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Paix et developpement dans le territoire de kalehe au sud-kivu : identification des acteurs, atouts et enjeux


par Norbert MUCHIGA ZIHINDULA
Université de Kinshasa - Diplome d'Etudes Supérieures en Sciences Politiques et Administratives 2020
  

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VI. DELIMITATION DU TRAVAIL

La présente dissertation a eu pour champ d'investigation la province du Sud-Kivu, en général, et le territoire de Kalehe, en particulier. Le choix de cet espace a été motivé par le fait qu'en tant que natif de ce territoire, nous sommes à la fois victime directe ou indirecte des évènements malheureux qui sèment la désolation dans la partie orientale du pays en général et précisément dans ce territoire.

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Dans le temps, l'étude porte sur une période qui va de 2015 à 2021, étant donné que cette période s'était distinguée d'autres par le fait que c'est pendant son déroulement que les mouvements terroristes étaient devenus de plus en plus actifs dans la partie orientale de la RDC, tuant parfois à armes blanches des milliers de civils sans aucun moyen de défense. Alors que depuis 1998 à 2015 plusieurs accords de paix entre le gouvernement congolais et les principales entreprises de violences, notamment les groupes rebelles, avaient été conclus en vue d'instaurer une paix positive suivie d'un développement durable.

VII. SUBDIVISION DU TRAVAIL

Hormis l'introduction et la conclusion générale, cette dissertation a été structurée en quatre chapitres. Le premier étant théorique, il est axé sur une congruence logique conceptuelle et théorique. Le deuxième chapitre a décrit le champ d'étude, notamment le Sud-Kivu, ainsi que le territoire de Kalehe. Le troisième chapitre présente les atouts du territoire de Kalehe pour son développement et les obstacles à celui-ci. Le quatrième chapitre est consacré à la paix et au développement durable à Kalehe.

VIII. DIFFICULTES RENCONTREES.

Toute recherche scientifique est coûteuse aussi bien par rapport au temps, aux finances et au milieu d'étude. Il s'en suit que nous avons connu des difficultés de deux ordres, à savoir des difficultés d'ordre financier et des difficultés d'ordre environnemental.

Les difficultés d'ordre financier en ce sens que pour effectuer une descente sur le terrain qui constitue notre champ d'étude (Le territoire de Kalehe dans la Province du Sud-Kivu), il nous fallait faire face à de grosses dépenses en termes de billets d'avion Kinshasa-Bukavu et des frais de passage à bord des véhicules, de Bukavu jusqu'au fin fond du territoire de Kalehe.

Les difficultés liées au milieu d'étude sont intimement liées à l'insécurité qui y règne de temps en temps. Nous avons pris de grands risques au péril de notre vie en nous rendant sur le terrain afin d'être en contact avec certaines autorités politico-administratives et coutumières sans oublier les notabilités locales dont les

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témoins privilégiés que sont des Chefs religieux, des Représentants des organisations de la société civile et tant d?autres encore.

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CHAPITRE I. CONSIDERATIONS GENERALES

SECTION 1. CADRE CONCEPTUEL §1. Développement

1.1. Notion et évolution

Le concept développement est vaste et vague. Chaque auteur le définit conformément à sa discipline scientifique, d'après l'objectif qu'il poursuit, selon l'état ou le niveau de connaissances qu'il constate. Soulignons également « qu'il est un terme qui aura connu, dans l'histoire des sciences du 20ème siècle, une fortune théorique et pratique oscillant de la logique historique et pratique au galvaudage idéologique »28. Ainsi, le concept « développement », dans son évolution théorique, est devenu à la fois un thème de l'idéologie officielle, voire professionnelle, et même un slogan !

Dans sa pratique, le développement devient un procès historique qui est à la fois technologique, économique, culturel, social, etc., dont ses théorisations aussi bien socialistes (prépondérance de l'Etat et de la classe ouvrière comme agents principaux de l'histoire), que dans la variante dominante capitaliste (rôle prépondérant du capital autour duquel l'Etat et toutes les forces sociales doivent se mobiliser), s'est défini à partir de l'expérience historique occidentale. En dépit du fait qu'aujourd'hui les considérations analytiques tirées de la praxis des nations « développées » d'Asie viennent compléter les canons capitalistes occidentaux29.

C'est pourquoi, avant de tenter de circonscrire le contour de ce concept et de dresser l'état de savoir sur ce dernier, il convient de présenter, en grandes lignes, son historique.

1.2. Historique du concept30

« Tout commence avec la religion et le commerce. Certains Européens se révoltent contre l'Eglise Catholique et se constituent en protestants en Amérique.

28 BOLIMA BOLITSI, W., Op.cit, p. 48.

29 LOMBEYA BOSONGO, L., cité par BOLIMA BOLITSI, W., Idem.

30 Pour plus d'informations, lire à ce sujet MWAKA BWENGE, A., Aspect Politique et Administratif de Développement, cours Inédit, L2 SPA, FSSAP, UNIKIN, 2017, p. 4-16.

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Ici, leur pratique et leur croyance religieuse se trouvent fondées sur l'idée capitaliste. Une façon de leur permettre d'avoir une économie élevée et une nation forte. Cependant, face à 1ère guerre mondiale qui frappait l'Europe, ces protestants se sont donnés la peine d'aider les Européens en stoppant la guerre et en les faisant développer à travers le Plan Marshall : la croissance de l'économie »31.

De plus, « le Président Harry Truman, lors de son discours d'investiture en 1949 en Amérique dit : nous devons aider les pays sous-développés à se développer. C'est ici que le concept apparaît. De ce fait, le concept sous-entend l'idée d'avancée de l'Amérique et que les Européens et les Américains devaient se ressembler économiquement et technologiquement »32.

Donc, c'est une réalité économique, boostée par la 2ème révolution industrielle (1950). Cette révolution agricole qui provient d'une réforme gouvernementale en matière de la propriété terrienne. En ces temps, le développement signifiait atteindre la croissance économique ou la croissance de production. Cette conception va avoir d'impacts sur l'enseignement, la recherche scientifique, les rapports sociaux, etc. Par exemple Loucou, J.C., et Wondji C. qui restent dans cette philosophie en abordant la question de développement en se basant sur le caractère purement économique. Ces deux auteurs pensent que « le développement serait la seule croissance matérielle, économique, ... vers une société nouvelle et dynamique procurant à ses membres le maximum de bien-être »33. Dans ce même ordre d'idées que Gosselin, G.34 définit le développement en se référant à Franc, G., et Perroux, F., en soutenant qu'il implique, en premier lieu, la croissance, et en particulier, l'accroissement des ressources productives globales, de revenus monétaires globaux et de la productivité moyenne.

En effet, dans l'optique de ses promoteurs, il désigne le processus de passage des sociétés traditionnelles vers l'industrialisation. Il renvoie donc presque exclusivement au développement économique, à l'aspect économique du développement. C'est dans cette optique que Touraine pense que le développement c'est cet « ensemble des actions qui fait passer une collectivité d'un type de société

31 TRUMAN, H., cité par MWAKA BWENGE, A., Idem, p. 4.

32 Ibidem

33 LOUCOU, J.N., et WONDJI, J.N., cités par BOLIMA BOLITSI., W., Op.cit, p. 51.

34 GOSSELIN, G., cité par BOLIMA BOLITSI, W., Idem.

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à un autre, défini par un degré le plus élevé d'intervention de société sur elle-même »35.

Les autres aspects du développement, à savoir le développement politique, l'administration de développement, l'Etat de droit, le développement culturel n'étaient ni pratiquement usités ni, encore moins, scientifiquement élaborés.

En 1961, suite à une proposition du Président Kennedy J.,36 l'Assemblée Générale des Nations-Unies a lancé l'idée selon laquelle les années 1960 seront la décennie du développement. Lorsque l'O.N.U. proclama cette première décennie du développement, 1960 suffirait pour que la plupart des pays en voie de développement comblent leur retard, c'est-à-dire qu'ils augmentent leur production.

En 197037, constatant que la croissance de plus de 5 % de pays du Tiers Monde n'a pas suffi à entraîner un décalage satisfaisant, l'Assemblée Générale des Nations-Unies a proclamé l'ouverture de la deuxième décennie pour le développement.

De 1970 à 1980, « cette décennie fixe les objectifs de 6 à 8 % de croissance pour les années à venir. Au début des années 1980, la crise inattendue a frappé le Nord, elle s'est propagée plus tard dans les pays du Sud. Ceux-ci se sont endettés et la pauvreté n'a pas été éradiquée »38.

Dès lors, il fallait lancer pour les années 1980 une nouvelle décennie. La troisième du développement, 1980-1990. L'Afrique, par exemple, sera touchée par le Programme d'Ajustement Structurel (PAS) et les pays de l'Afrique subsaharienne, au cours de cette période, ont connu un très fort désengagement de l'Etat, en particulier dans les secteurs sociaux. Certains experts de la communauté internationale affirment que « les pays auraient appliqué sérieusement les principes

35 TOURAINE, A., Les sociétés dépendantes, Eds. Duculot, Paris, p. 9.

36 KENNEDY, J., cité par VIRALLY, M., « La deuxième décennie des Nations Unies pour le développement. Essai d'interprétation para-juridique », Annuaire Français de Droit International, Paris, 1970, pp. 9-33.

37 WAGNER, L.J., « Les décennies du développement de l'ONU 1960-1990. Réduction des rapports de domination structurels Nord-Sud ou manifestation au grand jour de ces rapports ? », Hypothèses, Ed. De la Sorbonne, 2013, pp. 327-338.

38 I WAGNER, L.J., Op.cit., p. 20.

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des réformes nécessaires à leur ajustement structurel, assistent à une amélioration de leur situation »39.

Une affirmation qui sera contredite par certains auteurs, par exemple Ambroise Zagre qui proclame que tout se passait, à cette période, comme si la croissance était une condition nécessaire et suffisante pour faire reculer la pauvreté. Aussi les PAS ont-ils été initiés sans prêter grande attention à l'aspect redistribution des fruits de la croissance ou à leur impact sur la pauvreté. Surtout que, pense l'auteur, la pauvreté ne sera jamais combattue efficacement par l'extérieur, par contre par les efforts intérieurs en se basant sur ses propres réalités. D'où la nécessité d'une nouvelle stratégie de développement qui n'est rien d'autre qu'un « auto-développement humain »40.

Cependant, il se révèle également que les progrès remarquables ont été notés sur l'ensemble de la planète. Au Sommet de Millénium tenu à New York en septembre 200041, les Chefs de 189 Etats membres de l'Organisation des Nations Unies, l'ONU en sigle, se sont réunis pour adopter la déclaration de Millénium dans laquelle huit objectifs du développement pour le XXIème siècle ont été établis42. La déclaration cite les valeurs principales de relations internationales pour le siècle en cours. Il s'agit de : « ...la liberté, la solidarité, la tolérance, le respect de la nature et le partage de la responsabilité »43.

Bref, le développement devient un besoin, une nécessité qui pousse les pays, les sociétés à améliorer leur mode de vie tout en restant cohérent, avec les valeurs prônées à l'échelle mondiale mais aussi en tenant compte des moyens, des ressources qu'on dispose déjà ou qui sont à notre portée et en fonction des réalités de chaque milieu !

Cela étant dit, il y a lieu de retenir que se développer est avant tout compter sur ses propres moyens, ses propres forces et sa propre volonté. Ceci est loin de signifier « refuser toutes les technologies qui nous sont étrangères » ; mais

39 ZAGRE, A., Op.cit, p. 128.

40 ZAGRE, A., Op.cit

41 BOLIMA BOLITSI, W., Op.cit, p. 49.

42 TRKULJA, S., Analyse comparative des politiques du développement territorial, Thèse de doctorat en cotutelle, Institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement. Agro-Paris-Tech, (version abrégée), Belgrade, Serbie, 2009, P. 16.

43 Idem.

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plutôt utilisation de ses potentialités doit se gérer de façon rationnelle pour l'intérêt public, pour la promotion du bien-être social collectif.

Il est un processus de changement multiforme auquel participent toutes les forces vives d'une communauté bien déterminée en tenant compte des réalités endogènes et initiatives locales visant l'amélioration des conditions de vie humaine. De ce fait, le développement est un effort de soi sur soi, effort qui s'appuie sur l'environnement naturel pour arriver à couvrir les besoins essentiels au niveau de la famille et par la solidarité au niveau du groupe. Dans ce sens, le développement ne peut avoir d'autres bases que l'homme lui-même.

1.3. Différentes constructions théoriques sur le concept développement

Il y a deux catégories principales de théoriciens, dont la démarche tend, directement ou indirectement, à élucider le développement :

? Les théoriciens qui se placent hors de la problématique marxiste ; ? Les théoriciens qui se situent dans la problématique marxiste.

Ces derniers théoriciens se divisent en deux groupes : ceux qui conçoivent le système marxiste comme un ensemble donné et pratiquement complet de catégories et de concepts permettant d'analyser l'ensemble des situations historiques passées et présentes. Ceux qui considèrent les catégories et concepts marxistes comme un point de départ dont il faut créer et actualiser les prolongements, dans une démarche critique ouverte et sans cesse renouvelée devant le surgissement de l'histoire inédite.

Il ne peut être question de procéder à un inventaire approfondi et complet. Nous retiendrons les données les plus représentatives des principales écoles, en prenant comme référence les positions exprimées sur l'origine et les mécanismes du changement social et en tenant compte de la place donnée au jeu des facteurs et au jeu des acteurs.

Nous examinons successivement les systèmes d'explications des données par deux grands courants de recherches que nous évoquions, au regard de la problématique que nous avons posée comme point de départ.

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1.3.1. Théories placées du système marxiste

Le groupe des fonctionnalistes, à partir de Malinowski, et en dépassant le dogmatisme de ce dernier, a été illustré spécialement dans la période récente par Radcliffe-Brown qui a marqué profondément la recherche théorique anglo-saxonne. Le fonctionnalisme de Radcliffe-Brown annonce par certains côtés le structuralisme actuel : en particulier par l'attention portée aux systèmes, aux modèles ; mais le problème du développement qui implique le changement social n'est pas, pour lui, la question fondamentale. Radcliffe-Brown ne l'élucide pas, cependant, il s'appuie sur la notion de dysfonction''. Pour lui, « le changement c'est un ensemble du système répondant à l'ajustement nécessité par la dysfonction qui affecte à un moment donné un ou plusieurs de ses éléments. Dans cette perspective, l'attention portée aux facteurs du système social est prédominante »44.

Radcliffe Brown, selon Mercier45, pense qu'il était important de considérer, pour interpréter les phénomènes de développement, tous les contours de l'histoire. Certes, sa conciliation du synchronique et du diachronique n'est pas entièrement convaincante, et ses hypothèses d'histoire culturelle sont parfois légères mais sa conception d'origine durkheimienne, d'une tendance évolutive vers les sociétés plus complexes et à plus grande échelle, est acceptable mais guère explicative.

Les structuralistes, dans la ligne de Claude Lévi-Strauss consacrent la part la plus importante de leur démarche à la construction du système de modèles structurels, non plus directement définis par le jeu des fonctions des éléments qui les composent, mais en vertu d'une logique décelée à l'intérieur des ensembles des données culturelles, logique appartenant à l'ordre des inconscients sociaux, de façon comparable à la structure du langage. En définitive, pour Lévi-Strauss, le tracé de cette logique s'expliquerait par l'omniprésence de ce qu'il appelle l'esprit humain'' dans les faits de culture. Mais il ne dit pas si l'esprit humain change ou plus exactement, il ne considère pas, puisqu'il est évident qu'il y a changement, la façon dont se produit le changement dans l'histoire concrète inscrite dans le temps.

44 ROMEO, P., Increasing Recturs and leads run growth, disponible sur http://www.wipedia.org/wiki/Armandcolin, consulté le 30 janvier 2018 à 11h55.

45 MERCIER, P., Histoire de l'anthropologie, PUF, Paris, 1966, p. 43.

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Le discours structuraliste reste sensible aux transformations de modèles mais sans établir la relation avec la culture historique vécue.

Les démarches fonctionnalistes et structuralistes peuvent nous aider, dans notre approche d'analyse du jeu des facteurs dans la société, en nous incitant à la considérer comme système de structures régies entre elles par des relations, des interactions qu'il est important de connaître. Mais nous devons nous interdire de donner une valeur d'abstraction totalitaire à ces modèles qu'il faut corriger en les situant dans un champ socioculturel travaillé par l'histoire et peuplé d'événements et d'acteurs sociaux porteurs de forces de changement qui est la base du développement.

L'illustration la plus typique et la plus vulnérable aux critiques que nous évoquons à titre historique nous est donnée par la théorie de Rostow qui entreprend de définir les étapes nécessaires que doit parcourir toute société pour accéder à la modernité avancée. Ces étapes seraient au nombre de cinq46 :

a) Société traditionnelle ;

b) Préconditions du développement ;

c) Décollage ;

d) Progrès vers maturité ;

e) Consommation de masses dans un parcours universellement défini et unilinéaire.

1) Société traditionnelle

C'est une société stationnaire dont l'agriculture, activité principale (75% au minimum de la population active est engagée dans la production de denrées alimentaires), a imposé une structure sociale fondée sur la propriété foncière. Elle se réfère à un système de valeurs fondé sur le fatalisme et n'aspire pas au changement. « Du point de vue historique, nous groupons donc sous le terme de société traditionnelle tout le monde pré-newtonien : les dynasties chinoises, la civilisation du Moyen-Orient du bassin méditerranéen, le monde de l'Europe médiévale. Et nous y ajoutons la société post-newtoniennes qui, pendant un certain temps, demeurèrent étrangères ou indifférentes à la capacité nouvelle qu'avait

46 ROSTOW, W.W., Les étapes de la croissance économique, Seuil, Paris, 1962, p. 12.

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l'homme d'utiliser systématiquement son milieu physique pour améliorer sa condition économique »47. Hormis la consommation, le revenu national est dépensé à des fins non-productives. La société est hiérarchisée lorsque le pouvoir est concentré entre les mains des propriétaires terriens ou incarnée dans une autorité centrale qui s'appuie sur l'armée et les fonctionnaires.

2) Préconditions du développement48

Si l'Angleterre a atteint cette étape par le fait de causes internes, Rostow estime qu'il n'en est plus de même depuis car ces conditions sont nées d'une impulsion extérieure venue ébranler l'édifice traditionnel !

Cette étape se caractérise par de profondes mutations dans les trois acteurs non industriels : les transports, l'agriculture et le commerce extérieur. On assiste à la mise en place de structures favorables au développement, notamment par le développement du système bancaire et la création de l'infrastructure nécessaire au développement industriel. Rostow souligne le rôle «moteur'' dévolu au secteur agricole qui, par les gains de productivité qu'il enregistre, permet de nourrir une population croissante, assurer les exportations nécessaires à l'équilibre des échanges extérieurs et autorise la réunion des conditions nécessaires au développement industriel. « Dans le domaine des échanges extérieurs, le changement se manifeste par l'augmentation des importations financée par la meilleure mise en valeur et l'exportation des ressources naturelles ou encore l'importation de capitaux ». Le développement des transports et de moyens de communication s'opère généralement en liaison avec la commercialisation des matières premières qui « présentent un intérêt économique pour d'autres pays », et souvent financé par des capitaux étrangers ». On note également une évolution des mentalités et des méthodes de travail : à l'intérieur du pays s'opère une prise de conscience d'une possible action de mise en valeur des ressources naturelles dans un but de «dignité nationale, profits privés, meilleures conditions de vie pour les générations futures». Au cours de cette période, Rostow voit l'apparition de l'entrepreneur schumpétérien qui par son action va révolutionner les méthodes de travail.

47 ROSTOW, W.W., Op.cit., p. 12.

48 Idem, pp. 12-15.

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La notion de progrès économique émane généralement de l'extérieur et se diffuse à travers les élites nationales.

3) Décollage

« Le décollage est la période pendant laquelle la société finit par renverser les obstacles et les barrages qui s'opposaient à sa croissance régulière. Les facteurs de progrès économique qui, jusqu'ici, n'ont agi que sporadiquement et avec une efficacité restreinte, élargissent leur action et en viennent à dominer la société. La croissance devient la fonction normale de l'économie. Les intérêts composés intègrent dans les coutumes et dans la structure même des institutions »49. Cette étape cruciale est d'une durée relativement brève : une à deux décennies.

W. Rostow50 pose trois conditions essentielles au décollage :

? Le taux d'investissement productif passe de moins de 5 pourcent à plus de 10 pourcent du revenu national, de ce fait « il déborde nettement la pression démographique ». Cette augmentation de l'investissement se fera par un large appel aux capitaux extérieurs ;

? La création d'industries motrices susceptibles d'entraîner l'apparition d'industries d'amont et d'aval. Ces industries pourront être stimulées dans leur croissance par le développement du commerce extérieur ou encore la substitution de la production nationale aux importations. Par ailleurs, une large diffusion des innovations et des taux d'intérêt faibles facilite le mouvement d'industrialisation ;

? La mise en place rapide d'un appareil politique, social et institutionnel axé vers le développement afin que «le taux de croissance de l'économie puisse, par la suite, rester constant». Comme l'écrit T. Szentes : « le décollage est accompagné d'une victoire politique, sociale et culturelle, décisive, de futurs responsables de la modernisation de l'économie sur les partisans de la société traditionnelle ou ceux qui poursuivaient d'autres buts ».

W. W. Rostow tente de dater historiquement le décollage de certains pays : « On peut situer approximativement le décollage de l'économie britannique aux

49 ROSTOW, W.W., Op.ci, p. 19. 50Idem, p. 20.

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vingt dernières années du XVIIIème siècle ; celui de la France et des Etats-Unis, à la période de 1830 à 1860 ; celui de l'Allemagne, au troisième quart du XIXème siècle celui du Japon, aux vingt-cinq dernières années du XIXème siècle »51

4) Progrès vers la maturité

C'est une période de progrès soutenu au cours de laquelle la croissance gagne l'ensemble des secteurs de l'économie et on assiste à une mise en oeuvre plus générale des techniques modernes. Elle se caractérise par :

- Un nouvel accroissement du taux d'investissement qui passe de 10 à 20 pourcent du niveau national ;

- Une diversification de la production : l'économie prouve qu'elle est en mesure d'aller au-delà des industries qui l'ont fait démarrer à l'origine par l'apparition de nouveaux secteurs dominant, dans l'industrie ;

- La structure de la population active se modifie (la main d'oeuvre devient plus urbaine) et on note un phénomène d'urbanisation croissant ;

- « La notion de dirigeant d'entreprise évolue également et le gestionnaire, avec ses connaissances et sa vision plus large de choses prend de plus en plus d'importance (pas de vision pas de mission). Les objectifs de la société commencent à ne plus se borner à l'application de la technologie moderne aux ressources. L'expansion de 1'industrialisation cesse d'être la considération majeure qui l'emporte sur toutes les autres ».

5) Ere de la consommation de masses

« La production de biens de consommation durables et les services deviennent progressivement les principaux secteurs de l'économie ». Les objectifs de la société évoluent vers la consommation et le bien-être. A ce stade, les Etats peuvent privilégier trois différentes politiques :

- La recherche de la puissance et de l'influence extérieure (c'est le soft power) ;

- La création d'un Etat providence, (et d'un Etat propulseur) ;

51ROSTOW, W.W., Op.ci, p. 20.

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- L'élévation des niveaux de consommation « dépassant les besoins alimentaires, le logement et les vêtements nécessaires ».

Après s'être laissés brièvement et superficiellement tentés par l'hégémonie mondiale au tournant du siècle, les Etats-Unis ont, selon Rostow, choisi sincèrement et de tout coeur la voie de la consommation de masses dans les années 20 et connaissent depuis ce stade la croissance. D'autre part, alors que l'Europe occidentale et le Japon entrent dans l'ère de la consommation de masses et que l'Union soviétique « folâtre à la zone limitrophe », on peut dire que les Etats-Unis ont dépassé ce stade dans la mesure où, par suite de la « marche des intérêts composés », la société du pays «se rapproche du point où la quête de la nourriture, du toit, des vêtements ainsi que des biens de consommation durables et des services publics et privés ne commande plus son existence ». De nouvelles perspectives se sont ouvertes au-delà de la consommation de masses et la Société se tourne aujourd'hui vers de nouveaux objectifs plus élevés. Rostow en veut pour preuve le fait qu'aux Etats-Unis la natalité a augmenté ainsi que la proportion de familles nombreuses52.

? Critiques de la théorie des étapes linéaires

On ne peut qu'adhérer à la critique formulée par Georges Balandier53 en ces termes : cette manière de voir implique un déterminisme technico-économique simpliste et un politico-centrisme'' fort vulnérable. Elle adhère sans inquiétude excessive à un développement unilinéaire qui condamne les sociétés en développement à répéter les processus ayant assuré le progrès de certaines des sociétés aujourd'hui avancées. Elle leur dénie la possibilité de faire naître des sociétés et des économies inédites.

Au-delà de Rostow, la grande majorité des néo-évolutionnistes actuels semble avoir renoncé à la conception d'une loi historique déterminant un processus unilinéaire obligatoire.

L'évolutionnisme multilinéaire oriente les recherches consacrées aux procès de changement culturel ; il commence à réduire le socio-centrisme des politicologues envisageant le développement des sociétés politiques ; il affecte

52 SZENTES, T., Op.cit., pp. 94-95

53 BALANDIER, G., Sens et puissance, Ed. Seuil, Paris, 1971, p. 6.

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moins, par contre, l'étude des changements agissant au sein des formations spéciales et provoquant leur transformation. D'autre part, la comparaison des processus de développement et de modernisation a imposé l'abandon de modèles théoriques trop simplistes. Elle fait mieux apparaître les discontinuités, les ruptures de modernisation, le mouvement différentiel de chacun des systèmes constitutifs d'une même société globale qui ne se transforme pas en bloc, la diversité structurelle de l'industrialisation.54

Balandier55 cite en particulier Shalins comme exemple néo-évolutionniste ouvert'': l'un et l'autre admettant que le progrès a souvent tendance à passer d'une étape peu développée à une étape comparativement très développée, procédant alors par mutation. Quant à Talcott Persons que Balandier range également dans ce groupe, il distingue trois états principaux de l'évolution sociale : l'état primitif, état intermédiaire et l'état moderne mais en portant l'accent sur les sous-états et les variations structurelles qui se manifestent dans chaque phase.

Le courant développementaliste est l'un des plus représentatifs des lignes de recherches actuelles. R. Nisbet56 en a présenté un panorama assez complet et lui-même se situant sur des positions très profondément différentes. La pensée développementaliste est insérée jusque dans les origines de la civilisation occidentale. Les Grecs d'abord puis Saint Augustin et la philosophie chrétienne, et jusqu'à Karl Marx, en passant par Rousseau, Kant, Regel et surtout Leibniz. Pour Nisbet, il faut entendre le verbe développer au sens intransitif, c'est-à-dire évoquer le développement en procédant du sujet et non pas comme résultat d'une force externe. Le développement est, en ce sens, une priorité intrinsèque de la structure, et à ce titre se différencie de la simple notion de changement qui peut se rapporter à des facteurs extérieurs. Il analyse de la façon suivante les concepts qui se rattachent aux données fondamentales du développementalisme :

a. Immanence

54 BALANDIER, G., Op.cit., p. 6.

55 Idem, p. 8.

56 NISBET, R., « Dévelopementalisme A critical& analysis », in KINNEY et TIRYAKAN, Theoretical sociology: Perspectives and developments, New-York, 1970, pp. 167-204.

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Ce qui donne au développement son caractère distinctif par rapport à tout autre ; c'est essentiellement son immanence, c'est-à-dire son émergence ou sa manifestation à partir des forces qui résident à l'intérieur du système qui nous intéresse. Ceci ne veut pas dire que des forces ou des événements extérieurs ne puissent interférer mais sans constituer la source du changement considéré.

b. Continuité

Ce concept est à prendre dans son acception Leibnizienne : la nature ne fait pas de sauts, Nisbet marque l'analogie que retiennent les développementalistes entre le changement dans la société et la croissance d'un organisme (dans le domaine biologique). Pour Marx lui-même, la révolution est dans la stricte continuité de la phase sociale qui la précède. Et Nisbet cite la réponse de Marx dans la préface de la seconde édition du capital à ceux qui contestaient l'application à d'autres pays de ce que Marx avait analysé du capitalisme à partir de matériaux anglais : le pays qui est industriellement le plus développé et le seul a développé l'image de son propre futur.

c. Uniformitarité

L'auteur susmentionné déclare qu'il ne se réfère pas à la notion d'uniformité des étapes du développement d'une région à une autre mais à l'idée de causes uniformes ou de mécanismes de changement situés à l'intérieur de systèmes identiques ou similaires. C'est-à-dire l'idée que le capitalisme, la parenté, la caste ou la communauté procèdent dans leur développement normal, à travers des mécanismes qui sont les mêmes en tout temps et en tous lieux. En ce sens, bien que procédant de l'intérieur, l'explication théorique du développement ne peut se confondre avec la vision plus récente du développement endogène qui, elle, récuse tout déterminisme mais se réfère à l'identité culturelle.

d. Différenciation

En se référant à des observations très comparables à celles de la biologie, on peut appliquer aux phénomènes sociaux une loi de différenciation constante : plus un système est hautement différencié, plus il doit être avancé dans le temps.

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Nisbet,57 ensuite, étudiant le néo-développementalisme contemporain, affirme que, durant les dernières décades, surtout en Amérique et en Angleterre, ce courant s'est incarné spécialement dans le fonctionnalisme. Il s'élève contre l'accusation portée à l'encontre des fonctionnalistes de n'avoir point de théorie au changement : ils rapportent l'origine du changement aux éléments qui composent l'intériorité du système : rôle, statuts, fonction, par le jeu des dysfonctions. Et, il étudie des positions défendues par trois néo-développementalistes fonctionnalistes : Merton, Marion Levy et Tacoltt Persons.

Sans ouvrir la discussion sur le bien-fondé de cette classification qui n'entre pas dans notre propos, nous devons mentionner les données essentielles de la critique faite par Nisbet au développementalisme dans son ensemble.

Au premier chef, il récuse la possibilité de traiter d'un système social comme système indépendant, autonome sur le plan abstrait. Dans la réalité, les systèmes ne traduisent pas des conduites humaines, des faits, des événements qu'il est hors de portée de faire entrer dans les concepts de base du développementalisme.

e. Persistance sociale

Toutes les données sociales révèlent une constante activité, un mouvement constant mais il ne faut pas confondre activité persistante, mouvement'', avec changement''. La première erreur majeure des développementalistes est de négliger ou plutôt de déformer les phénomènes de persistance et de fixité. Pour Nisbet donc, on observe ces deux ordres de données : la persistance et le changement. Le changement n'est pas la donnée constante et universelle.

1.3.2. Théories marxistes et le développement

Nous avions distingué, au seuil de cette investigation, deux types d'analyse marxiste : celle qui s'est bloquée dans le dogmatisme en considérant la théorie comme pratiquement achevée et celle qui s'appuie sur une théorie plus ouverte et à partir d'une utilisation critique de l'appareil conceptuel établi, s'efforce

57 NISBET, R., Op.cit., p. 50.

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de trouver des réponses nouvelles aux problèmes nouveaux qui permettent par là-même d'éclairer davantage les démarches précédentes.

Nous ne pouvons pas nous attarder sur le marxisme dogmatique qui, la plupart du temps, ne peut échapper aux critiques dont est justiciable tout développementalisme unilinéaire conçu comme système étroit et rivé sur une orthodoxie'' construite par référence au passé.

Il est inutile d'épiloguer sur la stérilisation stalinienne'' et ses effets sur un certain nombre d'écoles marxistes s'attachant aux sciences humaines.

On a présenté, et on continue encore de présenter, une théorie 'marxiste'' qui serait en quelque sorte le pendant progressiste'' de l'analyse de Rostow déterminant les stades de développement obligé'' de toute société pour passer du communisme primitif'' au socialisme. La critique en a déjà été faite.

Sans pouvoir entrer dans le détail d'une analyse des recherches et des développements néo-marxistes, nous retiendrons tout spécialement les points qui peuvent contribuer à éclaircir notre recherche.

En premier lieu, sur la conception marxiste du développement et du dynamisme social, il faut noter l'apport du groupe de L. Althusser et de E. Balibar58 qui admettent au point de départ la distinction nécessaire en rejoignant par l'analyse dynamiste, entre le dynamisme inhérent à la structure et le dynamisme qui s'applique au changement et à son développement. Le dynamisme interne aux structures, fond sur la contradiction, ne tend pas au dépassement de cette contradiction mais sa reproduction. Par contre le dynamisme qui produit le développement des structures conduit à des seuils de rupture d'équilibre interne entre les structures dans leur articulation qui aboutit à une transformation du système, en passant par une phase de transition. Dans cette phase de transition, les structures libérées de leur assemblage antérieur peuvent se combiner en de nouveaux assemblages : ainsi divers modes de production coexistent au sein d'une même formation sociale avec l'un deux en situation dominante.

58 ALTHUSSER, E., et AL., Le capital, Tome II, Maspero, Paris, 1966, p. 15.

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Il convient de souligner que l'ouverture de la théorie marxiste à ces problèmes de transition'' présente un intérêt certain pour toute recherche concernant des mutations sociales liées au développement.

En second lieu, on doit prendre acte du renouveau de l'analyse marxiste appliquant aux formes néo-occidentales d'évolution des formations sociales évoquées par Marx à propos du concept mode de production asiatique. On a cherché à adapter à l'Afrique la notion de mode de production asiatique.

Eu égard à ce qui précède, les analystes marxistes ont été amenés à s'attacher à l'étude de développement et de formations sociales africaines dans leur stade précapitaliste puis dans la période marquée par l'impact de l'économie marchande dans le stade de transition au capitalisme.

Au-delà de Godelier et dans les lignes de travail qui divergent entre elles sur plus d'un point, on voit paraître ainsi la description faite par Claude Meillassoux de la société Gouro de Côte d'Ivoire qui est interprétée comme un mode de production cynégétique et lignager.59 Terray60 reprend le problème par la suite et tout en rendant hommage au caractère fécond et novateur de l'ouvrage de Meillassoux, lui reproche de n'avoir pas, dans la ligne d'Althusser, recherché à dépasser la perspective du mode de production unique. En utilisant les matériaux de Meillassoux, il montre la coexistence de deux modes de production, l'un réalisé dans le cadre du système tribalo-villageois, l'autre dans le cadre de lignager.

Dans cette démarche, Terray61 s'efforce de mettre en place une méthodologie permettant de déterminer les modes de production au sein des sociétés dites primitives.

Pierre-Philippe Rey, quant à lui, a rassemblé un important dossier sur trois études sur le Congo-Brazzaville62, fondement de son analyse en quatre chaînons : le système lignager, la traite, le système colonial et le néo-colonialisme. Il s'écarte sensiblement de Godelier qui lui semble trop marqué par l'idéologie structuraliste plus proche de Terray en défendant cependant un point de vue

59 GODELIER, M., L'idée du réel et le réel, Fayard, Paris, 1984, p. 14.

60 TERRAY, E., Le marxisme devant les sociétés primitives : deux études, Maspéro, Paris, 1969, p. 14.

61 .TERRAY, E., Op.cit., p. 15.

62 REY, P. Ph., Colonialisme, néo-colonialisme et transition au capitalisme : exemple de la Camilog au Congo-Brazza, Maspéro, Paris, 1971, p. 7.

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différent de ce dernier en considérant notamment que les clans, les sociétés lignagères, les classes d'âge fonctionnent comme des classes sociales. Ce dernier point semble particulièrement contestable du fait que les classes d'âge sont les points de transition nécessairement importantes alors que les classes sociales fiant les individus dans les rapports dont ils ne sortent pas nécessairement.

Il faut ajouter aux recherches appliquant les catégories marxistes aux sociétés précapitalistes africaines, une autre dimension du courant néo-marxiste tendant à rompre avec la réduction du système explicatif du changement et du développement de la théorie de l'impérialisme de Lénine, s'est constituée, à une théorie de l'impérialisme néo-capitaliste et du système mondial de l'économie marchande, à la suite notamment des travaux de Baran et Paul Sweezy sur le capitalisme monopoliste63.

1.4. D'autres théories sur le concept développement

1.4.1. Théories sur le développement local et développement durable64

Il y a plusieurs théories attachées au concept « développement ». Certains parlent de développement endogène ou exogène, de développement local, de développement communautaire, etc., et d'autres, par contre, parlent de développement durable, développement intégral, etc. Plusieurs adjectifs sont à cet effet attachés à ce concept pour lui donner, d'une manière ou d'une autre, un contenu particulier par rapport à la compréhension de chaque auteur. Nous allons nous attarder actuellement sur le développement local et durable.

En ce qui concerne le développement local, nous pouvons retenir que c'est « un processus de diversification et d'enrichissement des activités économiques et sociales sur un territoire à partir de la mobilisation et de la coordination de ses ressources et de ses énergies. Il sera donc le produit des efforts de sa population ; il mettra en cause l'existence d'un projet de développement intégrant ses composantes économiques, sociales et culturelles ; il fera d'un espace de contiguïté un espace de solidarité active »65. Il est également « une dynamique

63 BARAN, P., et SWEEZY, Le capitalisme, Maspéro, Paris, 1968, p. 11.

64 Lire à ce sujet BOLIMA BOLITSI, W., Op.cit, pp. 66-77.

65 PELLISSIER, J.P., FRAYSSIGNES, et J., AHMED, Z., Les territoires ruraux en Méditerranée, quelle politique publique pour accompagner les dynamiques de développement ? IAMM et IRAM, Paris, 2018, p. 5.

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économique et sociale concertée et impulsée par des acteurs individuels et collectifs À collectivités locales, acteurs économiques, organisations de la société civile, services de proximité et administrations déconcentrées de l'Etat, etc. À sur un territoire donné »66. Les populations aspirent à être dorénavant actives et responsables de leur propre développement. Les interventions d'appui au développement local se fondent ainsi sur la gestion concertée d'un territoire par ses habitants en intégrant plus en amont leurs besoins et attentes spécifiques et en valorisant leurs projets et leurs initiatives.

C'est pourquoi les préceptes du développement local, au même titre que le néo-institutionnalisme, sont avant tout l'expression d'une critique envers une économie composée d'agents indépendants, analysant les phénomènes d'un point de vue purement quantitatif et a-territorial, c'est-à-dire sans accorder d'importance aux influences provenant du milieu.

Pour Pecqueur B. la notion de territoire ne peut se départir d'une volonté de développement local. Il affirme que : « ni mode, ni modèle, le développement local est une dynamique qui met en évidence l'efficacité des relations non exclusivement marchandes entre les hommes pour valoriser les richesses dont ils disposent »67. Ces relations non exclusivement marchandes reposent sur la participation d'acteurs locaux, sur leur prise de conscience de la nécessité de fonctionner en réseaux qui, peut favoriser la production de compromis autour des enjeux liés à la revitalisation et à la viabilité du développement.

Cependant, pour certains auteurs, le mot local pose un sérieux problème de par son contenu. C'est le cas de Serge Latouche68, en référant de la réalité française, démontre comment le concept local accolé au développement, masquerait la réalité et pouvait servir à la paupérisation de la masse paysanne. Ce qui s'est passé avec les banques est révélateur, pense l'auteur. Avec « ...local », on utilisait la créativité populaire, voire, locale, et les ressources diverses pour le développement du Nord. A ce sujet, Cane, E. et Rawe, J. écrivent qu' : « au siècle dernier, il y avait une foule de petites banques locales et régionales, fortement

66 IRAM, « Développement local et décentralisation », in Iram, Paris, 2018, p. 2. Article en ligne consulté sur le lien : www. Iram-fr.org/ développement-local-et-décentralisation. Html, le 5 juillet 2018, à 10 heures.

67 PECQUEUR, B., La ressource territoire : une réponse émergente à la crise en milieu rural ?, MRSHC, Grenoble, 2017, pp. 2-4.

68 LATOUCHE, S., cité par BOLIMA BOLITSI, W., Op.cit, p. 67.

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enracinées dans l'économie locale. Le développement des banques nationales les a fait disparaître pour les remplacer par des agences qui drainent l'épargne locale et le financement de la grande industrie nationale. Aujourd'hui ce sont les banques transnationales qui font disparaître à leur tour les banques nationales au profit des firmes multinationales. Si l'argent est le nerf de l'économie, la disparition des banques locales signifie sans doute la fin de l'économie locale. Comme l'écrivent les théoriciens de time dollars d'Ithaca, l'économie assure sa croissance en se nourrissant de la chair et des muscles qui maintiennent soudée la société. Pardessus tout, le marché a fortement marginalisé des aires importantes tant au Sud qu'au Nord »69.

En effet, le mot « local » pose problème non pas du fait qu'il soit à son tour accolé à celui de « développement » mais le « local » semble « ambigu en raison de son extension géographique à géométrie variable-de la localité à la région transnationale, du micro, en passant par le méso-, il renvoie de façon non équivoque au territoire, voire au terroir et plus encore aux patrimoines installés (matériels, culturels, relationnels), donc aux limites, aux frontières et à l'enracinement »70. De l'autre côté, nous devons rappeler que le développement se veut un concept attrape-tout, hautement mystificateur, mieux, un concept à proscrire. Si le « local » émerge aujourd'hui, il n'émerge pas (ou ne devrait pas émerger) comme « développement » mais plutôt comme cadre d'un « après-développement », d'un « au-delà du développement », soutient, serge Latouche71.

Pour répondre à cette critique, Greffe X.72 s'inscrit en contre-courant en soutenant que le mot « local » n'est pas ambigu. Attaché au développement, il forme ensemble un paradigme. Il amènerait, peut-être, le territoire à mener une stratégie de développement qui exclurait toute réflexion d'ensemble ou toute harmonisation avec le milieu dans lequel se trouve le territoire. Cependant, ce qui est important et qu'il mène à la prise en considération d'un certain nombre d'objectifs et de contraintes générales lors de l'élaboration de projets locaux.

En plus, un territoire ne se traduit pas en territoire économique. Il est aussi, fondamentalement, un construit historique. Il est non seulement un espace

69 CANE, E. ET RAWE, J., cité par BOLIMA BOLITSI, W., Idem, p. 68.

70 BOLIMA BOLITSI, W., Op.cit., p. 68.

71 LATOUCHE, S., Faut-il refuser le développement ? PUF, Paris, 1986, p. 216.

72 GREFFE, X., Le développement local, L'Aube, Datar, Paris, 2002, p. 200.

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économique mais aussi un espace écologique, juridique et un espace vécu73. Le développement local est avant tout un développement territorial. Il se base sur un « espace vécu », c'est-à-dire un espace actif qui dépasse, en quelque sorte, la somme de ses composantes. Celles-ci sont représentées notamment par une identité culturelle, un système de valeurs communes qui créent des interactions et des effets de synergie. Ce sont des espaces où, en général, la contiguïté a débouché sur une solidarité : selon les termes de P. Aydalot « donner aux « milieux » le rôle essentiel, c'est faire du « territoire » la source du développement »74.

Cette nouvelle précision sera en face d'une nouvelle critique selon laquelle le concept de développement local n'échappe donc pas à la colonisation de l'imaginaire économique. Accolé au développement, le local est tout juste alors, comme le social et le durable, ce qui permet au développement de survivre à sa propre disparition. Le développement a détruit le local en se focalisant toujours plus sur les pouvoirs industriels et financiers.

Au-delà de cette nouvelle critique, le premier courant de pensée reprécise qu'il était plus qu'important de considérer le territoire comme un objet spatial qui dépasse le simple concept de surface et non le réduire à l'expression étendue neutre sur laquelle se déroulent les fonctions économiques. Il n'est pas qu'un lieu plus ou moins bien pourvu en dotations initiales de facteurs. Le territoire ne saurait donc être considéré comme une « boîte noire », un simple stock ou réservoir de ressources disponibles pour chaque Etat75.

Le territoire est clairement le produit « d'une proximité géographique et culturelle résultant du partage d'une convention socialisant les individus selon une dynamique d'apprentissage où chaque acteur se reconnaît et peut avoir un sentiment d'appartenance à partager avec d'autres dans des cadres qui lui sont familiers (famille, clan, milieu professionnel, espace d'habitudes et de rites communs, etc.) »76.

73 GREFFE, X., Op.cit, p. 201.

74 Idem

75 CANDELEARE, E., ARFINI, F., BELLETI, G., et MARESCOTI, A., (sous dir.), Territoires, produits et acteurs locaux : des liens de qualité. Guide pour promouvoir la qualité liée à l'origine et des indications géographiques durables, SINER-GI, FAO, 2009, pp. 23-100. Consulté en ligne sur : www.fao.org, le 05 juillet 2019, à 16 heures.

76 CANDELEARE, E., ARFINI, F., BELLETI, G., et MARESCOTI, A., (sous dir.), Op.cit., pp. 24- 100.

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Ces cadres sont définis par des cadres cognitifs au sein desquels se réalisent des phénomènes d'apprentissage collectif qui s'appuient sur la valorisation des savoir-faire locaux, la circulation de l'information sur les technologies et les marchés, le partage de connaissances tacites et le développement de réseaux de coopération77.

Au-delà de toutes ces précisions, Luisa Bonesio souligne que : « la croissance des systèmes locaux répondant à des logiques globales ne peut pas être appelée développement local »78. Il y a lieu de dire que « le localisme » et/ou « le développement local » nous met en face de territoires sans pouvoir à la merci de pouvoirs sans territoire. « En facilitant une gestion à distance, écrit Jean-Pierre Garnier, à la fois décentralisée et unifiée, d'unités dispersées dans l'espace, les nouvelles technologies de la communication permettent aux grandes firmes de superposer un espace organisationnel hors sol dont la structure et le fonctionnement obéissent à des stratégies d'entreprise de plus en plus autonomes à l'égard des activités et des politiques autocentrées sur des territoires déterminés »79.

Par ailleurs, le paradigme de développement local ne répond pas au principe d'universalité ou d'internationalisation. Quoique considéré d'une nouvelle théorie de développement, « le développement local » n'a pas touché au principe de libre-échange mondial, ainsi l'émergence du concept développement durable. Alors, qu'est-ce que le développement durable ?

L'expression est apparue pour la première fois dans un cadre diplomatique international en 1980, lors d'une conférence intitulée "Stratégie mondiale de la conservation : la conservation de ressources au service du développement durable". En 1987 elle acquit une notoriété plus large en étant intégrée dans le "rapport Brundtland" de la commission mondiale sur l'environnement et le développement de l'Unesco, présidée à l'époque par l'ancienne Première ministre norvégienne Gro Brundtland80.

77 LATOUCHE, C., cité par BOLIMA BOLITSI, W., Op.cit, p. 68.

78 BONESIO, L., cité par BOLIMA BOLITSI, W., Idem, p. 169.

79 BOLIMA BOLITSI, W., Op.cit, p. 68.

80 PARTOUNE, C., et ERICX, M., « Le développement durable - analyse critique », in "Diversité culturelle", répertoire d'outils créés par les formateurs de l'Institut d'Eco-Pédagogie (IEP), actualisé en septembre 2011, URL : http://www.institut-eco-pedagogie.be/spip/?article 59, consulté le 20 Avril 2019.

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Ce rapport en donnait une définition qui fait aujourd'hui autorité en affirmant le principe de "satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire leurs propres besoins". Concrètement, le développement durable est une façon d'organiser la société de manière à lui permettre d'exister sur le long terme. Cela implique de prendre en compte à la fois les impératifs présents mais aussi ceux du futur, comme la préservation de l'environnement et des ressources naturelles ou l'équité sociale et économique.

Ainsi, il est possible et nécessaire aujourd'hui d'opérer un bilan du développement durable (DD) en s'appuyant sur les formes concrètes qu'il a prises depuis plus de vingt ans. Malgré les discussions, interrogations ou critiques que le terme a suscitées, il est sans conteste, depuis la conférence de Rio en 1992, dans l'horizon normatif des projets, les programmes et politiques d'aide publique au développement qui s'opèrent concrètement sur les territoires et il accompagne maintenant les stratégies d'entreprise81.

Ses principes fondamentaux sont : la solidarité entre les pays, entre les peuples, entre les générations et entre les membres d'une société. Par exemple : économiser les matières premières pour que le plus grand nombre en profite ; la précaution dans les décisions afin de ne pas causer des catastrophes quand on sait qu'il existe des risques pour la santé ou l'environnement. Par exemple : limiter les émissions de CO2 pour freiner le changement climatique ; la participation de chacun, quels que soient sa profession ou son statut social, afin d'assurer la réussite de projets durables. Par exemple : mettre en place des conseils d'enfants et de jeunes ; la responsabilité de chacun, citoyen, industriel ou agriculteur. Pour que celui qui abîme, dégrade et pollue répare. Par exemple : faire payer une taxe aux industries qui polluent beaucoup82.

Contrairement au développement économique, le « développement durable est un développement qui prend en compte trois dimensions : économique, environnementale et sociale. Les trois piliers du développement durable qui sont traditionnellement utilisés pour le définir sont donc : l'économie, le social et

81 COX, K.R., et NEGI, R., « L'Etat et la question du développement en Afrique Subsaharienne », in L'Espace Politique, Revue en ligne de Géographie Politique et de Géopolitique, mis en ligne le 20 Août 2009, consulté le 13 décembre 2019 à 13 heure 20.

82 PARTOUNE, C., et ERICX, M., Op.cit, p. 22.

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l'environnement. La particularité du développement durable est de se situer au carrefour de ces 3 piliers »83.

En effet, « le développement durable est devenu un concept à la mode que l'on intègre à toutes les analyses. Derrière cette idée de durabilité se cachent plusieurs conceptions. Une conception d'activistes, d'écologistes, d'humanistes, d'enseignants, de chercheurs, d'entrepreneurs, de salariés, de politiques, etc. Bref, à tous les niveaux de la société, des individus profondément convaincus par la nécessité de changer les choses. De l'autre, une conception plus utilitariste, inhérente à des institutions et non plus à des personnes dont l'intérêt est la récupération du concept. L'objectif étant d'assurer la reproduction du pouvoir en place et de ne rien changer aux règles de la domination »84.

Selon les écrits du courant post- développementiste85, et en particulier ceux de Serge Latouche86, l'utilisation du qualificatif durable est intéressante pour les partisans du développement dans le sens où il contribue à nous faire croire que le développement peut s'inscrire dans la durabilité. Or, s'il continue de la sorte, en matière de dégradation des équilibres économiques, écologiques et sociaux, à l'évidence, le développement durable ne peut précisément l'être ! Dans la réalité, le développement serait-il contre la durabilité ?

Il s'agit d'interroger le concept de développement durable et sa récupération par les institutions (multinationales, gouvernements, collectivités locales...) afin de préserver le statu quo et de poursuivre des pratiques totalement « non durables ». L'idée est de révéler l'idéologie présente dans le qualificatif durable attaché au mot développement. Cette nouvelle qualification n'est-elle pas une façon de ne pas s'interroger sur l'urgence ? La question de la durabilité nous donne l'illusion d'un changement. Cela rassure la conscience des citoyens mais, finalement, rien, ou pas grand -chose, ne change réellement : les équilibres écologiques continuent à être fragilisés, les inégalités sociales poursuivent leur progression. Ces déséquilibres justifient le fait qu'on s'interroge sur la notion

83 LATOUCHE, S., « Le développement durable, un concept alibi », in MASINI, J., Débat sur le développement durable, Revue tiers Monde, tome 35, Paris, 1994, pp. 77-94.

84 RODHAIN, F., LLENA, C., « Le mythe du développement durable », Le développement durable, Préventique

Sécurité, 2006, pp. 1-3.

85 Voir le site www.apres-developpement.org et la charte du Réseau des objecteurs de croissance pour un après développement (ROCAD), consulté le 20 Avril 2019, à 10 heures.

86 LATOUCHE, S., Faut-il refuser le développement ?, PUF, Paris, 1986, p. 216.

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même de développement qui, selon de nombreux auteurs87, est porteuse de ces dysfonctionnements. Et c'est là que l'idéologie du développement durable est puissante : ce nouveau concept n'est-il pas une aubaine dans la mesure où il permet de faire l'économie de cette interrogation ? N'autorise- t-il pas que l'on passe sous silence ce qui, précisément, doit être mis en débat : le développement lui-même ? La preuve en est : que les dirigeants se le sont appropriés très rapidement, quitte à en faire un concept creux, vide de sens. Pour un courant de chercheurs et d'économistes, la durabilité est un nouveau domaine permettant de continuer à faire du développement en toute impunité88.

En effet, étant elle-même floue, car pouvant se rapporter soit au développement humain, soit à la croissance économique, la notion de développement attachée à l'adjectif durable crée plus de confusion. De prime abord, le concept de développement durable peut rallier à peu près tous les suffrages, à condition souvent de ne pas recevoir de contenu trop explicite ; certains retenant surtout de cette expression. Le premier mot « développement », entendant par-là que le développement tel que mené jusqu'alors doit se poursuivre et s'amplifier ; et, de plus, durablement, d'autres percevant dans l'adjectif « durable » la remise en cause des excès du développement actuel, à savoir, l'épuisement des ressources naturelles, la pollution, les émissions incontrôlées de gaz à effets de serre, etc. L'équivoque de l'expression « développement durable » garantit son succès, y compris, voire surtout, dans les négociations internationales d'autant que, puisque le développement est proclamé durable, donc implicitement sans effets négatifs, il est consacré comme le modèle absolu à généraliser sur l'ensemble de la planète.

Selon Serge Latouche89, quand on parle de développement durable, « on a affaire à une monstruosité verbale du fait de l'antinomie mystificatrice de l'expression. En effet, le développement étant, à l'heure actuelle et tel qu'il est pratiqué, par essence, non durable, lui accoler le mot « durable » devient une

87 L'association La ligne d'horizon-Les amis de FRANÇOIS PARTANT a organisé en mars 2002, au Palais de l'Unesco à Paris, un colloque international sur le thème : « Défaire le développement, refaire le monde ». De nombreux chercheurs et acteurs du Nord et du Sud se reconnaissent aujourd'hui dans une réflexion qui procède à une véritable déconstruction de la pensée économique qui se qualifie de post-développementiste. À la suite de ce colloque un ouvrage collectif a été publié, il présente la réflexion de 35 chercheurs et acteurs sur la question du développement et sa remise en cause : Défaire le développement, refaire le monde, Éd. Parangon, 2003, p. 412.

88 RODHAIN, F., et LLENA, C., Op.cit., p. 34.

89 LATOUCHE, S., Survivre au développement, Éditions Mille et une nuits, Paris, 2004, p. 51.

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imposture qui hérisse nombre d'écologistes, d'activistes, d'intellectuels et autres anciens hauts fonctionnaires d'institutions internationales telles la Banque mondiale ou le FMI.

Cependant, dans le même temps, ce concept de développement durable a le mérite d'interroger la société civile, de créer des débats et peut-être de parvenir à un certain niveau de conscience des problèmes écologiques. Le développement durable peut conduire au décloisonnement des disciplines, à la collaboration entre chercheurs et enseignants de différents horizons ; il peut donc être porteur de réflexions productives et judicieuses. Pour cela, il est nécessaire que les acteurs de l'enseignement et de la recherche apportent une approche critique de la notion de développement avant de s'intéresser à celle de développement durable90.

De fait, le problème avec le développement soutenable n'est pas avec le mot « soutenable » qui est plutôt une belle expression mais avec le concept de développement qui est complexe. Le soutenable, si on le prend au sérieux, signifie que l'activité humaine ne doit pas créer un niveau de pollution supérieur à la capacité de régénération de la biosphère. Mais, il sied de reconnaitre que cela n'est que l'application du principe de responsabilité énoncé par le philosophe Hans Jonas : « Agis de telle façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur la terre »91. Certes, la signification historique et pratique du développement liée au programme de la modernité est fondamentalement contraire à la durabilité ainsi conçue. Seulement, toute l'idéologie et pensée unique dominante s'efforcent avec un certain succès d'occulter cette réalité. La main invisible et l'équilibre des intérêts nous garantissent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Personne ne devrait se faire du souci pour ce faire.

Certainement, le développement durable ou soutenable est pavé de bonnes intentions. Il comporte, non seulement des défis mais aussi et surtout des incertitudes. Si, aujourd'hui, la survie de tous, développés et non développés, passe par la sauvegarde de la biodiversité, il faut reconnaitre que l'utilisation du concept de développement durable est, belle et bien, imposée par la « tyrannie des

90 RODHAIN, F., LLENA, C., Op.cit., p. 60.

91 LATOUCHE, S., Survivre au développement, Op.cit., p. 23.

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circonstances dans toute sa sévérité »92, selon l'expression de John Galbraith. Le développement durable auquel tous sont conviés inconditionnellement soulève beaucoup de problèmes pour les pays en voie de développement.

Ces problèmes ou déficits déterminent et pourraient être des difficultés sur le chemin du développement durable. Il s'agit par exemple : « à l'intérieur : une réduction de pauvreté qui ne se fait pas voir ; des insuffisances d'une gouvernance qui peine à prendre les besoins des populations en charge. A l'extérieur : des échanges inégaux séculaires, encore et toujours actuels »93. Ainsi, « que feront par exemple les pays en développement d'un marché mondial basé sur un avantage comparatif lui-même basé sur leurs ressources naturelles mais qui n'apporte pas d'avantage ? Le développement durable nous sauvera-t-il d'une théorie et d'un ensemble de politiques qui, malgré la durée, présentent des résultats douteux ? Quid du Mécanisme de développement Propre (M.D.P) qu'implique une proposition de compensation ? Onze à dix-neuf milliards de dollars américains par an comme valeur potentielle des échanges de gaz à effet de serre au profit des P.E.D. Les pollueurs, nonobstant des efforts internes, n'établissent pas là une nouvelle légitimité pour rester pollueurs en achetant aux pauvres leur incapacité de polluer ? »94.

On peut conclure cette partie en soutenant que la contestation à l'égard du développement durable est également fondée sur le fait que l'ONU le présente comme un projet de société, voire un projet de civilisation qu'il faudrait appliquer à toute la planète. La lecture que Sylvie Brunel95 nous propose est la suivante : à la fin des années 80, le développement durable serait venu à point nommé pour remplacer les notions de développement, de sous-développement et de "en voie de développement", devenues obsolètes avec la chute du communisme soviétique et qui faisaient l'apologie de la croissance, de la science et de la technique comme salvatrices du monde !

Dès lors, pour toute une série d'observateurs critiques, le développement durable s'apparenterait plutôt à un programme politico-économique promu par certains types d'acteurs sociaux qui siègent à l'ONU (dont des dirigeants

92 LOMBEYA BOSONGO, L., cité par BOLIMA BOLITSI, W., Op.cit., p. 65.

93 BOLIMA BOLITSI, W., Idem, p. 74.

94 LOMBEYA BOSONGO, L., cité par BOLIMA BOLITSI, W., Op.cit., p. 76.

95 BRUNEL, S., cité par PARTOUNE, C., et ERICX, M., Op.cit., p. 35.

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de pays non démocratiques), avec le credo suivant : le développement économique va résoudre les problèmes sociaux et environnementaux à condition qu'un nouvel ordre mondial impose des règles fondées sur le libre marché.

Dans ce programme, l'environnement correspond à l'ensemble de la planète comme un réservoir de ressources qui doit être globalement administré par des organisations régionales ou mondiales, d'après le Calgary Latin American Group96.

Le caractère hégémonique du développement durable se perçoit aussi à la façon dont il est désormais posé comme une référence "sacrée", une "nouvelle religion"97. En effet, s'il a le mérite de poser une vision du monde sur la table, celle-ci est rarement mise en débat, bien au contraire : émettre l'idée qu'elle doive y être soumise provoque souvent incompréhension, opposition, voire anathème à l'encontre de la personne qui s'y autorise.

§2. Paix

2.1. Notion et développement du concept

Le champ de la paix est plus vaste et chaque auteur s'amène avec sa compréhension. Dans un premier temps, la paix s'adresse prioritairement à l'individu. Elle fait référence à un état intérieur, empreint de calme ou de tranquillité, à l'écart de toute perturbation ou agitation. C'est la paix de l'esprit et celle du coeur. Elle est souhaitable pour soi-même ainsi que pour les autres, au point de devenir une salutation : « Que la paix soit avec toi ! », une philosophie de la vie98.

Cette notion va connaître une évolution, surtout dans le monde occidental, en ayant une conception plus collective et extérieure à l'individu. Elle peut être définie comme l'absence de guerre, comme la suspension plus ou moins longue de la rivalité violente ou des conflits entre entités politiques ou encore comme l'intervalle qui sépare deux moments de guerre99.

96 BRUNEL, S., cité par PARTOUNE, C., et ERICX, M., Op.cit., p. 35.

97 LATOUCHE, S., cité par PARTOUNE, C., et ERICX, M., Op.cit. p. 37.

98 COLLECTIF, Paroles de paix en temps de guerre, Privat, Toulouse, 2006, pp. 7- 9.

99 MERLE, M., (sous dir), Pacifisme et internationalisme, XVIIe-XXe siècles. Paris, A. Colin, 1966, p. 81.

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Elle peut aussi être considérée comme une activité, pas une passivité. Elle est un engagement qui se pratique tous les jours dans toutes nos interactions. Être un spectateur passif face aux interactions violentes des autres tue la paix. Rester passif envoie le mauvais signal. Cela autorise les violents à augmenter la violence. C'est en formant un contrepoids, majoritaire, où la paix prime dans les interactions humaines qu'on peut susciter une remise en cause de violents et les éveiller au meilleur d'eux-mêmes. En restant passif, on se désolidarise de cet effort de contrepoids, on fait le choix de la violence des autres même si on est le plus doux des êtres100.

Sociologiquement, la paix désigne l'entente amicale de tous les individus qui composent une ou des sociétés civiles et/ou militaires. Elle n'implique pas l'absence de conflits mais une résolution systématiquement calme et mesurée de toute difficulté conséquente à la vie en communauté, principalement par l'écoute, la compréhension, le dialogue, la négociation ou par des échanges de biens tel le commerce ou le troc. La paix implique également le goût pour le calme, ainsi que la capacité à vivre sereinement avec l'autre : individu ou société. En cela, la paix est l'intérêt commun pour le développement qui prend ses racines dans la prospérité101.

Si cet intérêt n'est pas partagé, c'est qu'il n'y a pas existence d'une capacité visionnaire et avant-gardiste pour un développement enrichissant, quel qu'il soit : économique, innovation, culturel, durable, connaissance, social. La paix n'est ni un idéal, ni une utopie. Elle est principalement une donnée sine qua non au développement économique et tout ce qui en découle : culture, éducation, dynamisme... Elle est le coeur d'une économie. Sans paix il ne peut exister une économie prospère102. En cela, nous pouvons dire que la paix est l'économie et que l'économie est la paix. Les guerres sont le dysfonctionnement même de l'économie. La source de l'économie est la prospérité. La prospérité est la source de l'économie. La guerre est le chaos qui empêche l'existence de l'économie. L'économie ne peut

100MAMON, D., Pour Graines de la Paix, 6 mars, 2007, pp. 1- 2. Article en ligne sur https://www.grainenesdepaix.org/fr/ressources/concepts-de-paix/definitions/comment-definir-la-paix, consulté le 09 mars 2021 à 14 heures 12

101 BOUCHER, F. E., SYLVAIN, D., et JANUSZ P., (dir.), La Paix. Esthétiques d'une éthique, Bruxelles, New York, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, Wien, Peter Lang, 2007, p. 227.

102 BOURNIER, I., et POTTIER, M., La Grande Encyclopédie de la Paix, Casterman, Bruxelles, 2007, p. 96.

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être définie selon le principe du bien-être de quelques individus mais de l'ensemble des individus et des sociétés103.

En effet, la paix demande une combativité positive dans nos relations et tout autant face à nos propres impulsions. Mais définir la paix comme le combat gagné de la raison contre les instincts est faux. Ce n'est pas par le combat qu'on atteint la paix intérieure mais en cultivant un état intérieur d'apaisement. A l'opposé d'un combat, c'est une relation à construire ; avec soi-même, puis avec les autres, où la raison ne suffit pas, il faut aussi le coeur. Elle est un tissage perpétuel de relations chaleureuses de bon voisinage basée sur les valeurs humaines et la créativité des uns et des autres pour dépasser les difficultés, les heurts et ses propres frustrations104.

La paix est un choix de vie où les interactions humaines se fondent sur des élans d'humanité capables d'inverser les tendances à la violence des puissants, de vindicatifs et de personnes en colère, en touchant leur coeur et leur raison. Un choix de vie à la fois individuel, collectif, économique et politique.

Au demeurant, l'articulation entre la paix et son opposé (guerre, violence, conflit, colère, etc.) est une des clés de nombreuses doctrines, religieuses ou politiques, clé fondamentale, bien que généralement non explicite. Mais la paix peut se définir par le fait non pas politique ou religieux mais bien plus par le fait qu'elle est une condition à l'évidence à la vie105.

Dans le yi-king, l'hexagramme opposé à celui de la paix est celui de la stagnation. Symboliquement, cela indique que la paix n'est pas un absolu mais une recherche permanente. Et que « le conflit » n'est pas l'opposé de la paix. Il convient dans une démarche de paix de transformer un conflit pour le résoudre sans répondre par la violence, non pas de le supprimer. Les démarches non-violentes incarnent cette démarche de transformation pacifique d'un conflit106. Car, comme l'indique le

103BOUCHER, F. E., SYLVAIN, D., et JANUSZ P., (dir.), Op.cit., p. 227.

104 MAMON, D., Op.cit, p. 1.

105 BOURNIER, I., et POTTIER, M., Op.cit., pp. 96- 98.

106 OFFENSTADT, N., Faire la paix au Moyen Age. Discours et gestes de paix pendant la Guerre de Cent ans, Paris, Odile Jacob, 2007, p. 502.

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préambule de l'UNESCO, « c'est dans l'esprit des hommes que naissent les guerres, c'est dans leur esprit qu'il faut ériger les défenses de la paix »107.

Cependant, il se peut que dans la psyché collective, individuelle ou sociale, le calme soit une conception insupportable pour ceux qui n'ont pas eu accès à cet état très tôt. Leurs repères environnementaux sont de ce fait celui du conflit et du chaos. Ce qui nous fait dire qu'il manque de structure psychique, voir cérébrale, peut-être même biologique à l'Homme. Néanmoins, il a été remarqué que l'Homme est sujet à l'évolution psychique, biologique et cérébrale plus ou moins rapide avec des rechutes parfois à l'état "préhistorique" qui semble pouvoir être de mieux en mieux contenu jusqu'à ce qu'il soit stabilisé et par conséquent structurant et structuré sainement. C'est ce que nous pourrons nommer l'Homme rationnel108.

2.2. Conception de la paix selon qu'elle est positive ou négative

Parmi les nombreuses tentatives de définition de la paix, il en est cependant une qui, au cours des deux dernières décennies, s'est progressivement imposée. C'est celle de Johan Galtung qui, en opposition à la notion de « paix négative », introduit celle de « paix positive »109.

La notion de « paix négative » traduit simplement l'absence de guerre ou de conflit violent, tant entre États qu'à l'intérieur d'un même État. Définir ainsi la paix est aussi réducteur que de définir la santé par l'absence de maladies. Une telle définition ne décrit pas la paix, ne dit pas à quoi elle ressemble, encore moins comment elle s'établit et comment il est possible d'oeuvrer à sa promotion et à sa préservation110.

Avec le concept de « paix positive », Johan Galtung introduit les notions d'équité, de justice et de développement. Il la décrit comme « un état de la société dans lequel l'exploitation est entièrement éliminée ou, tout du moins, minimisée et où aucune violence manifeste d'origine structurelle ou individuelle ne vient dénier au peuple l'exercice de ses droits fondamentaux »111.

107 OFFENSTADT, N., Op.cit, p. p. 502.

108 BOUCHER, F. E., SYLVAIN, D., et JANUSZ P., (dir.), Op.cit., p. 227.

109 MUCHUKIWA, B., Op.cit., pp. 4- 5.

110 BOURNIER, I., et POTTIER, M., Op.cit., pp. 96- 98.

111 MERLE, M., Op.cit., p. 7.

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L'histoire nous enseigne, elle nous l'a démontré à de multiples reprises, que les conditions réelles de la paix, après un conflit, sont indissociables de la reconstruction du ou des pays concernés, de la mise sur pied de structures garantes de justice sociale et propices au développement harmonieux de toutes les couches de populations touchées par ce conflit. La combinaison du concept de « paix positive » avec celui de « paix négative » semble être la meilleure approche possible pour tenter de comprendre ce qu'est la paix et pour déterminer les domaines essentiels dont seront tirés les différents indicateurs qui vont constituer l'indice recherché112.

2.3. Émergence et institutionnalisation de la notion de paix positive

En introduisant la notion de paix positive, Johan Galtung n'a fait que traduire une évolution entamée le 24 octobre 1945, à la création des Nations Unies. Les effroyables et massives violations des droits de l'homme auxquelles a donné lieu la Deuxième Guerre mondiale et le traumatisme profond qui en a résulté, ont fortement influencé les rédacteurs de la Charte des Nations Unies. Si le Préambule et le Chapitre 1 de cette Charte traduisent bien le désir commun d'instaurer la paix, c'est l'article 55 qui cerne au plus près les contours de cette paix113 :

« En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront114 :

- Le relèvement de niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l'ordre économique et social ;

- La solution de problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres domaines connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l'éducation

;

112 WERLY, N., Paix : l'insaisissable définition, in Ela. Etudes de linguistique appliquée, 2002/4, n°128, pp. 481495.

113 CLINTON., B., Paix et démocratie, Organisation des Nations Unies, Paris, 2004, p. 42.

114 WERLY, N., Op.cit., pp. 481- 495.

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- Le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ».

Alors même qu'au travers de l'Histoire, la paix et les droits de l'homme ont pu apparaître comme des termes hétérogènes, parfois antagonistes ou diamétralement opposés, ils se retrouvent ensemble à la base d'une nouvelle alliance pour un « ordre international ». La paix, prise comme l'absence de guerre, résultant de la fin des hostilités et inscrite dans des traités internationaux, n'implique pas nécessairement les exigences de dignité et de justice qui sont les conditions de sa durée et de sa stabilité. Pour ne pas avoir pris en compte ces exigences, le traité de Versailles portait, en ses clauses, les gènes de la Seconde Guerre mondiale115.

Il aura fallu attendre la fin de ce conflit pour que se tisse un lien puissant entre la notion de paix et celle de droits de l'homme. Initialement consacré, en 1945, par la Charte des Nations Unies, ce lien est ensuite renforcé, trois ans plus tard, par la Déclaration Universelle des Droits de l'homme qui met l'accent sur l'indispensable « exigence de protection des droits de l'homme par un régime de droit, afin de ne pas contraindre les individus à la révolte contre la tyrannie et l'oppression »116.

Les droits de l'homme, leur culture et leur respect font désormais partie des conditions nécessaires à l'instauration d'un état de paix. Quant au « droit à la paix », il rejoint la troisième génération des droits de l'homme, celle de l'ensemble des droits liés à la solidarité.

En 1994, Federico Mayor, alors Secrétaire général de l'UNESCO, lance un appel mondial pour l'instauration d'un droit à la paix. Trois ans plus tard, une proposition de déclaration incluant la paix dans les droits de l'homme est soumise, sans succès, à la Conférence générale de l'UNESCO. Malgré cet échec, le droit à la paix demeure à l'ordre du jour du programme des Nations Unies. Début 2001, la

115 CLINTON., B., Op.cit., pp. 42- 44.

116 WERLY, N., Op.cit., pp. 481- 495.

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Commission des droits de l'homme adopte une résolution pour la promotion du « droit des peuples à la paix »117.

Il est maintenant communément admis que la paix est le résultat d'un certain nombre de facteurs au sein desquels les droits de l'homme, le développement économique et social, la justice et l'équité, la gouvernance, la culture et la spiritualité occupent une place beaucoup plus importante que celle tenue par les indicateurs d'absence de guerres ou de conflits118.

2.4. Outils et organisation de moyens en faveur de la paix

Au cours des dernières années, plusieurs universités de paix ont été fondées, comme l'université pour la paix de l'ONU, au Costa Rica (UPEACE [archive]), l'université de la paix de Brasilia (UNIPAZ), ou l'Université de Paix de Namur, le Centre mondial de la paix1 à Verdun119.

Elles dispensent un enseignement et contribuent à des échanges de savoir et savoir-faire visant à étendre l'action individuelle et collective sur et pour la paix (chef-d'oeuvre de paix inspirée par le compagnonnage à UNIPAZ). Ces formations touchent à l'écologie globale, autant qu'à l'écologie intérieure, sociale et environnementale. Elles intègrent aussi la notion de résilience pour sortir du cycle infernal de la vengeance ou vendetta120.

De nombreuses ONG dites « humanitaires » travaillent aussi au commerce équitable, à plus de justice, à la réconciliation des peuples et à la réparation des dégâts de catastrophes naturelles, économiques, militaires ou sociales, dont Green cross2 fondée par Mikhaïl Gorbatchev après la Glasnost et la fin de l'URSS121.

Des associations pacifistes existent dans plusieurs pays. En France le Mouvement de la Paix a été créé le 22 février 1948. Il reste la principale ONG pacifiste française dont l'action se tourne de plus en plus vers la jeunesse.

117 NATIONS UNIES, « Paix, dignité et égalité sur une planète saine », in Nations-unies, article en ligne sur www.un.org/fr/global-issues/peace-and-security, consulté en ligne le 10 août 2022 à 14 heures 30.

118 CLINTON., B., Op.cit., pp. 42- 44.

119 BOURNIER, I., et POTTIER, M., Op.cit., pp. 96- 98.

120 OFFENSTADT, N., Op.cit., pp. 502- 506.

121 Médaille Christofle, éditée pour le IXème congrès Universel de la Paix, Paris en 1900.

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Les mouvements pacifistes contre les armes nucléaires se développent dans les années cinquante, présents dans le monde entier encore aujourd'hui. Le célèbre symbole peace and love en est issu, il sera largement utilisé contre la guerre du Vietnam et demeure un des symboles les plus utilisés pour la paix122.

Nous pouvons également citer en tant qu'outils l'importance de l'Histoire et les souvenirs des guerres passées. C'est en se souvenant de ses erreurs que l'Homme se corrige et évite de les reproduire. Parmi ces outils nous pouvons mettre en avant les quelques 30.000 monuments aux morts érigés en France entre 1920 et 1925 en souvenir des victimes de la Première Guerre mondiale ou encore l'instauration de journées commémoratives, comme les célébrations annuelles de l'Armistice. Enfin, pour ne pas les oublier et mettre des mots sur ces souvenirs, vestiges de notre Histoire, les conflits sont très largement évoqués dès le primaire dans les programmes scolaires français. Gandhi affirmait d'ailleurs à ce propos : « Si nous voulons enseigner la paix véritable en ce monde et si nous voulons entrer en guerre contre la guerre, c?est avec les enfants que nous devons commencer »123.

Néanmoins, la paix ne peut être atteinte au sein d'un ou de plusieurs peuples que par la contribution absolument volontaire de tous ceux qui composent ces peuples. La paix est donc, à cause de cette nécessité, une vertu aussi noble que difficile à atteindre. Aussi, au-delà des organisations humanitaires et internationales, se trouvent des hommes et des femmes qui espèrent que le lendemain sera meilleur que la veille124.

2. 5. Personnalités engagées pour la Paix

De nombreux artistes se sont engagés en faveur de la Paix, à travers leurs actions ou leurs oeuvres, comme Picasso et sa Colombe de la paix, John Lennon et son album Imagine3, ou Carl Fredrik Reuterswärd et sa sculpture Nonviolence, le pistolet noué, exposé sur le parvis de l'ONU à New York125.

122 BOUCHER, F. E., SYLVAIN, D., et JANUSZ P., (dir.), Op.cit., p. 224.

123 BOURNIER, I., et POTTIER, M., Op.cit., pp. 98- 99.

124 OFFENSTADT, N., Op.cit., pp. 502- 506.

125 BOUCHER, F. E., SYLVAIN, D., et JANUSZ P., (dir.), Op.cit., p. 227.

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2.6. Paix internationale

La paix entre les nations est la mission fondatrice des Nations unies. La paix mondiale est l'objectif premier de l'unité européenne, comme en témoignent les premiers mots de la Déclaration du 9 mai 1950, dite déclaration Schuman, en fait essentiellement due à la plume de Jean Monnet : "La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La contribution qu'une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques"126.

La Journée internationale de la paix est célébrée chaque année le 21 septembre à l'initiative des Nations unies. Elle est dédiée à la paix et particulièrement à l'absence de guerre, qui doit se manifester par un cessez-le-feu dans les zones de combats. Elle est observée dans de nombreux pays depuis sa création en 1981127.

§3. Conflit

3.1. Notion et développement du concept

Etymologiquement, le mot conflit est tiré du mot latin « conflictus », qui veut dire choc, lutte et combat128. Raison pour laquelle les premières recherches effectuées dans ce domaine portaient essentiellement sur la guerre. Pourtant, le mot combat ne signifie pas seulement faire la guerre à quelqu'un pour avoir son élimination physique et définitive mais, généralement, à « une opposition contre quelqu'un, ses opinions, et aussi à une lutte contre un mal ou un danger. Ce qui explique parfois l'emploi de l'expression « combat d'idées »129.

Pour certains auteurs, comme Yvan Potin, un conflit est une rencontre de sentiments ou d'intérêts qui s'opposent : querelles, désaccords, la lutte de pouvoir. Si cette opposition d'intérêts n'est pas traitée, elle peut entraîner un conflit ouvert130. Mais aussi un conflit, c'est le choc. Autrement, il signifie heurter, ce qui

126 OFFENSTADT, N., Op.cit., pp. 502- 506.

127 BOUCHER, F. E., SYLVAIN, D., et JANUSZ P., (dir.), Op.cit., p. 228.

128 PAUL, R., Dictionnaire le petit Robert, Le Robert, Paris, 1013. Lire aussi ALBERT THOMAS, Cité par CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Op.cit., p. 18 ; YVAN POTIN, Op.cit., p. 5.

129 THOMAS, A., cité par CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Op.cit., p. 18.

130 POTIN, Y., Op. cit., p. 5.

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implique une opposition qui se transforme éventuellement parfois en crise. Il est à la fois événement, c'est-à-dire ce qui vient d'ailleurs, et, visiblement, contradiction. C'est donc parce qu'un conflit est constitué de ce qui est étranger qu'il représente un danger, la peur, l'angoisse de l'inconnu, mais aussi un élément d'ouverture131.

Notons que le conflit est un fait naturel de l'homme. Il est toujours lié à l'être humain. Le mal du conflit, c'est quand il amène à des incompatibilités. Il est permanent dans tous les secteurs de la vie sociale à différents niveaux et dans des contextes aussi variés. Il n'est pas un accident dans la société, il en fait partie132. Donc, faisant partie de la nature humaine133, le conflit est une réalité inéluctable134.

Pour cette raison, Thomas Albert précise qu'un organisme n'est vivant que dans la mesure où il provoque involontairement ou non des conflits135. S'alignant à cette conception, Jean-Luc Chavanis et G. Marie-José affirment que les conflits sont le signe qu'une organisation vit et évolue136. Pour dire autrement, il n'y a pas d'organisations ou de communautés sans conflit137.

De manière stricte, quand on parle d'un conflit, on fait allusion à un contentieux sur un ou des points de droit. On entend par conflit, au sens profond ou authentique du terme, l'affrontement de deux ou plusieurs volontés individuelles ou collectives qui manifestent les unes à l'égard des autres une intention hostile et une volonté d'agression, à cause d'un droit à retrouver ou à maintenir138. Ces volontés essaient de briser la résistance de l'autre, éventuellement par le recours à la violence. En ce sens, la guerre est l'exemple paradigmatique d'un conflit armé139.

131 FLORO, M., Pratique de classe et gestion des conflits, IUFM d'Aix, Marseille, 1998, p. 8. 132SIMMEL, G., Le conflit, Circé, Paris, 1992, p. 8.

133 NIYAKIRE, A., IRANYIBUKA, T., et NDACAYISABA, R., Résolution pacifique des conflits. Guide de formation destinée aux leaders communautaires « Imboneza », CDFC, 2013, p. 7.

134 DECKERS, J.L., et VAN DEN STEEN, H., Petit guide pratique pour l'usager potentiel de la médiation en entreprise, dans le non marchand, dans les organisations, les institutions et les administrations, UBMP, SL, SD, p. 5.

135 THOMAS, A., cité par CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Outils et pratique de la médiation : Dénouer et prévenir les conflits dans et «hors les murs», Interdiction, Paris, 2014, p. 18.

136Idem, p. 11.

137 ALINSKY, S., cité par GATELIER, K., et Ali., Transformation de conflit. Retrouver une capacité d'action face à la violence. Charles Léopold Mayer, p. 19.

138 LETHIERRY, H., Des conflits à l'école, les risques du métier, Chronique sociale, 2005, p. 14.

139 DOMINIQUE PICARD, E.M., Petit traité des conflits ordinaires, Le Seuil, Paris, p. 8.

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Le terme de conflit est aussi utilisé au sens figuré ou métaphorique. On parlera ainsi de conflit de devoirs, de conflit d'horaires ou encore de conflit d'intérêts. De même, par extension, le terme « conflit » est utilisé pour qualifier de vagues rivalités, des compétitions, des désaccords ou des antagonismes qui ne donnent pas lieu à un heurt140.

Pour John Burton, un conflit est un élément essentiel dans les relations humaines. Il permet d'opérer des changements et de promouvoir les valeurs sociales141. Certes, les conflits sont souvent douloureux et inconfortables mais ils sont aussi nécessaires ; ils sont capables de transformer des situations et d'engendrer une croissance positive s'ils sont gérés correctement. C'142est donc une étape naturelle de la vie143.

Au demeurant, on pense souvent qu'un conflit entre des personnes est une mauvaise relation. Pourtant, de nombreux sociologues, comme Georg Simmel, et philosophes, comme Hegel ou Nietzsche, développent une vision plus positive d'un conflit comme mode de relation entre individus144.

Pour Dominique Picard et Edmond Marc, les conflits ne sont pas des erreurs de la communication mais qu'il est aussi normal et banal de se disputer que de bien s'entendre : « les problèmes relationnels sont inhérents à la nature et à la dynamique d'une relation parce que vivre ensemble et communiquer, c'est compliqué et difficile »145. Cependant, le conflit est souvent vécu dans la souffrance et, contrairement à la bonne entente, il empêche la relation de progresser et d'être productive et les partenaires de s'épanouir146.

C'est pourquoi il est souvent nécessaire de le réguler et de le résoudre. Mais pour cela, il est plus important de permettre aux partenaires de comprendre ce qui se passe entre eux et de conduire leur relation (au lieu de se laisser conduire par elle) que de les amener (par la contrainte ou la persuasion) vers une « bonne entente » qui ne tiendrait pas compte de la réalité de leurs divergences.

140 DOMINIQUE PICARD, E.M., Op.cit., 8.

141BURTON, J., Conflict: Resolution and prevention, St. Martin's Press, New York, 1990, p. 36.

142 DOMINIQUE PICARD, E.M., Op.cit., pp. 9-- 10.

143ACCORD, Manuel d'ACCORD sur la consolidation de la paix, 2ème édition, 2015, Durban, 2015, p. 29.

144 DOMINIQUE PICARD, E.M., Op.cit., pp. 10-- 11.

145 LETHIERRY, H., Op.cit., p. 15.

146 ALBERT THOMAS, Cité par CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Op.cit., p. 18.

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Un conflit survient généralement lorsque des individus poursuivent des objectifs opposés ou incompatibles. Raison pour laquelle il est défini, par certains, comme une relation entre deux ou plusieurs parties qui ont ou croient avoir des intérêts ou des objectifs incompatibles147. Ce qui sous-entend que la coexistence et la difficulté de concilier les intérêts, visions, pensées, désirs (objet) et procédures contradictoires et incompatibles dans une organisation humaine constituent des sources potentielles des conflits.

Ainsi, les conflits naissent, évoluent et peuvent disparaître ou réapparaitre. Tout dépend des circonstances qui contribuent à la longévité de la coexistence et de la difficile conciliation de ces éléments. Il peut prendre une forme ou une autre.

En parlant des origines, notons qu'elles sont complexes et variées. Chaque conflit a une histoire et une évolution qui lui sont propres, avec des phases et des degrés d'intensité divers. S'inscrivant dans la même optique, Kuna Maba indique que chaque crise a sa propre nature, sa ou ses causes, ses conséquences, ses acteurs clés, ses spécificités ainsi que son intensité148.

Néanmoins, notons que le concept « conflit » n'est pas à confondre avec celui de « l'affrontement ». Il n'est pas non plus un jeu à somme nulle où ce qui est gagné par l'un, est perdu par l'autre. C'est un rapport entre des adversaires qui partagent certaines références culturelles, c'est, dit Simmel, « une synthèse d'éléments, un contre autrui qu'il faut ranger avec un pour autrui sous un seul concept supérieur »149.

Cette conception amène à ce jeu de mots un élément fondamental qui se trouve au centre d'un conflit. Il s'agit ici des prédispositions mentales des adversaires sans lesquelles aucun conflit ne saurait voir le jour. Elles sont représentées dans cette définition par « les références culturelles ». Car, si les actions d'un acteur ne heurtent pas les prédispositions mentales de l'autre, un conflit ne peut naître. Les prédispositions mentales de l'individu constituent le coeur même du conflit qui s'en suit.

147ANTONIA ENGEL et BENEDIKT KORF, Techniques de négociation et de médiation appliquées à la gestion des ressources naturelles, LSP, FAO, Rome, 2006, p. 41.

148KUNA MABA, G., La République Démocratique du Congo à l'épreuve de l'alternance pacifique. Les enjeux d'une lutte de recomposition de l'espace autoritaire, Terabyes, Kinshasa, 201., p. 17.

149SIMMEL, G., Cité par WIEVIORKA, M., Op.cit., p. 3.

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Notons avec H. Touzard que deux situations différentes peuvent se rapporter au mot « conflit ». D'une part, soit les acteurs interdépendants sont liés par des objectifs opposés et incompatibles ou adhèrent à des valeurs contradictoires. De l'autre, soit les acteurs interdépendants sont en compétition, c'est-à-dire visent un même but mais ne pouvant être atteint que par l'un d'eux150. Dans la première partie de cette définition l'auteur évoque l'incompatibilité des objectifs comme conflit. Cependant, étant donné que la pluralité d'acteurs et de besoins dans une organisation n'entraînent pas forcément la convergence des buts et leur convergence n'est pas toujours évidente, cette conception reste relative151.

En parlant du conflit, on peut aussi imaginer « une confrontation entre une ou plusieurs parties aspirant à des moyens incompatibles ou compétitifs de parvenir à leurs fins »152. Néanmoins, cette définition accuse quelques faiblesses, parce qu'elle met l'accent sur l'incompatibilité des moyens. Pourtant, il y a des cas où on trouve un riche et un pauvre être de part et d'autre auteurs directs d'un conflit sans tenir compte de leurs moyens respectifs.

De tout ce qui précède, il est clairement démontré qu'il existe une grande variété dans la description du concept « conflit ». Cependant, l'évidence est celle que tous les conflits ont en commun d'être le résultat de la rencontre d'intérêts ou de positions contradictoires et incompatibles entre eux. En cela, ils se construisent sur trois éléments fondateurs : une perception, un comportement et une incompatibilité153. La perception négative de l'autre, voire l'hostilité envers lui, nourrit un comportement malveillant à son égard ; on n'imagine aucune compatibilité possible entre ses propres intérêts et ceux de l'autre. L'incompatibilité est bien à la base du conflit et c'est ce en quoi il se distingue du désaccord154.

En ce qui nous concerne, nous allons plus parler du conflit armé. Pour plus de précision, il s'agit d'un conflit armé international et d'un conflit armé non international. Mais bien avant le développement de ces deux conceptions de

150TOUZARD, H., cité par KANGA, Conflit et identité, actes des journées philosophiques de Canisius, avril 1997, p.

58.

151 SIMMEL, G., Cité par WIEVIORKA, M., Op.cit., p. 3.

152MILLER, C.E., cite par ACCORD, Op.cit., p. 29.

153J GALTUNG, J., cité par GATELIER, K., et Al., Op.cit., p. 17.

154KARINE GATELIER et Al., Op.cit., p. 17.

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conflits armés, nous allons d'abord parler de la catégorisation de conflits selon qu'ils sont interpersonnels, intragroupes et intergroupes.

3.2. Types ou sortes de conflits

Les conflits sont catégorisés selon plusieurs manières et en fonction de plusieurs variables. On parle de l'appréciation de l'auteur, du contexte, des moyens utilisés, de la nature de l'objet du conflit, etc. Ces multiples variables s'inscrivent et s'expliquent souvent dans des contextes particuliers. On peut alors parler des conflits inter-groupes, intragroupes et intergroupes ; des conflits armés (internationaux et non internationaux) ; des conflits politiques ; des conflits fonciers ; des conflits coutumiers, etc.

Toutefois, il y a lieu également de distinguer les conflits symétriques à ceux asymétriques. Les premiers font référence aux affrontements dans lesquels les antagonistes combattent pour des objectifs de même ordre, avec les mêmes moyens, en utilisant les mêmes modes d'actions sur le terrain155. Les seconds se rapportent aux divergences entre les buts, les moyens et les voies des parties en présence au conflit156.

3.2.1. Types de conflits selon les rapports individuel ou collectif 3.2.1.1. Conflits interpersonnels

D'entrée de jeu, retenons qu'un conflit entre des personnes apparaît lorsque des parties s'affrontent. À ce niveau, il implique le rapport de deux personnes au moins. Il peut s'agir d'un couple, des voisins, d'amis, d'un piéton et d'un automobiliste, de deux piétons, de personnes qui font la queue à la poste, qui se précipitent sur un même objet en solde, etc. Dans ces cas l'appartenance à un groupe précis n'est pas déterminante157.

Ce genre de conflits peut partir d'une seule des parties en présence. Ainsi, son histoire est souvent difficile à décrire. Un conflit peut commencer par une divergence d'opinion, un constat de comportements différents, la recherche

155LABANA LASAY, Le conflit en relations internationales, analyse des concepts de base, MES, Kinshasa, 2004, p. 8.

156Idem, p. 9.

157 POTIN, Y., Op. cit., p. 5.

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d'appropriation, la jalousie, une confrontation à l'inconnu, être seulement chargé de la peur de l'inconnu, se développer par des propos de rejet, jusqu'à l'exclusion, s'articuler autour des conceptions d'intérêts opposés, être justifié par les parties par des questions de valeurs ou de croyances, etc.158

Très présent au coeur des débats philosophiques, dans les relations maître-esclaves, Platon rapportait dans La République la problématique conflictuelle en soi par l'énoncé de la relation maître-esclave en soi159.

3.2.1.2. Conflits intra-groupes

Les conflits intra-groupes font référence à des conflits entre deux membres ou plus du même groupe ou équipe160. Au cours des dernières années, les conflits intra-groupes ont capté l'attention du domaine littéraire sur les conflits et la dynamique des groupes161. Cet intérêt pour l'étude du conflit intra-groupe peut être liée à l'utilisation omniprésente des groupes de travail et des équipes de travail dans de nombreuses organisations, y compris les groupes de travail décisionnels, les groupes de projets ou les équipes de production. John a identifié deux types principaux de conflit intra-groupe : les conflits de travail et les conflits relationnels.

En effet, les mobiles justificatifs des conflits intra-groupes sont nombreux et variés. Ils peuvent être dus à l'incertitude des tâches ou des objectifs, l'augmentation de la taille du groupe, l'évolution de la diversité, le manque de partage d'informations et de l'interdépendance des tâches élevées162.

Dans un groupe constitué, par exemple le service commercial d'une entreprise, les conflits peuvent relever de diverses causes : luttes de pouvoir, conflits structurels dus à l'inégale distribution des ressources selon les fonctions, ancienneté, etc.

Cependant, dans certaines communautés, le conflit fait partie intégrante du groupe. Il en est même l'élément central. On peut prendre le cas des communautés de joueurs de jeux vidéo où l'objectif est de créer une rivalité au sein

158 CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Op.cit., p. 19.

159 YVAN POTIN, Op.cit., p. 7.

160 CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Op.cit., p. 22.

161 WIEVIORKA, M., Op.cit., p. 3.

162 YVAN POTIN, Op.cit., p. 9.

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du jeu afin d'embellir l'expérience de jeux. Cela permet ainsi d'avoir des confrontations virtuelles comparables aux rencontres sportives. On peut alors parler de conflit légitime car il y a consenti des joueurs163.

3.2.1.3. Conflits intergroupes

Conflit impliquant au moins deux groupes ou communautés ayant une culture et/ou une idéologie différente. Entre des groupes ethniques ou raciaux par exemple, des conflits armés ou une lutte intellectuelle idéologique ayant ou non recours à la violence pour des raisons de droits, de pratique de l'ensemble des principes et coutumes d'une religion ou pour la suprématie de celle-ci.

À cette question, la psychologie sociale suggère que les « groupes sont généralement plus compétitifs et agressifs que les individus »164. Deux principales sources de conflits inter-groupes ont été identifiées : « la compétition pour les ressources matérielles précieuses, selon la théorie du conflit réaliste ou pour les récompenses sociales comme le respect et l'estime... comme décrit dans la théorie de la frustration relative »165. Les conflits de groupe peuvent facilement entrer dans une spirale d'hostilité croissante marquée par le clivage du moi des points de vue166.

Cette compréhension du conflit inter-groupe permet d'expliquer les conflits qui opposent des groupes ethniques et qui naissent de l'identification et de l'appartenance à un espace primaire ou national. Notons, par ailleurs, que dans les territoires de FIZI, KALEHE et UVIRA au Sud-Kivu, des conflits naissent de la confusion entre deux réalités ou passage d'un territoire ethnique à un territoire étatique167.

3.2.2. Types selon l'objet de conflit 3.2.2.1. Conflits d'intérêt et d'identité.

- Conflit d'intérêt : l'enjeu se trouve limité à un objet, un avantage, à l'exercice d'un pouvf oir.

163 CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Op.cit., p. 18.

164 BURTON, J., Op.cit., pp. 36- 37.

165 MUCHUKIWA, B., Identités territoriales et conflits dans la province du Sud-Kivu, R.D. Congo, Globethics.net, Genève, 2016, pp. 4- 5.

166 CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Op.cit., pp. 18- 20.

167 MUCHUKIWA, B., Op.cit., pp. 4- 5.

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- Conflit d'identité : il s'agit, non pas d'acquérir un avantage mais de rejeter l'autre en tant que tel, l'objectif est l'élimination de l'ennemi pour ce qu'il est et pour ce qu'il représente en tant que personne physique ou en tant que personne morale.

3.2.2.2. Conflits d'autorité et les conflits de pouvoir

Les conflits d'autorité apparaissent entre des personnes de même rang hiérarchique qui s'opposent suite à l'empiètement par l'un sur les compétences de l'autre. Ceci rappelle immédiatement la nécessité de bien définir les compétences de chacun dès le départ afin d'éviter ce type de conflit assez souvent observable168.

3.2.2.3. Conflits de concurrence ou de rivalité

Ils sont principalement perceptibles dans certains métiers où la compétitivité, la recherche du résultat et sa quantification sont rendus nécessaires. On parvient dans ce cas à une sorte de jeu qui peut rapidement devenir une drogue où le conflit est banalisé mais jusqu'à un certain point169.

3.2.2.4. Conflits de génération

Ils sont très souvent observables dans les organisations et leur nombre ne cesse de croître avec l'augmentation de la mobilité professionnelle et les avancées technologiques170.

3.2.3. Types de conflits selon l'intention des acteurs 3.2.3.1. Conflits constructifs ou destructifs

- Constructifs

Lorsqu'il entraîne de l'expérience qui permet d'éviter les futurs conflits. Ce qui entraine un climat coopératif lorsqu'il : place les buts du groupe avant les objectifs personnels, il améliore le niveau des évaluations, il est source de

168 LETHIERRY, H., Op.cit., p. 15.

169 Idem., p. 16.

170 POTIN, Y., Op. cit., p. 5.

63

production d'idées créatives, il permet le réexamen des opinions et des buts, il permet l'accroissement des prises de risques, il augmente la cohérence du groupe171.

- Destructifs

Lorsqu'il entraine un climat compétitif à outrance. On peut voir les conflits comme des mécanismes de régulation inévitables mais qu'il faut affronter et qui doivent être néanmoins les moins visibles pour l'extérieur (comme dans le problème de la qualité)172.

3.2.3.2. Conflit latent, ouvert et conflit violent173 - Conflit latent

Une ou plusieurs personnes affectées par un problème sont mécontentes de la situation présente et la tension monte. Ici il n'y a pas des luttes car les parties ne perçoivent pas directement l'opposition des intérêts, des besoins ou des valeurs, ou elles ne sont pas en mesure d'y faire face, soit par faiblesse, soit par manque de conscience174.

- Conflit ouvert

Les parties en conflit s'accusent ouvertement les unes les autres, sans s'estimer responsables de leur rôle dans le conflit et cherchant à « gagner ». Le pseudo-conflit qui inclut la lutte mais il n'y a pas des problèmes réels. Ce sont les parties qui pensent qu'il existe un problème. De tels conflits relèvent généralement des situations de malentendu, de suspicions et d'une mauvaise communication.

- Conflit violent

Les parties en conflit utilisent à présent la violence ou l'agressivité pour vaincre l'autre.

171 WIEVIORKA, M., Op.cit., p. 3.

172 LETHIERRY, H., Op.cit., p. 15.

173 CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Op.cit., p. 18.

174 LETHIERRY, H., Op.cit., p. 15.

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3.3. Différentes constructions théoriques sur le concept conflits

3.3.1. Théorie de la méthode heuristique d'essais et d'erreurs (HEE) et d'échange d'informations (développée par Pruitt)

Dean a toujours eu un engagement précoce pour la paix, raison qui justifie ses différentes recherches sur les solutions durables aux dilemmes de négociation. Au coeur de cette exploration se situe l'idée que la résolution des conflits doit chercher des solutions intégratives175.

Et de son côté, en concentrant son attention sur les gains communs lors d'une négociation à variables multiples, Pruitt reprend les travaux de Mary Parker Follett, Walton et McKersie176. Pour des raisons de rappel, notons qu'on accorde souvent à Follett l'invention du concept de négociation intégrative que Walton et McKersie développèrent sous la forme d'un modèle applicable et d'études de

.

cas177

Dans la continuité de ses prédécesseurs, Pruitt, aidé par ses disciples, a mis en place plusieurs stratégies de résolution de conflits qu'il a complétés par la mise en place d'expériences permettant l'évaluation de ces mêmes stratégies. Les lignes qui suivent donnent les différentes stratégies développées par l'auteur178.

Pour l'auteur, deux approches sont nécessaires pour générer des gains communs. Dans un premier temps, il estime qu'il faille garder une approche ouverte de résolution de problèmes tout au long du processus de négociation. Dans la seconde, l'ensemble des négociateurs doit faire montre d'une détermination commune tout en maintenant une attente élevée quant à leurs objectifs. Ensemble, ces approches relèvent de la « rigidité flexible » : elles sont relativement rigides sur les objectifs initiaux mais flexibles quant aux stratégies employées pour aboutir aux objectifs prédéfinis179.

175 DRUCKMAN, D., « Théories de conflits et recherche en négociation : hommage aux contributions de Dean Pruitt », in Négociations, 2015/1, n°23, pp. 123- 136, article en ligne sur www.cair.info/revue-negociations-2015-123.htm, consulté le 1 mai 2022 à 10 heures 10.

176 Idem, p. 124.

177 DRUCKMAN, D., Op.cit, p. 125.

178 PRUITT, D., « Some research frontiers in the study of conflict and its resolution », in DEUTSCH, M., COLEMAN, P.T., MARCUS, E.C., The handbook of conflict resolution, San Francisco, 2nd ed., pp. 849 - 866.

179 DRUCKMAN, D., Op.cit., pp. 123- 136.

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Il estime également que la résolution de problèmes peut prendre la forme de deux stratégies : la méthode Heuristique d'Essais et ou l'Échange d'Informations180. La mise en oeuvre de la première nécessite d'apprécier les réactions à une diversité d'options proposées que l'on peut considérer comme des « ballons d'essai ». La deuxième méthode, l'Échange d'Informations, consiste à demander et fournir des informations sur les besoins et valeurs des négociateurs. Ces deux stratégies sont vectrices de flexibilité. Elles contrastent avec les stratégies dites distributives qui apportent une rigidité au processus de recherche de résultats favorables. Les deux stratégies, utilisées simultanément ou en parallèle, ont montré leur efficacité ainsi que certaines limites.

La difficulté avec cette méthode est que les négociateurs utilisent l'information présente pour bâtir les différentes solutions ou options intégratives. Cependant, lorsque ces options ne sont pas connues, les négociateurs peuvent essayer de reconceptualiser les possibilités ou en optant pour d'autres approches. Ce qui revient à dire qu'une certaine forme d'Échange d'Informations est possible. Débattre des valeurs et priorités éclaire la structure accordée aux résultats181.

Néanmoins, ce surcroît d'informations peut, soit encourager le processus de négociation, soit ensabler les parties dans une impasse durable. La première issue est plus probable lorsque les deux négociateurs se sont engagés dans une démarche de résolution de problèmes. La seconde est plus probable lorsque les parties sont résolument déterminées. Pruitt est clair sur la manière de surmonter ce défi : séparer le processus pour lequel la flexibilité est encouragée, même lorsque certaines incompatibilités sont claires, des objectifs finaux, pour lesquels des attentes exigeantes sont de mise182.

3.3.2. Théorie de la readiness

Les recherches expérimentales de Pruitt ont posé les fondations de ses études de cas plus récentes. Sa « readiness theory » en est un parfait exemple. Il développa cette théorie à travers plusieurs études de cas de conflits jugés

180 PRUITT, D., Op.cit., pp. 849- 866.

181 DRUCKMAN, D., Op.cit., pp. 123- 136.

182 FERRERES, E., « L'approche sociologique de Dean Pruitt pour comprendre pourquoi le conflit social à la SNCF perdure », in LinkedIn, 8 juin 2016, article en ligne sur www.likedien.com/pulse/lapproche-sociologique-de-dean-pruitt-pour-comprendre-éric-ferreres, consulté le 3 août 2022 à 10 heures 50.

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insolubles, comme le conflit Israélo-Palestinien, l'indépendance du Zimbabwe, ou le conflit entre les Tigres Tamouls et le gouvernement du Sri Lanka. En portant son attention sur les antécédents de l'entrée en négociations dans ces cas, Pruitt identifie un ensemble de variables clés qui préparent l'entrée en négociations183.

Deux de ces facteurs sont la motivation de mettre fin au conflit et l'optimisme quant au résultat de la négociation. Cette motivation dépend de trois conditions : d'abord la perception que le conflit n'est pas en passe d'être gagné, ensuite la prise de conscience de coûts et de risques du conflit, enfin la pression exercée par un tiers pour mettre fin au conflit. Ces trois conditions étaient réunies dans chacun des cas analysés par Pruitt. L'optimisme trouvait sa source dans les interactions des pré-négociations, en particulier durant la phase de communication exploratoire, en général secrète184.

Il est plus probable que les parties suspendent une approche unilatérale durant des discussions exploratoires qu'au cours d'une négociation formelle185. À ces deux variables, Pruitt vient d'ajouter l'interdépendance positive et un sentiment d'urgence186. Toujours réaliste, Pruitt reconnaît que le prérequis pour ces variables est un accord sur un cessez-le-feu. Et toujours expérimentaliste, il construit toujours ses concepts en tant que variables, qu'il considère comme la voie la plus crédible vers l'avancement des théories.

L'expérience de Pruitt avec les études de cas l'a amené à apprécier leur valeur, pas seulement en tant que complément des expériences, mais aussi comme une source alternative d'idées : contrairement aux expériences pures, les études de cas offrent une opportunité pour accumuler des résultats dans les deux directions, depuis les cas les plus récents jusqu'aux cas les plus anciens et vice versa, un focus sur les événements importants (négociations ayant abouti plutôt qu'échoué), des comparaisons d'un seul facteur entre plusieurs cas et la valeur de l'interprétation basée sur des préférences théoriques187.

183 MUCHUKIWA, B., Op.cit., pp. 4- 5.

184 FERRERES, E., Op.cit., pp. 7- 8.

185 DRUCKMAN cité par DRUCKMAN, D., Op.cit., pp. 123- 136.

186 PRUITT, D., cité par DRUCKMAN, D., Idem., pp. 123- 136.

187 BURTON, J., Op.cit., pp. 36- 37.

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Ces caractéristiques sont propices à l'élaboration d'un champ de réflexions en plein développement théorique plutôt que déjà mûres pour l'évaluation de ces théories. C'est pourtant la formation d'expérimentaliste de Pruitt qui lui a fourni la sensibilité nécessaire à la compréhension de ces différences188.

3.3.3. Modèles d'escalade, de points de non-retour et de désescalade d'un conflit

Dans son travail le plus récent avec Nowak, Pruitt fournit une base formelle à partir de laquelle il est possible de dériver des hypothèses quant aux antécédents menant à l'escalade ou à la désescalade d'un conflit189. Ces hypothèses sont générées à partir des tentatives pour développer deux modèles de dynamiques des escalades, respectivement appelés attractor landscape model ''190. Ces modèles sont considérés comme complémentaires : le concept de résistance à l'emballement est fourni par le premier de ces modèles tandis que le modèle en S présente les facteurs d'escalade et de désescalade. Pris ensemble, ces modèles fournissent une base théorique rigoureuse pour la mise en place des hypothèses suivantes relatives aux conditions d'emballement (escalade ayant atteint un point de non-retour) ; et le cas inverse, c'est-à-dire la désescalade191.

3.3.4. Théorie aristotélicienne sur l'origine de conflits

La justice est la mère de toutes les vertus et les injustices sociales génèrent des violences et conflits. Pour cette raison Aristote considère la justice comme étant le fondement ou la condition « sine qua non » d'une société viable. Pourtant la question de justice se pose avec acuité en Afrique d'autant plus que son indépendance n'est pas du tout garantie. Ainsi, il n'y aura pas de paix en République Démocratique du Congo sans justice192.

188 DRUCKMAN, D., Op.cit., pp. 123- 136.

189 DRUCKMAN, D., Op.cit., pp. 123- 136.

190 Idem., pp. 123- 134.

191MUCHUKIWA, B., Op.cit., pp. 4- 5.

192 TOCQUEVILLE, A., « De la démocratie en Amérique (1835-1840) », in Encyclopédie de la philosophie, La Pochothèque Garzanti, Librairie Générale française, 2002, p. 1603-1604.

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Dans le même sens, le Starigite souligne l'importance des conditions matérielles pour qu'un homme soit heureux. Cette théorie sera reprise par Abraham Maslow qui propose la théorie de besoins humains. Celle-ci stipule que tout être humain, dépourvu en moyens primaires (par exemple : Pour manger, s'habiller, loger, éducation, la santé), est porté à la violence. En effet, l'homme peut s'exprimer de manière violente lorsqu'il se sent bafoué et opprimé dans ses droits. À en croire Maslow, les motivations des êtres humains naissent dans des besoins à satisfaire, hiérarchisés en cinq niveaux parmi lesquels les plus bas dans la pyramide doivent être satisfaits en priorité (besoins physiologiques). Donc, d'après Maslow, le conflit commence par l'insatisfaction de besoins193.

3.3.5. Théorie marxiste de la lutte des classes sociales

En tant que théorie de la vie humaine, le matérialisme dialectique affirme que le fondement de tout développement dans la société est la contradiction dans la production. La plus importante des contradictions de ce type est la lutte entre les classes dans la société. Ce conflit ne saurait être résolu que par une « négation de la négation », c'est-à-dire par des changements révolutionnaires dans lesquels les classes existantes sont détruites et remplacées par une synthèse « à un niveau supérieur ». Pour l'auteur, le conflit entre la classe dominante établie et celle qui est en germe, est la source de « tous les conflits dans l'histoire »194.

Dans le même sens, Hegel n'en dit pas moins lorsqu'il soutient que l'État naît d'un conflit et qu'il est à son tour le théâtre et la source de nombreux conflits virtuels. La relation originelle des hommes entre eux est une relation de conflit, ce conflit met en jeu les deux passions fondamentales, à savoir la vanité et la crainte de la mort violente. La dialectique Maître-Esclave en est le modèle. Puisque la contradiction est fondamentale pour le changement historique, Héraclite disait : « un conflit est le père de toute chose, roi de toute chose ». Pour lui, le conflit est géniteur et organisateur de choses195.

193 TOCQUEVILLE, A., Op.cit., p. 1603-1604.

194 Marx, K., Le Capital, cité par CROPSEY, J., Histoire de la philosophie politique, Puf, 2e éd., Paris, 2010, p. 891-919.

195 HEGEL, Philosophie du droit, cité par STRAUSS, L., (sous dir), Histoire de la philosophie politique, éd. Originale 1963, Puf, 3e éd., Paris, 2013, p. 814.

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Darwin, dans sa réflexion, soutient que la lutte pour la vie entre humains est l'état naturel de relations sociales et que les conflits sont aussi la source fondamentale du progrès et de l'amélioration de l'être humain ; et donc, de la société. Certes, la vie est un combat mais l'ouvrier mérite son juste salaire. En somme, le marxisme combat l'exploitation ouvrière du capitalisme. Les injustices sociales sont à la base de revendications et tensions dans les institutions et sociétés contemporaines196.

3.2.2. Objet de conflit

En parlant de l'objet de conflit, retenons qu'il est de plusieurs ordres. Il peut s'agir de l'intérêt personnel ou identitaire, de l'autorité ou du pouvoir, de la concurrence ou de la rivalité,... selon qu'on est dans une circonstance particulière ou un milieu donnée.

3.2.2.1. Conflits d'intérêt et d'identité.

- Conflit d'intérêt : l'enjeu se trouve limité à un objet, un avantage, à l'exercice d'un pouvoir.

- Conflit d'identité : il s'agit, non pas d'acquérir un avantage mais de rejeter l'autre en tant que tel, l'objectif est l'élimination de l'ennemi pour ce qu'il est et pour ce qu'il représente en tant que personne physique ou en tant que personne morale.

3.2.2.2. Conflits d'autorité et les conflits de pouvoir

Les conflits d'autorité apparaissent entre des personnes de même rang hiérarchique qui s'opposent suite à l'empiètement par l'un sur les compétences de l'autre. Ceci rappelle immédiatement la nécessité de bien définir les compétences de chacun dès le départ afin d'éviter ce type de conflit assez souvent observable197.

3.2.2.3. Conflits de concurrence ou de rivalité

Ils sont principalement perceptibles dans certains métiers où la compétitivité, la recherche du résultat et sa quantification sont rendus nécessaires.

196 CROPSEY, J., Op.cit, p. 891-919.

197 LETHIERRY, H., Op.cit., p. 15.

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On parvient dans ce cas à une sorte de jeu qui peut rapidement devenir une drogue où le conflit est banalisé mais jusqu'à un certain point198.

3.2.2.4. Conflits de génération

Ils sont très souvent observables dans les organisations et leur nombre ne cesse de croître avec l'augmentation de la mobilité professionnelle et les avancées technologiques199.

1.4. Modes de résolution de conflits200

Il y a plusieurs modes de résolution de conflits, mais dans le cadre de ce travail, nous avons opté pour quelques-uns.

1.4.1. Résolution par transformation de conflits

La transformation est l'étape plus approfondie de la gestion d'un conflit. Elle part de l'idée qu'un conflit est lié à la structure sociale (loi, coutumes, préjugés) et la gestion durable nécessite un changement de ces lois201.

Dans la transformation de conflits, on distingue : 1.4.1.1. Transformation personnelle

En tant que médiateur, il faut accepter d'abord soi-même la transformation. Ce changement doit s'opérer d'abord au niveau personnel202 :

- au niveau émotionnel : commence par la maîtrise de soi ;

- au niveau perceptuel : prendre le temps de comprendre ce que veut dire l'autre avant de le voir tel que je le perçois. Certains ont tendance à voir les choses de façon négative. Il faut accepter l'autre, s'ouvrir aux autres ; - au niveau spirituel : on aime contribuer au bonheur et à l'épanouissement des autres ;

198 Idem., p. 16.

199 POTIN, Y., Op. cit., p. 5.

200 STRAUSS, L., (sous dir), Op.cit., p. 815.

201 TOCQUEVILLE, A., Op.cit., p. 1603-1604.

202 CHAVANIS, J.L., et GAVA, M.J., Op.cit., p. 18.

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- au niveau physique : la façon de s'habiller, de parler, la simplicité de gestes doivent être de nature à rassurer l'autre.

1.4.1.2. Transformation culturelle

Il faut permettre la transformation de règles et coutumes qui oppriment et qui ne valorisent pas les autres203.

1.4.1.3. Transformation structurelle

Il faut transformer le système, les lois et les règlements dont les organisations ou personnes mettent en place. Il faut voir si les structures mises en place valorisent l'être humain.

1.4.1.4. Transformation relationnelle

Nous devons accepter que les relations jouent un rôle important dans la vie. Notre façon d'aborder et de traiter les gens peut en faire des amis ou des ennemis. La communication est très importante dans la transformation relationnelle204.

Les participants ont identifié les principales formes de violences qui nécessitent d'être transformées au niveau local. Il s'agit notamment de l'excision, le mariage forcé, le viol, le rejet et abandon de filles enceintes.

1.4.2. Résolution par le dépassement de conflits

Il existe différentes méthodes de résolutions de conflits. Le choix doit être effectué en fonction de l'importance du conflit et de la volonté de résolution des acteurs205.

1.4.3. Recours hiérarchique

Il permet de résoudre un problème rapidement et sans discussion. Il fait appel à un supérieur hiérarchique qui va trancher de manière autoritaire (avec ou

203STRAUSS, L., (sous dir), Op.cit., p. 816.

204 DRUCKMAN, D., Op.cit, p. 125.

205 HARTWICK, J., et BARKI, H., « Conceptualizing the Construct of Interpersonal Conflict », Cahier du GreSI, n°02-04, Avril, 2002, p. 5.

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sans partie pris) et de manière définitive. Ce type de résolution de conflit est nécessaire dans des situations d'urgence mais pose le problème de la durée de son effet. En effet, la plupart du temps ces recours hiérarchiques imposent une solution sans résoudre le problème de l'animosité entre les individus. On débouche ainsi souvent sur un conflit latent206.

1.4.4. Arbitrage

Par rapport au recours hiérarchique, l'arbitrage implique les parties en leur demandant de choisir chacune un arbitre qui, généralement, désignera lui-même un troisième arbitre. Dans ce cas, les parties se trouvent impliquées dans la résolution du problème et le conflit peut trouver une fin apaisée sans rebondissements. Néanmoins, cette solution nécessite que le conflit ne soit pas trop avancé car les parties doivent donner leur consentement ; ce qui est en soi un premier pas vers la « réconciliation »207.

1.4.5. Médiation

Par rapport à l'arbitrage, l'intervenant extérieur désigné par les deux parties est unique ; ce qui nécessite une véritable volonté de négociation dès le départ. Dans ce cas, le médiateur n'est qu'un « relais » qui facilite la discussion, guide la conversation ou la provoque208.

1.4.6. Négociation

La négociation est la prise en charge du conflit ; c'est une solution pour concilier les points de vue opposés.

1.5. Différents types de négociations

- Une négociation peut être conflictuelle

C'est le cas lorsque des préjugés concernant l'un ou l'autre des individus existent ou lorsque les intérêts semblent totalement opposés.

- Une négociation peut être coopérative (gagnant - gagnant).

206 DRUCKMAN, D., Op.cit, p. 125.

207 STRAUSS, L., (sous dir), Op.cit., p. 815.

208 HARTWICK, J., et BARKI, H., Op.cit., pp. 6- 7.

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C'est le cas lorsqu'on assiste à un consensus (adhésion commune à une solution satisfaisant les deux personnes), une concession (renoncement à une partie de ses prétentions par l'une des personnes) ou un compromis (concession réciproque des personnes)209.

1.5.1. Différentes techniques de négociations - La technique de pivots

Elle consiste à obliger l'adversaire à négocier sur des objectifs en fait secondaires mais formulés de manière exigeante. On cède alors sur ces objectifs secondaires et en contrepartie on exige des concessions sur l'objectif principal210.

- Les techniques de maniement du temps

Elles consistent à jouer en allongeant la durée d'une négociation pour user l'adversaire puis brutalement d'exiger des délais et de fixer des ultimatums. C'est une sorte de "guerre des nerfs" où des contraintes de temps se superposent pour déstabiliser l'adversaire211.

209 TOCQUEVILLE, A., Op.cit., p. 1603-1604.

210 DRUCKMAN, D., Op.cit, p. 125.

211 HARTWICK, J., et BARKI, H., Op.cit., pp. 6- 7.

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- La technique "point par point"

Elle consiste à découper la négociation point par point, thème par thème, et à chercher des séries de compromis. Cette technique permet de ne pas effrayer l'adversaire et de "grignoter" petit à petit ses positions212.

- La technique de jalons

Consiste à faire admettre des points apparemment sans rapport avec le thème principal de la négociation pour finalement raccorder tous ces "petits jalons" et mettre l'adversaire devant le fait accompli. C'est une technique qui s'inspire du jeu de go et qui est d'orientation intégrative : le désaccord n'est jamais ouvert213.

- La technique de bilans :

Consiste à faire établir par l'adversaire la liste de ses prétentions en les traduisant immédiatement en termes d'avantages pour lui et d'inconvénients pour soi. Puis, dans un deuxième temps, on présente des solutions pour rééquilibrer ce bilan tout en respectant les intérêts des deux interlocuteurs. Bien entendu, les solutions présentées alors sont les véritables objectifs que l'on poursuivait.

- La technique de quatre marches

Il s'agit d'un jeu de repli dans lequel il évoque les solutions de manière progressive. Il s'agit de présenter d'emblée quatre solutions et non pas deux comme c'est souvent fait de manière caricaturale. La première solution est au-delà de son propre seuil de rupture ; elle est beaucoup trop avantageuse pour l'autre et dramatique pour soi. C'est en fait une solution de pure forme214.

1.5.2. Relation entre la résolution de conflit et le maintien de la paix

A la fin de la Guerre froide, le maintien de la paix est devenu un élément central de la réponse de la communauté internationale face à un grand nombre de conflits complexes et violents. De nouveaux rôles et profils d?intervention ont vu le

212 BURTON, J., Op.cit., pp. 36- 37.

213 STRAUSS, L., (sous dir), Op.cit., p. 815.

214 BURTON, J., Op.cit., pp. 36- 37.

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jour, que ce soit en matière d'intervention au sein des zones de guerre active ou encore de consolidation de la paix dans un contexte post-conflit215.

Par conséquent, il est devenu plus ordinaire pour les théoriciens de la Résolution de conflits de faire référence au maintien de la paix comme un instrument important de transformation positive de conflits. Dans ce sens, les gardiens de la paix (militaires et civils) sont mis en demeure d'utiliser un plus grand nombre de stratégies psychologiques ou de communication au lieu de la simple force militaire. De la même façon, l'une des tendances les plus importantes qui ressort des analyses récentes publiées par des praticiens du maintien de la paix a été l'augmentation de références que ces derniers font de différents aspects liés à la résolution de conflits216.

Même si les objectifs et buts finaux du maintien de la paix peuvent être définis comme militaires (contrôle de la fin des violences, sécurisation de l'environnement), humanitaires (livraison de l'assistance humanitaire), politiques (restauration du gouvernement légitime), et économiques (aider aux efforts de reconstruction et de développement), le maintien de la paix sur le terrain est essentiellement une activité de gestion de conflits et de communications. Les principes originaux du maintien de la paix (le consentement, l'impartialité, l'usage minimum de la force et la conduite légitime) peuvent être respectés seulement à la condition d'une intégration plus étroite de stratégies de communication et de résolution des problèmes, ceci en conjonction avec la résolution de conflit en matière de doctrine et de pratique du maintien de la paix217.

Il est important de noter combien la doctrine militaire du maintien de la paix intègre le langage de la résolution de conflits. Ceci comprend, par exemple, la doctrine du maintien de la paix de l'Armée britannique ; le Maintien de la paix élargi («Wider peace keeping»), ou encore sa plus récente doctrine, en matière d'Opérations de soutien à la paix («Peace Support Operations»). La même approche se retrouve dans la doctrine américaine en matière d'opérations d'appui à la paix218.

215 TOCQUEVILLE, A., Op.cit., p. 1603-1604.

216 BURTON, J., Op.cit., pp. 36- 37.

217 HARTWICK, J., et BARKI, H., Op.cit., pp. 6- 7.

218 LAZARTE-HOYLE, A., et CUNNIAH, D., Prévention et règlement des conflits violents et armés, Manuel de formation à l'usage des organisations syndicales, ILO/CRISIS, Genève, 2010, p. 6.

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Chapitre II.

PRESENTATION DE LA PROVINCE DU SUD-KIVU ET DU
TERRITOIRE DE KALEHE

Ce chapitre porte sur la description de notre cadre d'étude qui est le territoire de Kalehe. Cependant, comme le territoire est une composante de la province selon le découpage et la subdivision politico-administrative de la RDC, il est important de présenter d'abord la province du Sud-Kivu elle-même pour ensuite bien présenter et appréhender cette circonscription administrative. Pour ce faire, ce chapitre est structuré en trois sections dont la première porte sur la description du Sud-Kivu. Il est question de présenter l'historique de la province, son cadre géographique, l'aspect démographique ainsi que son organisation politique et administrative.

La deuxième section décrit les problèmes de développement du Sud-Kivu. Il est donc question d'identifier les facteurs qui inhibent le processus de développement de cette province. Dans cette perspective, un accent particulier est mis sur l'insécurité et son impact sur le processus de développement.

La troisième section, quant à elle, porte sur la présentation du territoire de Kalehe. Ici il est question de parler, de manière détaillée, de ce territoire qui fait l'objet de notre étude. Nous décrivons de manière singulière son aspect géographique, son cadre démographique, sa situation économique et administrative. Le souci est d'identifier les facteurs qui impactent négativement sur son développement et répertorier les atouts dont il dispose pour voir dans quelle mesure les exploiter pour améliorer les conditions de vie de ses habitants.

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