Paragraphe 1 : Des
difficultés endogènes : le cas du Conseil de
Sécurité
Les difficultés organiques du conseil de
sécurité laissent apparaître deux aspects. Une composition
inégalitaire décriée (A) et la défaillance du
système de sécurité collective (B)
A : Une composition
décriée
Le Conseil de Sécurité est l'organe le plus
puissant du système des Nations Unies. Il est seul compétent pour
constater la violation par un État de ses obligations en matière
de respect de la paix et de la sécurité internationale. Il peut
décider d'un embargo économique132 ou, dans
131 DELAVARENE (Celhia), « L'ONU est-elle
toujours la caisse de résonnance des problèmes du monde ?
»,
Recherches internationales, n° 119, 2021,
p.135.
132 Á titre d'exemple l'embargo des
États-Unis contre Cuba, également sous le terme el bloqueo qui
signifie « le blocus » en espagnol, est un embargo économique,
commercial et financier mis en place par les États-Unis contre Cuba
à partir du 3 février 1962, à la suite de nationalisations
expropriant des compagnies américaines.
les cas les plus extrêmes, des actions militaires. Ces
prérogatives sont exercées par un organe composé de 15
représentants des États membres.
La caractéristique principale du Conseil de
Sécurité est d'être composé de cinq membres
permanents133. Cela représente également une
particularité. On aurait en effet pu s'attendre à voir une
tournante totale au sein de ce Conseil, afin que tous les États
bénéficient de la possibilité d'influencer les questions
concernant la sécurité internationale. Enfin, cerise sur le
gâteau, ces cinq membres permanents disposent d'un véritable droit
de veto. L'article 27, § 3 de la Charte des Nations Unies prévoit
en effet que « Les décisions du Conseil de
Sécurité (sur des questions autres que de procédure) sont
prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont
constituées les voix de tous les membres permanents (...)
»134. Cette exigence de vote affirmatif de tous les
membres permanents fut adoucie par la suite, l'abstention d'un membre permanent
n'empêchant pas l'adoption d'une décision135. Les cinq
membres permanents se voient reconnaître cependant un pouvoir exorbitant
par la Charte. Ce pouvoir est à même, et il l'a toujours
été, de paralyser complètement l'action des Nations Unies
sur certaines questions importantes de sécurité internationale.
Si l'article 27, § 3 in fine de la Charte prévoit par
ailleurs qu'un État partie à un différend s'abstiendra de
voter si une procédure de règlement pacifique des
différends est en cours 136, la pratique a, par ailleurs,
montré que cette disposition avait été tournée plus
souvent de son objectif137. On comprend librement que, face à
une telle situation, des voix se seront toujours élevées pour
exiger une modification du système, soit par la suppression des
prérogatives des membres permanents, soit, le plus souvent, par
l'augmentation du nombre de ceux-ci.
133 Il s'agit de la Chine, de la France, du
Royaume-Uni, de la Russie (issu de l'éclatement de l'URSS en 1991) et
des Etats-Unis.
134 L'article 108 de la Charte prévoit par
ailleurs qu'un amendement au texte de celle-ci n'entrera en vigueur
qu'après avoir été ratifié par 2/3 des Etats
membres de l'Assemblée générale, dont tous les membres
permanents du Conseil de Sécurité.
135 Cour internationale de Justice, avis du 21 juin
1971 sur les Conséquences juridiques pour les Etats de la
présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)
nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité
(Recueil 1971, p. 13, § 22).
136 Paradoxalement, chaque membre du Conseil de
Sécurité retrouve son droit de vote si une décision
relative à
l'usage de la force est en jeu, même s'il est l'agresseur
!
137 Pour la période 1948-1990, dix-huit cas de
non application de la règle ont été relevés. Voir
BLUM (Yehuda), Eroding the United Nations, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993,
pp. 207-211).
Cette composition a été évolutive, en
effet en 1945, l'ONU comptait 51 États membres. Le Conseil de
Sécurité était composé à cette époque
de onze membres : les cinq permanents et six non permanents138. Les
différentes vagues de décolonisation augmentent rapidement le
nombre d'États membres de l'ONU. Ils étaient 76 en 1955, 99 en
1960 et 135 en 1973. A l'heure actuelle, l'ONU compte 193 États membres.
L'équilibre des forces au sein de l'Assemblée
générale, en faveur du Nord en 1945, est aujourd'hui largement en
faveur des pays du Sud. Dès le début des années 60,
ceux-ci réclamèrent une modification de la composition du Conseil
de Sécurité, afin d'y être plus équitablement
représentés. Le 16 septembre 1963, 43 États membres
demandèrent à l'Assemblée générale
d'inscrire à son ordre du jour la question d'une représentation
équitable au Conseil de Sécurité, la résolution
1991 (XVIII) sera adoptée le 17 septembre 1963 par 96 voix pour, onze
contre (dont celles de la France et de l'URSS) et quatre abstentions (dont
celles des États-Unis et de la Grande-Bretagne). Le texte de la Charte
des Nations Unies prévoit qu'un amendement au texte de celle-ci
n'entrera en vigueur qu'après ratification par 2/3 des États
membres, y comprenant les cinq membres permanents du Conseil de
Sécurité. Les conditions d'adoption de la résolution 1991
(XVIII) ne laissaient pas présager une issue favorable à la
demande de révision. Pourtant, à la dernière minute, les
cinq permanents votèrent en faveur de celle-ci. La composition du
Conseil de Sécurité prend sa configuration actuelle le 1
er janvier 1966 : 15 États membres, dont cinq permanents. Les
dix membres non permanents sont élus par l'Assemblée
générale pour des mandats de deux ans non immédiatement
renouvelables (article 23, § 2 de la Charte). Trois (03) d'entre eux
doivent être des pays africains, deux (02) des pays asiatiques, deux (02)
appartenir à l'Amérique latine, deux
(02) autres au groupe Europe occidentale et un (01) à
l'Europe orientale.
Les critiques à l'encontre du système en place,
malgré la réforme de 1965, furent nombreuses. Celles-ci
provenaient essentiellement de deux types de pays. Les pays en
développement, qui représentent depuis les années 1960 la
majorité des États membres de l'ONU, s'estimaient insuffisamment
représentés au sein du Conseil de Sécurité. Ils
disposent certes de huit sièges sur 15, mais d'un seul permanent, celui
de la Chine. Dans cette perspective on peut prendre l'exemple du continent
Africain qui dans l'optique de sa participation effective à la
gouvernance mondiale, n'a cessé, depuis de nombreuses années
déjà, de revendiquer un rééquilibrage, à son
avantage, du pouvoir au sein des institutions mondiales notamment la place
138 Quoique non inscrit dans le texte de la Charte,
la répartition des sièges des six membres non permanents suivrait
généralement cette répartition : deux sièges (02)
pour l'Amérique latine (qui représentait en 1945, 20 Etats
membres sur 51) et un (01) pour chacun des groupes suivants : Europe
occidentale ; Europe orientale ; Proche- Orient ; Commonwealth.
d'un membre permanent disposant du Veto au sein du Conseil de
Sécurité. Elle évoque, à l'appui de sa
requête, son exclusion en matière de prise de décision dans
les instances internationales, notamment financières (FMI et la Banque
mondiale). Le mode de décision dans celles-ci, qui rappelle le vote
censitaire, est favorable aux grandes puissances.
L'Afrique n'a pas, jusqu'ici, réussi à faire
changer ce fonctionnement malgré ses multiples appels dans ce sens. Mais
c'est sans conteste la place subalterne qu'elle occupe au Conseil de
sécurité des Nations unies qui capitalise ses frustrations quant
au rôle marginal qui lui est assigné dans la conduite des affaires
du monde. C'est dans cette optique son excellence
M. Macky Sall, président en exercice de l'Union
africaine à l'époque, se faisait une fois de plus l'écho
de l'insatisfaction et de l'indignation des Africains par rapport à
cette situation, qu'il jugeait anachronique et injuste. Il abondait en ce sens
« Près de quatre-vingts ans après la naissance du
système des Nations Unies et des Institutions de Bretton Woods, il est
temps d'instaurer une gouvernance mondiale plus juste, plus inclusive et plus
adaptée aux réalités de notre temps. Il est temps de
vaincre les réticences et déconstruire les narratifs qui
persistent à confiner l'Afrique à la marge des cercles
décisionnels. Il est temps de faire droit à la juste et
légitime revendication africaine sur la réforme du Conseil de
Sécurité »139.
D'autres pays notamment l'Allemagne en tant que
première puissance économique en Europe, le Japon, l'Inde et le
Brésil s'estiment frustrés d'un siège auquel ils auraient
légitimement droit en raison de leur poids économique ou
démographique, et dont seuls les aléas de l'histoire les auraient
privés. Pour rappel, seules les nations qui ont gagné la
deuxième guerre mondiale disposent d'un siège permanent assorti
du droit de Veto au sein du Conseil de Sécurité.
B : Une défaillance du
système de sécurité collective
La sécurité collective conçue comme le
système mondial spécifique d'organisation des relations
internationales, ayant pour fins la paix et la sécurité
internationales avec à la clé des mécanismes
spécifiques (sécurité pour tous, sécurité
contre tous et sécurité par tous)140. La
139 Discours prononcé le 20 septembre 2022,
lors de la 77e session ordinaire de l'Assemblée générale
de l'organisation des Nations Unies
140 STERN (Brigitte), « La sécurité
collective : historique, bilan, perspectives », in Sécurité
collective et crises internationales, SGDN, La documentation française,
1994, p. 145.
sécurité collective, comme l'appréhendent
Patrick Daillier et Alain Pellet, « ne consiste pas en une coalition a
priori de certains États partageant une philosophie commune contre
d'autres, ni en des alliances fluides et pragmatiques ; c'est l'engagement pris
par chaque État d'apporter son appui à une décision
collective de s'opposer à tout État coupable141, au
jugement de la majorité, d'une agression ou d'une menace à la
paix »142.
En effet, l'idée de base de la sécurité
collective, est celle d'une conception de la paix et de la
sécurité constituant un ensemble indissociable143, et
qui requiert l'effort et la participation de tous. Ce duo - paix et
sécurité - revient 28 fois dans le texte de la Charte des Nations
unies144. Dans le système contemporain de
sécurité collective, instauré par ladite Charte,
l'objectif est d'éviter par tous les moyens, « tout retour
à une autre guerre mondiale. À cette fin, une menace ou une
agression contre un État ou un peuple constitue une menace contre tous,
et chaque nation doit participer activement à garantir la
sécurité du continuum »145
Le droit de la sécurité collective perd de
l'autorité et de la légitimité face aux politiques de
force collectives ou unilatérales. Et pourtant, si la dernière
décennie du XXe siècle était passée dans
le nouvel ordre mondial, revitalisant l'esprit et la lettre des dispositions du
chapitre VII de la Charte de 1945, le XXIe siècle semble
épouser une stagnation des actions du Conseil de sécurité
des Nations Unies en matière de situations de menace contre la paix, de
rupture de la paix ou d'acte d'agression qui justifieraient de rétablir
la paix et la sécurité internationales146.
En effet, le pari sur lequel repose le nouveau système
de sécurité collective est que l'entente fondamentale entre les
Grands, qui avait permis de gagner la guerre, permettrait de
141 FORTEAU (MATHIAS), Droit de lé
sécurité collective et droit de la responsabilité
internationale de l'État, Paris, Pedone, 2006, p. 423
142 DAILLIER (Patrick) et PELLET (Alain), Droit
international public, LGDJ, 6e éd. Lextenso, Paris, 1999, p. 991
143 AIVO (Joel), « Défi
sécuritaire, droits de l'homme et droits des réfugiés
», Communication à la 14e session régionale
de formation sur les droits de l'homme et les droits des
réfugiés, Chaire Unesco des droits de la personne et de la
démocratie, Université d'Abomey-Calavi (UAC),
Cotonou-Bénin, juillet 2013, p. 5-20.
144 SLIM (Habib), « La Charte et la
sécurité collective : de San Francisco à Baghdâd
», dans SFDI (dir.), Les métamorphoses de la
sécurité collective, Paris, Pedone, 2005, p. 13
145 Cf. Rapport du Groupe de personnalités de
haut niveau désignées par le Secrétaire
général pour rédiger un rapport sur la
responsabilité collective et la réforme de l'ONU, décembre
2004
146 KOKOROKO (Dodzi), « La
nécessité devant le Conseil de sécurité des Nations
Unies », Afrilex, janvier 2013,
p. 1.
conserver la paix 147. Mais comme on a pu le
constater, la guerre froide a démenti une telle réalité.
Il était certes établi, subrepticement dans la Charte,
précisent Patrick Daillier et Alain Pellet, « que l'ONU ne
pourrait rien entreprendre contre les grandes puissances dotées du
véto et engagées dans un conflit qui constituerait une rupture de
la paix. Mais les États en cause sont, en raison de leur
désaccord très vite apparent, allés plus loin
»148. Dans tout conflit, poursuivent les auteurs, «
le Conseil de sécurité n'a pu entreprendre une action
quelconque que si les membres permanents le lui demandaient, et dans la mesure
où ils le lui demandaient. Faisant application de leurs
privilèges dans des situations conflictuelles où elles
n'étaient qu'indirectement impliquées, les grandes puissances ont
réduit comme peau de chagrin le champ d'application de la
sécurité collective ». Dès lors, la
sécurité collective est revêtue du manteau politique qui
lui confère un état d'inertie. Le cas de l'Iraq en 2003 en est
une parfaite illustration.
En effet, Il y a maintenant deux décennies, le 20 mars
2003, le gouvernement américain, soutenu par certains pays
européens dont l'Espagne, le Royaume-Uni et l'Italie, déclarait
la guerre à l'Irak. Une guerre-éclair qui a duré 26 jours
et dont le caractère illégal a contribué à la mort
du principe de sécurité collective qui était au coeur de
la création des Nations unies en 1945. Les arguments juridiques
développés pour la justifier ont été divers, aucun
n'étant recevable. Ce qui fait que le mécanisme était
tombé de son piédestal.
Une chose aussi très importante à relever, La
sécurité collective ne bénéficie pas d'une
construction aisée. Elle est notamment caractérisée par
l'ambiguïté149 de sa conceptualisation.
« Elle emprunte d'un côté certains traits
à l'esprit d'un super-État, et de l'autre reste enracinée
dans une société composée d'États souverains
». L'univers juridique dans lequel baigne la sécurité
collective, est façonné par les spécificités de la
société internationale et partant, celles du droit international.
Les particularités de la société internationale
influencent la configuration du droit international. En effet, contrairement
à l'ordre interne, la société internationale est
dépourvue de toute autorité supra étatique, capable de
s'imposer aux États.
Cependant, ce mécanisme a connu de nombreux
échecs et limites, notamment à cause du désaccord entre
les grandes puissances, du droit de veto au Conseil de sécurité,
de la montée
147 DAILLIER (Patrick) et PELLET (Alain), op.cit.,
p. 992.
148 Ibid.
149 SMOUTS, « La sécurité
collective : histoire et bilan d'une doctrine équivoque », in
Sécurité collective et crises internationales, Actes des
journées d'études de Toulon, Secrétariat
Général de la Défense Nationale, 1994, p. 175. L'auteur
parle notamment de notion « floue », en référence
à la sécurité collective.
des révisionnismes et des totalitarismes, de la
diversité des menaces et des conflits, et de la faiblesse des moyens
d'action collective. Certains auteurs ont même parlé d'un
«mythe paralysant» de la sécurité collective, qui
aurait empêché de réagir efficacement aux agressions et aux
violations du droit international.
Aujourd'hui, la sécurité collective fait face
à de nouveaux défis, tels que le terrorisme, les armes de
destruction massive, les cyberattaques, les changements climatiques, les
migrations, les pandémies, etc. Ces défis nécessitent des
réponses adaptées, qui impliquent une coopération
renforcée entre les États, les organisations internationales, la
société civile et les acteurs non étatiques. Ils appellent
également à une réforme du système de
sécurité collective, afin de le rendre plus efficace, plus
légitime et plus inclusif.
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