Paragraphe 2 : Un principe
Transgressé
Les actes terroristes du 11 septembre 2001 et l'attaque
armée des États-Unis contre l'Irak posent respectivement les
questions de l'imputation de la violation du non recours à la force
à une entité non étatique et à une entité
étatique. Ainsi, on dégagera d'une part une transgression par des
acteurs non étatique (A) et d'autre part une transgression par des
acteurs étatiques (B)
A : Une transgression par des
acteurs non étatiques
L'article 2 paragraphe 4 dispose « Les membres de
l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir
à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de
tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts
des Nations Unies ». Á la lumière de cet article une
question mérite d'être posée : est-ce que les acteurs non
étatiques sont-ils exclus du champ d'application de cet article ?
où si eux peuvent recourir à la force ou à l'emploi de la
menace sans faire objet d'aucune mesure coercitive ?
118 « Le Conseil de sécurité, avec
l'aide du Comité d'état-major, fixe l'importance et le
degré de préparation de ces contingents et établit des
plans prévoyant leur action combinée »
119 DUPUY (René-Jean), Le droit
international, ,11ème éd. Que-sais-je ? PUF, Paris, 2001, p.
38.
Une question qui a suscité beaucoup d'intérêt
au lendemain des attaques terroristes de
2001.
Les acteurs non étatiques se définissent comme
des individus ou des groupes qui n'agissent pas pour le compte d'un
État. On peut prendre l'exemple du Boko Haram au Nigeria, Al-Shabaab en
Somalie, Ansar Dine au Mali, et les Forces de défense et de
résistance de l'Islam (FDRI)en Côte d'Ivoire, le Daesh et
Al-Qaïda. Les acteurs non étatiques qui violent le principe
d'interdiction du recours à la force peuvent mener des actions
variées. Par exemple, ils peuvent mener des attaques contre des cibles
militaires ou civiles, des enlèvements, des assassinats, des sabotages,
des actes de terrorisme, des pillages, des viols, des recrutements
forcés, des trafics d'armes et de drogues, et des extorsions.
I Il peuvent recourir à la force pour atteindre leurs
objectifs politiques, économiques ou sociaux, ou pour se défendre
contre des menaces perçues.
Si nous restons dans le contexte de l'attentat du 11 septembre
2001, en raison de leur ampleur, ils ont posé avec acuité les
questions de la définition et de la prise en compte du terrorisme par la
Communauté internationale. S'il n'existe pas de définition
unanimement acceptée de cette notion120, selon le
Président G. Guillaume121, trois éléments
invariants la caractérisent : un élément matériel
consistant en des actes de violence de nature à provoquer la mort ou
à causer des dommages corporels graves, un élément
intentionnel qui consiste à créer la terreur dans le public et un
élément méthodologique puisque les actes terroristes
nécessitent une entreprise individuelle ou collective pour la
perpétration de ces actes122.
Au lendemain des actes terroristes commis par Al-Qaida,
entité non-étatique, le Conseil de sécurité des
Nations Unies a adopté la résolution 1368 qui assimile «
tout acte de terrorisme international » à « une
menace à la paix et à la sécurité internationales
»123 , qualification très
120 SOREL (Jean-Marc), « Existe-t-il une
définition universelle du terrorisme », in CHRISKATIS
(Théodore), dir., Le droit international face au terrorisme,
CEDIN, Pedone, Paris, 2002, p. 35-68.
121 Gilbert Guillaume, né le 4 décembre
1930 à Bois-Colombes, est un juriste français, président
de la Cour internationale de justice de 2000 à 2003.
122 GUILLAUME (Gilbert), Terrorisme et droit
international, R.C.A.D.I, Tome III, vol. 215, 1989, p. 306.
123 Cette résolution a fait l'objet de
nombreux commentaires. Voir en particulier P.-M. Dupuy, « La
Communauté internationale et le terrorisme », in J.-M. Thouvenin et
C. Tomuschat, dir., « Le droit international face aux nouvelles formes de
menaces contre la paix et la sécurité internationales »,
Paris, Pedone, 2004, pp. 35-45 et L. Condorelli, « Les attentats du 11
septembre et leurs suites : où va le droit international ? »,
RGDIP, 2001, n° 4, p. 829-848.
générale et très imprécise, tout
en reconnaissant « le droit inhérent à la
légitime défense individuelle ou collective conformément
à la Charte », ce qui implique que les États-Unis aient
été victimes d'une agression, qualification que le Conseil de
sécurité n'a pas employée puisque dans le cadre onusien
elle s'applique uniquement à l'action menée par un État
contre un autre à moins de considérer que le réseau
terroriste Al-Qaida soit un État, hypothèse infondée, ou
que cette action ait été orchestrée par l'Afghanistan
contrôlé par les Taliban ce qui aurait pour effet d'imputer les
faits illicites à un État, même
défaillant124 , et non à une entité non
étatique.
Mais, cette hypothèse n'est pas non plus juridiquement
recevable en raison du manque de preuves d'un lien de rattachement entre
Al-Qaida et le régime des Talibans. Or, selon la Commission du droit
international, qui a adopté en 2001 un texte codifiant le droit de la
responsabilité internationale des États, l'imputabilité de
l'action d'une personne ou d'un groupe de personnes à un fait de
l'État ne peut être admise que « si cette personne ou ce
groupe de personnes, en adoptant ce comportement, agit en fait sur les
instructions ou les directives où sous le contrôle de cet
État »125. Ainsi, le soutien apporté par le
régime des Talibans au réseau Al-Qaida ne peut, en aucun cas,
avoir le caractère d'une agression, confirmant la jurisprudence
dégagée par la Cour internationale de justice dans l'affaire
Nicaragua c/États Unies.
Les conséquences de ces violations sont graves et
peuvent avoir un impact sur le droit international. Tout d'abord, cela peut
affaiblir l'autorité de l'État et sa capacité à
protéger ses citoyens. De plus, cela peut entraîner des violations
des droits de l'homme, des déplacements forcés de populations et
des pertes de vies humaines. Enfin, cela peut remettre en question la
légitimité du droit international et de ses institutions, car il
est difficile de faire respecter le droit international lorsque les acteurs non
étatiques sont impliqués.
B : Une transgression par des
Acteurs Étatiques
Cette transgression s'observe dans l'émergence d'un
nouveau principe qui ne s'adosse sur aucun texte ou convention juridique
internationale le légitimant. Ce principe est la légitime
124 Voir sur cette notion, C.D. Classen, «
Failed States » and the prohibition of the use of force », in J.-M.
Thouvenin et C. Tomuschat, dir., « Le droit international face aux
nouvelles formes de menaces contre la paix et la sécurité
international », Paris, Pedone, 2004, pp. 129-140.
125 CONDORELLI (Luigi), « L'imputation
à l'Etat d'un fait internationalement illicite : solutions classiques et
nouvelles tendances », RCADI, t. 189, 1984, p. 13-221.
défense préventive érigée par les
États Unis d'Amérique. Cette légitime défense
préventive peut être appréhendée sous le vocable de
la guerre préventive ou sous son appellation ancienne : la guerre
préemptive.
En effet, l'attaque armée des États-Unis contre
l'Irak est symptomatique du recours à la force unilatérale qui
transgresse les règles de droit international applicables en la
matière. Les États-Unis ont attaqué l'Irak ni en se
fondant sur la légitime défense prévue par l'article 51 de
la Charte, ni sur le fondement d'une action militaire décidée par
le Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII, qui sont
les deux cas de recours licite à la force armée.
La justification américaine du recours à la
force est fondée sur la résolution 1441 du Conseil de
sécurité qui autoriserait explicitement ou implicitement les
États-Unis à recourir à la force en constatant que la
résolution 687 imposant des obligations à l'Irak n'a pas
été respectée, notamment s'agissant du désarmement,
et que par conséquent la résolution 678 autorisant les
États Membres à user de tous les moyens nécessaires pour
faire respecter les résolutions précédentes visant
à rétablir la paix et la sécurité internationales
serait toujours applicable. Mais, en aucun cas la résolution 1441 ne
saurait justifier le recours unilatéral à la force des
États-Unis et de leurs alliés puisque dans le paragraphe 4 de ce
texte le Conseil réaffirme qu'en cas de « nouvelle violation
patente des obligations de l'Irak, il sera saisi aux fins de qualification
», pouvant en particulier autoriser le recours à la force.
L'attaque armée des États-Unis contre l'Irak
doit donc être qualifiée d'agression puisqu'il s'agit bien d'une
invasion « du territoire d'un État par les forces armées
d'un autre État » selon les termes de la résolution
3314 définissant l'agression et qui constitue un crime en tant que
violation de la règle impérative de l'interdiction du recours
à la force126. Mais, plutôt que de procéder
à une telle qualification, le Conseil de sécurité des
Nations Unies a pris acte de l'occupation américaine en Irak, par
l'intermédiaire de sa résolution 1511127. Or, si l'on
suivait la logique du système de sécurité collective
onusien, c'est l'Irak qui aurait dû invoquer son droit à la
légitime défense. Mais, celle-ci est devenue un instrument aux
mains des États-Unis qui
126 Selon l'article 19 § 3 du projet
d'articles de la C.D.I sur la responsabilité des Etats, « un crime
international peut notamment résulter : (a) d'une violation grave d'une
obligation internationale d'importance essentielle pour 2ème le maintien
de la paix et de la sécurité internationales, comme celle
interdisant l'agression », A.C.D.I, 2e partie, 1976, p. 89.
127 NGUYEN- ROUAULT (Florence), «
L'intervention armée en Irak et son occupation au regard du droit
international », RGDIP, n° 4, 2003, p. 835-864.
l'utilisent, de manière préventive, contre les
soi-disant États voyous128, provoquant ainsi une
dénaturation.
En se basant sur les résolutions 1368 et 1373 du
Conseil de sécurité qui réaffirment, respectivement, le
droit inhérent et naturel à la légitime défense,
les États-Unis ont développé une conception extensive de
la légitime défense qui s'inscrit dans la guerre contre le
terrorisme menée par l'administration Bush, qui s'est
concrétisée par l'attaque de l'Afghanistan des Talibans,
considéré comme un berceau du terrorisme. Mais, cette sorte
d'application du principe de précaution au recours à la force
n'est pas reconnue par le droit international qui exige une agression
armée comme condition préalable au droit de légitime
défense. Il n'existe d'ailleurs aucun précédent qui
validerait la thèse américaine puisque par exemple le
bombardement, par l'aviation israélienne du réacteur irakien
d'Osiraq, le 7 juin 1981, au titre de la légitime défense
préventive, a été violemment condamné par le
Conseil de sécurité129.
Une conception extensive de la légitime défense
peut aussi être assimilée à des représailles
armées, en raison de ses caractères préventif et
répressif, qui sont interdites par le droit international130.
S'il est certain que le droit positif ne reconnaît pas la notion de
légitime défense préventive, il est aussi évident
que le droit international est inadapté face à la menace
terroriste. Ne faudrait-il pas alors que la communauté internationale
définisse les conditions de mise en oeuvre de la légitime
défense préventive, qui nous paraît être le seul
moyen de lutter efficacement contre les nouvelles formes de terrorisme
international.
Mais aujourd'hui force est de constater que nous assistons
à une prolifération de ce principe de légitime
défense préventive. Le dernier exemple en date est l'attaque de
l'Ukraine par la Russie. En espèce le 24 février 2022, la
Fédération de Russie engageait une « opération
militaire spéciale » sur le territoire ukrainien en invoquant
diverses justifications, lesquelles sont précisément au coeur des
enjeux juridiques principaux attachés à la situation. Parmi ces
justifications se trouve la légitime défense
préventive.
La légitime défense préventive reste une
notion controversée en droit international. Bien que certains
États aient invoqué la légitime défense
préventive pour justifier l'emploi de la force armée contre des
menaces imminentes, cette pratique est généralement
considérée comme
128 DERRIDA (Jacques), « Voyous »,
éd. Galilée, 2003, p. 115.
129 Dans une résolution 487 du 19 juin 1981, le
Conseil de sécurité a qualifié cette attaque de «
violation claire de la Charte des Nations Unies et des normes de conduite
internationales »
130 Voir VENEZIA (Jean-Claude), « La notion de
représailles en droit international public », RGDIP, 1960,
p. 465- 498
contraire au droit international, car elle remet en question
le principe d'interdiction du recours à la force et peut conduire
à une escalade des tensions internationales. En outre, l'emploi de la
force armée pour prévenir des menaces imminentes renforce
l'hégémonie des États les plus puissants et affaiblit
l'effectivité du droit international.
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