Le Rwanda: analyse géopolitique d'une puissance émergente africainepar Guy Herod PAMBO MIHINDOU Université Omar Bongo - Master 2023 |
2.1.4. Le complexe d'obsidionalité développé par le RwandaEn géopolitique, l'encerclement ou le complexe d'obsidionalité relève d'abord d'un ensemble de représentations qu'un État se fait par rapport à l'environnement régionale dans lequel il évolue et par rapport aux relations qu'il entretient avec ses voisins immédiats. Le 120 Pour retrouver l'intégralité du discours voire l'adresse du site officiel des Nations Unies https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127551 121 R. GRAS. (2023, 3 mars). Emmanuel Macron, l'équilibriste entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Jeune Afrique. Disponible à l'adresse : https://www.jeuneafrique.com/1422691/politique/emmanuel-macron-lequilibriste-entre-felix-tshisekedi-et-paul-kagame/ 122 G. VILLADIER. (2022, 19 novembre). Sommet de la Francophonie : la RDC refuse d'être sur la photo aux côtés du Rwanda [Vidéo]. Disponible à l'adresse : https://information.tv5monde.com/afrique/sommet-de-la-francophonie-la-rdc-refuse-detre-sur-la-photo-aux-cotes-du-rwanda-1438046 123 JEUNE AFRIQUE. (2022, 1er décembre). RDC-Rwanda : Kagame accuse Tshisekedi d'utiliser la crise du M23 pour retarder la présidentielle. Disponible à l'adresse : https://www.jeuneafrique.com/1397192/politique/rdc-rwanda-kagame-accuse-tshisekedi-dutiliser-la-crise-du-m23-pour-retarder-la-presidentielle/ 124 R. GRAS. (2022, 5 décembre). RDC-Rwanda : entre Tshisekedi et Kagame, l'escalade verbale se poursuit. Jeune Afrique. Disponible à l'adresse : https://www.jeuneafrique.com/1397972/politique/rdc-rwanda-entre-tshisekedi-et-kagame-lescalade-verbale-se-poursuit/ 125 Rappelons que le mini-sommet régional de Luanda de fin novembre n'a rien donné sur le terrain militaire. Le M23, qui ne se dit pas concerné par l'accord de retrait de ses troupes des zones occupées, n'a pas reculé des territoires occupés. Les combats ont même repris ces derniers jours, violant ainsi un cessez-le-feu qui n'aura tenu que cinq (5) petits jours. 46 complexe d'obsidionalité perçu par un État peut être dans certains cas, directement transposé à sa réalité géographique d'enclavement, comme nous le postulons pour le cas du Rwanda qui est ici à l'étude. En effet, la situation géographique d'enclavement peut dans certaines situations renforcer le sentiment d'encerclement d'un État surtout lorsque celui-ci entretient des relations difficiles avec son voisinage. En pareille situation, il y a ce que l'on pourrait appeler une situation de « double encerclement », c'est-à-dire un encerclement à la fois géographique du fait de la situation d'enclavement et un encerclement géopolitique liée cette fois-ci à la perception que l'on a des pays limitrophes. Cette volonté d'isoler ou d'encercler s'est souvent faite par le biais d'un réseau d'alliance noué entre divers États qui ont un autre État comme ennemi commun. À côté de ces alliances qui peuvent être tissées entre certains pays en vue d'isoler un autre, l'encerclement peut découler des représentations. Ainsi, sans même que les États qui l'entourent nouent des alliances concrètes avec l'objectif de l'isoler ou de l'encercler, un État en raison des relations politiques et/ou diplomatiques exécrables qu'il entretient avec ses voisins peut avoir l'impression ou le sentiment de l'être. Le cas du Rwanda est particulièrement intéressant. Comme nous l'avons vu plus haut, celui-ci entretient des relations difficiles et parfois conflictuelles avec ses voisins depuis de nombreuses années. À un moment ou à un autre, ce petit État a joué un rôle déterminant dans les conflits qui ont touché la région, et malgré la multitude des acteurs impliqués dans ceux-ci, il y a joué un rôle central.126 Aujourd'hui encore, bien que les guerres ouvertes entre États n'existent plus dans la région, il continue d'être au centre de toutes les attentions en raison des accusations de déstabilisation via des groupes rebelles dont il fait l'objet par les États qui lui sont limitrophes. Ainsi, au vu de la grave détérioration des rapports qu'il entretient avec son voisinage, il semble que, politiquement, le Rwanda soit mal apprécié dans la sous-région et se trouve dans un état d'isolement, et ce depuis quelques années déjà.127 Ce contexte a semble-t-il nourrit chez les dirigeants rwandais l'idée selon laquelle leur État évolue dans un environnement hostile. Cette situation ressemble à bien des égards aux perceptions que l'État hébreu a vis-à-vis des États arabes qui l'entourent au début des années 1950. Ce dernier se sentait encerclé par ses voisins arabes qu'il percevait comme hostiles. Le sentiment d'encerclement que le Rwanda a développé trouve également sa source dans des représentations qui se sont forgées pendant le génocide, surtout chez la classe dirigeante aujourd'hui majoritairement d'origine Tutsi. Il y aurait ainsi, selon Frédéric Encel, « de nombreux Tutsi qui se positionnent comme des «Juifs d'Afrique'', minoritaires et qui évoluent 126 F. REYNTJENS. (2020), op.cit., p.13. 127 S. CHABOUNI. (2020), op.cit., p.8. 47 dans un environnement très hostile, objets d'une perception fantasmatique d'hommes « élus » victimes abandonnées d'un génocide, peuple doté d'une combativité ayant permis de chasser ses bourreaux et de prendre le pouvoir par les armes »128. Cette représentation est fondée sur la mémoire génocidaire qu'ils partagent avec Israël. Étant donné qu'un État enclavé et surtout encerclé ne peut se mouvoir pleinement dans un environnement hostile, le Rwanda a entrepris une diplomatie de plus en plus active dirigée vers les pays situés à rebours de ses voisins proches. Il a pour preuve signé des partenariats militaires avec le Mozambique voisin de la Tanzanie et la République Centrafricaine pays frontalier à la RDC. Il a aussi acheté des terres pour l'agriculture en République du Congo un autre voisin de la RDC (cf. carte 6). Il se déploie également sur le reste du continent et même au-delà de l'Afrique, puisqu'il a des relations plutôt bonnes avec ses partenaires européens (la Belgique, le Royaume-Unis, la Suède etc..), américains (les États-Unis et le Canada) et asiatiques (la Chine et l'Inde). Cette stratégie diplomatique ressemble à plusieurs points de vue à celle qu'Israël avait adoptée dans les années 1950 pour briser l'encerclement arabe dont il s'est toujours considéré victime. Cette stratégie dite de « doctrine périphérique » ou « diplomatie de la seconde ceinture » avait été élaborée par le premier ministre israélien David Ben Gourion129 pour sortir l'État hébreu de son isolement régional.130 Dans la pratique, elle consistait à nouer des alliances stratégiques avec les États non arabes et les minorités de la région qui étaient situés au-delà de la première ceinture des pays qui l'entouraient. Trois pays constituaient les piliers de cette stratégie d'alliances de revers : l'Éthiopie, pour contrer l'Égypte (de 1955 à 1976) ; l'Iran, pour contrer l'Irak (de 1950 à 1979) ; la Turquie, pour contrer la Syrie et l'Irak (de 1994 à 2007).131 Au demeurant, les trois dirigeants de ces États entretenaient de bonnes relations avec les États-Unis qui au passage sont un partenaire privilégié d'Israël. Il est donc tout à fait compréhensible que l'État hébreu se soit tourné vers ces pays pour mener sa stratégie de désencerclement vis-à-vis de ses voisins arabes. 128 F. ENCEL & F. THUAL. (2011). Géopolitique d'Israël. Paris : Le Seuil, p.18. 129 Il est le fondateur de l'État d'Israël, dont il proclame l'indépendance le 14 mai 1948. Il est Premier ministre du pays de 1948 à 1954 et de 1955 à 1963. 130J. SAMAAN. (2014). Israël et l'Eurasie : le retour de la doctrine de la périphérie ? Géoéconomie, (72), pp.139-150. 131Y. GUZANSKY & G. LINDENSTRAUSS. (2012, July). Revival of the periphery concept in israel's forein policy ? Strategic Assessment. 15 (2), pp.27-40. L'Iran était dirigé par le Shah, la Turquie par Celâl Bayar et l'Éthiopie par Haïlé Sélassié. 48 Carte 6. Mise en perspective de la stratégie de désencerclement du Rwanda Cette carte montre les différentes relations que le Rwanda entretient avec les pays voisins et ceux situés à rebours de ces derniers. Trois pays apparaissent comme ennemis au Rwanda (Burundi, RDC, Ouganda) en raison de leur relation difficile. Ces derniers forment le trio d'encerclement dont le Rwanda se sent victime. Pour briser cet encerclement, le Rwanda à la lecture de la carte, a noué des partenariats économiques et/ou militaires avec divers pays (Mozambique, Congo, Soudan du Sud, RCA). Si avec le Burundi, l'Ouganda et la RDC les relations sont quasi-conflictuelles, avec les États du Kenya et de la Tanzanie, celles-ci sont bonnes en raison notamment de la dépendance du Rwanda vis-à-vis des débouchés maritimes que lui offrent ces deux pays. 49 |
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