Paragraphe 2 : Les mesures
coercitives
Parmi les solutions existantes, celles qui ont retenues notre
attention et semblent plus pertinentes, sont celles proposées par
Boutros Boutros-Ghali dans son agenda en 1992 notamment la création
d'une armée pour l'ONU (A) qui va permettre d'éviter la
sous-traitance
303 Le terme «médiation»
désigne tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les
parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un
règlement amiable d'un litige, d'un rapport conflictuel ou d'un
désaccord (ci-après le «différend»)
découlant d'un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié
à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y
compris des entités publiques ou des États. In Acte uniforme
relatif à la médiation, 23 novembre 2017, JO (entrée en
vigueur : 23 février 2018).
des opérations coercitives aux États et aussi
mettre en place un système dénommé « système
de ressources en attente » (B).
A : La nécessité de la création
d'une armée pour l'ONU
« Je recommande que le Conseil envisage de faire
appel, dans des circonstances clairement définies, à des
unités d'imposition de la paix dont le mandat serait défini
à l'avance
»304. Cette recommandation de Boutros
Boutros-Ghali reflétait son idée de doter l'Organisation
d'unités d'imposition de la paix, destinées à remplir les
tâches excédant la mission traditionnelle des forces de maintien
de la paix et capables de mener par exemple, des « interventions
préventives pour protéger les populations avant la consolidation
de la paix »305.
Á la différence avec les forces de Casques bleus
classiques, ces unités seraient fournies par des États membres et
composées de militaires volontaires et stationnés en
réserve sur le sol de leur pays. Eu égard à la
difficulté présumée des missions qu'elles auraient eu
à accomplir, ces forces devaient être lourdement armées et
particulièrement bien entraînées. Sur le plan juridique il
était prévu que leur déploiement et leur fonctionnement
seraient autorisés par le Conseil de sécurité, au titre de
l'article 40 de la Charte mais qu'à la différence des forces
habituées ces unités seraient placées sous le commandement
en chef du seul Secrétaire général.
En l'occurrence, Boutros Boutros-Ghali ne faisait que
ressusciter un projet remontant à la résolution 377/V de 1950,
par laquelle l'Assemblée générale avait adopté une
recommandation prévoyant pour tous les États membres le maintien,
sous le nom « d'Unités des Nations Unies », de contingents
pouvant être rapidement disponibles. Cette suggestion demeura à
l'état de projet, pour les mêmes raisons qui ont conduit les
membres de l'Organisation à laisser en sommeil la proposition de Brian
Urquhart. Comme l'observe Jean-Pierre Colin, en effet, « cette
idée [...] susceptible de rappeler aux uns les Brigades internationales,
[...] fait aux yeux des autres planer sur la force le spectre du mercenariat
»306. Or, pour la plupart des États membres et, en
tout cas pour les grandes puissances, si mercenariat il doit y avoir, autant
qu'il soit à leur avantage. De la même façon, s'il faut
prêter à l'ONU des troupes, pour parfois
304 Boutros Boutros-Ghali, Agenda pour la paix,
op.cit., par.44.
305 SMOUTS (Marie-Claude), « Pour qui sont ces
soldats ? », in L'ONU et la guerre : La diplomatie en kaki,
Editions Complexe, Bruxelles, 1994, p. 24.
306 COLIN (Jean-Pierre), « Le leadership
américain et révolution actuelle de la sécurité
collective », Presses
universitaires de Nancy, Nancy, 1992, p. 131.
imposer la paix, autant en conserver le commandement direct,
sans passer par le Secrétaire général. Toutes choses au
demeurant, qu'autorise la pratique de la sous-traitance mais que n'aurait pas
permis le système des unités d'imposition de la paix. Un
système qui reste, de ce fait, à l'état de projet, comme,
d'ailleurs, la plupart des autres mesures proposées par Boutros
Boutros-Ghali et visant à « militariser » l'ONU.
Même si aujourd'hui, les temps ont changé, la
réalité est peu probable de voir les États membres
accepter de mettre au service de l'ONU, et surtout sous les ordres du
Secrétaire général, des forces disposant d'un mandat
coercitif et donc susceptibles d'être utilisées dans des actions
de contrainte armée militairement dangereuses et politiquement
délicates, force est de contester le projet est louable et doit
être pris en considération.
À cet égard, la proposition de Brian Urquhart de
créer une force d'imposition de la paix de 5 000 hommes environ
composée de volontaires recrutés spécialement et
directement par l'Organisation307s'avère sans doute plus
réaliste. Elle ne fait elle aussi, que reprendre une idée
énoncée en 1950 par Trygve Lie lui-même. Ce dernier avait
alors proposé la création d'une brigade internationale
composée de tous les volontaires compétents, issus de tous les
États de la société internationale, liés à
l'Organisation par « des engagements valables deux ou trois
ans
» et dotés d'un uniforme particulier et
distinctif. Cette « Brigade des Nations Unies », mise «
à la disposition du Conseil de sécurité »,
aurait été chargée des tâches coercitives, sous la
direction de cet organe et au nom des Nations Unies308.
Même s'il existe un risque qu'une force militaire de
l'ONU soit manipulée par des nations puissantes pour leurs propres
intérêts, compromettant ainsi sa légitimité et son
efficacité elle pourrait éviter les interférences
nationalistes et les conflits d'intérêts qui peuvent surgir
lorsque les États utilisent leur propre militaire pour poursuivre des
objectifs nationaux. Elle pourrait également aider à
réduire les tensions entre les États et à promouvoir une
culture de la coopération et de la Diplomatie.
B : La
nécessité de mettre en place un système de ressources en
attente
L'idée là avait été émise
par Javier Ferez de Cuellar dès 1990, qui avait prié les
États membres d'indiquer le personnel militaire qu'ils seraient
prêts à mettre à la disposition de
307 URQUHART (Brian), «For a UN Volunteer
military Force», New York Rewiew of Books, 10 juin 1993.
308 LIE (Trygve), Au service de la paix,
collection Mémoire du temps présent, Gallimard, Paris, 1957, p.
380.
l'Organisation. Cette idée a été reprise
par Boutros qui a créé, pour l'occasion dans le temps, un groupe
spécial de sept officiers conduit par le colonel français
Gérard Gambiez. Ce groupe s'est fixé pour objectif de «
développer un système de ressources en attente capable
d'être déployé en entier ou en partie, dès le
début de 1994, n 'importe où dans le monde, à la demande
du Secrétaire général, dans un délai convenu, pour
des missions au service des Nations Unies, en exécution d'un mandat du
Conseil de sécurité »309. Ce système
des ressources en attente pour l'ONU et non de l'ONU dit « un Stand-by
System »310 s'avère, à bien des égards
plus réalistes que le projet de création d'un corps permanent de
Casques bleus, à la disposition du Secrétaire
général de l'ONU parfois évoqué par divers
observateurs des relations internationales311.
Comme l'avait expliqué Boutros Boutros-Ghali «
le système des forces et moyens de réserve vise à
permettre de se faire une idée précise des forces et autres
moyens que tout État Membre pourrait tenir prêts comme convenu,
pour les mettre éventuellement à la disposition d'une
opération de maintien de la paix »312. Il s'agirait
donc d'établir à l'avance un stock d'hommes et de
matériel313 sur lequel le Secrétaire
général serait certain de pouvoir compter et qui lui permettrait
d'évaluer, au mieux les capacités réelles d'intervention
de l'Organisation.
L'intérêt principal de ce projet, par rapport au
système antérieur, réside dans le gain de temps
supposé réalisé par l'Organisation. Le Secrétaire
général doit certes toujours obtenir un
309 Colonel Gérard Gambiez, cité par
COLIN (Jean-Pierre), « Le leadership américain et révolution
actuelle de la sécurité collective », Presses
universitaires de Nancy, Nancy, 1992, p. 132.
310 GAMBIEZ (Gérard), « Les ressources
`'en attente'' d'es Nations Unies », Droit et Défense,
N° 94/4, octobre
1994, pp. 50 et ss.
311 Cet hypothétique corps permanent diverge
fondamentalement des forces théoriquement prévues à
l'article
43 de la charte. Il s'agirait en espèce d'un corps de
Casques bleus, soumis à des conditions d'engagement restrictives et dont
l'avantage principal tiendrait dans la Possibilité d'éviter au
Secrétaire générales marchandages auxquels il doit se
livrer pour obtenir des troupes, avant de pouvoir lancer la moindre
opération, pourtant décidée par le Conseil de
sécurité. Sur ce projet, qui a débouché sur la
notion des ressources en attente.
312 Rapport du Secrétaire
général du 30 juin 1994, Arrangements relatifs à des
forces et moyens de réserve pour le maintien de la paix, S/1994/777,
para. 2.
313 D'après ce même rapport
(paragraphe 3), « ces moyens peuvent consister en des formations
militaires. Une police civile, des personnels (civils et militaires)
spécialisés, du matériel spécialisé et
d'autres moyens ». L'Agenda pour la paix suggérait
déjà la constitution d'un stock de matériel de base
(véhicules, matériel de transmission, etc.), dans lequel il
pourrait être puisé dès le lancement d'une
opération. La constituons d'un tel stock permettait de résoudre
le Problème du manque de matériel de certains contingents
très mal équipés, qui oblige les Nations Unies à en
acheter sur place ou à solliciter constamment les contributions
volontaires d'autres États membres. Boutros Boutros-Ghali, Agenda
pour la paix, op.cit., para 45.
accord des États, mais celui-ci a été
pour partie déjà donner. Il sait donc à quoi s'en tenir et
vers quels États prioritairement se tourner pour un acquiescement qui
devrait être de principe, sauf circonstances très
particulières.
Actuellement, très peu d'opérations peuvent
démarrer immédiatement après avoir été
autorisées par le Conseil de sécurité, il faut d'abord,
évaluer le coût de l'opération établir un budget
prévisionnel et obtenir le financement ; ce qui peut prendre plusieurs
semaines. Il faut ensuite, obtenir des États membres les hommes et la
logistique nécessaires. Le Secrétariat général
doit, à ce stade se livrer à de véritables marchandages
qui prennent du temps. Le système des ressources en attente permettrait,
sinon de supprimer, du moins d'atténuer les conséquences de ces
immanquables tractations et ainsi de gagner de précieuses semaines. Un
tel système garantirait également au Secrétariat
général de gérer au mieux les ressources que sont
prêts à lui fournir les États membres si le stock
s'avère314 insuffisant, il s'abstiendra d'initier une
nouvelle opération. Il l'autoriserait, enfin à compter sur du
personnel immédiatement opérationnel et dont l'équipement
et la spécialisation correspondraient parfaitement aux besoins de la
mission315.
Ce serait là une innovation qui apparaît donc des
plus intéressantes sur le papier mais qu'il faudra encore traduire en
pratique mais s'il présente en effet de notre point de vue, comme de
celui de David Ruzié « une faiblesse essentielle : celle
d'être, en dernière analyse, tributaire de l'acceptation des
États de participer à une opération donnée
»316.
314 Sur les trop longs délais que
nécessité la mise en place d'une opération de maintien de
la paix. Voir ZACKLIN (Ralph), « capacités financières et
techniques des organisations internationales : financement et gestion des
opérations de maintien de la paix de l'Organisation des Nations Unies
», in SGDN, « Sécurité collective et crises
'internationales », SGDN/La Documentation Française,
Paris, 1994, pp. 415-416.
315 Cf. le rapport du Secrétaire
général du 30 juin 1994, sur les arrangements relatifs à
des forces et moyens de réserve pour le maintien de la paix : « Les
effectifs fournis dans le cadre du système de forces et moyens de
réserve doivent être pleinement opérationnels, y compris
disposer du matériel dont ils ont besoin pour fonctionner ».
S/1994/777, para. 4.
316 David Ruzié, « Le cadre juridique des
interventions françaises au Rwanda », Droit et
Défense, Octobre 1994,
p. 5.
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