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Le Rwanda: analyse géopolitique d'une puissance émergente africaine


par Guy Herod PAMBO MIHINDOU
Université Omar Bongo - Master 2023
  

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2.1.3. Rwanda-RDC : deux voisins aux relations politico-diplomatiques tumultueuses

depuis le génocide de 1994.

Près de 20 ans après le second conflit de la RDC (1998-2003), l'instabilité et l'insécurité demeurent les principales caractéristiques de sa partie orientale. Les groupes armés continuent d'y commettre des crimes, des pillages de ressources et des exactions contre les populations civiles qui vivent dans la peur et dans un contexte de violence permanent. C'est au prisme de ce contexte d'insécurité et d'affrontements réguliers entre les forces loyalistes et les groupes rebelles qu'il convient de lire les relations conflictuelles quasi permanentes que ce géant démo-territorial entretient avec son voisin rwandais. En effet, depuis la fin de la seconde guerre du Congo dite « première guerre continentale africaine »100 en référence au nombre d'acteurs étatiques impliqués dans le conflit, le Rwanda et la RDC s'accusent continuellement de soutenir des groupes armés rebelles qui sont hostiles aux deux États. Quand la RDC accuse le Rwanda de soutenir les groupes rebelles sur son sol, en particulier celui du mouvement du 23 Mars ou M23101 à des fins économiques et d'exploitation illicite des matières premières, le Rwanda rétorque en accusant le gouvernement congolais de soutenir et d'héberger les rebelles des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) sur son sol. Ces relations sont minées par l'existence d'un certain nombre de groupes rebelles dans la région.

Pour une meilleure compréhension des tensions qui caractérisent les relations politiques et diplomatiques entre la RDC et le Rwanda, il convient de rappeler quelques faits majeurs qui permettent de mieux rendre compte la situation actuelle. Les conflits armés dans l'est de la RDC, qui polarisent leurs relations conflictuelles, prennent leur source au lendemain du génocide de 1994 et des conséquences humaines qu'il a engendrées.102 Parmi les conséquences majeures de ce drame en dehors de la mortalité élevée, on note le nombre de réfugiés. En effet, durant les conflits qui ont touché la région, ils ont été des millions à fuir dans les pays voisins où ils se sont entassés dans les camps de réfugiés majoritairement à l'est de la RDC. A partir de juillet 1994, ces camps de réfugiés, surtout ceux à l'est du Zaïre, sont en plein désarroi et l'aide humanitaire peine à y être déployée alors qu'une épidémie de choléra fait des milliers de victimes.103 Sadako Ogata, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés de

100 Cette expression est utilisée pour la première fois parle géographe Rolland POURTIER dans son article intitulé Le Congo (RDC) entre guerre et pillage (THE CONGO (DRC) AMID WAR AND PLUNDER)

101 Le mouvement du 23 mars, également appelé M23, est un groupe créé à la suite de la guerre du Kivu. Il est composé d'ex-rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda réintégrés dans l'armée congolaise à la suite d'un accord de paix signé le 23 mars 2009 avec le gouvernement congolais. Ils se sont ensuite mutinés en avril 2012. Leur nom provient des accords du 23 mars 2009, car les membres considèrent que le gouvernement congolais n'a pas respecté les modalités de celui-ci.

102 Y. GWET. (2023, 8 janvier). Dans le conflit Rwanda-RDC, l'histoire bégaie-t-elle ? Jeune Afrique. Disponible à l'adresse : https://www.jeuneafrique.com/1400635/politique/dans-le-conflit-rwanda-rdc-lhistoire-begaie-t-elle/

103 F. PITON. (2018). Le génocide des Tusti du Rwanda. Paris : La Découverte, p.175.

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l'époque décrivait la situation en ces termes : « Avec sa topographie volcanique rocheuse, cette région, déjà très peuplée, est particulièrement mal adaptée pour accueillir des camps de réfugiés. Les ressources en eau y manquent cruellement et l'infrastructure locale pour soutenir une opération humanitaire de grande envergure est à peu près nulle »104. Composés de simples civils, mais aussi de soldats, ces réfugiés ont fini par devenir la grande hantise des populations de la région ; ils jouent désormais un rôle crucial dans les crises qui minent la région depuis 1990, parmi eux on compte de nombreux criminels de guerre qui ont fini par créer des groupes rebelles.105 Dans le cadre du génocide, par exemple, au moment de la riposte menée par l'Armée Patriotique Rwandaise (APR) devenu FPR en 2002 contre les génocidaires Hutus, ils sont près de deux millions de réfugiés qui fuient le Rwanda en direction des pays voisins, principalement vers le Zaïre (actuelle RDC) et la Tanzanie.106 Parmi eux, près de 1,5 millions sont des Hutus, ils fuient vers la RDC et s'entassent dans les camps de réfugiés. Ceux-ci étant constitués des éléments des forces armées rwandaises (FAR) et des miliciens Interahamwe107 sont considérés par le FPR comme une menace.108 Ainsi, craignant que ces miliciens se servent des camps de réfugiés pour se remobiliser et s'organiser afin de mener une contre-offensive en direction de Kigali, les forces du FRP envahissent ces camps dans le but de mettre fin à la menace à partir de 1996.109 C'est sous couvert d'un soulèvement des Banyamulenges contre l'administration zaïroise et ses tracasseries, que les forces du FPR mènent leurs actions, en attaquant les forces génocidaires en RDC.110 Il s'agit de la première intrusion directe des forces armées du Rwanda en RDC. Celle-ci a consacré la transposition des problèmes rwandais sur le sol congolais.

104 UNHCR. Les réfugiés dans le monde : Cinquante ans d'action humanitaire. Chapitre 10 : Le génocide rwandais et ses répercussions. Disponible à l'adresse : https://www.unhcr.org/fr/media/les-refugies-dans-le-monde-cinquante-ans-daction-humanitaire-chapitre-10-le-genocide-rwandais

105 P.B. MAKUTU KAHANDJA. (2009). La géopolitique de l'instabilité dans la région des Grands Lacs : Réflexions sur les réfugiés, ces acteurs-auteurs des mutations géostratégiques. Paris : L'Harmattan-RDC, 73p.

106 Ibid.

107Les Interahamwe constituent la plus importante des milices rwandaises créées dès 1992 par le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) , parti du président Juvénal Habyarimana, au Rwanda. Ces milices sont responsables de la plupart des massacres pendant le génocide en 1994.

108F. REYNTJENS. (2021). Le génocide des tutsi au Rwanda (2e éd.). Paris : Puf, p.105. (Collection Que sais-je ?) 109P. BLACKBURN. (1969). Génocide et crimes de masse. L'expérience rwandaise de MSF 1982-1997, par Jean-H. BRADOL & M. Le PAPE. Anthropologica, 60(2), pp.548-549.

110R. POURTIER. (2006). Les réfugiés en Afrique centrale : une approche géopolitique (Refugees in central Africa : a geopolitical approach). Bulletin de l'Association de géographes français, 83(1), pp.50-61.

Durant cette période les Banyamulenges s'opposent à l'administration congolaise qu'ils accusent de les traiter comme des « étrangers » alors qu'ils se considèrent comme congolais. Ils revendiquent la nationalité congolaise qui leur ait nié par le régime de Mobutu. La majorité d'entre eux sont des descendants des tutsis rwandophones qui ont migré vers le Congo belge pour des raisons économiques à la fin des années 1920 début des années 1960.

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L'autre fait majeur est l'implication directe du nouveau gouvernement rwandais, en compagnie de son allié ougandais, dans les affaires internes de la RDC. Ils créent en 1996 la rébellion de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Zaïre-Congo (AFDL), puis aident ce mouvement, dirigé par Laurent Désiré Kabila, à renverser Mobutu Sese Seko au pouvoir en 1997. Les régimes rwandais et congolais sont des alliés, à la suite du renversement du président zaïrois. Mais, très vite, Laurent Désiré Kabila souhaite se défaire de ses alliés car il percevait mal la présence des forces étrangères sur son sol alors que les objectifs ont déjà été atteints. Ainsi, à partir de 1998, il réclamait le retrait de toutes les troupes rwandaises et ougandaises de la RDC. Cette tentative d'émancipation passait mal côté rwandais, où l'on considérait cette décision comme une véritable trahison de la part de Laurent Désiré Kabila, le « produit » que le Rwanda a aidé à accéder au pouvoir.111 Ne pouvant accepter de perdre le contrôle de certaines ressources minières importantes présentes au Congo et indispensables à son économie, le Rwanda envahit, le 2 août 1998, une deuxième fois le Congo, en se camouflant derrière de nouveaux mouvements rebelles, et en arguant toujours de préoccupations sécuritaires aux frontières avec la RDC.112 Une nouvelle guerre éclate, et cette fois-ci le renversement du pouvoir voulu par le Rwanda et l'Ouganda n'aboutit pas, Laurent Désiré Kabila parvenant à rester au pouvoir grâce au soutien que lui avaient apporté l'Angola et le Zimbabwe. Ce conflit prit fin avec la signature de nombreux accords de paix : celui de Lusaka (Zambie) en 1999, puis ceux de Pretoria (Afrique du Sud) et de Luanda (Angola) en 2002. Ces traités ont relativement participé à la stabilisation de la région en raison notamment du départ des 20 000 soldats rwandais à l'est de la RDC en 2002.113

En dépit de ces traités et de ceux qui ont suivi114, de la présence des forces onusiennes, de nombreux groupes armés, parrainés par des gouvernements étrangers, continuent à opérer sur le territoire congolais (ADF, Maï-Maï, FDLR etc.). Parmi ces groupes, le M23 est le principal point des tensions entre le Rwanda et la RDC. Défait par les FARDC, les forces de la Missions des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo (MONUSCO) et une force d'intervention africaine (Malawi, Tanzanie, Afrique du Sud) en 2013, le M23 a refait surface en perpétrant de nouvelles attaques contre l'armée congolaise dans le territoire du Rutshuru à partir de novembre 2021. Entre le 28 et le 29 mars 2022 les combattants du M23 ont également attaqué les forces

111 S. CHABOUNI. (2013), op.cit., p.33.

112 S. CHABOUNI. (2013), op.cit., p.33. 113P. JACQUEMOT. (2014), op.cit., p.13. 114 Notamment ceux de Nairobi en 2006, de Goma signé en 2009 entre le CND et le gouvernement de la RDC et de Nairobi en 2013 signés entre le gouvernement congolais et le M23.

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congolaises dans le Nord-Kivu.115 La résurgence de ce mouvement rebelle a complètement sapé tous les efforts de rapprochement que l'on a pu observer entre les deux États ces dernières années. En effet, depuis 2016 les dirigeants des deux pays ont entamé des processus de normalisation de leurs relations bilatérales. Cela s'est manifesté par des visites et des rencontres entre les deux présidents, par exemple. Paul Kagame et Joseph Kabila se sont rencontrés à Rubavu au Rwanda en 2016 pour évoquer les questions sécuritaires, mais aussi celles liées aux intérêts économiques des deux pays.116 En 2017, ils ont même signé un accord d'exploitation commune du méthane présent dans le Lac Kivu que les deux pays partagent.117 Ces tentatives de normalisation des relations bilatérales se sont poursuivies malgré les changements opérés à la tête de l'État congolais. Felix Antoine Tshisekedi, nouveau président élu de la RDC à partir de janvier 2019 poursuit le processus de normalisation entrepris par son prédécesseur, Joseph Kabila. Les deux présidents se sont rencontrés à deux reprises : le 25 juin 2021 à Rubavu, puis le lendemain à Goma. À l'issue de ces rencontres de nouveaux accords économiques ont été signés entre les deux pays notamment dans le secteur minier.118 Selon un communiqué de la présidence congolaise, la Société aurifère du Kivu et du Maniema (Sakima SA) et celle rwandaise, Dither LTD, ont signé « un protocole d'accord de coopération » en marge de cette rencontre pour l'exploitation de l'or, afin de priver les groupes armés des revenus issus de cette filière.

Le climat de détente qui semblait s'installer a été vite rompu avec l'intensification des combats entre le M23 et les forces armées de la RDC. Accusé par la RDC de soutenir ce groupe rebelle, le Rwanda dément être impliqué. Depuis la prise de la ville du Rutshuru par le M23, les deux pays se livrent une véritable guerre des mots par médias interposés. En réaction à la prise de Rutshuru par les rebelles, le gouvernement congolais a expulsé l'ambassadeur du Rwanda119, une décision regrettée par l'État rwandais qui continue de nier son implication et son soutien aux forces du M23. Lors de l'Assemblée des Nations Unies tenue le 13 septembre 2022 à New-York, le président congolais, Félix Antoine Tsishekedi, a de nouveau accusé le

115 M.HUGON. (2022,27 mai). RDC : qui sont les rebelles du M23 et pourquoi sont-ils source de tensions avec le Rwanda ? Tv5.com. Disponible à l'adresse : https://information.tv5monde.com/afrique/rdc-qui-sont-les-rebelles-du-m23-et-pourquoi-sont-ils-source-de-tensions-avec-le-rwanda

116 T. KIBANGULA. (2016, 12 août). Rwanda - RDC : ce que Kabila et Kagame se sont dit à Rubavu. Jeune Afrique. Disponible à l'adresse : https://www.jeuneafrique.com/349037/politique/rwanda-rdc-kabila-kagame-se-dit-a-rubavu/

117 RFI. (2017, 23 mars). La RDC et le Rwanda approfondissent la recherche scientifique autour du lac Kivu. Disponible à l'adresse : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20170314-rwanda-surveillance-lac-kivu-operee-une-cooperation

118 JEUNE AFRIQUE & AFP. (2021, 27 juin). Or : la RDC et le Rwanda signent un accord sur l'exploitation minière. Disponible à l'adresse : https://www.jeuneafrique.com/1194739/economie/kinshasa-et-kigali-signent-des-accords-commerciaux-notamment-sur-lexploitation-de-lor/

119 Il s'agit de Vincent Karega.

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Rwanda.120 Malgré la tentative de conciliation engagée par le président français, Emmanuel Macron en marge du sommet, la situation n'a pas évolué et les combats continuent sur le terrain entre les FARDC et le M23.121 La crise s'est de nouveau invitée au dernier Sommet de la Francophonie tenu à Djerba le 19 et 20 novembre 2022 en Tunisie où le premier ministre congolais Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge a refusé de poser au côté de Paul Kagame sur la photo de famille qui a clôturé le sommet.122 Dans un discours tenu le 30 novembre 2022 devant le Parlement, à l'occasion de la prestation de serment de nouveaux responsables nommés au dernier conseil des ministres, Paul Kagame a accusé son homologue congolais de jouer sur la crise du M23 pour faire retarder les élections présidentielles à venir.123 Félix Tsishekedi lui a répondu en ses termes dans un discours d'État « Je pense que le président Kagame n'a pas de qualité pour faire un quelconque commentaire sur ce qui concerne les élections » avant de se demander si la liberté d'expression existait au Rwanda. Il l'a également qualifié de président rétrograde dont l'Afrique devrait se débarrasser.124 Cette escalade verbale montre bien à quel point la tension entre les deux États est vive. La découverte du charnier de Kishishe dans la province du Nord-Kivu par les forces armées congolaises rend quasiment impossible la normalisation des relations entre les deux pays et met de facto en péril l'ensemble des processus de négociations pacifiques engagées à Nairobi et à Luanda125. Surtout que le M23 n'a pas pris part aux réunions visant la fin des combats. Le retrait amorcé par le M23 dans certaines localités n'a pas amélioré les relations entre les deux États dont les relations demeurent tendues.

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