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Le Docteur Bendjelloul: l'opposition loyale à  la colonisation ? (1930-1962)


par Hélène Koning
Sciences Po Paris - Master 2024
  

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A. Poursuite de l'action de la FEM sous un nouveau régime

Avec la démobilisation suite à la défaite française, Bendjelloul et Abbas tentent de poursuivre le combat politique de la FEM. Depuis l'échec du CMA, Bendjelloul est en perte de vitesse politiquement. La population, suite aux échecs des revendications réformistes, au changement de régime et à la suppression des instances représentatives élues, se désintéresse de la politique. Selon un rapport de renseignement du CIE, c'est pour remédier à cette indifférence à son égard que Bendjelloul recourt à sa stratégie habituelle : l'action politique auprès des autorités au nom de ses mandants, ou, selon les mots de la note de renseignements, « prouver qu'il n'hésit[e] pas à intervenir en haut lieu en faveur de ses amis »1. Dix jours après la capitulation, le 28 juin 1940, Bendjelloul écrit au préfet pour se plaindre de dérives autoritaires de l'administration, protestant contre « les vérifications d'identité entreprises par la police et les mises en résidence forcées prononcées par l'administration »2. Il jugerait que son groupement serait visé particulièrement par ces mesures d'exceptions injustifiées, contrairement à « ses anciens adversaires », et déplore que « certains agents de police mobile » aient « reçu de l'argent » des personnes interpellées « pour les remettre en liberté »3. Ainsi, dans les mois qui suivent la défaite française et l'instauration du régime de Vichy, Bendjelloul continue de jouer son rôle de notable revendicatif, relais politique des revendications de ses mandants. Toujours selon l'auteur de ce rapport, Bendjelloul parle des problèmes de la population aux autorités mais il parle aussi aux populations de ses démarches auprès des autorités, se positionnant ainsi en « champion »4, en élu digne de confiance dans son rôle d'intermédiaire entre les populations qu'il défend et l'Etat colonial. L'auteur affirme cependant que « l'enquête

1 « A/S. du Docteur Bendjelloul », Rapport de Renseignement n° 798 daté du 5 juillet 1940, Constantine, Centre d'Information et d'Etudes de Constantine, 5 juillet 1940. In Préfecture de Constantine, « Dossier Bendjelloul (1934-1940) - Surveillance politique des indigènes », op. cit.

2 « A/S. du Docteur Bendjelloul», doc. cit.

3 Ibid., p. 1.

4 Ibid., p. 2.

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 64

menée jusqu'à présent par le Centre d'Information et d'Etude (CIE, service de surveillance) ne permet pas de supposer [que Bendjelloul cherche à] amorcer un mouvement plus ample » et pressent qu'il va s'en tenir à « la ligne adoptée depuis le début de la guerre » et que « ses sentiments envers la France ne sont pas altérés »1. Une telle formulation prudente et se refusant à être alarmiste est particulièrement rare dans les documents de surveillance coloniale, ce qui mérite d'être souligné.

Le mois suivant pourtant, peut-être suite aux encouragements de Ferhat Abbas, Bendjelloul aurait tenté de rassembler les Elus et de refaire paraître l'Entente2. Une note de surveillance mentionne un article censuré dans son ensemble dans lequel ils auraient réaffirmé le programme d'action de la FEM, et cite leurs mesures principales. L'abolition des grandes propriétés faisait déjà partie de leurs revendications passées, ainsi que la suppression des affaires indigènes, caïds, communes mixtes et services de police, c'est-à-dire la fin du système de l'administration coloniale. Mais, signe de l'époque, ils auraient proposé de remplacer la police par des milices. La réduction d'un dixième du personnel administratif, et l'amélioration de l'habitat indigène sont là encore des revendications connues par le passé mais elles sont complétées par de nouvelles mesures empruntées au programme de la révolution nationale, telles que la suppression des femmes fonctionnaires et la suppression de la prostitution dans les villes3. S'il est fiable, ce document fournit un élément important d'analyse du programme de la FEM : la direction assimilationniste et anticoloniale de leur programme ne change pas, mais la formulation des revendications précises reprend les centres d'intérêts du gouvernement auquel il s'adresse. Le démantèlement des grandes propriétés coloniales leur semblait ne pas nécessiter de traduction pour correspondre à l'idéologie de la révolution nationale. Leurs autres mesures économiques et sociales visant un assouplissement du cadre colonial sont maintenues, mais accompagnées de mesures empruntées au programme vichyste. La revendication centrale de la pleine citoyenneté sans abandon du statut personnel est quant à elle mise de côté car pensée pour un régime démocratique et donc trop opposée à la politique du nouveau régime.

1 Ibid., p. 3.

2 Etat Major 19e Région, « Note sur les Partis et Groupements Musulmans Algériens (politiques et religieux)- III. Les Fédérations d'Elus Musulmans », doc. cit, p. 4.

3 Ibid.

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 65

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 67

Le 8 août 1941, le CIE de la préfecture d'Alger informe le cabinet du préfet de l'annonce publique de collaboration faite par Bendjelloul une semaine plus tôt. Le texte a été lu à Radio Alger par l'ancien secrétaire général de la FEM, un certain Bendjemaa, et aurait causé la rupture de Bendjelloul avec plusieurs membres de la FEM, choqués par cette attitude de collaboration proactive avec les autorités vichystes1. Le texte de cette déclaration n'a pas été publié, et les circonstances précises ayant mené à cette déclaration ne sont pas connues. Un an plus tard, en septembre 1941, le service de renseignement de l'Etat Major de la 19e Région, c'est-à-dire le corps d'armée regroupant les unités militaires d'Algérie, publie une « Note sur les Partis et Groupements Musulmans Algériens »2 et analyse cette annonce publique de collaboration comme le retour d'un politicien ne pouvant plus supporter de vivre dans l'ombre. Selon le fascicule, Bendjelloul aurait souhaité continuer son action politique sous le nouveau régime, mais en aurait été empêché par la fin de la représentation démocratique. Le thème de la déception, de l'amertume face à sa popularité empêchée, est l'explication officielle reprise par toutes les sources ultérieures abordant l'attitude de Bendjelloul pendant l'administration de Vichy en Algérie. Il se serait notamment retiré dans « une attitude boudeuse » et aurait « [affecté] de se désintéresser des questions politiques » parce qu'il n'aurait pas reçu de rôle dans les nouvelles institutions, privilégièrent des politiciens plus traditionnels et moins revendicatifs3.

Dans cette source comme dans plusieurs autres, l'engagement de Bendjelloul « dans de nombreuses oeuvres sociales » en parallèle de ses actions politiques est vu uniquement comme une manoeuvre électorale visant à « conserver une certaine popularité parmi le menu peuple de Constantine, tout en lui évitant de se compromettre trop vivement aux yeux de l'Administration »4. Parmi les initiatives de bienfaisance qu'il dirige ou auxquelles il participe,

1 Préfecture d'Alger - Police des Renseignements Généraux, « Dossier Dr Bendjelloul », Alger, 1944-1945, 91 1K 590/1, ANOM, Aix-En-Provence.

2 Etat Major 19e Région, « Note sur les Partis et Groupements Musulmans Algériens (politiques et religieux)- III. Les Fédérations d'Elus Musulmans », doc. cit.

3 Le régime de Vichy remplace les institutions représentatives métropolitaines et algériennes par des collèges restreints de conseillers nommés par le gouvernement : la Commission financière algérienne, la Commission administrative départementale et le Conseil national remplacent respectivement les Délégations financières, le Conseil Général et l'Assemblée Nationale. Voir Charles-Robert Ageron, « Livre IV - Forces politiques et évolution politique de l'Algérie 1939-1954 », In Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 545?622.

4 Etat Major 19e Région, « Note sur les Partis et Groupements Musulmans Algériens (politiques et religieux)- III. Les Fédérations d'Elus Musulmans », doc. cit, p. 5.

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 66

trois sont citées dans ce document : le Dispensaire indigène de Constantine, la Société indigène de prévoyance et le Comité des meskines. L'auteur est clair sur le fait que cette liste est non exhaustive et y voit un élément de plus pour le portrait d'agitateur public qu'il brosse de Bendjelloul1. Pourtant, cet engagement social a toujours été l'une des caractéristiques soulignées par les notes de surveillance à son sujet, depuis les années 1920, soit avant même son engagement politique dans les institutions françaises.

L'auteur de ce fascicule de 1941 présente aussi l'action individuelle des quatre leaders principaux, soulignant le déclin de la popularité de la FEM auprès des masses « se [désintéressant] de plus en plus des problèmes politiques » ainsi que la désunion régnant entre les chefs. La source affirme que cette déclaration radiophonique de Bendjelloul a provoqué la démission de Saadane et Abbas de la FEM, et qu'au cours du mois suivant cet évènement, les « milieux évolués des villes », l'électorat traditionnel des assimilationnistes, se sont ralliés à Abbas. Bendjelloul conserverait sa popularité auprès des « ruraux » et du « petit peuple urbain »2, mais pour l'élite colonisée c'est Abbas qui apparaît désormais « comme le champion du mouvement revendicatif représenté autrefois par la Fédération des Elus »3, supplantant peu à peu Bendjelloul comme figure revendicative algérienne.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery