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Le Docteur Bendjelloul: l'opposition loyale à  la colonisation ? (1930-1962)


par Hélène Koning
Sciences Po Paris - Master 2024
  

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Partie I - Le Docteur Bendjelloul, champion

assimilationniste de la cause algérienne (1930-1938)

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 24

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 25

I - Le réformisme assimilationniste, programme politique du Docteur Bendjelloul

Né en 1893 à Constantine d'un père instituteur de formation dans une famille de notables désargentés1, Mohammed Salah Bendjelloul effectue ses études de médecine à la faculté d'Alger dans les années 1910. Selon les documents de surveillance coloniale, Bendjelloul aurait ensuite été médecin de colonisation dans les Aurès dans les années 1920 avant d'installer son cabinet dans sa ville d'origine2. C'est à partir de ce moment que son activité politique devient publique, en tant que Président de la Fédération des Elus Musulmans (FEM) du département de Constantine, de 1932 à la Seconde Guerre Mondiale.

Durant ses études, Bendjelloul est témoin de l'essor du mouvement Jeune Algérien auquel appartiennent alors beaucoup de futurs personnages politiques de sa génération3. Ce mouvement politique, notamment dirigé par l'Emir Khaled, le petit-fils d'Abdelkader, revendique des réformes du système politique et l'égalité des droits pour les Algériens et les colons européens4. Le courant Jeune Algérien constitue l'émergence d'un discours politique assimilationniste. Les Jeunes Algériens respectent les formes et les cadres d'expression du discours politique français. Ils s'expriment en français, utilisent la presse, revendiquent l'accès aux droits civiques et à la citoyenneté française avec maintien du statut personnel musulman. Cette notion juridique distinguait les Français de statut personnel musulman des citoyens français de plein droit. Les colonisés souhaitant exercer leur pleine citoyenneté devaient renoncer à leur statut personnel musulman, ce qui s'apparente pour eux à une apostasie. L'un des combats des assimilationnistes est la revendication de la pleine citoyenneté sans abandon du statut personnel.

1 Entretien avec M'hamed Bendjelloul, fils de M.S.Bendjelloul, In Julien Fromage, Innovation politique et mobilisation de masse en « situation coloniale » : un « printemps algérien » des années 1930 ? L'expérience de la Fédération des Elus Musulmans du Département de Constantine, Thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2012.

2 Sous-Direction des Services Actifs de Police - Service Central des Renseignements Généraux, « A/S de M. BENDJELLOUL Mohamed Salah, ex-député de Constantine », Gouvernement Général d'Algérie, 1958. GGA 7G 1403, ANOM, Aix-En-Provence.

3 J. McDougall, A History of Algeria, op. cit, p. 181.

4 Voir Charles-Robert Ageron, « Le mouvement «Jeune-Algérien» de 1900 à 1923 », in Genèse de l'Algérie algérienne, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2005, p. 107-130.

Dans ce mémoire, on entend par assimilationnisme une aspiration à l'égalité formulée par les colonisés dans les formes du discours politique du colonisateur. Les adhérents à cet idéal, souvent des élites éduquées, se distinguent par une francophilie affirmée et professent leur reconnaissance au colonisateur, se considérant comme les preuves de la réussite de la mission civilisatrice. Bendjelloul s'inscrit dans cette dynamique, mais y associe une stratégie de mobilisation populaire revendicative, qui légitime le mouvement tout en répandant l'idée assimilationniste au-delà de l'élite urbaine.

A - La préface de 1935, une profession d'assimilationnisme

Figure 1 Deuxième couverture de « La

Vérité sur le Malaise Algérien » de

Kessous, Bône (Annaba), Société anonyme de l'imprimerie rapide, 1935.

En 1935, Mohammed-El-Aziz Kessous, alors rédacteur en chef de l'Entente, publie un essai de 115 pages intitulé « La Vérité sur le Malaise Algérien »1. La préface de ce livre est écrite par Bendjelloul, et est l'une des sources écrites par lui les plus longues dont nous disposions, et également la seule qui ait été publiée. « La Vérité sur le Malaise Algérien » s'inscrit résolument dans l'idée assimilationniste, et ce dès le verso de la page de titre où l'auteur dédicace son livre « à [ses] Maîtres de l'Ecole Primaire, de l'Enseignement Secondaire et des Facultés. »2.

Une analyse rapide de la couverture est révélatrice du rôle de Bendjelloul sur la scène politique algérienne des années 1930 : son nom est imprimé en plus grand que nom de l'auteur, et semble lui servir de légitimation, voire d'argument de vente.

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1 Mohammed-El-Aziz Kessous, La Vérité sur le Malaise Algérien - Préface du Dr Bendjelloul, Bône (Annaba), Société anonyme de l'imprimerie rapide, 1935.

2 Ibid.

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Dans sa préface, Bendjelloul appelle Kessous son « cher ami » et « un des membres les plus représentatifs de la jeunesse intellectuelle indigène »1. Il loue la qualité du travail de l'auteur pour « rétablir les faits dans leur exactitude » et « exposer [les] justes revendications » des Elus Musulmans, dans un contexte de « calomnies » et de « ragots » dont ils sont victimes2. En effet, moins d'un an avant la publication de ce livre, les 3 et 5 août 1934, la ville de Constantine avait été endeuillée par de violentes émeutes antisémites, perpétrées par des Algériens musulmans partisans de Bendjelloul ayant cru, dans un contexte de tensions exacerbées par la situation coloniale, que leur leader avait été assassiné. Cette émeute avait été instrumentalisée par les ennemis de l'assimilation des colonisés comme une preuve de leur sauvagerie et du danger qu'ils représenteraient s'ils étaient intégrés au corps des citoyens français3. Afin de contrer cette campagne de diffamation, Bendjelloul professe « les sentiments et les intérêts qui lient indéfectiblement à la France » les représentants des Algériens musulmans, et espère que, grâce au travail de Kessous, « on ne mettra plus en doute [leur] patriotisme » :

La France a comblé de bienfaits notre pays, nous l'avons toujours proclamé et nous le proclamerons toujours. C'est elle qui a construit ces écoles où des milliers d'enfants s'adaptent de plus en plus à une vie moderne où l'instruction est le premier des biens ; c'est elle qui a tracé des routes, établi des ponts, construit des hôpitaux, défriché des forêts, fertilisé des marais ce dont nous lui serons éternellement reconnaissants. Mais n'est-il pas vrai que ces progrès sont encore loin de suffire à tous les besoins, qu'ils ont été inégalement répartis et que leur jouissance est pratiquement refusée à la plus grande partie de la population laborieuse ? 4

Bendjelloul reprend des thèmes rhétoriques coloniaux, comme la mission civilisatrice ou plus loin la référence à l'empire romain, mais il ne se contente pas d'acclamer la colonisation,

1 Mohammed Salah Bendjelloul, « Préface », in La Vérité sur le Malaise Algérien - Préface du Dr Bendjelloul, Bone (Annaba), Société anonyme de l'imprimerie rapide, 1935, respectivement p. 7 et p. 5.

2 Ibid.

3 Pour une enquête de fond sur cet évènement et la complexité des facteurs ayant mené au pogrom, voir Joshua Cole, Lethal provocation, op. cit. L'auteur y présente également la rhétorique antisémite employée par Bendjelloul à cette époque à des fins électoralistes. Si les sources sélectionnées pour la réalisation de ce mémoire ne donnent pas suffisamment de matière pour discuter de cet aspect du discours politique algérien, le recours à l'antisémitisme de Bendjelloul et d'autres élus algériens musulmans est un fait avéré.

4 M. S. Bendjelloul, « Préface », art. cit., p. 7.

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comme l'ont fait les colons quelques années plus tôt lors des célébrations du centenaire de la colonisation de l'Algérie. Il commence par louer le travail accompli factuellement, avant de dénoncer les injustices dans la répartition des bénéfices en découlant. Il appelle les colonisateurs français, qui se voient comme les héritiers de l'Empire Romain en Afrique du Nord, à imiter leurs ancêtres : ne réduisant pas l'Afrique du Nord à une ressource en biens et en soldats mais laissant se développer l'élite intellectuelle : « des poètes, tel Apulée, des empereurs, tel Septime-Sévère, et des penseurs, tel Saint-Augustin »1. Plus largement, il affirme que la masse paysanne est restée dans le même état depuis la conquête malgré les nombreux bienfaits énumérés dont ne bénéficie pas la majorité des Algériens. Le principal apport de la colonisation pour ces masses est la sécurité, mais elle a été acquise au prix de la participation des Algériens à toutes les guerres du Second Empire et de la IIIe République. Cela leur confère « le droit de réclamer un traitement politique plus équitable et une vie matérielle meilleure »2. Dans ce texte, Bendjelloul reste réformiste et peu radical dans ses revendications. Il ne remet pas en cause la colonisation en soi mais appelle simplement à des améliorations : il ne dit pas que les Algériens ont droit à un traitement politique équitable mais « plus équitable » ; il ne réclame pas vie matérielle digne mais « une vie matérielle meilleure ».

Deux pôles de demande sont identifiables : la situation humanitaire, ou soulagement de « l'épouvantable misère dont souffre le paysan algérien »3, et le problème politique de la place des musulmans dans la cité française :

La France est aujourd'hui la deuxième puissance musulmane de l'Univers, et il se trouve que ses ressortissants Mahométans sont groupés à sa porte, la prolongent dans l'espace, et participent activement à sa vie économique et politique. C'est là une situation unique qui lui impose des devoirs spéciaux, très différents de ceux qui incombent aux autres puissances musulmanes, telles l'Angleterre ou la Hollande, dont les sujets mènent, à des milliers de lieux, une existence tout à fait particulière4 .

1Ibid., p. 6.

2 Ibid., p. 8.

3 Ibid.

4 Ibid., p. 9.

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A ceux qui jugent que l'Islam est incompatible avec la civilisation européenne, Bendjelloul répond avec une dimension transimpériale qui se retrouve régulièrement au cours du parcours politique de Bendjelloul. Il affirme que les spécificités de l'Algérie dans l'empire colonial donnent à la France une relation unique et une responsabilité particulière envers ces populations. La religion musulmane de celles-ci est une donnée avec laquelle la France doit composer, affirme Bendjelloul : si l'attachement des Algériens à l'Islam n'est pas négociable, il n'entre pas plus en contradiction avec le statut de citoyen français, tout comme l'attachement de certains Français à la chrétienté1.

Ainsi, l'assimilationnisme de Bendjelloul formulé dans ce texte se base sur une appropriation des motifs discursifs des colonisateurs français, pour mettre ces derniers face à leurs contradictions. Il demande d'eux ce que la propagande de la mission civilisatrice et de la France pays des Lumières promet : la liberté et l'égalité pour les colonisés. Ce texte est un aperçu clair et argumenté du programme porté par Bendjelloul en tant qu'élu au sein des institutions coloniales.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand