Le droit international est-il en crisepar Gbedokoun Eusebe SOSSOU Université Amadou Hampaté Ba de Dakar - Master 2 en Droit public option Relation internationale et Management Public 2023 |
Paragraphe 2 : Des difficultés exogènesLes difficultés endogènes s'observent dans le caractère multiple des conflits et l'émergence de nouveaux acteurs sur la scène internationale (A) et la morosité des bilans des missions de maintien de la paix (B). A : La multiplicité des acteurs et conflits L'ONU fait face à un paysage géopolitique en constante évolution, marqué par l'émergence de nouvelles puissances, acteurs et formes de conflit. Cette évolution a des répercussions importantes sur le fonctionnement et l'efficacité de l'ONU. S Si on s'inscrit dans la dynamique de l'émergence de nouvelles puissances, des pays comme la Chine, l'Inde, le Brésil et la Russie sont devenus des acteurs majeurs sur la scène mondiale en termes de puissance économique, militaire et politique. Leur montée en puissance remet en question la domination traditionnelle des anciennes puissances, en particulier les États- Unis et l'Europe occidentale. Ce qui crée une nouvelle multipolarisation avec le mouvement des BRICS150d'une part et d'autre part les résidus des occidentaux qui sont sous la houlette des 150 Les BRICS sont un groupe de cinq pays qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Ce groupe succède à celui plus restreint des BRIC, qui s'est réuni à partir de 2009 sans l'Afrique du Sud. Ce terme BRIC est forgé dès 2001 par un économiste de Goldman Sachs. En août 2023, Etas Unis. Cette émergence de nouvelles « puissances »151 a contribué à une distribution plus équilibrée du pouvoir dans le système international, ce qui a conduit à une forme de multipolarité. Cela signifie que l'ONU doit composer avec un plus grand nombre d'acteurs influents qui ont des intérêts et des priorités parfois divergents. Ce qui complique la prise de décision à l'ONU, en particulier au sein du Conseil de Sécurité. Les rivalités géopolitiques et les intérêts contradictoires rendent parfois difficile la recherche de consensus. En plus des États, de nombreux acteurs non étatiques, tels que les entreprises multinationales, les ONG, les groupes terroristes et les mouvements sociaux, jouent un rôle de plus en plus important dans les affaires mondiales. Ils peuvent influencer les décisions politiques et économiques à l'échelle mondiale. L'ONU est confrontée à un plus grand nombre de parties prenantes qui exigent des comptes rendus et une plus grande transparence. La montée en puissance des médias sociaux et des réseaux d'information signifie que l'ONU est sous un plus grand contrôle public. Outre la multiplicité des acteurs, il y'a la multiplicité des conflits qui entravent l'organisation onusienne. En effet les conflits à cause de leurs natures changeantes affectent de nombreuses régions du monde et l'ONU en tant que l'organisation de maintien de la paix par excellence doit être présente pour apaiser les hostilités. Le problème ne se pose pas si c'est un ou deux conflits mais quand les conflits sont multiples dans le monde et se rajoutent aux plus anciens qui perdurent, l'organisation est éprouvée. Á titre d'exemple, on peut prendre le conflit syrien, qui dure depuis plus de 10 ans, qui a fait plus de 350 000 morts et a provoqué une grave crise humanitaire. L'ONU a tenté de faire avancer le processus de paix, mais a rencontré un "fossé de méfiance" entre les parties belligérantes et a dénoncé les fréquentes attaques contre les civils152. Le conflit au Yémen, qui a débuté en 2015, est considéré comme la pire crise humanitaire au monde. Plus de la moitié de la population yéménite est confrontée à l'extrême pauvreté, à la malnutrition et au risque de famine. L'ONU a nommé un nouvel Envoyé spécial pour le Yémen, Hans Grunberg, qui a pour lors du 15e sommet des BRICS, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a annoncé que l'Arabie saoudite, l'Argentine, l'Égypte, les Émirats arabes unis, l'Éthiopie et l'Iran ont été invités à rejoindre le bloc1. Leur adhésion pleine et entière prendra effet le 1er janvier 2024. 151 Pour Raymond Aron la puissance constitue «la capacité d'une unité politique d'imposer sa volonté aux autres unités, in ARON (Raymond), Paix et guerre entre les Nations, Calmann-Lévy, Paris, 1962, pp. 16-17. 152 Conflit et violence : une ère nouvelle | Nations Unies. Lien : https:// www.un.org/fr/un75/new-era-conflict-and- violence, consulté le 6 septembre 2023 à 10h34 tâche d'apporter la paix et la stabilité au pays153 mais fait face manque de ressources limitées. Le conflit en Afghanistan, qui s'est aggravé en 2021 avec la prise de pouvoir des talibans après le retrait des troupes internationales. L'ONU a fait face à une augmentation sensible de la violence, qui a fait de nombreuses victimes parmi les civils, notamment les femmes et les enfants. L'ONU a également maintenu son aide humanitaire malgré la situation, car des millions de personnes risquaient de mourir de faim en hiver154. La criminalité organisée, la violence urbaine et les violences domestiques, qui font plus de victimes que les conflits armés. En 2017, près d'un demi-million de personnes dans le monde avaient été victimes d'homicides, un chiffre qui dépasse de très loin les 89 000 personnes tuées dans les conflits armés en cours et les 19 000 victimes d'attentats terroristes. L'ONU a pour objectif de réduire nettement, partout dans le monde, toutes les formes de violence et les taux de mortalité qui y sont associés, d'ici à 2030. Ces exemples montrent que l'ONU doit faire face à des conflits et des violences de plus en plus complexes, qui nécessitent des solutions adaptées et innovantes. Mais cette dernière ne peut pas être à tout endroit et à tout moment, l'étirement de ressource se fait ressentir du fait de la nature croissante des conflits, ce qui entraîne une pression sur ses ressources financières, humaines et logistiques pour répondre à ces crises. Surcroit, elle doit prioriser ses efforts en fonction de l'urgence et de la gravité des conflits, ce qui peut entraîner des compétitions pour les ressources de l'organisation. B : Un bilan morose des missions de maintien de paix L'organisation des Nations Unies souffre d'un autre problème : l'incapacité d'agir promptement lorsqu'une crise éclate et de déployer rapidement des forces de maintien de la paix. Certains organes politiques fonctionnent selon le principe du consensus et sont régis par d'importantes institutions bureaucratiques. Leurs décisions peuvent donc se faire attendre 153 Retour sur l'année 2021 : l'action de l'ONU dans les pays en conflit. Lien : https://unric.org/fr/retour-sur- lannee-2021-laction-de-lonu-dans-les-pays-en-conflit/, consulté le 6 septembre 2023 à 10h36 154 Les conséquences des conflits armés sur la paix et le développement. Lien : https:// www.un.org/fr/chronicle/article/les-consequences-des-conflits-armes-sur-la-paix-et-le- developpement-durables-en-amerique-latine, consulté le 6 septembre 2023 à 10h39 même si des signaux indiquant que des crises menacent. Même lorsqu'il existe en principe la volonté de mettre sur pied une opération onusienne de maintien de la paix, il est extrêmement difficile de mettre en place les accords nécessaires et de mobiliser les forces pour atteindre à temps la zone de conflit. L'ONU (ni aucun autre organe multilatéral) ne dispose d'une force permanente d'intervention rapide pouvant être utilisée dans de telles situations. Le système de maintien de la paix s'organise autour des chapitres VI et VII de la Charte des Nations Unies. L'articulation entre ces chapitres avait été conçue par les auteurs de la Charte de manière à rechercher, selon une certaine harmonie, les meilleures adaptations et réactions possibles aux diverses situations à la fois en ouvrant un éventail gradué allant des modes classiques de règlement des différends. Jusqu'au système sophistiqué de sécurité collective s'agissant des procédures utilisables. Il faut noter que les mécanismes n'ont pas toujours fonctionné comme prévu. Les blocages du conseil de sécurité sont dans une moindre mesure liée au manque de personnel mais aussi au refus de certains bailleurs d'appuyer financièrement les actions de rétablissement de la paix dans certaines zones de conflits. Un recours à des palliatifs est encore nécessaire et l'obstacle majeur à une action dépassant le simple maintien de la paix n'est pas seulement l'étendue des besoins en hommes et en matériels et donc le coût de l'opération mais surtout la résistance des États à engager des vies155. Le conseil de sécurité de l'ONU n'étant pas une entité étatique dotée d'une « autonomie » financière et d'une indépendance décisionnelle, reste très souvent cloué en temps de conflits. Il s'agit en fait d'une organisation universelle de paix qui reçoit le concours d'un certain nombre d'États et d'institutions internationales pour pouvoir faire face aux conflits qui sévissent dans le monde. Le conseil de sécurité ne dispose pas de forces d'attente ou encore moins de ressources financières suffisantes pour engager promptement les actions de paix dans le monde. Si nous partons de l'exemple africain, aujourd'hui, le Mali constitue un bel exemple. Le constat est que les rebelles Touaregs joints aux combattants d'Ansardine ont envahi le pays en occupant d'abord le nord et la communauté internationale à l'instar du conseil de sécurité, de l'UA et de la CEDEAO, se mure dans un silence presque total. L'ONU par la mise en place de la MINUSMA156 a essayé d'apaiser les tensions. Mais, force est de constater qu'en plus de 10 155 Cf. « actualités des conflits internationaux », colloque des 4 et 5 décembre 1992. 156 Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali est une opération de maintien de la paix des Nations unies au Mali. Elle intervient dans le cadre de la guerre du Mali et est la composante principale de l'intervention militaire au Mali. ans de présence au Nord du Mali, il n'y a pas eu d'avancée majeure en termes de lutte contre le terrorisme, ce qui pousse aujourd'hui les instances de gouvernance maliennes à demander le retrait des forces de la MINUSMA et de prendre en main leur propre destin. Le même cas aujourd'hui en République Démocratique du Congo. Ce qui est souvent décrié c'est le manque de neutralité des organes de l'ONU. Par définition, la neutralité signifie pour une force de maintien de la paix, le fait de s'abstenir de prendre parti pour un des belligérants. Les forces d'interposition de l'ONU ne doivent en aucun cas prendre position pour l'une ou l'autre des parties aux conflits. C'est cette neutralité qui fait la force du conseil de sécurité. Ainsi, avec cette neutralité respectée, l'Organisation des Nations Unies, de par ses organes, obtient plus de crédibilité à l'égard des parties. A cet effet, le Conseil accède à toutes les informations détenues par les belligérants. Toutefois, il faut souligner que la neutralité n'est pas nécessairement passivité. Le conseil de sécurité doit avoir la capacité de traiter équitablement les conflits dans lesquels il intervient. Pour pouvoir trancher les litiges, le conseil doit accorder aux belligérants les mêmes possibilités de concertations et doit être équidistant, c'est-à-dire sans influence aucune en faveur de l'une ou de l'autre des parties. Malgré toutes ces recommandations constatées, on note très souvent des manquements, de la part des forces de sécurité dans leurs actions d'intervention dans la région Ouest- africaine. Du point de vue des déploiements de la force de paix de l'ONU, on note parfois que ceux-ci sont parfois faits dans des circonstances de guerre ou de tension extrême résultant d'une dégradation de l'État et de la confiance des acteurs. Dans ces types d'interventions, la cohabitation entre les forces de l'ONU et les belligérants n'est pas des meilleures du fait que la force d'intervention est souvent vue comme une ingérence faite de façon illégale. Dans ce contexte, la force de paix sera confrontée à une opposition avec d'autres forces soit rebelles soit forces loyalistes de l'État comme ce fut le cas en Côte d'Ivoire avec les forces loyales au Président Laurent Gbagbo et les forces de sécurité déployée sous l'impulsion de la France. Dans le conflit Sierra Léonais ou encore Libérien, les forces de sécurité ont dû faire face à l'opposition des groupes armés qui considéraient que ces opérations étaient dirigées contre eux. Cette situation fait obstacle au règlement des crises car elle avait favorisé un manque de confiance entre la force de paix de l'ONU et certaines factions. Toutefois, il faut noter que le manque de neutralité n'est pas toujours efficace. Ce sont tout simplement les belligérants véritables qui, parfois, imputent à tort à la force de sécurité de l'Organisation des Nations Unies son manque de neutralité dans ses interventions. Des fois même, la proximité des mandataires de l'ONU avec une des parties au conflit est parfois source de méfiance. Dans d'autres cas, c'est la difficulté pour la force de paix d'identifier les interlocuteurs, à négocier avec de nombreux belligérants qui sont considérés par certains d'entre eux comme une partialité. En effet, les parties ne sont pas souvent faciles à identifier. Par exemple dans des conflits tels que celui de la Sierra Léone et du Libéria, les parties étaient tellement nombreuses qu'on pouvait se perdre dans les négociations. Á titre illustratif pour justifier la morosité des missions de paix, on dénote quelques échecs cuisants à l'instar de la mission de l'ONU en Corée (UNCMAC) qui n'a pas réussi à mettre fin à la guerre de Corée, qui a duré de 1950 à 1953 et qui a fait plus de 3 millions de morts. Le conflit s'est terminé par un armistice, mais pas par un traité de paix, et la péninsule coréenne reste divisée et sous tension jusqu'à aujourd'hui n'est pas l'abris d'une probable guerre d'annexion. Également, la mission de l'ONU au Rwanda (MINUAR) n'a pas pu empêcher le génocide de 1994, qui a fait environ 800 000 victimes. Les Casques bleus ont été confrontés à un manque de mandat, de ressources et de soutien politique pour intervenir face aux massacres. Le Conseil de sécurité a même réduit les effectifs de la mission au moment où la violence atteignait son paroxysme. Même son de cloche en Bosnie-Herzégovine (FORPRONU) n'a pas réussi à protéger les civils lors de la guerre de 1992-1995, qui a fait plus de 100 000 morts. Les Casques bleus ont été incapables de faire respecter les zones de sécurité déclarées par le Conseil de sécurité, et ont été témoins du siège de Sarajevo et du massacre de Srebrenica, où plus de 8 000 hommes et garçons musulmans ont été tués par les forces serbes. La mission de l'ONU en Somalie (ONUSOM) n'a pas réussi à stabiliser le pays après la chute du régime de Siad Barre en 1991, qui a plongé le pays dans la guerre civile et la famine. Les Casques bleus ont été confrontés à la résistance des factions armées, qui ont attaqué et tué plusieurs soldats de la paix. L'opération a été marquée par l'échec de la bataille de Mogadiscio en 1993, où 18 soldats américains et plus de 1 000 Somaliens ont été tués. Ces exemples montrent à suffisance que le maintien de la paix de l'ONU n'est pas une garantie de succès, et qu'il dépend de nombreux facteurs, tels que le mandat, les ressources, le soutien politique, la coopération des parties au conflit, et le respect du droit international humanitaire. La mission de l'ONU au Soudan (MINUS) n'a pas réussi à prévenir la sécession du Soudan du Sud en 2011, ni à mettre fin aux violences qui ont éclaté dans le pays après son indépendance. La mission a été remplacée par la MINUSS, qui fait face à une guerre civile depuis 2013, avec plus de 400 000 morts et 4 millions de déplacés157. La mission de l'ONU en Haïti (MINUSTAH) n'a pas réussi à stabiliser le pays après le coup d'État de 2004, ni à assurer la transition démocratique. La mission a été critiquée pour son implication dans des violations des droits de l'homme, notamment le viol de femmes et de filles, et pour avoir introduit le choléra dans le pays, qui a tué plus de 10 000 personnes. La mission de l'ONU en Syrie (MISNUS) n'a pas réussi à mettre en oeuvre le plan de paix de Kofi Annan en 2012, qui prévoyait un cessez-le-feu, un dialogue politique et un accès humanitaire. La mission a été suspendue après seulement quatre mois, en raison de l'escalade du conflit et du manque de coopération des parties. La guerre en Syrie a fait plus de 500 000 morts et 13 millions de déplacés158. 157 Le maintien de la paix de l'ONU fonctionne-t-il ? Voici ce que disent. Lien : https://news.un.org/fr/story/2022/12/1130427 consulté le 06 septembre à 12h08 158 Conflits : derrière l'échec des interventions internationales. IFRI. Lien : https:// www.ifri.org/fr/publications/publications-ifri/articles-ifri/conflits-derriere-lechec-interventions- internationales. Consulté le 06 septembre à 12h09 |
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