comprend un concept, plus ce nombre est grand ainsi que les valeurs des attributs plus le concept devient complexe et peut accentuer les difficultés de compréhension -le niveau d'abstraction est le niveau de compréhension recherché par l'enseignant en fonction du niveau cognitif des élèves. Il est important pour l'enseignant de revenir à un niveau de base qui permet de représenter le concept de manière riche et ses attributs essentiels en réduisant des 30 éléments complexes qui peuvent constituer des difficultés de compréhension mais cela n'implique pas une simplification des démarches mentales de l'élève. -le niveau de validité s'entend par le but, l'utilité de ce concept et son domaine d'application. - le niveau d'interrelation qui précise la relation entre les attributs qui définissent le concept Pour Britt-Mari Barth: « le rôle de l'enseignant est donc d'abord d'assister l'élève dans la construction de son savoir, tâche que personne ne peut exécuter à sa place. Cette assistance consisterait à analyser avec lui le savoir à acquérir et les opérations mentales à mettre en oeuvre. Ayant appris ce qui est généralisable, l'élève pourrait à l'avenir agir de façon plus autonome dans toute situation d'apprentissage » (Barth, 2013, p. 31). Cette figure illustre bien ce modèle pédagogique : Figure 3: le modèle opératoire du concept Source : d'après Barth (2013) L'enseignant doit d'abord rendre le savoir accessible en tenant compte des aspects définis plus haut. Il doit, en outre, négocier le sens12 et guider l'élève dans son processus de construction de savoir en déclenchant les processus mentaux de ce dernier pour le guider vers l'abstraction. Elle précise les cinq conditions pour mener une situation de médiation sociocognitive :
12 Cette expression est définie dans le point suivant
31
Elles peuvent servir de grille d'analyse d'une situation de médiation sociocognitive des apprentissages. Les deux premières conditions se déroulent avant la situation d'apprentissage et constituent la phase préparatoire de la séance. Elles se résument d'une part à rendre le savoir accessible en tenant compte des aspects définis plus haut et d'autre part à réaliser un choix judicieux des exemples pour exprimer le savoir. Quant aux trois dernières conditions, elles sont effectives pendant la situation d'apprentissage. Elles sont relatives au processus de négociation de sens. D'abord, l'enseignant établit une relation de confiance entre lui et les élèves. C'est ce que Britt-Mari Barth nomme contrat d'intersubjectivité qui décrit les attentes mutuelles exprimées de l'enseignant aux élèves et celles que les élèves doivent attendre de lui. Elle comprend trois dimensions : - le cognitif qui renvoie aux tâches à mener pour acquérir les connaissances ; - l'affectif qui exprime l'assurance d'aide et d'accompagnement de l'enseignant. L'erreur est permise et permet de préciser la compréhension. Ce qui rassure l'élève ; - le social est défini par la place que chacun peut avoir dans ce scénario, le relationnel et les structures d'interaction. La médiation sociocognitive des apprentissages est présentée par la figure ci-dessous : 32 Figure 4: la médiation sociocognitive des apprentissages Source : d'après Barth (2012) Ces trois dimensions doivent impérativement être prises en compte dans l'élaboration de la consigne afin faciliter l'adhésion de l'élève et son engagement (Barth, 2012a). La consigne qu'il donne en début de séance permet d'établir un climat affectif rassurant pour les apprenants et favorise une disponibilité intellectuelle de ces derniers. L'organisation des exemples et de la situation d'apprentissage sous la forme d'un jeu ou d'un défi est propre à faire adhérer les élèves au projet. En effet, selon Britt-Mari Barth : « le cerveau fonctionne mieux quand il s'attend à une activité complexe et agréable comme le jeu, il se met alors en éveil, prêt à enregistrer » (2013, p. 192). Cette consigne13 invite les élèves à s'impliquer dans la tâche. Britt-Mari Barth est plus explicite sur le but de cette consigne : « Elle a pour but de structurer la tâche et de motiver l'élève en montrant qu'il y a un problème à résoudre, et en donnant les règles du « jeu ». Quand l'élève a bien compris le problème qu'on lui pose, cela suffit en général pour lui donner envie de le résoudre ; ceci est d'autant plus vrai qu'on lui assure une aide si 13 Cette consigne est présentée, dans le dernier chapitre du mémoire, dans la mise oeuvre de notre séance sur le concept d'espace urbain 33 nécessaire. Le défi qui lui est proposé éveille son désir de chercher. Au lieu d'écouter un discours, il peut entreprendre quelque chose et peut-être réussir. Il participera activement à l'élaboration de la réponse, il aura l'occasion de confronter en classe sa vision des choses. Il pourra exposer ce qu'il découvre. Ce n'est pas la récompense sous forme d'une bonne note éventuelle qui l'attire, mais plutôt le plaisir de l'action elle-même »(2013, p. 65). L'élève est motivé non pas par des stimuli extérieurs, mais c'est une motivation intrinsèque liée à son désir d'apprendre et cela se manifeste par son engagement. Les discussions sur la pertinence ou non d'un attribut permettent de créer des conditions de co-constructions de savoir et d'interaction entre les élèves. Les élèves sont, en effet, engagés dans un conflit cognitif permettant d'arriver à une définition commune du savoir (Barth, 2012a). Il est également essentiel pour l'enseignant de déterminer des moments de formalisation ou d'institutionnalisation des savoirs. Ce sont des moments où l'enseignant donne une définition au concept construit qui peut être appris ou mémorisé par les élèves. Britt-Mari Barth(2013) propose ainsi de présenter la définition en un schéma avec des interrelations des attributs essentiels en vue de faciliter l'acquisition du concept et sa généralisation. Puis, l'évaluation proposée par l'enseignant doit informer l'élève sur son niveau de compréhension. Elle doit être en rapport avec le niveau de compréhension visé par l'enseignant. C'est elle qui permet à l'enseignant d'apprécier l'acquisition du concept par l'élève et le transfert de ce dernier dans un autre contexte. À ce niveau, Britt-Mari Barth s'oppose à une évaluation notée, mais privilégie celle qui vise à évaluer le niveau de compréhension du concept par l'élève. Elle propose trois niveaux de compréhension pour l'évaluation :
L'évaluation peut être formative et se dérouler au cours de l'apprentissage. Elle consiste à vérifier auprès des élèves la distinction entre exemple oui ou non et à justifier leur réponse. Elle peut se dérouler autrement dans un délai de 15 jours après la situation d'apprentissage. Ces modes d'évaluation sont intéressants dans la mesure où ils s'intéressent plus au processus de construction du savoir qu'au contenu. L'enseignant change son rapport au 34 savoir. Le savoir n'est plus immuable, mais est dynamique. La médiation de l'enseignant est d'ordre social et cognitif, car il négocie le sens et il structure le savoir pour le rendre accessible à l'élève. Il joue également un rôle affectif, car il crée un climat de confiance dans la classe qui est source de motivation et d'engagement de l'élève dans les tâches. C'est dans ces interactions verbales que s'élabore le sens (Barth, 2012a). 1.2.4- Un modèle pédagogique de construction de sens pour l'élève Les stratégies pédagogiques développées dans ce modèle visent la construction de sens. Dans cette perspective vygotskienne, le sens est une construction en interaction avec un tiers (enseignant et élève) avant de devenir une construction individuelle. Selon Britt-Mari Barth, : « C'est dans l'espace même des activités et du dialogue que le sens s'élabore, y compris le sens de l'activité elle-même. Pour que ce dialogue puisse s'instaurer dans une classe ou un groupe, il faut qu'il y ait une attention conjointe, rendue possible par une action conjointe qui porte sur un objet commun d'attention. L'action conjointe est initiée et structurée par l'enseignant qui offre un cadre de référence et un accompagnement pour que les élèves puissent avoir accès au sens » (Barth, 2012a, p. 26?27). Pour ce faire, l'enseignant doit guider l'élève dans cette élaboration de sens, il a un rôle essentiel dans ce processus. Le but visé est de permettre à l'élève d'atteindre l'abstraction, mais plus encore de prendre conscience des processus mentaux ou des méthodes de pensée qui lui ont permis de comprendre la situation d'apprentissage en vue d'un transfert dans un autre contexte ou dans d'autres situations d'apprentissages. L'acte pédagogique de l'enseignant est appelé la métacognition (Barth, 2013). Cependant, Britt-Mari Barth invite l'enseignant à une plus grande vigilance dans l'accompagnement de l'élève en vue d'atteindre la conceptualisation, car « On peut abstraire sans généraliser, mais pas généraliser sans abstraire »(Barth, 2013, p. 126). Les processus mentaux déclenchés par les activités de l'enseignant permettent l'élaboration de sens chez l'élève. La démarche cognitive de l'élève est présentée dans la figure suivante : 35 Figure 5: Démarche cognitive de l'élève vers la conceptualisation Source : d'après Barth (2013) La perception est la première démarche cognitive réalisée par l'élève. Elle est commune à tout individu, mais reste différente en fonction des structures cognitives de chacun. Selon Bruner, il existe trois modes d'appréhension de la réalité (ici des exemples proposés par l'enseignant). Un mode sensori moteur ou enactif lié à la manipulation de l'objet à travers les sens. Ce type d'apprentissage est dit psychomoteur. Un second mode dit iconique ou visuel, lié à la représentation que l'élève se fait de l'objet sans toutefois pouvoir en expliquer les caractéristiques essentielles. Le savoir se résume donc à la représentation limitée de l'objet. Le dernier mode cognitif, plus complet, est dit symbolique. Il va au-delà des deux premiers. L'élève exprime ici sa pensée. Il arrive à exprimer et à expliquer ses actions et sa pensée. C'est l'évolution de l'élève vers ce mode de perception qui permet de donner un sens à la réalité 36 (Barth, 2013). La deuxième étape est la comparaison. Selon le dictionnaire Larousse en ligne14, comparer consiste à donner les différences et les ressemblances d'un objet. Pour Britt-mari Barth, la comparaison est bien plus que cela. Car « la comparaison est une pensée analytique par laquelle il faut séparer une entité en ses composantes et reconnaitre les relations qui les lient »(Barth, 2013, p. 118). L'élève doit alors choisir, en fonction de ses structures cognitives, les attributs essentiels pour catégoriser. Il doit arriver à une classification complexe en distinguant plusieurs attributs ou critères de classification. La troisième étape est l'inférence qui permet de tirer une conclusion provisoire à partir des deux premières étapes. En effet, selon Britt-Mari Barth, « pour l'apprentissage d'un concept, l'inférence permet, à partir de plusieurs exemples, de tirer la conclusion que telle combinaison d'attributs pourrait être pertinente. Vérification : est-elle présente dans tous les exemples ? En cas d'erreur, on fait une autre inférence et on vérifie à nouveau ». (2013, p. 119). Phillipe Meirieu, souscrit parfaitement au rôle de l'enseignant décrit par Britt-Mari Barth dans ce processus d'élaboration de sens. Pour ce dernier : « la tâche du pédagogue, c'est de construire du sens, de donner du sens aux savoirs, de ne pas réduire le sens à l'utile et au fonctionnel. C'est de penser le sens dans sa dimension symbolique, de relier l'intime et l'universel et de faire place à la dialectique entre le sujet et l'objet, c'est-à-dire entre le discutable et l'indiscutable, entre la vérité et l'opinion. L'école est le lieu spécifique pour cet apprentissage-là » (Meirieu, 2003, p. 8). C'est à juste titre que Britt-Mari Barth rappelle que le modèle opératoire, au-delà de structurer le savoir, a besoin de « ces trois éléments pour lui donner sens » (Barth, 2012a, p. 22). Ces trois démarches cognitives sont essentielles pour conduire l'élève à l'abstraction, mais en évoluant vers le transfert des concepts acquis dans un autre contexte, l'élève atteint la conceptualisation. 1.2.5- Un modèle en phase avec les finalités de la géographie
La géographie est perçue comme une discipline axée sur des contenus denses et factuels (Clerc, 2012b). Pour certains, elle enseigne des savoirs morts (Meirieu et al., 2015). Ce sont des savoirs utiles seulement dans un cadre scolaire pour résoudre des exercices scolaires et passer des examens scolaires puis transformées en « archives oubliées »(Meirieu et al., 2015, p. 31). Le modèle opératoire du concept permet de donner vie au savoir. Il permet à l'enseignant d'innover et de donner un sens au savoir en changeant son rapport au savoir. Le savoir est perçu comme dynamique et non statique. L'élève devient acteur de son savoir et de sa construction. Il est impliqué dans la construction de sens. Les exemples proposés lors de l'application de ce modèle pédagogique permettent d'exprimer le savoir sous une forme concrète. Le contrat d'intersubjectivité a une dimension affective qui engage l'apprenant dans l'apprentissage. Ce qui permet de donner une utilité aux savoirs. Ce modèle répond aux finalités pratiques et civiques de la géographie. car la géographie permet également aux élèves de prendre conscience des conséquences de leurs actions spatiales sur l'environnement et d'agir en citoyens libres et responsables (Clerc, 2012b).Le roux souscrit à cette finalité de la géographie. Pour cette dernière, il faut leur permettre de « savoir penser l'espace pour mieux le comprendre, agir dedans, et agir sur lui » Bavoux(2016, p. 289). Cela se perçoit lors de la co-construction du savoir où l'élève exprime ses opinions et argumente. Il développe son esprit critique (Mérenne-Schoumaker, 2019). 40 2- La méthodologie de recherche 2.1- La collecte des données relatives au curriculum prescrit Pour analyser les pratiques enseignantes, il serait important de s'intéresser aux prescriptions qui orientent ces pratiques. L'analyse des pratiques enseignantes est indissociable de l'analyse du curriculum prescrit. Ces documents servent de bréviaires à la préparation des cours des enseignants. Ils contiennent également les suggestions relatives aux activités, aux techniques pédagogiques, aux outils et aux contenus pour développer les compétences des élèves. Nous sommes dans un modèle dirigiste où les contenus d'enseignements et les stratégies sont dictés par les prescripteurs des programmes (Doba, 2020 ; Oussou, 2018). Par ailleurs, les manuels ne feront pas l'objet d'analyse, car pour le lycée en Côte d'Ivoire, il n'existe pas de manuel au programme en géographie. Des manuels existent seulement pour le collège. Mon analyse portera sur le programme éducatif et le guide d'exécution des programmes fournis par la DPFC16 aux enseignants pour toutes les classes (de la 6e à la terminale) et ensuite sur la leçon concernée17 par notre recherche pour la classe de première. Cette collecte de données s'inscrit dans le cadre théorique de la transposition didactique. Cette étape vise à rechercher les concepts géographiques présents dans le curriculum prescrit. Nous nous referons aux travaux de phillipe Hertig sur les concepts intégrateurs. Les concepts intégrateurs sont des concepts opératoires propres à la géographie. Une liste de sept (7) concepts intégrateurs ont été définis par Hertig. Les données sur le curriculum prescrit subiront une analyse lexicométrique avec le logiciel Iramuteq pour dégager les occurrences relatives aux concepts géographiques. Puis, nous ferons un encodage prenant en compte les différents concepts géographiques liés au fait urbain. Il s'agira d'une analyse quantitative. 2.2-La collecte de données relatives aux pratiques enseignantes 2.2.1- L'observation de classe Il s'agira de mener une observation structurée ou systématique auprès de quatre (4) enseignants du secondaire qui tiennent les classes de Première. Les séances d'observation se dérouleront avec une grille d'observation. C'est un échantillon par choix raisonné. Le choix s'est porté sur cet échantillon, car la demande introduite auprès des professeurs de lycées des huit (8) établissements concernés par la recherche a eu un avis favorable auprès de quatre (4) 16 Direction de la Pédagogie et de la Formation Continue 17 Leçon 1 : l'urbanisation dans les pays en voie de développement : exemple de la Côte d'Ivoire. 41 enseignants. Ces établissements ont été choisis du fait de leur proximité par rapport à notre lieu de travail et de l'autorisation obtenue auprès des chefs d'établissements, notamment les trois (3) établissements publics de la ville. Les établissements privés ont manifesté un refus, car ils assimilent cela à une inspection et une évaluation de la qualité de leur enseignement. Il faut rappeler que les enseignants des établissements privés sont autorisés à enseigner après l'obtention d'une autorisation d'enseigner, suite à une formation deux semaines, délivrée par la DPFC18. Contrairement à ceux des établissements publics qui sont formés à l'ENS pendant deux ans. Cela constitue l'un des biais de cette recherche, car les profils de formation des enseignants ne sont pas pris en compte. Un autre biais de cette observation est l'effet de Hawthorne19. Il s'agit des modifications du comportement de l'enseignant à notre présence lors de l'observation avec la volonté de mieux faire en donnant bonne impression. Ainsi, un entretien s'avère nécessaire pour avoir des informations supplémentaires. En outre, l'observation de classe permettra de comprendre les pratiques des enseignants. Elle s'appuie sur la théorie socioconstructiviste de Vygotski. Cette théorie place l'élève au centre de l'apprentissage, l'enseignant n'est qu'un médiateur du savoir (Barth, 2012b). Cette observation s'appuiera sur la grille d'observation, selon le modèle opératoire du concept de Britt Mari Barth20. Les enseignants sont observés dans leurs pratiques ordinaires. Dans les pratiques ordinaires en Côte d'Ivoire, le cours débute par un rappel de la séance précédente, ensuite, l'enseignant interroge les élèves pour faire émerger le titre de la leçon qu'il inscrit au tableau. Puis, il fait lire la situation d'apprentissage qui est un texte permettant d'identifier les habiletés et contenus de la séance du jour. Ces habilités et contenus à installer sont censés développer les compétences des élèves. Il déroule finalement la séance de cours par une série de boucles didactique en s'appuyant sur un document (carte, texte, graphique) distribué aux 18 La Direction de la Pédagogie et de la Formation Continue est une structure du ministère de l'éducation chargée de l'encadrement et de la formation continue des enseignants. Elle est composée d'inspecteur pédagogique. 19 'effet Hawthorne, ou expérience Hawthorne, décrit la situation dans laquelle les résultats d'une expérience ne sont pas dus aux facteurs expérimentaux mais au fait que les sujets ont conscience de participer à une expérience dans laquelle ils sont testés, ce qui se traduit généralement par une plus grande motivation. Cet effet tire son nom des études de sociologie du travail menées par Elton Mayo, Fritz Roethlisberger et William Dickson dans l'usine Western Electric de Cicero, la Hawthorne Works, près de Chicago de 1924 à 1932. Cette enquête est considérée comme le point de départ d'une nouvelle technique d'étude en sociologie 20 La grille est en annexe 42 élèves. À la fin de la séance, il mène une évaluation formative dénommée activité d'application d'une durée de 10 minutes pour vérifier l'installation des habiletés. Notre observation permettra de voir comment les enseignants se réapproprient le curriculum prescrit afin de distinguer les pratiques ordinaires des pratiques innovantes. 2.2.2- L'entretien semi-directif L'entretien semi-directif permettra de mieux appréhender les représentations sur la géographie, puis de compléter l'observation de la séance de cours qui peut contenir certains biais. Notre présence en observation de cours, l'effectif de la classe, le manque de matériel didactique peuvent perturber la séance de cours. L'entretien s'est déroulé immédiatement dans la salle des professeurs. Le guide d'entretien est en annexe. C'est une approche qualitative de la recherche. Les entretiens sont retranscrits à l'aide du logiciel Sonal et amberscript. Les données seront analysées avec le logiciel Iramuteq. Voici le profil des enseignants enquêtés : Tableau 3 : profil des enseignants interviewés
43 À la suite des observations des pratiques des enseignants, j'expérimenterai une séance de cours, selon le modèle opératoire du concept dans ma classe. Cette séance de cours a pour objectif d'expérimenter un modèle innovant pour permettre aux élèves de construire les concepts. Le choix du modèle opératoire du concept s'explique par la question du sens21 au coeur de cette pédagogie. Le modèle opératoire du concept permet de donner du sens au concept d'espace urbain. Par ailleurs, le concept est un outil permettant de lire le monde. À la suite de cette expérimentation, une seconde expérimentation sera menée dans la classe d'une collègue. Cette deuxième expérimentation s'explique par ma posture de praticien chercheur qui peut entrainer de nombreux biais. Ma distance par rapport à mon objet de recherche permettra de mieux confronter les résultats. Enfin, une évaluation sera proposée aux élèves. 2.3- Bilan de savoirs Il se présente sous la forme d'une évaluation adressée aux élèves des classes observées par l'enseignant et des élèves ayant participé aux cours que j'aurai à présenter, selon le modèle opératoire du concept. Le corpus sera composé des copies des élèves des quatre (4) classes observées et des élèves ayant participé au cours, selon le modèle opératoire du concept. C'est environ 300 copies en tenant compte de la moyenne d'élève par classe d'environ soixante élèves. Ce bilan permettra de comprendre l'acquisition et le transfert des connaissances, notamment les concepts par les élèves, selon le modèle opératoire du concept de Britt-Mari Barth. C'est une approche quantitative et qualitative à la fois. Cette évaluation ne sera pas notée. Mais elle servira à évaluer dans une certaine mesure, le niveau d'appropriation du concept, selon la grille proposée par Britt-Mari Barth. Cette grille nous servira à établir des idéaux-type correspondants aux divers niveaux d'acquisition des concepts par les élèves. Voici un exemple de grille : 21 La question du sens sera développée dans la suite du mémoire Vérifier le transfert ou la généralisation auprès des élèves 44 Tableau 4 : grille d'évaluation de l'appropriation d'un concept Figure 6 : schéma explicatif du processus de recherche Etapes Observation de classe Entretien semi directif Analyse du Expérimentation du modèle opératoire du Bilan des savoirs avec les élèves
Comprendre les pratiques et la réaction des élèves lors du cours de géographie
45 CHAPITRE 3 : UNE FAIBLE PRESENCE DES CONCEPTS INTEGRATEURS DANS LA GEOGRAPHIE SCOLAIRE IVOIRIENNE ? Ce chapitre vise à analyser le curriculum prescrit ainsi que les pratiques des enseignants pour comprendre la place des concepts dans la géographie scolaire ivoirienne. Dans ce chapitre, je vais d'abord analyser les thématiques abordées par la géographie scolaire ivoirienne afin de déterminer son positionnement épistémologique puis j'analyserai à nouveau le corpus pour déterminer les concepts ou notion étudiés dans la géographie scolaire ivoirienne. L'analyse de ces concepts permettra de savoir à quel mode de pensée se réfère la géographie ivoirienne que je mettrai en rapport avec le mode de pensée herméneutique propre aux concepts intégrateurs. Ainsi, j'en déduirai, la présence ou non des concepts intégrateurs dans la géographie scolaire ivoirienne. En outre, à partir de l'observation des pratiques et de l'entretien avec les enseignants sur le cours sur l'urbanisation, je pourrai appréhender la place de la conceptualisation dans les pratiques enseignantes. 1- Un curriculum prescrit peu construit autour des concepts intégrateurs en géographie Le corpus analysé comprend le guide d'exécution des programmes et les programmes. À l'aide du logiciel iramuteq, j'ai effectué d'abord une classification hiérarchique descendante pour voir quels sont les thèmes généraux abordés par la géographie scolaire ivoirienne et les liens ou rapports entre ces thèmes avant de mener une analyse sur l'occurrence des concepts. Le résultat de cette analyse est présenté dans la figure ci-dessous : Figure 7 : classification hiérarchique descendante du curriculum prescrit ivoirien 46
La classification hiérarchique descendante menée sur les données du curriculum prescrit révèle quatre grandes thématiques : la classe 1 concerne la géographie humaine ou la population associée à la classe 3 intégrant les aspects économiques. Ensuite, la classe 2 s'attachant au milieu physique, opposée à la classe 4 relative aux espaces régionaux et organisation régionale. À l'analyse, la géographie scolaire ivoirienne est dominée par la géographie humaine et physique. L'analyse nous montre également un cloisonnement des différents domaines de la géographie. Ce cloisonnement des différents champs de la géographie est confirmé par l'analyse factorielle des correspondances présentées dans la figure ci-dessous 47 Figure 8 : analyse factorielle des correspondances du curriculum prescrit ivoirien Ce cloisonnement des différents domaines de la géographie ne permet pas de tisser les liens et d'expliquer l'organisation de l'espace au-delà du déterminant physique (Doba, 2021). Cette géographie scolaire ne permet pas de développer une pensée systémique. J'ai mené par la suite une analyse avec le logiciel iramuteq pour déterminer les principaux concepts et notions de la géographie scolaire ivoirienne. J'ai sélectionné en fonction de leur occurrence les concepts et notions qui étaient les plus présents dans les prescriptions officielles. Le graphique ci-dessous nous présente ces principaux concepts et notions : Figure 9 : les principaux concepts et notions de la géographie scolaire ivoirienne 48 Le graphique ci-dessous montre les principaux concepts et notions abordés par la géographie scolaire ivoirienne par niveau d'étude. Les concepts et notions les plus usités sont : le milieu, naturel, environnement, climat, subéquatorial, relief, région, territoire22 et subéquatorial, ensuite l'économie, la population puis la mondialisation et l'urbain. Selon R.Brunet (2017) le milieu et l'environnement recouvre le même sens, car ils désignent tout ce qui entoure un lieu, une activité ou une personne et un groupe social. Il estime que ces deux concepts n'existent pas en soi, mais font toujours référence à un lieu ou à une personne. Pour ce dernier, le milieu géographique se compose des éléments naturels tels que le relief, le climat, la végétation et les sols, des constructions et des transformations humaines du milieu (habitat, activités économiques, routes, usines...) mais encore des organisations politiques, administratives et des systèmes religieux. Or les concepts et notions abordées par le curriculum prescrit de géographie ivoirienne sont relatifs à ces éléments tels qu'indiqué dans le graphique 22 La présence du terme territoire dans les programmes ne fait pas référence au concept territoire de la géographie. Le territoire est utilisé ici pour désigner une portion de l'espace terrestre, une entité administrative et politique faisant souvent référence à la région dont on décrit les acteurs politiques sans indiquer leurs actions spatiales 49 ci-dessus. Ainsi, la géographie scolaire ivoirienne est dominée par le concept de milieu géographique. Pour D.Pumain et T. Saint Julien, deux types de relations interactions ont été privilégiés par la géographie : d'abord les relations verticales dont s'est intéressée la géographie classique. Dans ces relations verticales, l'explication des faits géographiques observés dépend fortement du milieu naturel. Ils donnent l'exemple du climat dans la répartition des cultures. Ensuite, les relations horizontales privilégiée par la nouvelle géographie qui s'intéresse au modèle géographique pour expliquer les faits géographiques. Les notions de distance et de situation occupent une place centrale dans cette analyse. La démarche privilégiée est l'analyse spatiale. C'est l'exemple de la plupart des modèles urbains. Ils soutiennent par ailleurs que la géographie contemporaine, de son côté, essaye de combiner ces deux types de relations tout en ouvrant son analyse à d'autres domaines dont la psychologie et la sociologie (Mérenne-Schoumaker, 2017). Selon Brunet, le concept de milieu privilégie une analyse qui met « l'accent...sur les relations verticales des sociétés à leur environnement naturel »(Mérenne-Schoumaker, 2017, p. 83). Dans la géographie scolaire ivoirienne, le concept de milieu est déterminant dans l'explication de l'installation des populations et des activités économiques. C'est donc une géographie classique qui prédomine dans les programmes scolaires ivoiriens avec le concept de milieu. Cette géographie appartient à un mode de pensée idiographique. Pour Develay(1992), les concepts intégrateurs sont des savoirs structurants d'une discipline qui permettent de les distinguer des savoirs factuels. Les savoirs factuels autrement dit des faits ou des savoirs relevant de définition, de l'évidence, du réel et qui n'invitent pas à l'analyse ni à l'interprétation. Pour lui, les concepts intégrateurs, dans une perspective épistémologique, sont sélectionnés par une communauté scientifique et relatifs à un mode de pensée partagée par cette communauté. Les concepts intégrateurs sont les « noyaux durs d'une discipline »(Roure, 2013, p. 171). Roure est plus explicite sur la place des concepts intégrateurs : « Les concepts conditionnent les individus à sélectionner certains savoirs, qui en retour influencent la formation de concepts. Enfin, les concepts construits par les individus permettent de structurer les savoirs scientifiques, c'est-à-dire leur donner une cohérence d'ensemble. Ce versant de l'épistémologie peut être mis en relation avec les concepts intégrateurs ...au sens où ceux-ci interviennent dans la structuration des savoirs scolaires. De plus, cette approche de l'épistémologie postule que les matrices disciplinaires constituent des modèles de pensée, des façons de voir les choses, partagées par les chercheurs d'un domaine, qui fondent l'unité d'une communauté. Autrement dit, une matrice disciplinaire »(Roure, 2013, p. 170). 50 Dans l'enseignement de la géographie, ces concepts intégrateurs proposés par Hertig font partie de la troisième manière de penser le monde défini par Retaillé. Les concepts intégrateurs en géographie s'inscrivent dans le paradigme herméneutique de la géographie. Alors que le concept de milieu de la géographie ivoirienne appartient à un mode de pensée idiographique. Ainsi, le curriculum prescrit de géographie ne fait pas référence aux concepts intégrateurs. En m'appuyant sur le cadre théorique de la transposition didactique, deux règles importantes de la transposition didactique externes pourraient expliquer cette absence de concepts intégrateurs dans la géographie scolaire ivoirienne. D'abord, cela est lié à la non modernisation du savoir. La transposition didactique externe étant dévolue à la noosphère, celle-ci doit se réunir périodiquement pour mettre à jour les contenus d'enseignement en phase avec l'évolution des connaissances dans la science de référence. Et ensuite, à un déficit de renouvellement curriculaire, cela doit se comprendre par une attention particulière vis-à-vis de la science de référence en vue de rapprocher les savoirs scolaires de la science de référence et de l'éloigner du sens commun. En Côte d'Ivoire, depuis de nombreuses années, les programmes scolaires n'ont pas suivi de modifications majeures pour la rapprocher de la science de référence. Les savoirs scolaires sont éloignés de la science de référence et n'ont pas évolués en même temps que cette dernière. Malgré l'évolution de la géographie, la géographie ivoirienne est restée idiographique. Les constructeurs de programmes travaillent en vase clos et n'intègrent pas les nouveaux savoirs issus de la science de référence dans les programmes. Le cours sur l'urbanisation montre bien ce problème de non modernisation des savoirs et de renouvellement curriculaire. En dehors de l'approche pédagogique qui a changé, les contenus sont restés les mêmes. Ce même cours est enseigné depuis les années 2000. Avec les mêmes contenus à dispenser aux élèves selon le prescrit. Il n'y a donc pas eu un renouvellement des savoirs depuis plus de 20 ans alors que les travaux sur le fait urbain en Côte d'Ivoire ont évolué et sont nombreux. En témoigne, les instructions officielles de 2013 insistant sur les contenus inchangés des programmes en géographie depuis 2000 (voir annexe). Dans ce cas, Comment les enseignants amènent-ils leurs élèves à conceptualiser ? 2- Des pratiques ordinaires en classe de géographie en côte d'ivoire peu fondées sur la conceptualisation 51 Pour analyser les pratiques des enseignants, j'ai d'abord cherché à dégager les occurrences du fait urbain dans le curriculum prescrit, car les enseignants interrogés affirment tous s'appuyer sur le curriculum prescrit pour construire le cours à dispenser. À l'aide du logiciel Iramuteq, j'ai isolé le concept d'urbain et j'ai réalisé un graphique sur les occurrences de ce concept dans les programmes scolaires de géographie en Côte d'Ivoire. Graphique 1 : le fait urbain dans le curriculum prescrit ivoirien L'analyse de ce graphique montre que le fait urbain est abordé particulièrement dans les programmes de première et de seconde en Côte d'Ivoire que dans les autres classes. En classe de première, le fait urbain est beaucoup plus abordé. En classe de première, l'outil concordancier23 révèle que ce concept est associé à celui du paysage (paysage urbain) et en classe de seconde au concept de milieu (milieu urbain). Ma recherche s'est intéressée à la classe de première, car c'est en classe de première qu'un thème 24 porte essentiellement sur l'urbanisation. L'observation a porté sur la leçon 1 au programme de géographie en Côte d'Ivoire dont voici les instructions officielles à l'endroit des enseignants : COMPETENCE 2 : Traiter des situations relatives à l'urbanisation dans le monde THEME 2 : L'URBANISATION DANS LE MONDE Leçon 1: L'urbanisation dans les pays en développement: l'exemple de la Côte d'Ivoire. 23 Chemin qui permet d'accéder au segment de texte où apparait la forme 24 Thème ici doit être compris comme chapitre contenant deux ou trois leçons du programme 52 Durée: 04 heures Exemple de situation d'apprentissage : Au cours d'une exposition de photographies aériennes sur des villes de Côte d'Ivoire au Centre Culturel Jacques Aka, les élèves de 1ère A4 du lycée municipal Djibo Sounkalo découvrent sur une des images la ville de Bouaké en 1934.Emerveillés par cette découverte, l'un d'entre vous affirme: « Mais Bouaké en 1934 a la même étendue que mon village aujourd'hui. Donc mon village sera une grande ville plus tard ». De retour au lycée, vous entreprenez de faire des recherches au CDI de l'établissement pour connaître le fait urbain, analyser l'urbanisation en Côte d'Ivoire afin de déceler les problèmes urbains et proposer des solutions. Tableau 5 : tableau des habilités et contenus de la leçon de géographie sur l'urbanisation en Côte d'Ivoire
La présence du concept de paysage urbain est révélatrice de l'absence de modernisation du savoir et un déficit de renouvellement curriculaire de la géographie scolaire ivoirienne. Pour Brunet cité par Allemand et al. « le paysage est un piège où se prennent les imprudents » (Allemand et al., 2005, p. 43). En effet, le paysage, un concept essentiel de la géographie classique, a su être réinventé pour devenir un concept de la géographie contemporaine. Ce même concept appartient à des paradigmes différents de la géographie. Un paysage de la 53 géographie classique avec une conception radicalement opposée au paysage tel que le conçoit la géographie contemporaine. Max Sorre, disciple de Vidal, affirme : « toute la géographie est dans l'analyse du paysage » (Simon, 2015, p. 3). L'analyse paysagère permet de rendre compte de la singularité des lieux. Elle s'attache à décrire les différents paysages, les formes et les activités et les transformations humaines d'un lieu. Elle s'intéresse à la description des sociétés. Le paysage permet de rendre compte des genres de vie (Simon, 2015). Pour Robic, l'analyse paysagère s'intéresse au visible. À ce propos, Isabelle le Fort, estime que la vue est l'organe par excellence de la science géographique (Simon, 2015). C'est une démarche empirique fondée sur l'observation et la description des contrées. La géographie devient une science de synthèse rendant compte de la particularité de chaque lieu. À cette conception du paysage s'oppose celle de Augustin Berque. Pour ce dernier, l'analyse paysagère permet de rendre compte des « dimensions esthétiques, mentales et sociales de l'espace »(Allemand et al., 2005, p. 46). En effet, l'analyse paysagère s'intéresse à l'invisible, aux représentations des sociétés sur leur espace porteur de valeurs et de sentiments. Anne Cauquelin souscrit à l'analyse de Berque en affirmant : « Il s'agit bien ici, avec le paysage, d'un a priori (la forme symbolique qui filtre et cadre nos perceptions du paysage) [et] cet a priori est inclus dans un système d'orientation et de valeurs accordées, produit d'une genèse »(Allemand et al., 2005, p. 45). En ce sens, le paysage n'est plus seulement un objet réel mais une fabrication et production. C'est à ce paysage que s'intéresse la géographie contemporaine. La géographie scolaire ivoirienne, invitant une description du paysage s'inscrit dans la géographie classique car elle renvoie à la morphologie de la ville, à la description et à la typologie des villes. Cette approche est analogue à celle prônée par la géographie tropicale qui s'est intéressée à la localisation, aux monographies des villes et à décrire leur fonction. Cette analyse confirme l'absence de modernisation du savoir et un déficit de renouvellement curriculaire de la géographie scolaire ivoirienne. Les observations ont porté sur la leçon 1 de géographie en classe de première sur l'urbanisation. J'ai observé quatre enseignants de lycée, selon une grille d'observation construite à partir de la médiation sociocognitive des apprentissages de Britt-Mari Barth (en annexe). Les résultats de ces observations sont présentés dans le tableau suivant : 54 Tableau 6 : démarche méthodologique des enseignants observés
L'analyse du tableau montre que les enseignants ont utilisé une approche pédagogique différente. E1, E2, E3 ont utilisé un modèle transmissif des savoirs pendant que E4 a utilisé un modèle socioconstructiviste des savoirs. E1, E2, E3 n'ont pas utilisé de support de cours. Au niveau de l'approche pédagogique, E1, E2, E3 ont dicté le cours. Mais E4 a exploité le texte avec ses élèves par un cours dialogué. En effet, après chaque question posée aux élèves, ils valident la réponse et demande aux élèves de noter les informations (le cours) puis il les complète. Les élèves de E4 sont placés en activité de recherche d'informations dans le texte. E4 utilise la boucle didactique. Seul E4 a essayé de solliciter les élèves pendant la séance de cours. Il a déroulé son cours, selon la boucle didactique. E1, E2, E3 ont utilisé un modèle transmissif du savoir, car ils estiment qu'il est difficile d'appliquer la méthode active au regard du manque de matériel didactique et de la nécessité de terminer les cours. E1 affirme à ce propos : « c'est l'APC que je fais, mais on ne tire pas les documents, je ne me peux pas prendre mon argent pour tirer pour les élèves, bon je fais un peu d'effort pour expliquer, c'est ça ». E4 a privilégié un cours dialogué. Ce type d'enseignement s'inscrit dans une succession de boucle didactique. L'enseignant pose des questions à partir d'un document, l'élève y répond, l'enseignant par la suite valide puis complète les informations. 55 Les réponses sont tirées du texte et ne favorisent pas un réel apprentissage des élèves, car les savoirs produits sont des savoirs factuels ou des savoirs de « basse tension intellectuelle »(Thémines, 2016, p. 129). Ainsi, pour Lautier et Allieu-Mary, cela suppose que « l'enseignant contrôle de fait l'argumentation didactique en disant le «vrai» et assoit, par son propos, l'«autorité» des savoirs comme la sienne ; l'élève, le plus souvent privé de réelle prise en charge énonciative, est invité à l'«adhésion» d'un «texte» à apprendre »(Doussot, 2014, p. 580). Dans les deux cas présentés, les enseignants prennent en charge la conceptualisation. Le savoir est construit par les enseignants et transmis aux élèves. L'absence de support pour les cours de E1, E2, E3 montre la prise en charge de la conceptualisation par l'enseignant. En ce qui concerne E4, même s'il a utilisé un texte, il n'a permis la construction du savoir, car le texte n'est qu'un prétexte pour justifier la mise en oeuvre d'une méthode active, mais finalement, c'est l'enseignant qui a transmis les savoirs déjà construits aux élèves. Au niveau des ressources pédagogiques utilisés par les enseignants, l'analyse de la grille d'observation a montré que seul E4 a utilisé un texte. Et aucun enseignant n'a utilisé de carte comme proposé dans les instructions officielles. Alors que la carte est un outil important pour le géographe, elle permet d'exprimer le savoir sous une forme concrète. Les enseignants ont utilisé de nombreux concepts : hiérarchie urbaine, réseau urbain, ville géante et multifonctionnelle, armature urbaine, ville macrocéphalie. Malheureusement, les concepts ne sont pas mis en relation et leurs attributs ne sont pas définis. Il faut rappeler que ces enseignants ont dispensé à quelques mots près les mêmes contenus. Quand l'enseignant évoque un concept, il en donne la définition aux élèves qui doivent la noter. Pour ces enseignants, les concepts ne sont pas perçus comme des éléments structurants du savoir. Ils les évoquent sommairement. Pourtant, les réponses de E2 et E4 relatives à la question de qu'est-ce qu'un concept pour vous ? montrent que ces enseignants ne savent pas l'utilité d'un concept E4 : « j'ai pas tout de suite chercher le mot ou concept, mais je pense que c'est c'est le mot sur lequel tout le Monde se met d'accord sur le sens voilà. » E2 : « le concept. C'est on m'a dit. Un mot important qu'on va utiliser, qui englobe plusieurs caractéristiques relatives à un phénomène donné, un phénomène géographique. ». Les réponses de E1 et E2 sont restées assez évasives sur cette question, par exemple pour E3 : « on parle d'un concept, je pense qu'on fait allusion à une création, faire une création» 56 Cette définition assez évasive du concept montre que les enseignants ont également du mal à définir le savoir à enseigner et à le structurer autour des concepts. Ils sont cependant unanimes sur la pertinence de la structuration des apprentissages autour des concepts. 57 CHAPITRE 4 : LE MODELE OPERATOIRE DU CONCEPT, UN OUTIL INNOVANT POUR LA CONCEPTUALISATION Le modèle opératoire du concept, explicité dans le chapitre 2, a été expérimenté dans le cadre de cette recherche dans deux classes de première. Une expérimentation que j'ai menée dans ma classe et une autre menée par une collègue avec ses élèves. Mon expérimentation me met dans la posture du praticien chercheur. Un praticien chercheur est un professionnel qui mène des recherches sur son terrain et sur ses propres pratiques d'enseignement. Cette posture exige de mettre à distance sa propre pratique pour en faire un objet de recherche (Gaujal, 2022). Au-delà de ma pratique, il fallait expérimenter le modèle avec un autre collègue pour lever les biais importants liés à ma propre pratique. Ces séances de cours s'appuient sur la médiation sociocognitive des apprentissages de Britt-Mari Barth explicité dans le chapitre 2. Pour Britt-Mari Barth, elle se décline en deux phases capitales : la phase préparatoire et la mise oeuvre. Après avoir présenté ces deux phases, nous ferons une analyse des séances puis le bilan de ces deux séances. 1- Phase préparatoire de l'expérimentation du modèle La phase préparatoire est relative aux activités menées par l'enseignant en dehors de la classe. Son but est de rendre le savoir accessible pour l'élève. L'outil indispensable pour cette phase est le modèle opératoire du concept (Barth, 2012a). C'est-à-dire l'étiquette, les attributs et les exemples. Pour ce faire, il faudra d'une part définir le savoir à enseigner en fonction du niveau d'abstraction recherché et d'autre part l'exprimer sous une forme concrète à travers le choix des exemples. 1.1- Définir le savoir à enseigner La ville et l'urbain n'ont jamais fait l'objet d'un apprentissage explicite. Ce que les élèves gardent généralement à l'esprit, ce sont les architectures urbaines du nord et du sud. À travers l'étude de l'urbanisation des pays en voie de développement : l'exemple de la Côte d'Ivoire d'une part et des pays développés avec la France25 d'autre part, ils se construisent « une carte mentale du monde qui exprime un modèle culturel implicite » (Clerc, 2001, p. 34). Cette 25 Respectivement leçon 1 et Leçon 2 du thème 2 du programme de géographie première prégnance des représentations du monde fait perdre de vue, l'élément central de ce chapitre sur l'urbanisation dans le monde. Des définitions nombreuses sont données à la ville. Ces critères qui varient d'un espace géographique à un autre et ne permettent pas de saisir pleinement le concept d'espace urbain. Ainsi, pour permettre aux élèves d'acquérir des connaissances stables et structurées, il importe de définir le concept d'espace urbain. Pour commencer, Britt-Mari Barth propose de situer le concept dans le programme scolaire concerné. Notre activité porte, à cet effet, sur le programme de la classe de première sur le thème 2 : l'urbanisation dans le monde. Ce programme en géographie est axé sur des compétences à développer chez les élèves, mais aussi sur des savoirs géographiques. Pour Hertig « les savoirs géographiques combinent de manière dynamique les éléments qui relèvent des connaissances « factuelles » (notions, compréhension de processus), la maîtrise des outils de la discipline, qu'ils lui soient spécifiques ou non (cartes, images, données statistiques, etc.) ». Les habiletés sont des compétences transversales. Elles se retrouvent dans toutes les autres disciplines scolaires. À ce sujet, Hertig propose que ces trois éléments, c'est-à-dire les notions, les outils et les capacités transversales soient articulés autour des concepts intégrateurs qui sont des outils de pensée en géographie. Pour permettre aux élèves d'appréhender sur le plan géographique ce processus global et de pouvoir lire et analyser tout espace géographique, selon les finalités de la géographie, j'ai porté mon attention sur le concept d'espace urbain. Figure 10 : hiérarchisation des concepts
58 Source : d'après (Barth, 2012b) 59 Quels attributs semblent essentiels pour le concept d'espace urbain ? d'après M. Lussault, l'espace urbain est caractérisé par de nombreux concepts. Mais en fonction du niveau de complexité, de validité, d'interrelation, niveau d'abstraction recherché, j'ai retenu quatre attributs : V' Agglomération V' Mobilité V' Urbanité V' Fonctions Le concept d'espace urbain est un concept conjonctif. L'espace urbain est défini par cet ensemble d'attributs. Cette carte mentale permet de mettre en avant les attributs du concept et inscrit le concept dans un réseau de concepts. Par exemple, le concept d'agglomération est un attribut du concept d'espace urbain et possède lui-même ses propres attributs. Il en est de même pour les utres attributs du concept d'espace urbain. Le plus important pour les élèves est de tisser les liens entre ces différents attributs et de comprendre leur sens. 60 Figure 11 : carte mentale du concept d'espace urbain et et et 1.2- Le choix des exemples Le choix des exemples représente une étape importante dans la mise en oeuvre de ce modèle. L'exemple permet d'exprimer le savoir sous une forme concrète. Il existe deux types d'exemples : les exemples oui et les exemples non. Les exemples oui contiennent les attributs du concept. Les exemples non ne contiennent aucun attribut du concept, mais ils permettent de préciser le sens du concept. Selon Britt-Mari Barth, il faut privilégier les documents visuels notamment les photographies, car ils sont porteurs de sens pour les élèves et permettent de susciter leur attention. Mais il faut également varier les supports. 61 Figure 12 : exemple oui 1 Tableau 7 : exemple oui 2 composition de la population de Londres (8 millions en 2020)
62 Figure 13 : exemple oui 3 croquis de la Côte d'Ivoire Figure 14 : exemple non 1 récolte de cacao à l'ouest de la Côte d'Ivoire 63 Figure 15 : exemple oui 4 photographie d'une commune d'Abidjan 64 Figure 16 : exemple non 2 photographie aérienne d'un village au sud-ouest de la Côte d'Ivoire 65 Figure 17 : carte de la France 66 Figure 18 : une sous-préfecture au Nord de la Côte d'Ivoire 67 2- Mise oeuvre du modèle dans deux classes de première La leçon a été présentée dans deux classes différentes. Ma classe de première A 2 au lycée moderne 2 Agboville puis par une collègue dans sa classe de Première A 2 au lycée moderne 1 Agboville. Nous avons choisi les exemples et conçu une fiche de leçon à mettre en oeuvre dans les deux classes. Elle a suivi la séance que j'ai menée avec mes élèves avant qu'elle ne fasse le même cours dans sa classe. Le cours sera présenté sous forme d'une fiche de leçon. La séance commence avec une consigne qui représente un contrat d'intersubjectivité, selon Britt-Mari Barth. Pour elle, le contrat d'intersubjectivité « vise à créer la confiance nécessaire pour s'engager dans le processus enseigner/apprendre. Il permet aux élèves et à l'enseignant d'avoir des présupposés communs quant au sens de l'activité qu'ils vont entreprendre ensemble »(Barth, 2012b, p. 228). ETIQUETTE ESPACE URBAIN ATTRIBUTS AGGLOMERATION
URBANITE
TYPE DE CONCEPT CONCEPT CONJONCTIF (RELATION ET ) FICHE DE LECON Notre séance de ce jour va porter sur un espace géographique particulier. Vous serez invités à partir des attributs et propriétés présentés dans les exemples à l'identifier. Cette séance se présentera comme un jeu, je vous proposerai des exemples de deux types. Des exemples contenant les attributs de ces espaces qu'on nommera exemple oui puis des exemples ne contenant aucun attribut qu'on nommera exemple non. N'hésitez pas à prendre la parole et à faire des propositions. L'erreur est admise et peut nous permettre de progresser. Notre objectif est de parvenir à une définition ou une compréhension commune. Vos réponses seront notées au tableau puis celles jugées par vous non pertinentes au regard 68 des autres exemples seront retirées et les autres gardés afin de nous permettre de construire notre concept. 69
70
71
72 Cette fiche de leçon est à titre indicatif, car les réponses des apprenants ne peuvent pas être connues d'avance et sont susceptibles de varier. Mais elle permet à l'enseignant d'avoir un guide afin de conduire la séance. Cette fiche de leçon à garder le même format que celle utilisée habituellement par les enseignants. Ce qui reste important, c'est d'inviter les élèves à expliquer leurs réponses. Il revient également à l'enseignant de savoir négocier le sens pour parvenir à une définition commune du concept. Les élèves ont été mis en groupe pour faciliter les interactions entre eux puis entre eux et l'enseignant. Après cette étape, il est important de passer à la phase d'institutionnalisation pour formaliser le savoir construit avec les élèves. À ce propos, Britt-Mari Barth recommande de faire une carte mentale pour favoriser l'apprentissage et la mémorisation par les élèves. Une carte mentale simplifiée a été proposée aux élèves en s'appuyant sur celle présentée plus haut. 3- Analyse des séances de cours Cette démarche vers l'abstraction proposée dans la fiche de leçon a été présentée dans le cadre théorique. Elle a été simplifiée par Britt-Mari Barth dans son ouvrage26. E5 correspond à ma classe et E6 à la classe de ma collègue ayant participé à l'expérience. J'ai mené la première séance de cours en présence de ma collègue pour lui permettre de comprendre le modèle à mettre en oeuvre dans sa classe. Elle a mené une seconde séance de cours. L'analyse de ces séances s'appuie sur la grille d'observation de cours présentée plus haut. Elle a pour but de voir si les enseignants innovent et conduisent les élèves vers la conceptualisation. Tableau 8 : démarche méthodologique de E5 et E6
26 Voir annexe 73 DEMARCHE
L'analyse de la grille d'observation montre que les deux enseignants ont utilisé les mêmes démarches méthodologiques. À travers la lecture du contrat d'intersubjectivité les enseignants ont défini les objectifs de la séance. Les enseignants ont pris en compte les représentations et les perceptions des élèves sur la ville lorsqu'ils ont noté de manière progressive leurs différentes réponses au tableau à partir des supports distribués. Voici une liste d'informations données par les élèves que j'ai notés au tableau lors de ma séance de cours : Figure 19 : les notes au tableau de ma séance de cours 74 En outre, les élèves ont été regroupés pour faciliter d'une part les interactions entre eux puis entre eux et l'enseignant. Les élèves étaient dans une posture de recherche et de co-construction du savoir. Il faut préciser que dans les séances de E1, E2, E3, E4, les élèves travaillaient de manière individuelle. La photo ci-dessous, montre l'organisation des élèves en groupe de travail lors de ma séance de cours. Figure 20 : groupe d'élève participant à la séance de cours La place de l'enseignant est primordiale dans ce modèle. Il négocie le sens, il accompagne les élèves dans leur processus de recherche. La négociation de sens est primordiale pour rassurer l'élève et lui faire comprendre pourquoi on ne partage pas son idée ou pourquoi il est important d'être encore plus explicite avec ses réponses. Ainsi, les élèves expliquent et argumentent leurs réponses. Pour faciliter la recherche des attributs, nous avons proposé des documents variés (exemple oui) qui peuvent contenir un ou deux attributs du concept. Les exemples non ont été introduits pour permettre aux élèves de préciser le sens du concept en écartant des idées qui ne 75 sont pas des attributs du concept. Les explications des élèves étaient très importantes dans ce processus, car elles témoignent de leur implication dans le cours. Le rôle de l'enseignant est donc essentiel pour permettre aux élèves de donner du sens au savoir. Dans la mesure où, il guide le processus de construction du savoir vers une définition commune. La photo ci-dessous montre l'enseignant E 6 dans une négociation de sens : Figure 21 : séance d'expérimentation du modèle d'une collègue avec ses élèves Les enseignants E5 et E6 par leur démarche méthodologique ont amené les élèves à conceptualiser. Ils ont été également mis en relation les différents attributs du concept présentés dans la carte mentale. Ces enseignants ont innové et ont proposé des pratiques pédagogiques opposées à celles de E1, E2, E3, E4. Un bilan des savoirs s'avère nécessaire pour vérifier l'appropriation du concept par les élèves. 4- Bilan de savoir Cette évaluation porte sur un autre espace géographique pour vérifier la capacité de transfert et de généralisation du concept par les élèves.
77 Document 2 A partir des documents, expliquez pourquoi Dakar est une macrocéphalie ? Quel est l'objectif de cette évaluation ? Un concept scientifique est un outil de pensée ou un savoir outil. Au-delà de ses fonctions de discriminations, d'interprétation des phénomènes, il permet, par ailleurs, de les expliquer. C'est pourquoi, selon Astolfi(2008, p. 26) « Un concept est un point de départ pour l'activité intellectuelle, car il confère un pouvoir explicatif nouveau pour celui qui en maîtrise l'usage ». Ainsi, pour cette évaluation, j'attends que les élèves mettent en relation dans leurs explications les attributs du concept de « macrocéphalie ». Cette évaluation ne sera pas notée, mais elle sera évaluée, selon la grille d'évaluation proposée par Britt-Mari Barth. Cette grille décrit trois niveaux d'acquisitions des concepts : - La reproduction : c'est savoir reconnaitre le concept et le nommer. Ici, nous concevons la reproduction comme reproduction des idées du texte. - Abstraction : c'est savoir justifier cette reconnaissance en en nommant les attributs essentiels. Ce sont des élèves qui ont pu citer des attributs du concept en les expliquant. - La généralisation ou le transfert : c'est savoir générer ses propres exemples du concept en les justifiant.(Barth, 2013). Ce tableau présente les différents effectifs des classes évaluées. Tableau 9 : effectifs des classes évalués
Tous les élèves ont participé à l'évaluation proposée à des moments différents. Cette présence s'explique par l'administration de ces évaluations par leurs professeurs lors de leurs séances de cours avec leurs élèves. Tableau 10 : résultats de l'évaluation
78 J'ai réalisé un graphique pour mieux visualiser les résultats. Répartition des élèves par niveau
d'appropriation
79 Graphique 2 : répartition des élèves par niveau d'appropriation du concept de « macrocéphalie urbaine » Le graphique montre que les élèves qui sont restés au niveau de la reproduction sont les plus nombreux et que peu d'élèves sont arrivés à l'abstraction, notamment 15%. Aucun élève n'est parvenu à la conceptualisation. Les élèves de E5 et E6 sont plus nombreux à avoir atteint l'abstraction que ceux des autres. Les réponses des élèves pouvant être assimilées à une reproduction sont celles qui sont fondées sur un vocabulaire concret et une reproduction des idées du texte. Voici trois exemples de copies : 80 COPIE 2 COPIE 3 81 Ces élèves ont reproduit les idées du texte et n'ont pas définis les attributs du concept. Ces élèves n'ont pas conceptualisé. Les élèves ayant atteint le niveau d'abstraction sont ceux ayant utilisé un vocabulaire abstrait et définis les attributs du concept de « macrocéphalie urbaine ». Voici deux exemples de productions d'élèves : 82 COPIE 4 83 COPIE 5 5- Bilan de l'expérimentation 5.1- Bilan de l'expérimentation du modèle opératoire des concepts Cette expérimentation a permis aux élèves de s'approprier un nouvel outil de pensée. Elle a permis également de motiver ces derniers quant à une nouvelle façon de voir le savoir. Même si le modèle semble parfait, force est de constater des difficultés d'ordre financier et matériel dans l'administration du modèle. La première provient de la production des supports, qui a un coût de revient assez élevé pour les enseignants. Pour une séance, les images et les photographies à produire sont à la charge de l'enseignant. La photocopie couleur d'un document revient à 200FCFA l'unité. Pour un effectif moyen de 60 élèves, il faut débourser 8000FCFA même si l'organisation de la classe en petit groupe permet de réduire les coûts. Au niveau pédagogique, il faut relever l'importance du contrat d'intersubjectivité qui permet une adhésion des élèves au modèle et une rupture avec les pratiques ordinaires, mais aussi que par moment l'enseignante avait tendance à expliquer longuement certaines réponses alors que cela relevait de la compétence des élèves à argumenter. Au début de mon cours, j'ai également sous-estimé la capacité de perception des élèves ce qui a entrainé de nombreuses hésitations dans l'exploitation du document, mais la motivation des élèves et leur adhésion a permis de produire une séance de cours animé et dense en échange. 84 5.2- Bilan de l'évaluation Cette évaluation ne saurait rendre compte objectivement du niveau d'acquisition des concepts par les élèves. En effet, un biais important est à relever dans l'administration de l'évaluation. La séance de cours a porté sur le concept d'espace urbain alors que l'évaluation a porté sur la notion de macrocéphalie urbaine. Même si cette notion a été abordée lors de la séance, elle n'a pas fait l'objet d'un apprentissage explicite ou de conceptualisation. Ma volonté de voir les élèves construire eux-mêmes les concepts, a peut-être été une demande d'un niveau cognitif un peu élevé. Néanmoins, les élèves ayant assisté au cours, selon le modèle opératoire du concept ont adhéré au modèle. Conclusion La ville et l'urbain constituent des objets de la géographie. L'étude de ces espaces géographiques est importante pour saisir les réalités sociales actuelles. La géographie scientifique ivoirienne a abordé largement cette question. Quant à la géographie scolaire, l'analyse lexicométrique menée sur le curriculum prescrit a montré que cette question est très peu abordée et que les concepts intégrateurs sont très peu pris en compte par les programmes. Ces programmes sont en déphasage avec l'évolution des savoirs scientifiques sur le fait urbain en raison d'une absence de modernisation de ces savoirs et un déficit de renouvellement curriculaire. L'observation des pratiques enseignantes à montrer que les enseignants privilégient un modèle transmissif des savoirs, ce qui ne permet pas aux élèves de construire des concepts, car l'enseignant lui-même prend en charge toutes les opérations liées à la conceptualisation. Le modèle opératoire du concept est un modèle innovant qui a permis aux élèves de construire des concepts. Ils se sont impliqués dans les séances de cours proposés et ont adhéré au modèle. Néanmoins, des problèmes d'ordre matériel et financier liés surtout aux coûts de productions de supports de qualités ont été révélés lors de l'expérimentation. Cette recherche mérite finalement d'être étendu à d'autres enseignants du fait de sa pertinence sur le plan didactique, mais aussi d'être approfondie en prenant en compte les origines sociales des élèves qui peuvent représenter un obstacle à l'apprentissage tel que théorisé par Elisabeth Bautier. 85 |
|