Le droit international est-il en crisepar Gbedokoun Eusebe SOSSOU Université Amadou Hampaté Ba de Dakar - Master 2 en Droit public option Relation internationale et Management Public 2023 |
Paragraphe 2 : Un principe redéfini par les États puissants.« Le droit international n'est qu'un instrument aux mains des grandes puissances qui peuvent le remodeler ou le modifier à leur propre guise »81, « à l'instar de toute politique, la politique internationale est une lutte pour le pouvoir ». Qui dit droit international fait référence à ces grands principes qui le transcendent. Ainsi à la lumière de cette pensée on peut d'ores et déjà présager les diverses modification ou réadaptation que certains États à catégorie moyenne ou super puissance font de ce droit dans l'unique but de satisfaire leurs intérêts faussant ainsi 79 Affaire du Sahara occidental, avis du 16 octobre 1975, CIJ Rec. 1975, p. 43-44 80Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 133 81MORGENTHAU (Hans), Politics Among Nations: The Struggle for Power and Peace, New York, Knopf, 1948, p. 13. le postulat de départ qui est la sauvegarde de la paix et la sécurité en gardant le principe de la souveraineté à l'élixir dans les rapports entre État. Une bonne structuration nous permet de dégager comment les États sont passés de la non-ingérence à l'ingérence (A) et du devoir d'ingérence à la responsabilité de protéger (B) qui dont tous deux contraires à l'esprit de la souveraineté étatique. A : De la non-ingérence à l'ingérence Le principe de non-ingérence est défini de différentes façons, selon les auteurs et selon les domaines. En droit administratif, on doit partir de la définition de l'ingérence pour mieux définir la non-ingérence. L'ingérence c'est le fait pour une autorité administrative de prendre une décision dans le domaine qui ne relève pas de ses compétences ou de ses attributions ; la non-ingérence devient alors l'interdiction faite à toute autorité administrative de prendre des mesures dans le domaine qui n'entre pas dans ses attributions sans qu'il n'en reçoive préalablement un mandat82. En droit international, l'ingérence est tout acte qui interfère avec la conduite des affaires intérieures de l'État, sans emploie de la force ; la non-ingérence devient alors l'interdiction faite à tout État et à toute organisation internationale de poser tout acte qui interfère avec la conduite des affaires intérieures de l'État83. Selon Jean Salmon, « la non- ingérence est le fait que les États ne peuvent pas accomplir des actes d'ingérence dans les affaires d'autres États, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent exercer une influence de nature contraignante dans les affaires des autres États ou exiger d'eux l'exécution ou l'inexécution d'actes qui ne relèvent pas du droit international »84. Une distinction est à faire entre intervention et ingérence. Parfois les termes sont utilisés indifféremment, y compris par la CIJ, mais l'intervention est une opération matérielle, c'est dans ce sens que le terme a été employé dans un arrêt de la CIJ du 9 avril 1949 sur le détroit de Corfou. En espèce le Royaume-Uni est venu déminer le détroit de Corfou, que l'Albanie refusait de faire - intervention. L'ingérence est tout acte qui interfère avec la conduite des affaires intérieures de l'État, mais cela sans emploi de la force. Ce qui fait qu'une ingérence peut prendre la forme d'une pression, économique ou politique à titre d'exemple on peut prendre une prise 82 KABILA (Jerry Nkulu), Droit administratif, 3e de graduat, Faculté de droit, Université de Likasi, 2017, p.45. 83 DAVID (Eric), Portée et limites du principe de la non-ingérence, éd. Buylant, Bruxelles, 1990, p.252. 84 SALOMON (Jean), dictionnaire du droit international public, Bruxelles, éd. Bruyant, 2001, p.456. de position officielle d'un État prend position sur la procédure électorale d'un autre État qu'il juge frauduleuse. Dans un cas pareil, il y a l'ingérence. Le principe de la non-ingérence trouve son fondement dans la Charte des Nations-unies plus spécialement en son article 2 §7 qui stipule qu' : « aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations-unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État ni n'oblige les membres à soumettre les affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au chapitre VII ». De l'exégèse de ces principales lignes, il ressort que le principe ne concerne que l'organisation. Mais les questions tournent autour de son applicabilité à l'égard des États en relation entre eux. Tel était la conception du principe de non-ingérence, telle conception a créé des controverses depuis l'adoption de la Charte jusqu'à faire un débat dans les années 1970. De ce débat, on est arrivé à déduire que la prohibition de l'ingérence s'imposait non seulement à l'organisation des Nations- unies en tant qu'institution, mais aussi à tous les sujets du droit international dont les États et les organisations internationales85. Malgré cette conclusion, les représentants britanniques à l'époque ont soulevé une opposition disant qu'ils voyaient dans le principe « toute intervention illicite pouvant être soumise à un organe de l'ONU auquel il appartient de décider »86, ainsi ils ont proposé deux critères notamment : chaque État a droit à l'indépendance politique et à l'intégrité territoriale et chaque État a le devoir de respecter les droits dont jouissent les autres conformément au droit international et de ne pas intervenir dans les affaires relevant de la compétence nationale d'un autre État. Ainsi, le principe de la non-ingérence s'impose à l'organisation des Nations-unies, aux États et à toutes les organisations internationales en tant que sujets du droit international. Il est à noter que ce principe s'applique dans un cadre bien circonscrit et déterminé dans les relations entre les États. Ce principe ayant fait l'unanimité au départ, lors de la 21e session de l'Assemblée générale des Nations-unies, les États ont abouti à la Résolution 213187 qui, finalement, donna naissance en 1970 à l'insertion de ce dispositif dans la Résolution 2625 du 24 octobre 1970 portant Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la charte des Nations-unies. Dans le contenu du principe de la non-ingérence, il est interdit : toute 85 RANJAVA (Raymond) et CADOUX (Charles), op.cit., p.86. 86 NOEL (Jacques), le principe de la non-ingérence : théorie et pratique des États, Bruxelles, éd. Bruyant, 1981, p.66. 87 Résolution 2131 DE L'ASSEMBLÉ GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES, adoptée le 21 DÉCEMBRE 1965 portant sur la Déclaration sur L'Inadmissibilité de l'intervention dans les affaires intérieures des États et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté. action d'un État tiers dans les affaires relavant de la compétence exclusive de l'autre État ; toute intervention de quelle nature que ce soit touchant un domaine exclusivement interne ; l'usage de la force ou des menaces ou contraindre un État à une volonté extérieure ; toute injonction extérieure vers un État. Á l'unanimité, les États et les organisations internationales, parties prenantes à cette session de l'Assemblée générale des Nations-Unies se sont engagés, non seulement de respecter ce contenu du principe de la non-ingérence mais aussi à dénoncer tout acte d'ingérence sur le territoire d'un autre État. Force est de constater, que plusieurs décennies déjà, nous assistons à une tendance vers une ingérence qui atteint son paroxysme sur la scène internationale. Ainsi deux sortes d'ingérences sont à relever : l'ingérence directe et l'ingérence déguisée. L'ingérence directe nous la définissons comme le fait pour un État ou une organisation internationale d'exercer une pression par des propos ou des actions, dans un État, dans les affaires qui relèvent de la compétence exclusivement interne. Plusieurs exemples peuvent être soulevés, qui constituent des actes d'ingérence directe. Le premier cas qu'on peut évoquer est celui d'une résolution, celle du 2 juillet 2016 adopté par la Chambre des représentants belges selon laquelle, les élus belges ont menacé de couper l'aide bilatérale directe à la République démocratique du Congo au cas où le pays n'organise pas le scrutin présidentiel dans le délai constitutionnel. Ce qui va à l'encontre de la Résolution 2625 de l'Assemblée générale des Nations unies relative aux principes du droit international touchant les rapports amicaux, diplomatiques et de la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations-Unies qui stipule que : « Aucun État ou groupe d'États n'a le droit d'intervenir directement ou indirectement pour quelque raison que ce soit dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre État. En conséquence, non seulement l'intervention armée mais aussi toute autre forme d'ingérence ou toute menace dirigée contre la personnalité d'un État ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels sont contraires au droit international. Aucun État ne peut appliquer ni encourager l'usage des mesures économiques politiques ou de toute autre nature pour contraindre un autre État à subordonner l'exercice de ses droits souverains et pour obtenir de lui les avantages de quelque ordre que ce soit »88. Au regard du principe, la résolution de la chambre des représentants Belges constitue un acte d'ingérence directe. Il en est de même du ministre français des affaires étrangères qui a déclaré en septembre 2016 avoir appuyer les États-Unis sur la possibilité de sanctionner les responsables de la R.D.C et demander en même temps au président de la RDC de l'époque de « respecter la constitution et de ne pas se présenter 88 Op.cit. aux élections à venir ». Cela constitue, à notre avis, un acte d'ingérence directe car ces propos sont directement adressés aux autorités congolaises et sont de nature à menacer les autorités congolaises afin de les subordonner à la volonté de la France. Également, il y a d'autres exemples qui s'apparentent à l'ingérence directe comme celui de 2014, la France et les États- Unis ont soutenu le coup d'État contre le président burkinabé Blaise Compaoré, qui était au pouvoir depuis 27 ans. Les deux pays ont salué la transition démocratique initiée par les militaires, qui ont promis d'organiser des élections libres et transparentes89 ; de 2019, les États- Unis ont reconnu le chef de l'opposition vénézuélienne Juan Guaidó comme président par intérim du Venezuela, en contestant la légitimité du président élu Nicolás Maduro. La France a suivi cette position, ainsi que plusieurs pays européens et latino-américains. Cette ingérence a été condamnée par le gouvernement vénézuélien, qui a dénoncé une tentative de coup d'État orchestrée par les États-Unis pour s'emparer des ressources pétrolières du pays90. L'ingérence peut être déguisée et ça s'observe souvent dans la recherche des solutions dans les Affaires purement internes des États. En effet, ce sont les organisations internationales ou la communauté internationale qui cherchent à s'approprier un conflit interne d'opinion politique en voulant trouver une solution. Cette recherche de solution constitue de l'ingérence lorsque l'affaire relève de la souveraineté nationale de l'État ; encore, l'organisation ou la communauté qui intervient va chercher à imposer indirectement ses points de vue qui doivent s'appliquer à l'intérieure de l'État. C'est en ça que sa constitue une ingérence déguisée en ce sens que l'orientation de la situation se fait à la volonté de l'organisation qui intervient. C'est le cas de l'Union Africaine qui a envoyé un facilitateur du dialogue entre l'opposition congolaise et le pouvoir congolais sur l'organisation des élections en R.D.C en juillet 2016. Cela n'a pas de fondement et constitue une ingérence déguisée en acte caritatif. Il sied de rappeler une nouvelle forme d'ingérence qui s'observe sur le plan économique et qui bloque le développement des pays. Cette ingérence s'observe par le fait que les institutions financières internationales dont la Banque mondiale, le Fonds monétaire internationale ou encore les institutions de Breton-Wood, commencent à s'ingérer de plus en plus dans les situations politiques nationales et participent à une opération de d'homogénéisation des critères de fonctionnement économique et social qui 89 Lien : https:// www.vie-publique.fr/rapport/289824-ingerences-politiques-economiques-financieres-de- puissances-etrangeres?ssp=1&setlang=fr-XL&safesearch=moderate, consulté le 30 aout à 14h36 90 Lien : https://frontpopulaire.fr/international/contents/ingerence-et-droit-international-lexemple-des-etats-unis- et-de-l-ukraine_co566675?ssp=1&setlang=fr-XL&safesearch=moderate, consulté le 30 aout à 14h39 nie les spécificités de chaque pays91. En effet, ces institutions financières internationales créées en 1944, sont dominées par les États-Unis et quelques grandes puissances alliées qui agissent pour généraliser des politiques contraires aux réalités des peuples. Elles ont systématiquement prêté aux États afin influencer leurs politiques internes. L'endettement extérieur est encore un moyen utilisé comme un instrument de subordination des pays débiteurs. Depuis leur création, le FMI et la BM ont violés les pactes internationaux sur les droits humains et n'hésitent pas à s'ingérer dans les politiques intérieures des États débiteurs92. Il est de principe sociologiquement parlant : « la main qui donne est supérieure ou au-dessus de la main qui reçoit », les États Africains qui bénéficient de l'aide et des prêts de ces institutions, sont contraints à des obligations de celles-ci, lesquelles obligations constituent à l'ingérence parce que touchant des domaines de la compétence exclusive interne des États. Dans ce contexte, les projets de ces institutions ont un fort contenu politique qui est d'endiguer le développement des États qui remettent en cause la domination exercée par les grandes puissances capitalistes. Avec l'ingérence ou le non-respect du principe fondamental du droit international qui est celui de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, la conséquence est que le droit international a perdu sa crédibilité vis-à-vis des États membres dans la mesure où, plus les États se rendent compte que sur base du droit international les États considérés comme grandes puissances utilisent les organisations internationales et la communauté internationale pour s'ingérer dans leurs affaires internes, plus ils chercheront à limiter cela ; et pour se faire les États chercheront à priori à ne plus s'adonner à la ratification ou à l'adhésion des organisations internationales et aux coopérations internationales ; par les suite on pourra aller jusqu' à envisager le retrait des États des organisations, ce qui va faire perdre au droit international son vrai sens et sa raison d'être. Elle met également en cause le principe de l'égalité souveraine car les organisations internationales, les traités et accords internationaux se dégagent comme des pièges symboliques des grandes puissances pour exploiter les petits États. Dès lors qu'un État obéit à une autre volonté que la sienne, il cesse d'être souverain vis-à-vis de cette volonté parce que c'est un pouvoir, une puissance absolue et perpétuelle qui ne peut en aucun cas être aliéné. Lorsqu'un chef d'Etat enseigne à un autre ce qu'il doit faire pour gérer son propre pays, cela prouve qu'entre les deux pays, il y a l'un qui se croit supérieur à l'autre alors que la souveraineté c'est l'égalité de tous les États. Dans la théorie de la souveraineté, aucun État n'est moins 91 L'HERITEAU (Marie France), Le Fonds monétaire international et les Etats du tiers-monde, éd. P.U.F., paris, 1986, p.205. 92 TOUSSAINT (Eric), La Banque mondiale : coup d'État permanent, éd. Syllepse Paris, 2006, p.94. souverain que l'autre ni plus souverain que l'autre ; tous les États sont égaux avec le même degré de souveraineté93. Ces situations ont tendance à fragiliser l'autorité de l'État devant une situation donnée pour asseoir de façon légitime celle des puissances extérieures pour que ces puissances contrôlent le pays dans toutes les dimensions. Un cas pratique de cet aspect, dans les années 1988, la forte mobilisation consécutive au tremblement de terre en Arménie, devant l'impuissance de l'Union soviétique à laquelle appartenait alors cette république, les États-Unis ont pris le devant pour s'emparer de la gouvernance de cet État ; ou encore, le sauvetage par la coalition États-Unis, Royaume-Unis, France, des kurdes d'Irak pourchassés par l'armée de Saddam Hussein au printemps 199194. Ces interventions avaient pour mission de prendre la possession et la direction de l'Union soviétique dans le premier cas et de l'Irak dans le second cas, ce qui aboutira à une déstabilisation socio-politique des deux États. L'ingérence s'abrite aujourd'hui sous d'autre forme en occurrence la forme militaire comme on l'a eu à observer dans le conflit Russo-Ukrainien et Rwanda-RDC. Dans le premier cas, la Russie a envoyé des forces militaires en Ukraine sans une autorisation préalable des autorités ukrainienne. Le gouvernement russe évoque la légitime défense préventive et collective du fait que les minorités russes dans la région de Donbass et Donetsk en Ukraine seraient victimes des répressions arbitraires de la part de des autorités ukrainiennes. C'est le même cas entre le Rwanda et la RDC caractérisé par la présence des forces militaires rwandaises au-delà des frontières de la RDC dans l'optique d'une hypothétique protection des minorités rwandaises en RDC. B : Du devoir d'ingérence à la responsabilité de protéger Dès le XIX e siècle, la notion d'intervention d'humanité a été consacrée pour permettre à une grande puissance de protéger ses propres ressortissants ou des sujets protégés, notamment des minorités religieuses. Mais ces interventions ont souvent également servi de prétexte à la 93 BALANDA MUKUIN (Leliel), le Droit des organisations internationales : Théorie générale, Paris, éd. CEDI, 2006, p.42. 94 DEFARGE MOREAU (Philippe), De l'ingérence impériale à l'ingérence démocratique, éd. Presses de Sciences Po, Paris, 2006, p.9. « politique de la canonnière95 » des États européens pour étendre leurs empires coloniaux ou leurs intérêts commerciaux. Aujourd'hui ce type d'intervention reste le plus souvent limité à l'évacuation militaire des nationaux en cas de crise comme dans l'opération de Kolwesi96 menée par la France en 1978 au Zaïre au bénéfice de tous les Européens mais peut également justifier une véritable occupation du territoire avec le débarquement américain dans l'île de la Grenade en 1983 pour protéger les étudiants américains sur place. Dans les années 1980, le débat a été posé sur un autre terrain, avec la consécration progressive par l'Assemblée générale d'un « droit d'ingérence »97. Dans un premier temps, la résolution n° 43/131 du 8 décembre 1988 « relative à l'assistance humanitaire aux victimes de catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre », insiste sur « l'accès aux victimes » pour les « organisations non gouvernementales agissant dans un but strictement humanitaire ». Tout en réaffirmant rituellement la « souveraineté, l'intégrité territoriale et l'unité nationale des États », la résolution n'en ouvre pas moins une brèche dans le rempart de la souveraineté, en ne laissant pas les victimes aux seules mains de l'État national. Bien plus, elle admet implicitement qu'à côté des « catastrophes naturelles », il puisse exister des urgences humanitaires créées par les hommes (man-made disaster). Presque aussitôt un tremblement de terre en Arménie sera l'occasion pour l'URSS d'inviter les premiers secours des États et des ONG. Mais l'hypothèse d'une crise interne ou d'une guerre civile reste en filigrane de la résolution. Ainsi lors de la « révolution » roumaine en décembre 1989, le ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas, n'hésitera pas à demander à l'URSS d'intervenir en Roumanie. Deux ans après la résolution n° 43/131, une nouvelle résolution n° 45/100 du 14 décembre 1990 est venue compléter le dispositif en prévoyant la mise en place de « couloirs 95 L'expression « politique de la canonnière » rappelle encore à quel point la canonnière était symbole de la projection de puissance jusqu'au début du XXe siècle. La « politique de la canonnière » consistait à tirer depuis la mer au canon sur les côtes des États qui ne payaient pas leurs dettes financières. Lien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Diplomatie_de_la_canonni%C3%A8re; consulté le 01 septembre 2023 à 03h40 96 La bataille de Kolwezi est une opération aéroportée baptisée « Opération Bonite », menée par une unité de la Légion étrangère française, le 2e régiment étranger de parachutistes (2e REP), ainsi que par des troupes belges et zaïroises. Elle se déroule en mai 1978 au Zaïre, actuelle République démocratique du Congo (RDC), pour délivrer des otages européens retenus dans la ville minière de Kolwezi par des rebelles katangais. Lien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Kolwezi, ; consulté le 01 septembre 2023 à 03h46 L'opération est déclenchée par le massacre de 700 Africains et de 170 Européens et réussit à libérer des otages avec des pertes militaires légères. 97BETTATI (MARIO), Le droit d'ingérence, éd. Odile Jacob, Paris,1996, in DECAUX (Emmanuel.) et DE FROUVILLE (Olivier), op.cit., para.413. d'urgence humanitaire ». Mais à côté de la mission des ONG qui est ainsi confirmée, c'est le rôle des Nations Unies et des États qui va être mis en relief par la suite, à travers des résolutions de plus en plus audacieuses du Conseil de sécurité. Cependant, le qualificatif de « droit » prête à confusion, car cette notion n'est pas adossée à des textes juridiques contraignants, le droit international consacrant par ailleurs la notion de souveraineté. L'effectivité de ce « droit » dépend dès lors de l'application qu'en font les États. Or la notion est controversée. Les pays en développement en particulier soupçonnent, derrière un prétexte d'ingérence sous sa forme humanitaire, que son usage réponde à des motivations politiques. La déclaration en 2000 à l'issue du sommet du « Groupe des 77 »98 proclame ainsi le rejet du « soi-disant «droit» d'intervention humanitaire, qui n'a aucun fondement juridique dans la Charte des Nations Unies et dans les principes généraux du droit international ». Tout en s'en distanciant, l'établissement d'une responsabilité de protéger s'inspire de ces débats. Si elle repose sur l'idée que la situation humanitaire peut entrer dans la catégorie des menaces à la paix et à la sécurité internationales, elle requiert l'exploration de moyens pacifiques, l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité (donc sans qu'un veto ne soit posé), évitant ainsi la notion controversée d'ingérence. Koffi Annan secrétaire général de l'ONU à l'époque a voulu concilier le principe de souveraineté fondant le droit international avec l'impérative nécessité de réagir face aux massacres de populations. En réponse à cet appel, le Canada a suscité la création d'une commission indépendante, la « commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États » coprésidée par Gareth Evans et Mohamed Sahnoun, dont le rapport est paru en décembre 2001 sous le titre la responsabilité de protéger. Cette réflexion a trouvé son prolongement dans un cadre officiel avec « le groupe de personnalité de haut niveau sur les menaces, les défis et les changements nécessaires », mis en place par le secrétaire général, qui a rendu son rapport le 02 décembre 2004, sous le titre Un monde plus sûr : notre responsabilité partagée (A/59/565). Sur cette base, le secrétaire général a lui-même fait des propositions dans un rapport publié le 21 mars 2005, Dans une liberté plus grande : Développement, sécurité et droits de l'homme pour tous (A/59/2005). Même si le document final du sommet mondial (A/RES/60/1) n'a pas repris à son compte toutes les propositions formulées, la responsabilité 98 Le Groupe des 77 (G77) aux Nations unies est une coalition de pays en développement, conçue pour promouvoir les intérêts économiques et politiques collectifs de ses membres et créer une capacité de négociation accrue aux Nations unies. Il symbolise l'engagement des Nations unies à promouvoir la démocratisation des relations internationales et en constitue un facteur essentiel1. Il s'agit d'unir tous les pays en développement afin que, en dépit de leur diversité, ils puissent peser sur les décisions internationales. Créée par 77 pays, l'organisation a grandi et comptait 133 pays membres en 2014. Néanmoins, elle continue à être désignée comme le G77 dans les négociations et sessions de l'ONU. Lien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_des_77, consulté le 02 septembre à 11h09 collective de protéger les populations civiles a été fortement affirmée. Cette responsabilité, dite souvent « R2P », incombe en premier lieu aux États, d'abord à l'État concerné, mais aussi à la communauté internationale des États, à travers les organes de l'ONU et notamment le Conseil de sécurité. Sous le nouveau vocable de la « responsabilité collective de protéger », les Nations Unies se sont fixées une obligation de résultat, sans pour autant déterminer une obligation de moyen. Dès lors est reconnue à la communauté internationale une compétence en cas de « défaillance manifeste » d'un État à protéger sa population. Il s'agit d'une responsabilité de protéger les populations civiles victimes de crimes de génocide, crimes contre l'humanité, nettoyage ethnique et crimes de guerre. Cette responsabilité subsidiaire, activée par le Conseil de sécurité, peut prendre la forme d'une intervention coercitive, telle que prévue par le Chapitre VII de la Charte, mais aussi d'une palette d'autres mesures, pacifiques, diplomatiques ou humanitaires. En 2009, le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki Moon, précise ainsi que « l'action résolue » attendue ne désigne pas le seul recours à la force. Récemment, des crises majeures ayant donné lieu à l'activation de la responsabilité de protéger a aussi constitué un frein à sa généralisation. On l'a vu lorsque saisi en 2007 par les Occidentaux de la situation au Myanmar, à la suite de la répression sanglante de manifestations pacifiques de moines bouddhistes, le Conseil de sécurité a été paralysé par le double veto de la Chine et de la Russie, soutenues par le vote négatif de l'Afrique du Sud. De même, l'intervention de l'OTAN en 2011 en Libye, avec un feu vert du Conseil de sécurité, a donné une nouvelle dimension à la responsabilité de protéger les populations civiles. Mais le fait que le mandat initial dans le strict cadre de la « responsabilité de protéger » soit vite devenu en mandat de « transformation de régime » a suscité de nouvelles méfiances de la part de la Russie et de la Chine, paralysant le Conseil de sécurité face à la crise syrienne, par une série de « doubles vetos ». Dans le contexte de répression du soulèvement populaire par le régime libyen en 2011, le Conseil de sécurité adopte deux résolutions : de manière graduelle, la résolution 197099 rappelle aux autorités libyennes qu'elles ont la responsabilité de protéger 99 S/RES/1970 (2011) du 26 février 2011 Imposant un embargo sur les armes, une interdiction de voyager et un gel des avoirs en rapport avec la situation en Jamahiriya arabe libyenne. Lien : https:// www.un.org/securitycouncil/fr/s/res/1970-%282011%29, consulté le 02 septembre à 11h19 leur peuple, exigeant l'arrêt immédiat de la violence ; la résolution 1973100 autorise les États membres à prendre « toutes les mesures nécessaires » pour protéger les populations et décide, avec le soutien de la Ligue arabe, l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne. C'est dans ce cadre qu'est mise en place une opération militaire sous l'égide de l'OTAN. Or l'enchaînement des événements jusqu'à la mort de Mouammar Kadhafi (20 octobre 2011) est critiqué par certains États, qui soupçonnent une volonté déguisée de changement de régime. Dès lors, comme son activation dépend de la volonté des États, la responsabilité de protéger ne peut être mise en oeuvre, par exemple, dans la crise syrienne, en dépit de l'ampleur des massacres perpétrés par le régime Assad. « Si nous interrogeons la pratique internationale, nous constatons que les États ont tour à tour invoqué ou repoussé le devoir d'intervention selon leurs intérêts bien ou mal compris. Ils n'ont en général obéi qu'à des calculs égoïstes. Quand ils ont jugé profitable à leur politique, à leur ambition, de se mêler des affaires d'un autre État, ils ont revendiqué le droit d'intervenir. Ont-ils cru trouver leurs ventages à écarter ou à empêcher l'intervention active d'autres États, ils leurs ont contesté la faculté d'intervenir »101. Cette citation ne fait que traduire la sélectivité qui caractérise la pratique des États dans le cadre de la responsabilité de protéger. On peut parler d'une mise en oeuvre à géométrie variable. Si l'on suit la pratique des États, il semble que la protection de certaines vies humaines prévaut sur d'autre. En effet, au moment où l'OTAN menait des opérations contre les forces armées libyennes, ses pays membres font proportionnellement très peu pour venir en aide aux réfugiés somaliens souffrant de la famine et de la crise humanitaire qui faisait rage dans la corne de l'Afrique. Alors que les estimations les plus crédibles évaluaient que la répression de Tripoli avait fait entre 600 et 800 morts au moment de l'adoption de la Résolution 1973 du Conseil de sécurité qui permettait l'intervention de l'OTAN, l'ONU annonçait que la crise humanitaire somalienne aurait déjà coûté la vie à près de 30 000 enfants de moins de cinq ans102. La vie des 800 morts vaudrait-elle mieux que celles des 30 000 ? Nous ne le croyons pas. Alors pour quoi deux poids deux mesures ? Les intérêts 100 S/RES/1973 (2011) du 17 mars 2011. Lien : https:// www.un.org/securitycouncil/fr/s/res/1973-%282011%29#, consulté le 02 septembre à 11h22 101 CROUZATIER (Jean-Marie), « le Principe de la responsabilité de protéger : Avancé de la solidarité internationale ou Ultime Avatar de l'impérialisme », Revue ASPECTS, Vol. 2, 2008, p. 13-14. 102 GAUTIER-AUDEBERT (Agnès), « La Responsabilité de Protéger : Une Obligation Collective en quête d'application par la communauté internationale », Revue Ubuntou, Vol. 1, 2013, p. 53. en jeux. Il convient de préciser que cette sélectivité de la responsabilité de protéger lui a fait perdre le consensus qu'elle avait gagné lors de sa consécration en 2005. Aujourd'hui l'on se demande pourquoi la responsabilité de protéger n'est jamais mentionné pour la Palestine face à l'Israël, ou un nettoyage ethnique est activement mené depuis des décennies jusqu'à nos jours où la région de la Bande de Gaza est victime de barbarisme et des atrocités qui échappent à l'entendement humain, dérogeant à tous les principes érigés par le droit international. Il est clair que toute résolution tendant à faire appliquer cette responsabilité dans ce conflit serait systématiquement bloqué par le veto des États Unis, outre la France et l'Angleterre. Alors en même temps ces États n'ont pas hésité à violer la souveraineté de l'Irak et de l'Afghanistan sous couvert de la protection des populations. Là aussi se pose la question de savoir si les vies des populations Irakiennes ou afghanes sont plus importantes que celles des populations palestiniennes. Cette responsabilité illusoire se manifeste aussi par le fait que la responsabilité de protéger ne puisse être invoqué qu'envers certaines catégories d'États. En effet, il est affirmé que la responsabilité de protéger ne saurait être invoqué contre l'un des cinq membres du Conseil de sécurité. Ce qui fait que, dès le départ ceux qui sont censé voter des résolutions pour la mise en oeuvre de la responsabilité sont exclus de son champ d'action. Ainsi même si ces puissances violent ouvertement la Charte des Nations Unies et font des centaines de morts lors de leurs guerres, ils restent au-dessus des lois et ne peuvent faire l'objet de la responsabilité de protéger. Pour tout humaniste la responsabilité de protéger est l'un des meilleurs mécanismes créés par la communauté internationale pour venir en aide à des populations en situation de détresse. Cependant, l'usage fait de ce mécanisme par la communauté internationale en l'instrumentalisant conduit à son discrédit auprès des certains États. Ce discrédit conduit inévitablement à son immobilisme, à son rejet et par conséquent un manque de réponse de la part de la communauté internationale à des populations en besoin de protection. La Syrie, la Palestine, le Taiwan, l'Iraq et l'Iran subissent aujourd'hui les conséquences de l'instrumentalisation de la responsabilité de protéger par certains États à des fins autres qu'humanitaire. |
|