Section 2. Problèmes de développement du
Sud-Kivu
Le Kivu, en général et la province du Sud-Kivu,
en particulier, est une des composantes territoriales et administratives de la
RDC. A ce titre, son développement est totalement lié à
celui de la RDC toute entière. Voilà pourquoi parler de son
développement implique ipso facto de le submerger dans ce grand
système qu'est la RDC pour bien appréhender son niveau de
développement. Car, en tant que sous-système du grand
système qui est la RDC, la province du Sud-
242Programme des Nations Unies pour le
Développement Unité de lutte contre la pauvreté, province
du Sud-Kivu, Mars 2009, p. 7.
243Programme des Nations Unies pour le
Développement Unité de lutte contre la pauvreté, province
du Sud-Kivu, Mars 2009, p. 8.
87
Kivu entretient nombre d'interactions économiques,
politiques, administratives, etc., avec celle-ci. C'est dire que pour bien
parler des problèmes du développement de la province du Sud-Kivu,
il est important de saisir avant tout les problèmes
généraux du développement de la RDC.
2.1. Problèmes généraux du
développement de la RDC
Comme l'ont démontré bien d'auteurs, en
l'occurrence Olofio Ben Olomy, le développement est un processus
multidimensionnel destiné à améliorer les conditions de
vie dans le domaine économique, politique, social et culturel, partant
de la production des biens et services et les autres choses de valeurs au sein
d'une communauté donnée244.
Mais, selon J. F. Bayart, la manière de penser ou de
vivre le phénomène développement est contingente à
l'esprit d'une époque245. Elle est aussi le reflet de
l'intelligence sociale de l'homme par rapport à son environnement et
à son temps, pour son devenir246. Puisque
l'intelligibilité du phénomène « développement
» reste dépendante des inflexions historiques. Le contenu de son
discours et sa rationalité sémantique restent ambigu, car
étant largement influencés par des préoccupations
idéologiques et géostratégiques.
De ce qui précède, si nous prenons la
définition de François Perroux, nous comprenons que le
développement est en réalité la combinaison des
changements mentaux et sociaux d'une population, changement qui rend apte
à accroître cumulativement et durablement son produit réel
global247. De manière concrète, le
développement, c'est bien manger, bien se vêtir, bien se promener,
bien dormir, ... Il est le résultat d'une série des changements
qualitatifs et quantitatifs. Ces changements qualitatifs qui ne soient pas
éphémères mais plutôt durables pourraient être
assimilables au développement durable248.
244OLOFIO BEN OLOMY, Economie de
Développement, G3 SPA, FSSAP, UNIKIN, 2006-2007, inédit.
245 BAYART, J.F., Le gouvernement du monde. Une critique
politique de la globalisation, Fayard, Paris, 2004, p. 14.
246 COPANS, J., Développement mondial et mutations
de sociétés contemporaines, Armand Colin, Paris, 2006, pp.
23-25.
247PERROUX, J., cité par KABENGELE DIBWE,
Géographie économique, Syllabus de G1RI, FSSAP, UNIKIN,
2005-2006.
248Propos recueillis auprès de NSAMAN-o-LUTU
lors d'une communication scientifique au Campus de l'Université du
CEPROMAD, le 14 mai 2009, entre 17 heures 00' et 18 heures 30'.
249UNESCO, Les interrelations entre
l'économique, le social, le politique, le culturel et le spirituel dans
une approche multidimensionnelle, Rapport, novembre 1984, p. 43.
88
C'est autrement dire que le développement de la RDC, en
général, et celui de la Province du Sud-Kivu, en particulier,
sont égaux au bonheur ou au mieux-être des congolais en
général et des Kivutiens en particulier. Pourtant, le bonheur a
toujours été fonction de la combinaison de plusieurs facteurs et
à différents niveaux. Voilà pourquoi il convient
d'identifier d'abord les différents facteurs du développement,
ensuite faire un raisonnement par absurdité pour saisir, enfin, les
vrais problèmes que le pays, en général, et la province du
Sud-Kivu, en particulier, connaissent dans le processus du
développement.
2.1.1. Facteurs du développement
Nombre de facteurs concourent à la
matérialisation du projet de développement. Mais comme nous ne
pouvons pas les énumérer tous de manière exhaustive, nous
présentons les facteurs suivants : facteurs socio-culturels, facteurs
technologiques, facteurs économiques, facteurs politiques, facteurs
familiaux, facteurs idéologiques et facteurs constitutifs de la
personne.
2.1.1.1. Facteurs socio-culturels
Ces facteurs se conjuguent avec les facteurs composant la
société humaine''. En effet, la société
est à la fois système de rapports sociaux et système de
production culturelle. Ce concept de culture est pris ici dans son sens
anthropologique, c'est-à-dire en tant qu'ensemble de productions
appropriées d'un groupe humain déterminé pour satisfaire
ses besoins. La culture concerne, ainsi comprise, tous les étages de la
vie humaine249.
On peut explorer les principaux facteurs constitutifs de ce
que l'on doit appeler la socio-culture'', système de rapports
sociaux au sein desquels prennent place les différents facteurs de la
culture. Car il est difficile d'imaginer, par définition, des facteurs
culturels ou socioculturels qui ne soient reliés à l'homme et ce
lien ne peut être qu'un lien d'appropriation ou de production.
89
2.1.1.2. Facteurs technologiques
Les travaux approfondis de paléontologues ont
montré le cheminement concomitant entre «l'hominisation» et le
développement technologique. Les outils et les systèmes
technologiques sont les points d'appuis à partir desquels une
société transforme les données de
l'écosystème pour en faire surgir les réponses à
ses besoins. L'une des illustrations les plus impressionnantes concerne les
techniques de production et de transformation tendant à la satisfaction
de besoins alimentaires. Lorsqu'il y a rupture entre ces techniques et le
potentiel de l'écosystème comme actuellement dans les pays
africains du Sahel naît le risque de la famine.
2.1.1.3. Facteurs économiques
Dans la socio-culture ils représentent les arrangements
sociaux et culturels par lesquels le groupe humain organise, gère
l'ajustement entre ses besoins et les moyens qui lui sont accessibles pour les
satisfaire. Les facteurs économiques touchent donc l'appréciation
de produits de la technologie en fonction de leur utilité sociale. On
mesure, par eux-mêmes, qu'il est impossible de fixer une valeur
d'utilité sociale indépendamment des références que
se fixe le groupe humain.
A ce sujet il y a lieu de constater que certaines
sociétés donnent plus d'importance à la recherche de la
satisfaction de besoins du groupe à partir de sa production directe
(autosubsistance), alors que d'autres jouent sur la division du travail
élargie et sur les échanges extérieurs (économie de
marché). Les principaux facteurs du système économique
sont les facteurs de production (qui commandent les «rapports de
production»), les facteurs d'échange ou de répartition et
les facteurs de consommation250.
2.1.1.4. Facteurs politiques
Tout système tend à la satisfaction de besoins,
met en jeu, dans une société donnée, des rapports de
pouvoirs entre individus et groupes constituant cette société.
Les facteurs politiques'' prennent forme à travers, notamment
des institutions. Mais il peut y avoir aussi des
contre-institutions'' ou des facteurs politiques
informels'', non formalisés, qui n'en sont pas pour autant
moins
250MARSHALL SAHUNS, Age de plein, âge
d'abondance, NRF, Paris, 1976, p. 13.
90
puissants. Au coeur de la problématique du jeu des
facteurs politiques, spécialement dans la période contemporaine,
on note le poids de l'Etat et celui de la société
civile'' ou le décalage entre les systèmes de
référence de l'une ou l'autre de ces entités.
2.1.1.5. Facteurs familiaux
La famille a été et reste la cellule de base de
toute société. Disons que l'organisation familiale est, à
partir des fondements biologiques de la reproduction des sociétés
humaines, un système de base'' de la société,
implanté plus profond que le système politique''. Les
facteurs du système familial qui sont, entre autres, la filiation et le
mariage, jouent un rôle de première importance dans la
régulation sociale''.
2.1.1.6. Facteurs constitutifs de la personne
On a souvent minimisé, dans les démarches de
l'analyse sociale des dernières décennies, la portée de
l'individu'' humain comme particule
élémentaire'' de toute société. On y revient
à présent. « Le facteur individuel est, certes,
conditionné socialement et culturellement, dans ses aspects somatiques,
affectifs, cognitifs (le corps, les sentiments, l'intelligence), mais il permet
aussi d'introduire une marge de non détermination dans le jeu social. Il
peut ouvrir la porte au désordre, venant rompre la
géométrie des ordres sociaux théorisés et
légitimés pour faire droit à d'autres modes de
société ou de socialité' »251. Ce constat
a été repris avec vigueur par Serge Christophe : « on a
vécu sur cette illusion à la fois vraie et fausse, qu'en
changeant les conditions sociales, on allait changer l'homme, sans voir que,
pour un homme, ses conditions sociales ce sont d'autres hommes
»252.
2.1.1.7. Facteurs idéologiques
La clé de voûte qui maintient en place un
système socioculturel au niveau des consciences humaines ce sont les
représentations du monde ; les idéologies.
251BOUDON, R., La place du désordre,
PUF, Paris, 1984, p. 8.
252KOLM, S.Ch., « Entretien avec Pruno Matte
», in Le Monde, Dimanche, 23 octobre 1983, p. 15.
91
A la fois elles procèdent de l'ensemble des autres
facteurs (facteurs extra-sociaux, écosystémiques, autant que les
facteurs socioculturels) et jouent fortement sur eux, facteurs mythiques :
explication du monde par un récit plongeant ses racines dans un
au-delà'', on est alors dans le monde religieux, facteur
rationnel : explication du monde par l'expérimentation, la raison aux
prises avec les choses et les êtres : philosophie et sciences.
2.1.2. Problèmes de développement de la
RDC
Les problèmes de développement de la RDC peuvent
être identifiés à différents niveaux et dans des
domaines aussi variés. Il s'agit, par exemple, des domaines suivants :
politique, économique, sécuritaire, social, infrastructurel,
etc.
2.1.2.1. Problème politique
Comme nous l'avons signalé un peu plus haut, les
facteurs politiques qui impactent sur le développement d'un pays font
référence aux institutions. Les institutions politiques jouent un
rôle capital dans le processus de développement. Leur
stabilité est un gage pour toute dynamique allant dans le sens de
croitre cumulativement l'économie d'une nation et améliorer les
conditions socio-économiques des citoyens.
S'agissant de la RDC, il y a lieu de remarquer que depuis sa
naissance comme acteur politique international, ses institutions politiques,
mécanismes et organes, ont vécu pendant de longues
périodes dans une situation d'instabilité sans
précédent, excepté l'époque de la deuxième
République où une relative stabilité a été
constatée.
En fait, les institutions ont joué un rôle
fondamental dans l'origine et la perpétuation des conflits en
RDC253. Les institutions crées sous le régime colonial
et après l'indépendance ont produit et perpétué des
antagonismes au sujet du contrôle de l'État et des ressources
naturelles tout en semant les graines des conflits interrégionaux et
interethniques254. Les sécessions, les rébellions, les
crises politiques et les agressions étrangères, emportant parfois
les institutions politiques
253Nations unies, Commission économique
pour l'Afrique, Conflits en République Démocratique du Congo.
Causes,impact et implications pour la région de Grands Lacs,
Addis-Abeba, S.L., 2015, p.VIII.
254
92
du moment, qui ont garni presque tout son parcours en tant
qu'Etat, ont été occasionnées d'une manière ou
d'une autre par les institutions. Il s'agit, par exemple, de la
rébellion, du coup d'Etat militaire du 24 novembre 1965 qui a
été occasionné par la crise institutionnelle entre le Chef
de l'Etat Kasa-Vubu et le premier ministre Lumumba. Il s'agit aussi, par
exemple, de la rébellion, l'agression du 2 août 1998,
causée par la rupture de relations entre le Chef de l'Etat L.D. Kabila
et ses partenaires de l'AFDL.
Les violences occasionnées par ces faits ont largement
administré des coups fatals à l'élan du
développement dont le pays avait fait montre au moment où il
venait d'accéder à l'indépendance. C'est ici le lieu
d'indiquer que les guerres ont porté un coup dur à
l'économie de la RDC et à celle de l'ensemble de la
région. Au niveau macroéconomique et sectoriel, les conflits ont
accentué la détérioration de l'économie qui avait
commencé dans les années 1980 et s'était poursuivie
jusqu'au milieu des années 1990255. Les conflits ont
aggravé l'instabilité macroéconomique et l'incertitude
liée à l'investissement et détérioré les
finances publiques aussi bien en termes d'équilibres budgétaires
que d'efficacité de la gestion des finances publiques256.
Ce qui fait que le pays, en général, et ses
différentes provinces, en particulier, ne donnent pas l'image du
développement correspondant aux innombrables ressources que leur sol et
sous-sol regorgent. Il a fallu attendre l'érection de la
3ème République pour ne pas voir les institutions
politiques être emportées par ces faits politiques.
2.1.2.2. Problèmes sécuritaires
L'insécurité est aussi un facteur qui entrave le
développement de la RDC, en général, et celui de ses
provinces, en particulier. Elle est causée par les guerres,
rébellions ou insurrections que le pays connait depuis longtemps dans sa
partie Est. C'est dire que les guerres possèdent une dimension qui
relève du développement257.
En effet, les conflits en RDC et leurs conséquences
restent une source de préoccupation majeure, dans la mesure où
ils constituent un défi multidimensionnel
255MUCHUKIWA, B., Op.cit., p. 41.
256SHAMAVU, G., Op.cit., p. 126. 257 MUCHUKIWA, B.,
Op.cit., p. 43.
93
au développement économique et humain dans le
pays et la région258. D'une part, dans une certaine mesure,
le manque de développement a généré un
environnement propice aux guerres et aux conflits. Les stratégies de
développement mises en oeuvre depuis l'indépendance ne sont pas
parvenues à améliorer de manière significative le
bien-être de la population congolaise tout en permettant dans un
même temps l'accumulation d'une fortune personnelle par les élites
économiques et politiques259. Les guerres en RDC proviennent
des causes multiples tournant autour de quatre séries de facteurs:
économiques, institutionnels, régionaux et géopolitiques
mondiaux260.
D'autre part, les conflits et guerres chroniques ont
freiné le développement économique. La République
démocratique du Congo se positionne, en effet, au bas de
l'échelle des pays en développement en termes de
développement social et humain (elle occupait la 186e place sur 187 pays
et territoires en 2012), avec un indice de développement humain de 0,304
contre une moyenne de 0,466 pour les pays du groupe à
développement humain faible et de 0,475 pour l'Afrique subsaharienne
(PNUD, 2013, Profil de pays de la République démocratique du
Congo). Les guerres ont perturbé l'activité économique
dans des secteurs clés tels que l'agriculture et l'industrie en raison
de l'insécurité, des déplacements de populations et de la
détérioration des infrastructures matérielles. Elles ont
également engendré la dégradation de la gouvernance et des
institutions nationales, empêchant le pays de tirer pleinement parti de
l'important potentiel de croissance associé aux abondantes ressources
naturelles dont le pays est doté et à son emplacement
stratégique au sein de la région261.
Un autre facteur institutionnel important à l'origine
de conflits est la manipulation par les dirigeants des lois sur la
citoyenneté et la nationalité, politisant ainsi la question de
l'ethnicité et de l'identité congolaise, ce qui a eu pour effet
la marginalisation d'une partie de la population, notamment celle d'origine
rwandaise, et l'exacerbation des antagonismes entre eux et les autres groupes
tout en compro-
258SHAMAVU, G., Op.cit., p. 126.
259ASKIN, S. et COLLINS, C., « External
Collusion with Kleptocracy: Can Zaire Recapture Its Stolen Wealth »,
Review of African Political Economy, 1993, p. 57 et 7285 ; NDIKUMANA,
L. et BOYCE, J. K., « Congo's Odious Debt: External Borrowing and Capital
Flight in Zaire », Development and Change, 1998.
260 MUCHUKIWA, B., Op.cit., p. 41.
261 SHAMAVU, G., Op.cit., p. 126.
94
mettant les relations entre l'État et les citoyens,
d'une part, et les relations entre la RDC et ses voisins à l'Est,
d'autre part262.
2.1.2.3. Problèmes économiques
Sur le plan économique, la RDC accuse un retard sans
précédent. Certes, la RDC a traversé une longue
période des tumultes mais elle dispose aussi de nombreuses ressources
qui pouvaient l'aider à rattraper le retard. Ce qui n'a pas
été le cas. L'impact de décennies de mauvaise gestion
économique apparaît dans les niveaux élevés de
pauvreté.
En effet, il est d'ores et déjà connu qu'en
Afrique subsaharienne plus de 45% des pauvres, soit 266 millions d'habitants
sur 590 millions, souffrent de pauvreté monétaire263.
En RDC, les estimations disponibles montrent que plus de trois tiers de la
population sont pauvres en termes de revenus. Ici, comme dans d'autres pays
d'Afrique, la pauvreté est un phénomène essentiellement
rural: les taux de pauvreté sont bien plus élevés dans les
villages que dans les centres urbains264. La croissance
économique réalisée entre 2006-10 s'est située sur
un plateau inférieur à 8% fixé265. En RDC, sept
ménages sur dix sont pauvres avec une disparité entre milieu
rural À où environ huit ménages sur dix sont pauvres - et
milieu urbain - où moins de sept ménages sur dix sont
pauvres266.
Les simulations faites sur base des données des
enquêtes menées après 2005 (en supposant le même
comportement de consommation des ménages et en utilisant un
modèle linéaire simple) indiquent que la pauvreté a
légèrement baissé de 71 à 70% entre 2005 et
2007267. Les dépenses de ménages congolais sont
dominées par l'alimentation qui représente 62,3% des
dépenses totales268. Entre 2006 et 2010, la situation
macroéconomique de la RDC a été marquée par : (i)
les effets de la crise économique et financière internationale,
(ii) l'allègement de la dette, (iii) la maîtrise de l'inflation,
et (iv) la rigueur budgétaire. Les effets de la crise économique
et financière internationale ont ralenti la croissance en 2009.
262MUCHUKIWA, B., Op.cit., p. 42..
263 ODIMULA LOFUNGUSO, L., Manuel des idées et des
faits politiques, économiques et sociaux. Fondement de la bonne
gouvernance, l'Harmattan, Paris, 2016, p. 197.
264 P. 30.
265 DSRP, p. 24
266 MUCHUKIWA, B., Op.cit., p. 41.
267 DSRP, p. 24.
268MUCHUKIWA, B., Op.cit., p. 42.
95
L'accélération de la croissance
économique amorcée depuis 2002 a subi un coup d'arrêt en
2009269.
2.1.2.4. Problèmes sociaux
Sur le plan social en RDC, il faut constater que la
période précédent les guerres de 1997-1998 a
été caractérisée par une situation sociale
précaire sur l'ensemble du territoire national, étant
donné la dégradation de l'économie à
l'échelle macroéconomique et sectorielle, de l'effondrement du
secteur public et de l'atrophie du secteur privé. Disons que le
détournement et l'exploitation non réglementée du secteur
de ressources naturelles, le délaissement de l'agriculture et la
désindustrialisation ont entraîné un déclin continu
de revenus de ménages, une augmentation du chômage et des
pénuries systématiques dans la fourniture de biens et services de
base en sont des indicateurs probants. Cette situation s'est aggravée
à mesure que le régime de Mobutu s'est affaibli, notamment au
début des années 1990270.
En effet, il y a lieu de voir que même après le
départ de Mobutu, le Congolais a eu du mal à accéder aux
biens et services de première nécessité pour sa vie et sa
survie. Nous faisons allusion ici à la santé, l'éducation,
le logement, etc.
Déjà, notons que s'agissant de la santé,
le budget de l'Etat consacré à ce secteur de la vie nationale est
resté faible et largement inférieur aux engagements pris par les
Chefs d'Etat à Abuja (15%). Dans la plupart des cas, il est
inférieur à 5% du budget global de l'Etat et son taux de
décaissement est en moyenne de 70% (exercice 2008 et 2009). Son
affectation ne tient pas compte des priorités du
secteur271.
Le secteur de l'éducation, surtout le sous-secteur de
l'éducation primaire, n'est resté à exempter de cette
analyse. Ce (...) secteur montre une amélioration au cours des dix
dernières années (2005-2015) en lien avec un financement
269 DSRP, p. 40
270NDIKUMANA, L. et KISANGANI, E., « The
Economics of Civil War: The Case of the Democratic Republic of Congo »,
In N. Sambanis et P. Collier (Eds.), Understanding Civil War:
Evidence and Analysis, Washington DC: Banque mondiale, 2005, p. 6388.
271RDC, Document de Stratégies de
Croissance et Réduction de la Pauvreté (DCSRP),
deuxième génération, volume I, Ministère du plan,
2011, p. 28.
96
appréciable du secteur par l'Etat, les ménages
et les Partenaires Techniques et Financiers272.
Mais, l'accès à l'eau potable reste très
faible. Les statistiques disponibles indiquent que, malgré les richesses
en eau douce du pays, l'accès à l'eau potable reste faible,
même si elle passe de 22% à 26% entre 2005 et 2010. Le taux de
couverture de l'approvisionnement en eau potable en milieu rural est
resté largement derrière celui du milieu urbain du fait que ce
sous-secteur n'a pas bénéficié de la même attention
au niveau des investissements consentis273.
En ce qui concerne le logement et l'habitat, la grande
majorité de Congolais sont propriétaires de leur principal
logement selon l'enquête 1-2-3 (75,5%), chiffre qui semble être en
conformité avec les données du MICS (74% selon les MICS 2 et 4).
Ceci reste toutefois un phénomène essentiellement rural avec
environ 85% de propriétaires contre 50% en milieu urbain. Cependant,
remarquons que 81% de ces logements sont en terre battue ou en paille avec des
toitures en paille (60%) ou en tôle (33%) selon l'enquête 1-2-3. En
milieu urbain, la plupart de ces habitations sont en banlieue
périurbaine. On observe un phénomène d'habitation sauvage
dans les villes ; ce qui crée un problème d'érosion et de
fragilisation des sols (dégradation de l'environnement), ainsi qu'en
termes d'aménagement du territoire et d'efficience de villes en tant
qu'outil de promotion de développement274.
2.1.2.5. Problèmes infrastructurels
La RDC ne dispose pas des infrastructures nécessaires
sur lesquelles pouvait se fonder son économie. L'infrastructure de
santé s'était détériorée du fait de
dépenses insuffisantes pour l'élargissement et l'entretien. Le
pays dépensait, en effet, moins de 1 % de son PIB dans les domaines de
la santé (0,15 %), contre une moyenne de 2,3 % pour l'Afrique
subsaharienne. La plupart des dépenses de santé faisaient l'objet
d'un financement privé pesant sur les ménages et constituant un
autre exemple de l'échec du gouvernement275.
272Idem, P. 28.
273 MUCHUKIWA, B., Op.cit., p. 44.
274RDC, Document de Stratégies de
Croissance et Réduction de la Pauvreté (DCSRP),
deuxième génération, volume
I, Ministère du plan, 2011, p. 33.
275Idem, p. 30.
97
2.2. Problèmes de développement du
Sud-Kivu
Les problèmes de développement du Sud-Kivu sont
concomitants à ceux de la RDC. Ces problèmes touchent presque
tous les secteurs de la vie de la province. Mais les plus importants sont
l'enclavement, l'insécurité et le manque d'infrastructures.
2.2.1. Insécurité
Parmi les problèmes que le Sud-Kivu connait dans son
processus de développement figure aussi l'insécurité.
Celle-ci est l'oeuvre des groupes armés locaux et étrangers. De
manière générale, la mobilisation armée dans ce qui
constitue aujourd'hui l'Est de la RDC est antérieure au colonialisme.
Déjà, pendant la seconde moitié du 19ème
siècle, les négociateurs arabo-swahili qui contrôlaient de
grandes étendues de terres, avaient créé des milices qui
ont concouru à l'édification d'une culture de résistance
populaire276. De même, les tendances expansionnistes du roi
Tutsi rwandais sur le Kivu dans les années 1890 avaient
entraîné une contre-mobilisation, c'est-à-dire une
auto-prise en charge de la population277 autochtone dont
l'expression farouche s'est poursuivie à travers des
générations montantes jusqu'à ce jour.
A ce jour, le phénomène « groupe
armé » s'est généralisé partout dans la partie
orientale du pays. Le Sud-Kivu qui est une composante essentielle de la partie
orientale du pays, n'est pas épargné de ce fléau. Des
groupes armés, étranger et locaux y sévissent, semant
ainsi la terreur et la désolation. C'est pourquoi Paul Byabuze note que
l'activisme militaire des ex-Far et des Interahamwe semble être la
principale cause de l'insécurité régnant dans les
frontières de la RDC et du Rwanda278.
Par groupes armés locaux il faut entendre les groupes
armés créés par les Congolais d'origine. Les plus
célèbres d'entre eux sont les groupes Maï-Maï qui sont
aussi variés. On peut à ce sujet citer : le groupe
Maï-Maï ya Kutumba, le groupe Maï-Maï Nyakiriba, etc. Et
par groupe armé étranger, nous entendons les
276SHAMAVU, G., Les groupes armés du
Sud-Kivu : organisation, motivation et relations avec les groupes
ethniques de la province (1997-2010), DEA, SPA, FSSAP,
UNIKIN, 2015, p. 79. 277Idem.
278 BYABUZE, P., Le Kivu : espace vital, espace de vie ou
champ de bataille. Approche géopolitico-économique pour une paix
durable, Thèse de Doctorat, SPA, FSSAP, UNIKIN, 2020, p. 213.
98
groupes armés créés par les
étrangers, notamment les pays voisins de la RDC dont l'Ouganda, le
Rwanda et le Burundi. Il s'agit, par exemple, du M23, CNDP, RCD, etc.
Cette insécurité entraîne pas mal de
conséquences sur le processus de développement de la province du
Sud-Kivu. Le fait est que nul n'ignore que les capitaux fuient la guerre !
2.2.2. Enclavement
Le terme enclavement est souvent utilisé sans
définition précise. Il est assimilé à une distance
avec le centre et à l'absence des voies de communication. Cette
façon de voir peut directement expliquer la situation du Sud-Kivu par
rapport à la capitale ; ce qui nous permet de la qualifier directement
comme étant enclavée. Le fait est que plus de 1.200km la
séparent de Kinshasa à cause du manque des voies de communication
(routière, ferroviaire ou lacustre) pouvant les relier.
En effet, l'état de délabrement avancé
des infrastructures de transport rend difficile la circulation de personnes et
de biens d'une province à une autre. C'est dire que le problème
de connexion de la capitale congolaise aux provinces du pays est l'un des
défis majeurs pour la RDC, en général, et la province du
Sud-Kivu en particulie279.
A ce sujet, rappelons que de par sa composition, le Sud-Kivu
est un espace géographique formé des montagnes, des plateaux, des
forets, des lacs, etc. Ces éléments physiques constituent des
obstacles naturels contre tout accès, la rupture qu'ils marquent, en
coupant le Sud-Kivu des territoires environnants, constitue ainsi une
barrière ou un frein à la mobilité de personnes et des
biens.
En clair, disons qu'il n'existe pas une route viable pouvant
relier la province du Sud-Kivu et les provinces voisines, à savoir : le
Maniema, le Katanga, moins encore Kinshasa, la capitale qui se situe à
des milliers de Kilomètres. Même les routes
d'intérêts provinciaux entre son chef-lieu, Bukavu, et autres
territoires n'existent presque plus. Cette situation n'encourage pas la
production paysanne car il n'y a pas moyen d'écouler les marchandises.
L'aéroport de Kavumu et quelques pistes d'atterrissage qui restaient le
seul espoir sont pour la plupart en état de délabrement
très avancé. Cette situation impose aux habitants de Bukavu de
tourner
279BYABUZE, P., Op.cit., p. 213.
99
les yeux vers les pays voisins non seulement pour
s'approvisionner en denrées alimentaires mais aussi pour profiter de la
proximité existant entre le Sud-Kivu et les capitales de ces pays pour y
immigrer dans le cade de la recherche des conditions de vie plus
acceptables280.
2.2.3. Manque d'infrastructures
Le manque d'infrastructures est un problème
sérieux non seulement pour le Sud-Kivu mais aussi pour toutes les autres
provinces de la RDC. Les routes sont parmi les principales infrastructures qui
posent problème dans cette importante région du pays et entravent
son développement. Les quelques routes qui existent, en quantité
encore non-suffisante, sont pour la majorité non-bitumées. Ce qui
fait que la province reste enclavée et réduit la mobilité
de personnes et de leurs biens. Pourtant, c'est la mobilité qui facilite
les échanges.
2.2.4. Convoitise
En Afrique des Grands Lacs, des conflits plus graves durent
depuis maintenant plusieurs années et ont entraîné
déjà plusieurs millions de morts. Dans différents cas, il
s'agit tout d'abord de conflits internes entre des communautés plus ou
moins voisines qui sont parfois imbriquées les unes aux autres
(...)281. Mais, parfois (...) les États s'invitent dans de
telles dynamiques. C'est le cas, par exemple, du Congo Kinshasa, notamment dans
sa partie orientale y compris la province du Sud-Kivu.
En effet, la problématique de ressources naturelles
dans la région des Grands Lacs africains démontre la quasi
absence de l'État et explique cette dynamique. Le rôle de
l'État, en l'occurrence en RDC, dans la gestion de ses richesses est
remis en cause.
La fragilité de l'État congolais et la puissance
des États limitrophes de la région des Grands Lacs africains (le
Rwanda, le Burundi et l'Ouganda) qui vivent des conflits internes illustre la
complexité de cette question. A partir de l'année 1996, les
Nations-Unies ont mis sur pied des missions d'enquête et des panels
280Rapport du programme des nations Unies pour le
développement, Unité de lutte contre la pauvreté,
Mars 2009.
281 LACOSTE, Y., Géopolitique des stratégies
africaines, Hérodote n°111, Tragédies africaines,
4ème trimestre 2003.
100
d'enquêteurs pour faire la lumière sur
l'exploitation illégale des ressources naturelles du Congo. Ces
enquêtes ont mis à nu l'étendue des crimes et des pillages
systématiques menés par des puissances étrangères,
des sociétés multinationales, des pays voisins du Congo mais
aussi des élites congolaises et des personnalités nationales et
étrangères282.
Le rapport du Groupe de recherches sur les activités
minières en Afrique (GRAMA) intitulé :« La route commerciale
du Coltan congolais» précise que les États-Unis
s'approvisionnent en Coltan en grande partie au Burundi, au Rwanda, en RDC et
en Ouganda. Il décrit le parcours du Coltan depuis les creuseurs
artisanaux jusqu'à l'armée américaine en montrant
brièvement les implications de différentes sociétés
minières installées au Congo et opérant sous une
couverture étrangère. Chose qui s'observe en ces jours sous une
forme beaucoup plus perfectionnée car, les mêmes étrangers
pillent en se couvrant dans des branches armées ou des
rébellions. Retenons toutefois que si la sous-région de Grands
Lacs souffre des situations conflictuelles dans lesquelles la RDC se trouve
impliquée, elle n'y est pas toujours étrangère ni victime
innocente. Les ressources naturelles acquièrent une importance
stratégique du fait de leur valeur économique et la position de
force qu'elles confèrent aux pays qui y ont accès, affaiblit
davantage la nation assiégée.
Claske Dijkema considère que : {« si le conflit
dans l'est de la RDC a été déclenché par L. Kabila
pour des mobiles politiques, son enlisement pourrait cependant être
attribué au contrôle de rebelles sur les ressources (or, diamant,
coltan, etc). »283 Par ailleurs, de nombreuses mesures ont
été prises pour stopper l'exploitation illicite de ces minerais.
A l'issue de recherches stratégiques menées par Paul Collier et
Anke Hoeffler dans différents pays, ces derniers ont avancé la
thèse selon laquelle les États dépendant fortement de
l'exportation des matières premières étaient davantage
exposés aux risques de guerres orchestrées par les États
pauvres en ressources naturelles mais politiquement et militairement
forts284 !
282 Centre d'Etudes, de Documentation et Animation
Civique(CEDAC), Janvier 2009, pp.3-6.
283 DIJKEMA C., (Sous dir), Ressources naturelles
stratégiques, fossiles et minières, Ellipses, Paris, 2011,
p.133.
284 COLLIER, P. et HOEFFLER, A, On economic causes of civil
conflict, in Oxford Economic Papers 50(4); 563573, 1998.
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