Dynamiques socioculturelles dans la construction de l'intégration régionale en Afrique Centrale CEMACpar Yvan Nathanaël NOUBISSI Université Yaoundé 2 Soa - Master 2 en science politique 2019 |
SECTION2 : LES CONFIGURATIONS ECONOMICO-POLITIQUES DEVALORISANTE LES DYNAMIQUES SOCIOCULTURELLES DANS LE PROCESSUS D'INTEGRATION REGIONALE EN ZONE CEMAC.Par là nous voulons dire que les trafics illicites et informels (paragraphe1) et les tracasseries policières et douanières (paragraphe2) constituent des facteurs dévalorisant de l'intégration socioculturelle de l'espace CEMAC. PARAGRAPHE 1 : LES TRAFICS ILLICITES ET INFORMELS COMME FACTEURS DEVALORISANT DE L'INTEGRATION REGIONALE.Par là nous voulons dire que la pratique du commerce illégal et informel constitue et contribue au ternissement mais également au ralentissement de l'intégration socioculturelle de l'espace cemac. Cela veut dire en d'autre terme que l'existence et la pratique de ses activités freinent le processus d'intégration socioculturelle de la cemac en général et de la zone des trois frontières (Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale) en particulier. En effet le fait que les migrants et les commerçants de l'espace communautaire soient confrontés à ces activités rétrograde entraine une déconstruction du processus d'intégration. Ainsi il convient donc d'examiner le commerce mafieux et frauduleux (A) mais également le commerce crapuleux (B) A- LE DEVELOPPEMENT DU COMMERCE MAFIEUX ET FRAUDULEUX. L'Afrique centrale est perçue par les analystes géopolitiques comme une région désorganisée et chaotique. Les sociétés mafieuses l'ont, quant à elle, immédiatement appréhendées comme un foyer potentiel d'enrichissement. La sous- région détient l'un des sous- sol les plus riches du monde si ce n'est le premier. On y retrouve principalement le pétrole, de l'or, du diamant, du cuivre, du fer, du charbon, nickel, du zinc, de la bauxite148(*). Cet espace détient d'énorme réserve en uranium de plutonium, de manganèse, de cobalt, d'argent et d'autres métaux précieux convoités et utilisé pour la haute technologie, sans oublier le bois149(*). La présence de ces matières premières suscite une convoitise naturelle et de ce fait favorise le développement des commerces mafieux. Comme type de trafics nous nous sommes spécifiquement attardés sur le trafic de drogue(1), trafic d'armes légères et le trafic de véhicules (2). L'observation géopolitique des drogues souligne l'importance croissance de la zone Afrique centrale comme plaque tournante à la fois de la production et de la consommation de stupéfiants. Parmi les substances narcotiques, le cannabis semble le produit le plus prisé. Le trafic rapporte énormément mais entraine naturellement des dégâts sur le plan de la santé publique. Ces drogues sont extrêmement commercialisées et même consommées dans la localité de kyé-ossi en témoigne ce propos de : « les élèves de nationalité gabonaise en particulier sont de très grand consommateur de stupéfiants et quand ils en prennent ils deviennent très agressif et violent150(*) ».Lors de nos enquêtes de terrain il nous ait parvenu par un enquêté qui a décidé de garder son identité secrète que certains villageois de la localité d'olamzé située à 44 km d'Ambam chef-lieu du département de la Vallée du Ntem et à 48 km du centre de KyeOssi de manières secrète se sont lancés dans la culture de ce qu'il appelle « le banga » parce que très lucratif.En effet le développement de ce trafic favorise de ce fait la dénaturation de l'intégration régionale dans la mesure où la consommation de ces drogues affecte les comportements, les manières d'agir et même de se tenir des individus. Soulignons de ce fait que ces trafics contribuent également à corrompre des pouvoirs publics. 2- Le trafic d'armes légères et des véhicules Pour ce qui est du trafic illicite d'arme légère, la différence entre l'offre licite et illicite d'armes n'est pas toujours claire. Celle-ci réside davantage dans la nature de l'utilisateur final, plutôt que dans la nature du produit. En Afrique centrale on distingue un trafic d'armes légères et de petit calibre. Ce trafic constitue une véritable menace pour la sécurité dans le CEEAC en général et pour ceux de la CEMAC en particulier. Cela se justifie à travers la tentative manqué de coup d'Etat en Guinée Equatoriale en décembre 2007 ou des mercenaires furent interceptés au niveau de la frontière avec le Cameroun151(*). Ainsi ce développement ou alors cette commercialisation illicite d'arme légère entrave non seulement l'intégration mais favorise la monté d'activités criminelles comme phénomène des coupeurs de route dans le nord et l'extrême nord Cameroun152(*). Dans ce sens, une enquête a été réalisée par le REFAC portant sur : « l'impact de la circulation des armes légères et de petits calibres dans la zone transfrontalière Cameroun-Gabon-Guinée Equatoriale »153(*). Au cours de son observation de terrain effectuée dans les villes frontalières de Kyé-Ossi, Bitam et Ebebiyin, du 19 au 28 juin 2014, cette ONG a abouti à la conclusion selon laquelle, la zone frontalière Cameroun-Gabon-Guinée Equatoriale est marquée par une circulation d'armes légères et de chasse. Après cette phase d'enquête, le REFAC a rendu public un rapport au cours d'un atelier de formation tenu le 11 décembre 2014 à Kyé-Ossi. Il ressort de cette plate-forme d'échanges que la menace à la paix et la sécurité est une réalité dans la zone frontalière. Cette insécurité qui provient de la circulation illicite d'armes est due à l'extrême mobilité des populations de part et d'autre des frontières. Dans ce sens, le rapport met en relief que sur 284 personnes interrogées, 51% se sentent en insécurité dans la zone. Tandis que 48% des populations ont déjà été victimes de braquages à mains armées, d'agressions154(*). La contrebande de voitures touche aujourd'hui toutes les régions du monde, et l'Afrique n'en est pas épargnée. En effet, la contrebande de voitures y connaît un essor extraordinaire, se développant au même rythme que le marché officiel de l'automobile155(*). Toutes les régions de l'Afrique sont touchées par ce trafic. Au Maghreb, des voitures volées en Tunisie sont convoyées en Algérie156(*). En effet, il existerait un réseau trans-maghrébin spécialisé dans le trafic de voitures volées, essentiellement des voitures « tout terrain » et des voitures de fabrication allemande écoulées vers des repaires de gangs terroristes dans le sud désertique de l'Algérie et de la Libye. Ainsi, en Algérie, entre 2000 et 2007, près de 19 000 voitures ont été volées soit dans le pays, soit déclarées volées dans les pays environnants et retrouvées en Algérie157(*). Le Gabonais Bruno MVE EBANG a d'ailleurs réalisé une étude intéressante sur cette forme d'activité criminelle transfrontalière en Afrique centrale. Dans son mémoire portant sur « la contrebande de voitures volées entre le Cameroun, le Gabon et la Guinée Equatoriale : essai sur une activité criminelle transfrontalière en Afrique centrale »158(*), l'auteur émet l'hypothèse qu'un faisceau de facteurs socioéconomiques et sociopolitique inter reliés permet d'expliquer le développement du trafic. En effet, du fait de la porosité des frontières entre les trois pays, il s'est développé tout un système de contrebande transfrontalier structuré autour d'un marché illicite de voitures. Les trafiquants braquent généralement au Gabon et revendent au Cameroun et en Guinée Equatoriale qui sont les deux pays récepteurs. Ainsi les trafiquants volent le plus souvent les véhicules à l'intérieur des pays et viennent les vendre aux frontières comme cela arrive le plus souvent à kyé-ossi. En effet certains véhicules sont volés à l'intérieur du pays et vient être commercialisés aux acheteurs Gabonais et Equato guinéen en témoigne ce propos « les véhicules que vous voyez garés avec les papiers à vendre sont parfois des voitures volé. Il arrive parfois que leur propriétaire viennent les reconnaitre ici 159(*)» ainsi le fait que ces voitures soit parfois volées entrave la dynamique d'intégration dans la mesure elle favorise l'insécurité vis-à-vis des populations. A côté de trafic se greffe le développement des commerces crapuleux. B- LE DEVELOPPEMENT DES COMMERCES CRAPULEUX COMME ENTRAVE ECONOMICO-POLITIQUE A LA DYNAMIQUE SOCIOCULTURELLE D'INTEGRATION DE L'ESPACE CEMAC. Par commerce crapuleux nous entendons la commercialisation des Hommes. En effet l'espace des trois frontières est reconnu pour être le lieu et même le lit de ces pratiques crapuleuses. Ainsi la filière de l'immigration illégale et traite des femmes (1) et le trafic d'enfants et d'ossements humains (2) en constituent les principaux modes d'expression. 1- La filière de l'immigration illégale et de la traite des femmes comme trafic humains. La guinée équatoriale et le Gabon reconnu comme des pays suffisamment riche en Afrique centrale en général et en zone CEMAC en particulier constituent une convoitise particulière de la part des populations de sous-région et des camerounais spécifiquement. En effet avec son essor pétrolier160(*), la Guinée équatoriale devient l'une des destinations les plus prisées pour les Camerounais. Ne remplissant pas toujours les conditions, ceux-ci font appel aux passeurs161(*) afin de pouvoir traverser clandestinement la frontière. Selon les estimations fondées, le transport illégal de personnes des pays de la sous-région vers cette destination riche se chiffre à des milliers d'individus par an162(*). Les femmes sont particulièrement vulnérables dans ces opérations dans la mesure où elles font souvent l'objet d'exploitation sexuelle. Souvent endettés vis-à-vis des passures, elles sont forcées de se livrer à des activités criminelles pour rembourser leur dette. Il arrive dont des cas ou des filles sont recrutées à l'intérieur du Cameroun plus précisément dans les villes de douala et Yaoundé et dans une certaine mesure Ebolowa pour aller danser dans des cabarets en Guinée équatoriale en témoigne ces propos : « quand Nella venait me chercher à Ebolowa elle m'avait dit que c'est pour aller me battre dans son cabaret . Arrivé là-bas ce n'était plus ça. ! Il fallait maintenant que je parte avec les clients sans quoi je devais rentrer au Cameroun163(*) ». Des filles sont donc parfois commercialisées dans cet espace frontalier à des fins de prostitution dans les pays de destination comme la Guinée Equatoriale et le Gabon. A côté de ce trafic se Cole le trafic d'enfants et d'ossement ou d'organes humains. 2- Le trafic d'enfants et d'organes humains Dans le phénomène du trafic des enfants à des fins d'exploitation de leur travail l'Afrique centrale émerge simultanément comme un espace de pratique de traite à visage interne et à dimension transnationale. En effet l'espace frontalier Cameroun, Gabon et Guinée équatoriale fait partie des lieux d'expression de cet Etat de chose. Ainsi, les trafiquants utilisent plusieurs méthodes pour pouvoir arrêter les enfants entre autre les enlèvements. A kyé-ossi par exemple c'est à la sortie des classes qu'ils opèrent en témoigne ce propos « ils attirent les enfants avec les bonbons et biscuits (...) après ils les amènent dans leur voiture et traverse la frontière 164(*)» il arrive donc des cas où les trafiquants enlèvent les enfants à la sortie des classes et vont directement avec eux hors de la frontière. En effet le Gabon et la Guinée Equatoriale apparaissent comme deux destinations particulièrement prisées par les réseaux d'écoulement et d'exploitation des victimes165(*) en témoignent le tableau ci-dessous : Tableau n°1 : pays pourvoyeurs et pays d'écoulement des enfants victimes de trafic en Afrique centrale.
Source : Claude Abe, cartographie du trafic des enfants en Afrique centrale : territorialisation de la criminalité et intégration régionale, in enjeux n°49, juin 2013, P.11 Ainsi, ces enfants pour la plus part sont vendus à des couples gabonais et équato Guinéens à des fins lucratives. Les trafics d'organes sont également présent et même récurent dans l'espace des trois frontières et le plus souvent se sont les étrangers (Gabonais et équato guinéens) qui sont indexés à kyé-ossi en complicité avec les allogènes Bamoun parce que reconnues pour des pratiques occultes. En effet ceux-ci sollicitent le plus souvent des parties biens spécifiques tel : - La langue pour le pouvoir de conviction dans le discours166(*) ; - Les yeux pour les dangers et les ennemis ; - Le cerveau pour le renforcement des capacités psychiques ; - Le sexe (masculin ou féminin) pour le renforcement de la virilité, la vitalité ou la fécondité167(*) - Le coeur symbole de la puissance car moteur du corps, qui sert à rassembler les foules - Les seins des jeunes filles comme source de fluidité vitale - Les oreilles - La tête - Les mains - Les reins C'est ce que justifie ce propos « c'est la deuxième fille qui meurt en deux mois. Il parait qu'elle était avec les étrangers en train de jouer la vie samedi à Akombang. Une semaine plus tard on la trouve morte sans sexe, ni sein jeté dans la brousse168(*) ». Ces organes reconnus pour leur efficacité pour des rites occultes font objet d'un trafic à nul autre pareil dans la zone des trois frontières. Cela je justifie dans une certaine mesure par sa dimension lucrative, en ce sens que ce commerce est très rémunérateur pour les pratiquants. En effet au Gabon par exemple, un crâne peut se monnayer jusqu'à 1000000 soit 1500 euros169(*), ce qui représente une fortune pour des individus en forte précarité sociale. Comme pour les organes prélevés lors des sacrifices humains, il existe un véritable marché transfrontalier des restes humains provenant de la profanation des sépultures et des cadavres dans les morgues dans l'espace frontalier. Selon les populations de la localité de kyé-ossi ces crimes et trafics sont beaucoup plus fréquent pendant les périodes électorales, les remaniements ministériels ou tous grands moments politiques. A l'analyse, cette situation favorisent la dévalorisation des dynamiques socioculturelle dans le processus d'intégration parce que favorisant la crainte et la suspicion des populations à l'endroit des autres. * 148 Jean Bosco Oyono, « la prolifération des entreprises criminelles en Afrique centrale à lère de la global »in enjeux n°09, octobre-décembre 2001,P.08 * 149 Alain karsenty, « les enjeux de l'appropriation des ressources forestières en Afrique centrale »in enjeux n°05, octobre-decembre 2000,P.05 * 150 Entretien avec Mr Elonoelono, surveillant général dulycée bilingue de kyé-ossi * 151kambu, « coup d'etat en guinée equatoriale : une soixantaine de tchadiens interpellés », in Action n°42 ,le 03/12/2018, p.03 * 152Gaulme François, « Saïbou Issa. Les coupeurs de route. Histoire du banditisme rural et transfrontalier dans le bassin du lac Tchad », Afrique contemporaine, 2011/3 (n° 239), p. 157-159. DOI : 10.3917/afco.239.0157. URL : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2011-3-.page-157.htm * 153 Projet d'enquête et conclusion d'enquête du REFAC du 19 au 29 juin 2014. * 154 Rapport d'enquête de REFAC rendu public au cours d'un atelier de formation tenu à Kyé-Ossi le 11 décembre 2014. * 155M. JOANNIDIS, « Le vol de voitures au coeur du trafic international », Journal et revue de presse RFI, 22/10/98. * 156H. BARTI, « Des véhicules volés acheminés en Algérie», Le Quotidien d'Oran, 06 Janvier 2008. * 157H. GUEMACHE, « Algérie : de 2000 à 2007, près de 19 000 véhicules volés », Le Quotidien d'Oran, 10/12/2007, http://www.setif.info/article2283.html * 158Bruno MVE EBANG, « la contrebande de voitures volées entre le Cameroun, le Gabon et la Guinée Equatoriale : essai sur une activité criminelle transfrontalière en Afrique centrale », Université Omar BONGO, Mémoire de Master en droit pénal et sciences politiques, 2009. * 159 Entretien avec Buldah commerçante au marché de kyé-ossi le 16/10/2018 * 160 Gustave Samnick, « de la difficulté à circuler librement en Afrique Centrale », in enjeuxn°24, juillet-septembre 2005, p.20 * 161 Le passeur est celui qui aide les voyageurs clandestins à traverser la frontière. Le plus souvent il exige de forte sommes d'argent à l'exemple des passeurs libyens. * 162ibidem * 163 Entretient avec nkolo blanche vendredi le 15/10/2018 * 164 Entretient avec bulda commerçante au marché de kyé-ossi le 16/10/2018 * 165 Claude Abe, « cartographie du trafic des enfants en Afrique centrale : territorialisation de la criminalité et intégration régionale », in enjeuxn°49,juin 2013,P.11 * 166 Ondo Louemba, « crimes rituels au Gabon l'éternel holocauste ? » info 241 source : http://info241.com/crime-rituel-au-gabon-l-eternel-holocauste,1854 consulté le 13/03/2019 à 20h15 * 167idem * 168 Entretient Gaelle coiffeuse à kyé-ossi le 16/10/2018 * 169 ONG sacri internationale, « les différents types de crimes rituels » , in https://www.sacri.org/les-crimes-rituels/les-victimes consulté le 13/03/2019 à 21h05 |
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