Chapitre II - Des
perspectives de renaissance souhaitées
Les partisans de la thèse de résilience du droit
international voient la crise actuelle comme une opportunité de
réformer et de mettre à jour le cadre juridique existant pour
qu'il reflète mieux la nouvelle réalité d'un monde
multipolaire. Selon eux, le système actuel est dépassé et
ne sert pas également les besoins de tous les États, et qu'une
approche plus souple et plus responsable du droit international est
nécessaire. C'est dans cette logique que nous aborderons d'une part la
question de la réforme impérative du conseil de
sécurité (section I) et d'autre part un renforcement des mesures
de paix (section II).
Section 1- Une réforme impérative du
conseil de sécurité
Comme l'écrit Jean Daniel, les cinq puissances qui
siègent de façon permanente au sein du Conseil de
sécurité « incarnent le gouvernement du monde, sa
conscience et sa force ; elles sont à l'origine de décisions
considérables et leurs représentants ont entre eux des
complémentarités, des complicités, des connivences qui
font d'eux les diplomates les plus sollicités de la planète et
qui créent une homogénéité
insoupçonnée de détermination »271.
Pour beaucoup cette sorte de « gouvernement » n'est pas suffisamment
représentative de la société internationale. Dans cet
esprit, souhaiter la modification de la composition du Conseil de
sécurité constitue une manière de condamner la gestion
oligarchique ou aristocratique des Nations Unies, incarnée par cet
organe et qui s'avère peu compatible avec la proclamation
d'idéaux démocratiques par la Charte. Dans cette logique, nous
allons faire un rappel des anciennes propositions de réforme du conseil
(paragraphe 1) et après faire une proposition dite novatrice (paragraphe
2).
Paragraphe 1 : Des
propositions existantes
Les propositions existantes de réforme du Conseil de
sécurité des Nations Unies sont aussi nombreuses que leurs
auteurs. Il en existait deux types, à savoir les propositions
émanant des groupes de travail (A) et celles provenant des groupes
d'États (B)
A : Les propositions des
Groupes de travail
Les propositions de réforme n'ont pas manqué
depuis 1965. Le débat a cependant été relancé avec
une certaine vigueur en 1992, lorsque l'Assemblée générale
adopta la résolution A/47/62 intitulée "Question de
représentation équitable et d'augmentation de la composition du
Conseil de Sécurité"272. Le Secrétaire
général des Nations Unies produisit un rapport sur la question le
20 juillet 1993. Suite à cela, l'Assemblée générale
adopta la résolution A/48/26 par laquelle elle créait un groupe
de travail ouvert chargé d'étudier la problématique.
271 DANIEL (Jean), « Une bombe pour un
fauteuil », Le Nouvel Observateur, 1997, p. 59.
272 A/RES/47/62 du 11 décembre 1992
intitulée "Question de représentation équitable et
d'augmentation de la composition du Conseil de Sécurité".
Après plusieurs mois, ce Groupe, ouvert à tous
les États membres de l'Organisation, a produit en 1997 le « Plan
Razali »273 qui prônait l'élargissement de la
composition du Conseil. Tenant compte du premier paragraphe de l'article 23 de
la Charte des Nations Unies 274 qui fixe les critères de
« contribution des Membres de l'Organisation au maintien de la paix et
de la sécurité internationales, et aussi d'une répartition
géographique équitable », le Groupe de travail avait
proposé de porter de 15 à 24 membres la composition du Conseil.
Les nouveaux membres bénéficieraient d'un statut permanent et
quatre membres seraient non permanents. Les membres permanents passeraient
ainsi de cinq à dix et les membres non permanents de dix à
quatorze. Afin de satisfaire les exigences de la « répartition
géographique équitable », le plan proposait de
distribuer ainsi les cinq nouveaux sièges permanents : trois pays en
développement, dont l'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine et les
Caraïbes, ainsi que deux États industrialisés. Pour ce qui
concerne les sièges non permanents, les États en
développement se partageraient également chacun un siège,
un État d'Europe orientale se verrait attribuer également une
telle catégorie de siège.
En outre, le Plan Razali affirmant en son point 4a) que
l'existence du droit de véto est « contraire aux principes
démocratiques », et ce, conformément à la position de
la quasi-totalité des États membres de l'organisation. De ce
fait, il propose d'en décourager son usage « en engageant les
membres permanents initiaux du Conseil de sécurité à en
limiter l'exercice aux mesures prises en vertu du Chapitre VII ».
L'expérience précédente de l'utilisation abusive du droit
de véto par ses détenteurs initiaux, explique certainement le
refus du Groupe de travail de conférer ce privilège aux cinq
nouveaux membres permanents. Ces derniers ne pourraient jouir de toutes les
prérogatives découlant du double privilège, et ce,
contrairement aux membres initiaux qui conservent leur pouvoir.
Si elles étaient adoptées par un vote des deux
tiers des membres de l'Assemblée Générale, les mesures de
ce plan ne seraient pas fondamentalement différentes des changements
adoptés lors
273 Ismail Razali est un diplomate malaisien et
présidait le Groupe de travail sur la réforme du Conseil.
274 « Le Conseil de sécurité se
compose de quinze Membres de l'Organisation. La République de Chine, la
France, l'Union des Républiques socialistes soviétiques, le
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, et les États-Unis
d'Amérique sont membres permanents du Conseil de sécurité.
Dix autres Membres de l'Organisation sont élus, à titre de
membres non permanents du Conseil de sécurité, par
l'Assemblée générale qui tient spécialement compte,
en premier lieu, de la contribution des Membres de l'Organisation au maintien
de la paix et de la sécurité internationales et aux autres fins
de l'Organisation, et aussi d'une répartition géographique
équitable. » article 23 du chapitre V de la charte.
du premier élargissement survenu à la suite de
l'amendement de la Charte en 1963. Puisque celui-ci suggère que les
nouveaux membres permanents ne détiennent pas de droit de véto,
sa réalisation ne peut avoir de conséquence notable sur les
pouvoirs des membres permanents initiaux. La proposition contenue dans ce Plan
viendrait ainsi réduire un peu l'écart du
déséquilibre entre les pays du Nord et ceux du Sud puisqu'on
passera, pour le Sud, d'un siège sur quatre, soit 25% de la composition
actuelle des membres permanents à quatre sur dix, soit 40% de l'ensemble
des membres. Le Plan Razali ne suggère toutefois aucune véritable
réallocation de pouvoir (le droit de véto) et les membres
permanents devraient s'avérer plus favorables ou plus conciliants. Le
plan ne tranche pas de manière courageuse la question du droit de
véto. Les cinq membres permanents continueront d'en être
titulaires, en dépit de la volonté du groupe de vouloir en
limiter son exercice. Le Plan ne définit pas clairement les situations
qui pourraient faire l'objet de ces genres de mesure de limitation de l'usage
du droit de véto et les modalités de son application. De ce fait,
il demeure un flou total autour de la question.
Depuis sa présentation en 1997, le Plan Razali ne
parvient pas à faire l'objet d'un consensus. Cela semble s'expliquer en
partie par l'existence même du droit de véto, car comme nous
l'avons vu dans le chapitre précédent l'amendement de la Charte
requiert l'accord préalable de tous les membres permanents. Et les
membres permanents ne sont pas favorables au Plan Razali.
B : Les propositions des
groupes d'États
Plusieurs groupes d'États ont également
cherché à formuler des propositions sur la question de la
réforme du Conseil. Ainsi, nous intéressons successivement aux
propositions du G4 (Allemagne, Japon, Brésil et Inde), à celle de
l'Union Africaine ainsi qu'à celle du groupe Uniting For Consensus (Unis
Pour le Consensus) (UPC).
En 2005, le G4 a fait une proposition d'élargissement
du Conseil à 25 membres, c'est à dire six nouveaux sièges
permanents sans droit de véto dont les quatre pays du groupe et deux aux
représentants des pays d'Afrique. Quatre sièges non permanents
ont été également repartis
de manière équitable entre chacune des
régions. Soutenue par une quinzaine de pays275, la
proposition possède un caractère à la fois objectif et
ambigu. Le caractère objectif de la proposition réside dans le
fait que le projet nourrit les ambitions des pays initiateurs. Pour notre part,
nous trouvons leurs ambitions bien fondées. En effet, sur la base de
leur poids économique et de fourniture de contingents, ces pays
répondent véritablement aux attentes de l'organisation. De plus,
l'article 23 de la Charte légitime leur revendication.
En revanche, le caractère ambigu de la formule
s'explique par le fait qu'elle ne clarifie pas avec exactitude les
critères de sélection pour les deux sièges permanents des
représentants africains et qu'elle ne le fait non plus pour les quatre
sièges non permanents. À l'instar du G4, l'Union africaine
envisage également un élargissement de la catégorie des
membres permanents, mais avec droit de véto. Ces pays africains se sont
rassemblés derrière « le Consensus Ezulwini
»276 pour exiger deux sièges permanents, mais cette fois
avec droit de véto et deux sièges supplémentaires non
permanents aux trois déjà existants. L'organisation
régionale africaine ne donne pas davantage d'information sur la
répartition du reste des sièges permanents puisqu'elle demande
une augmentation de cinq, ni sur les critères de sélection de ces
titulaires. L'Union africaine explique que sa région détient le
record du plus grand nombre de conflits armés au monde depuis ces
dernières décennies. De ce fait, sa présence
renforcée au sein du Conseil de sécurité serait
bénéfique à la gestion et la résolution desdits
conflits.
Au demeurant, des questions d'ordre culturel ont
également été soulevées pour soutenir la
revendication. Étant donné que plusieurs auteurs accordent une
place primordiale aux facteurs culturels comme facteurs de déclenchement
de plusieurs conflits. La Charte des Nations Unies ne prévoit toutefois
pas un tel critère dans l'élection des membres du Conseil, mais
plutôt dans les dispositions de l'article 23. Au regard de cet obstacle,
nous estimons que le chemin semble encore long pour que l'Union africaine
obtienne un consensus international autour de leur proposition.
Contrairement aux deux précédents groupes, les
pays rassemblés au sein du groupe « Unis pour le Consensus »
(UPC) et soutenant l'initiative de l'Italie, de l'Argentine, du Pakistan et du
Mexique, militent en faveur de l'augmentation du nombre de membres non
permanents.
275 La quinzaine de pays soutenant la proposition
sont : Afghanistan, Belgique, Bhoutan, Danemark, Fidji, France, Géorgie,
Haïti, Honduras, Îles Salomon, Island, Kiribati, Lettonie, Maldives,
Nauru, Palaos, Uruguay, Pologne, Portugal, République Tchèque,
Tuvalu et Ukraine.
276 Le Consensus d'Ezulwini est une position sur
les relations internationales et la réforme des Nations Unies , convenue
par l'Union africaine. Il appelle à un Conseil de sécurité
plus représentatif et démocratique, dans lequel l'Afrique, comme
toutes les autres régions du monde, est représentée.
Comme ils l'ont fait savoir en marge de la 65e
session de l'Assemblée générale des Nations Unies, ce
groupe d'États s'opposent à l'élargissement des membres
permanents, mais proposent par la même occasion dix sièges
supplémentaires pour les membres non permanents. C'est une proposition
à laquelle les membres permanents pourraient se rallier dans la mesure
où elle ne modifie aucun de leurs privilèges. Une formule
analogue avait déjà été proposée et
acceptée sans résistance véritable, en 1963, lorsque les
membres non permanents sont passés de six à dix. Nous nous
interrogeons toutefois sur le bien-fondé d'une telle proposition si elle
ne plaide pas pour un élargissement dans la catégorie des membres
permanents.
Nous constatons l'existence de diverses propositions de
modifications du nombre de membres pour les deux catégories de membres
du Conseil. Contrairement au groupe « Unis pour le Consensus », la
quasi-totalité des formules proposées militent ardemment en
faveur d'un élargissement à la fois des membres non permanents et
des membres permanents, en fonction d'une répartition équitable
régionale.
Cependant, l'élargissement du Conseil de
sécurité soulève également des difficultés
et des controverses. Certains pays craignent que l'augmentation du nombre de
membres ne rende l'institution moins efficace et plus difficile à
gérer. D'autres soulignent la nécessité d'une
représentation plus équitable des pays en développement et
des régions marginalisées. Enfin, il y a des discussions sur la
manière dont les nouveaux membres seront choisis et comment leur sera
accordée une représentation adéquate. Le manque
d'harmonisation des propositions ou le défaut de consensus a rendu la
mise en oeuvre très latente pour ne pas dire inexistante.
|