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Le Docteur Bendjelloul: l'opposition loyale à  la colonisation ? (1930-1962)


par Hélène Koning
Sciences Po Paris - Master 2024
  

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B - Être élu algérien dans un contexte de guerre de décolonisation

Le 17 juin 1951, Bendjelloul et ses deux colistiers sont élus avec 74,5 % des voix exprimées, occupant donc les trois sièges à pourvoir pour le département de Constantine à l'Assemblée Nationale2. Il s'investit dans différentes commissions : justice et législation jusqu'en 1953, puis commission de l'intérieur et commission des pensions jusqu'en 19553.

1Conseil de la République, « Journal Officiel du 20 Février 1948 », doc. cit, p. 315.

2 Mohamed, Salah Bendjelloul - Base de données des députés français depuis 1789 - Assemblée nationale, https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/615, consulté le 7 mai 2024.

3 Assemblée Nationale, « Feuilletons parlementaires du 5 juillet au 6 décembre 1951 - Tome Premier ».

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 103

Comme au Conseil de la République, il s'emploie à ce que l'Algérie soit prise en compte dans les textes votés pour la métropole, proposant par exemple une loi « tendant à étendre à l'Algérie les dispositions prises en métropole en faveur de l'enseignement privé », qui ne sera pas adoptée1.

La fin de son mandat est marquée par le déclenchement de la guerre d'indépendance, et l'Assemblée devient une arène où s'opposent des visions irréconciliables sur la politique à suivre, entrainant des changements de gouvernement à répétition. A l'été 1954 déjà, Bendjelloul aurait pris la parole pour « une mise en garde solennelle » du gouvernement, « au nom de l'Islam » : la situation en Algérie est critique, le prestige de la France est « tombé à zéro auprès des populations musulmanes »2. Après la Toussaint rouge et la déclaration de guerre du FLN contre la France, Bendjelloul multiplie les interpellations au gouvernement et à ses collègues, prend la parole pour souligner la gravité de la situation dans les départements algériens. Plusieurs autres députés prennent conscience de la gravité d'une situation que Bendjelloul exposait déjà dix ans auparavant. Le conflit s'enlise, la loi instaurant l'état d'urgence est votée dans la nuit du 31 mars 1955 après des débats houleux, au cours desquels Bendjelloul a fait partie des opposants à cette mesure. Cette loi implique que les élections ne soient pas tenues en Algérie tant que l'état d'urgence n'est pas levé, les Algériens ne sont donc plus représentés à l'Assemblée après la fin de cette deuxième législature en 1956.

Lors des débats du 4 février 1955, Bendjelloul affirme que la France ne peut désormais plus se contenter de répression des insurgés ou même de réformes progressives, et appelle encore de ses voeux une assimilation totale de l'Algérie à la France :

Il n'y a pas d'autre terme à l'évolution de l'Algérie que l'autonomie (...) ou l'assimilation totale (...). Nous sommes, nous, partisans des réformes qui conduiront à l'assimilation de l'Algérie et de la métropole.3

1 Mohamed, Salah Bendjelloul - Base de données des députés français depuis 1789 - Assemblée nationale, https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/615, art. cit.

2 Assemblée Nationale, « Journal Officiel du 10 août 1954 - Débats Parlementaires ».

3 Assemblée Nationale, « Journal Officiel du 4.2.55 - 2e séance ». Cité d'après Mohamed, Salah Bendjelloul - Base de données des députés français depuis 1789 - Assemblée nationale, https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/615, art. cit.

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 104

En ce début de guerre d'indépendance, Bendjelloul n'a pas encore renoncé à l'assimilation et au réformisme. Il sait la gravité et la profondeur de la crise. Il sait que les chances de réussite d'une politique d'intégration de l'Algérie à la métropole coloniale ont disparu depuis longtemps aux yeux des nationalistes algériens, et que les colons français n'ont pas témoigné de changement d'état d'esprit. De la part d'un homme qui connaît bien le contexte algérien, continuer de croire à l'assimilation ne relève plus du calcul politique rationnel mais de la conviction intime ou de la croyance. Cette conviction disparaît rapidement dans les mois de guerre qui suivent cette déclaration, et à partir de l'été 1955, Bendjelloul rejette officiellement la politique d'intégration, après trente ans de persistance dans le combat assimilationniste. Les contemporains de Bendjelloul perçoivent la profondeur de ce changement chez celui qui s'était « jusqu'ici signalé au Palais Bourbon, par son extrême francophilie »1. Si désormais Bendjelloul abandonne le volet assimilationniste de son combat politique, il ne se retire pas pour autant et poursuit son action revendicative légale au sein du Groupe des 61.

1 J.F. Dupeyron, « Les semaines algériennes succèdent aux semaines marocaines », Sud Ouest, 26 septembre 1955.

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III - La motion des 61 : dernier effort des réformistes (1955 - 1962)

Après le début de la guerre d'indépendance en novembre 1954, Bendjelloul occupe encore son mandat pendant un an, jusqu'au vote de l'état d'urgence en Algérie en 1955, en conséquence duquel les élections ne sont plus tenues sur le sol algérien. Dans ce contexte, il est l'artisan majeur d'une déclaration commune de soixante-et-un élus algériens de différentes institutions françaises, dite « Motion des 61 »1. Publiée le 20 août 1955, cette motion reconnaît que l'idée nationaliste est désormais majoritaire dans la population algérienne et que leurs représentants élus se doivent de relayer cette orientation.

Les signataires de la motion représentent différentes tendances politiques. On y retrouve notamment Ferhat Abbas2, leader de l'UDMA depuis la fin de la guerre, ce qui montre que la rupture idéologique ou personnelle entre lui et Bendjelloul n'était pas totale, comme le croient les services de renseignements depuis le milieu des années 1940. Cette diversité de signataires s'inscrit en continuité de la volonté de Bendjelloul d'être l'interlocuteur de l'Etat français au nom d'une Algérie unie dans ses revendications. Son aspiration au leadership lui impose d'être consensuel. Dans le cas de la motion des 61, cette union réussit à attirer l'attention voire à inquiéter les autorités françaises, qui multiplient les notes de surveillance au sujet des différents signataires3. Cet acte perçu comme une forme de rébellion nationaliste au sein même des institutions coloniales provoque une crise politique.

L'appréciation de l'importance de Bendjelloul au sein du Groupe des 61 varie selon les documents de ce dossier4. Ainsi, dans une note du 12 avril 1956, le Chef de la PRG d'Alger résume les différentes tendances au sein des 61 en citant les principaux chefs de file de chacune,

1 Phillip C. Naylor, « Bendjelloul, Mohammed Saleh (1893-1985) », in Historical Dictionary of Algeria, Lanham, MD, United States, Rowman & Littlefield Unlimited Model, 2015, p. 119.

2 Gouvernement Général de l'Algérie, « Liste des signataires de la motion Bendjelloul (Motion hostile à l'intégration) », 1955, GGA 11CAB 78, ANOM, Aix-En-Provence.

3 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier Assemblée Algérienne - session du 27.9.55- réformes-intégration », 27 septembre 1955, GGA 11CAB 78, ANOM, Aix-En-Provence.

4 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier Comité de Coordination et d'action des Elus Musulmans dit «Groupe des 61» », 1955 -1957, GGA 12CAB 205, ANOM, Aix-En-Provence.

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 106

et Bendjelloul n'apparaît pas1. Cela peut être simplement le signe que Bendjelloul est déjà démissionnaire et ne participe donc pas à ces questionnements entre élus siégeant encore, mais cela nous invite à voir que le groupe des 61 n'est pas un groupe structuré avec des leaders identifiés et une ligne claire, mais désigne plutôt un ensemble de personnalités élues au déclenchement de la guerre d'indépendance algérienne et s'accordant pour publier des textes revendicatifs. Deux ans plus tard, le « Groupe des 61 » semble toujours actif, et le chef de la PRG propose une analyse de leurs motivations 2 : les bourgeois musulmans qui étaient en politique pendant la colonisation ne veulent pas d'une victoire totale du FLN mais cherchent à conserver leur statut au moyen d'une accession à l'indépendance « en accord avec la France », « à échéance plus ou moins lointaine ». Cette vision du notable opportuniste agissant par crainte pour son influence est souvent reprise dans l'historiographie française et algérienne. Cela contredit ce que ces hommes présentent d'eux-mêmes dans les textes qu'ils publient, et, bien qu'il ne faille pas accepter sans analyse leur discours ou nier la diversité de leurs motivations, ce serait une erreur également d'en faire totalement abstraction et de prendre pour argent comptant les commentaires hostiles de l'administration coloniale.

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