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Le Docteur Bendjelloul: l'opposition loyale à  la colonisation ? (1930-1962)


par Hélène Koning
Sciences Po Paris - Master 2024
  

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B - Plus qu'un leader charismatique, un programme politique

L'entreprise politique de Bendjelloul est marquée par la recherche d'un rapport direct à ses électeurs. Sa stratégie connaît un succès massif dans les années 1930 et Bendjelloul continuera dans une moindre mesure à endosser ce rôle de porte-parole du peuple jusqu'à la fin de sa carrière 3.

Le dimanche 17 mai 1936, la FEM organise une réunion publique au théâtre municipal de Constantine. Dans l'Entente du 28 mai 1936, A. Debabeche, secrétaire de la réunion, fait un rapport de cette journée4. Il évalue à cinq mille le nombre des auditeurs ayant pu assister à la réunion et estime qu'au moins autant de personnes ont dû rester dehors faute de place dans la salle. Le Docteur Bendjelloul préside la réunion, entouré des élus de la ville. L'article mentionne

1 Florence Bernault, Cours Magistral de Formation Commune Introduction du African History since 1800, « Session 9: Settlers Colonies and Violent Decolonization: South Africa and Kenya », semestre d'automne 2022, Sciences Po Paris. Cours non publié.

2 Préfecture de Constantine, « Dossier Bendjelloul (1934-1940) - Surveillance politique des indigènes », doc. cit., p. 26.

3 Voir infra : partie II le télégramme à Pétain de 1942 et partie III la profession de foi de 1951 et la motion des 61 de 1955.

4 A. Debabeche, « Nos élus engagent une vive Action », art. cit., p. 2.

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 45

la présence de deux policiers chargés du service d'ordre, et au début et à la fin de la réunion, on appelle au calme, un enjeu important de la crédibilité politique des Algériens colonisés.

Bendjelloul débute en rappelant son action « et celle de ses amis (Fédération) », et remercie la population d'avoir voté « en bloc pour les indépendants », par opposition aux candidats soutenus par l'administration. Il annonce ensuite que cette réunion a pour but de renouveler l'expression de la confiance de la population envers ses mandants, et l'article témoigne du soutien enthousiaste de l'assistance en rapportant les applaudissements et les cris de celle-ci :

Vive Bendjelloul ! Vive la Fédération !

Il [Bendjelloul] demanda à la salle de se prononcer (La salle manifesta par des applaudissements répétés sa confiance au Dr Bendjelloul, à ses amis et à la Fédération).1

La désignation des autres membres de la FEM comme les « amis » de Bendjelloul est un choix sémantique qui mérite d'être souligné. Il représente l'unité des Elus autour du programme incarné par Bendjelloul, figure de proue admirée. Dans son discours, Bendjelloul reconnaît que « l'action efficace que le peuple était en droit d'attendre d'eux ne paraît pas avoir eu d'effets »2. On voit ici qu'il tire sa légitimité populaire non seulement des urnes mais aussi d'un rapport plus fréquent et plus personnel à ses électeurs. Cette démarche précède la tenue du Congrès algérien, pour lequel les élus ont besoin « d'une autorité accrue » 3.

Après que divers représentants ont exprimé l'avis et les revendications principales de l'assistance pour ce congrès, Bendjelloul répond qu'il « avait déjà envisagé toutes les réformes demandées depuis 1933 » et promet qu'il « ne cessera [de revendiquer la réalisation des revendications de la population] jusqu'à entière satisfaction de tous ses mandants. (Applaudissements) »4. En se montrant prévenant et informé sur les besoins de ses mandants, Bendjelloul reste au-dessus des délégués qui se sont exprimés, ne se montrant pas dépendant

1 A. Debabeche, « Nos élus engagent une vive Action », art. cit.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 A. Debabeche, « Nos élus engagent une vive Action », art. cit.

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de leurs informations, ce qui relativise les allures de démocratie participative qu'aurait pu avoir cette réunion.

Ce soutien massif ne signifie pas l'absence de contestation de l'autorité de Bendjelloul comme chef du mouvement. Ainsi, le dossier de surveillance « Journal de la Fédération des Elus Musulmans », constitué autour du mois de décembre 1934 par la Sûreté Départementale de Constantine, relate entre autres les conflits qui opposent à cette époque Bendjelloul et Zenati, le rédacteur en chef du journal assimilationniste La Voix Indigène. Celui-ci a d'abord été le premier soutien de presse de la Fédération et de Bendjelloul, avant que des conflits divers ne conduisent La Voix indigène à reprendre son indépendance politique et la Fédération à fonder son propre organe de presse. Dans ce dossier de surveillance donc, l'administrateur de la commune mixte de Fedj-M'zala explique qu'une interview controversée de Bendjelloul, dans laquelle il aurait émis des réserves au sujet du projet Violette, aurait soulevé contre lui une vague de remise en question parmi ses partisans : des lettres et des délégations « lui auraient été envoyées de différents points du département » pour le sommer « de revenir sur ses déclarations »1.

L'Interview donné par le Dr Bendjelloul à la "Presse Libre" a provoqué l'indignation de Zenati et a provoqué/entraîné (sic) une rupture que l'on attendait d'ailleurs depuis longtemps. Zenati ainsi que plusieurs jeunes élus, trouvaient que Bendjelloul était trop "tiède", manquait d'allant et ne réalisait pas les espoirs que l'on avait mis en lui. [...]

On envisagerait même de lui susciter un concurrent aux prochaines élections, le Dr MOUSSA vraisemblablement, s'il ne se ralliait pas publiquement et solennellement au projet Viollette.

ABBAS et SAADANE, impatients de prendre la tête du mouvement, mènent la danse, affirmant qu'il n'est pas un chef et qu'on n'est plus sur (sic) de lui.

1 L'Administrateur de la Commune Mixte de Fedj-M'zala, Rapport au Préfet de Constantine (Affaires indigènes) n° 40.C.- Objet: Renseignements au sujet du Dr Bendjelloul et de Mr Zenati, Fedj-M'zala, Arrondissement de Constantine, Commune Mixte de Fedj-M'Zala, 1934.

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Des bruits sont répandus un peu partout contre lui. A Châteaudun, on prétendait ces jours-çi (sic), qu'il était "vendu aux Français".1

Selon l'usage des services du surveillance coloniaux, les sources de ces renseignements ne sont pas mentionnées, et la fiabilité des rumeurs évoquées dans ce rapport n'est pas évaluée. Les contestations émaneraient d'assimilationnistes déçus de le trouver moins radical que leur programme. De plus, l'administration aurait intérêt à entretenir de telles rumeurs afin de déstabiliser l'autorité de Bendjelloul. Un article de La Voix Indigène du 8 janvier 1935 prouve cependant l'existence d'une contestation de Bendjelloul au sein du camp assimilationniste. L'article retranscrit et répond à un tract intitulé « Aux Musulmans. Une mise au point » que Bendjelloul aurait fait distribuer à Constantine 2. Dans ce tract, Bendjelloul répond aux critiques qui lui sont faites suite à l'entretien controversé mentionné plus haut. Dans le tract, il affirme que soutenir le projet Violette était bien son élan personnel, et qu'il a seulement dit craindre que son adoption éventuelle ne déclenche des violences « anti-arabes »3. Ce démenti pourrait être le résultat des pressions exercées sur lui et mentionnées dans la note de surveillance, mais cette dernière est une source moins fiable que le tract et l'article de La Voix Indigène, sources produites par les acteurs de la controverse eux-mêmes.

Bendjelloul réaffirme son soutien et celui de la FEM au projet Violette, en insistant sur le maintien du statut personnel :

Ce projet que nous avons soutenu dans nos campagnes et qui reste un idéal pour les musulmans sera notre ligne de conduite et la Fédération des Elus des Musulmans [...] continuera à faire le sien (sic) et le défendra comme elle l'a défendu dans le passé, à condition que cependant notre STATUT PERSONNEL SOIT INTEGRALEMENT RESPECTE. 4 (majuscules dans l'original)

Le président de la FEM distingue dans son discours sa personne de son mouvement, tout en les montrant dans une unité d'action et de pensée. L'expression "Elus des Musulmans" (italique ajouté) accentue leur rôle de représentation du peuple et leur lien, leur service de leurs

1 Ibid. Châteaudun-du-Rhumel, actuelle Chelgoum-el-Aïd.

2 Rabah Zenati, « Le Docteur Bendjelloul », La Voix Indigène, n°299, 08/01/1935, Constantine, Imprimerie Attali.

3 Ibid.

4 Ibid.

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électeurs, qui sont intégrés à la politique et dont la mobilisation est sans cesse encouragée dans les tracts de la FEM.

Le tract se conclut par une attaque de Bendjelloul, sur la défensive, envers La Voix Indigène et son directeur, qui dans un précédent numéro avait accusé Bendjelloul de ne pas être aussi attaché que lui à l'assimilation et au projet Viollette. On voit dans la formulation de ces articles que le journal n'est pas un organe de propagande émanant directement de la FEM. Là où l'Entente se contente souvent d'acclamer et de rapporter telles quelles les actions et déclarations de Bendjelloul, La Voix Indigène témoigne d'une posture plus critique tout en restant dans l'ensemble favorable au chef de la FEM : le journal soutient le projet de Bendjelloul par conviction assimilationniste, mais reste libre de le critiquer.

On ne sait pas si les lettres de réaction à l'interview mentionnées plus haut sont envoyées par d'autres notables assimilationnistes ou si elles reflètent réellement la volonté de toutes les couches sociales de la population algérienne. Les historiens algériens s'accordent à penser que les assimilationnistes représentaient la voix de l'élite algérienne de cette époque mais pas celle de la population musulmane. Même dans ce cas, la popularité de Bendjelloul n'est pas un chèque en blanc mais est fondée sur sa fonction de représentant des aspirations de ses mandants. Bien que les assimilationnistes de cette époque soient appelés les amis ou les partisans de Bendjelloul, ce n'est pas seulement une personne charismatique qu'ils suivent mais bien des idées, un but politique.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld