Le Rwanda: analyse géopolitique d'une puissance émergente africainepar Guy Herod PAMBO MIHINDOU Université Omar Bongo - Master 2023 |
4.2.2. Dans les grands lacs, le Kenya passe à l'offensive tandis que l'Angola marque son retourLe Rwanda, dans sa stratégie de déploiement dans les grands lacs doit en plus de l'Ouganda, faire face à la volonté d'autres puissances régionales d'y jouer un rôle clé. Il s'agit notamment du Kenya et de l'Angola. Si l'Angola a déjà joué un rôle militaire et politique déterminant en RDC, notamment pendant les deux guerres du Congo, cela n'est pas le cas du Kenya.238 En effet, le Kenya ne s'est pas souvent impliqué de façon directe en RDC sans doute en raison du fait ses intérêts n'y étaient directement menacés. Mais, depuis la résurgence du M23, la posture du Kenya semble avoir changé. Longtemps à l'écart des conflits en cours à l'est de la RDC, le Kenya affiche désormais une diplomatie de plus en plus active dans la région et a fait de la lutte contre les groupes rebelles armés un élément clé de sa diplomatie au sein de l'EAC. Il s'implique aussi bien sur le plan militaire que politique. Le Kenya est à l'origine de la création d'une force d'intervention régionale qui selon les termes du président William Ruto vise à imposer la paix en RDC.239 Ce dernier veut jouer un rôle déterminant dans la résolution de ce conflit qui secoue le voisin congolais depuis des décennies. Pour se faire, le Kenya a envoyé près de 900 hommes dans le cadre de la mission militaire de la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE /EAC). Ce bataillon constitue avec celui de l'Ouganda, l'un contingent des plus important déployé en RDC (voir tableau 4). Cette force régionale est en outre placée sous le commandement du général kenyan Jeff Nyagah240. Le processus de Nairobi est sur le plan politique le symbole des implications kenyanes dans la résolution des conflits à l'est de la RDC. Celui-ci met un accent particulier sur la lutte contre les groupes rebelles et est dirigé par l'ancien président du Kenya Uhuru Kenyatta qui a le rôle de facilitateur dans les négociations entre les différents belligérants. C'est d'ailleurs ce dernier qui a initié la création de cette force régionale avant que son successeur à la tête de l'État kenyan ne maintienne l'initiative et la matérialise par le déploiement de soldats sur le sol congolais à partir du 12 novembre 2022. Avec un coût estimé à 4,4 milliards de shillings kényans (36,5 millions d'euros) selon les dirigeants kényans pour une durée initiale de six mois, on pourrait s'interroger sur les motifs d'un tel engagement de la part du Kenya en RDC.241 Si les dirigeants kenyans évoquent la 238 F. LASSERRE, É. MOTTET, & E. GONON. (2020), op.cit., p.77. 239 J. OTIENO. (2022,7 décembre). Est de la RDC : le Kenya et le spectre de l'enlisement. Jeune Afrique. Disponible à l'adresse : https://www.jeuneafrique.com/1398685/politique/est-de-la-rdc-le-kenya-et-le-spectre-de-lenlisement/ 240 Il a démissionné le 28 avril 2023 et devrait être remplacé par un autre général kenyan. 241 N. HOCHET-BODIN, & C. PIERRET.(2022, 18 novembre). Dans l'est de la RDC, le déploiement très calculé des soldats kényans. Le monde Afrique. Disponible
à l'adresse : 94 nécessité de stabiliser et pacifier la région dans l'intérêt de tous, il faut tout de même noter comme première motivation à son intervention militaire, la volonté de sécuriser ses propres intérêts en RDC et l'intention d'y jouer un rôle central en tant que première puissance économique de la région. L'adhésion de la RDC au sein de l'EAC ayant ouvert de nouvelles perspectives économiques pour l'ensemble des pays de la région, se sont plusieurs entreprises des autres États parties (kenyanes notamment) qui se sont lancées à la conquête des opportunités économiques en RDC. Depuis 2021, ce sont près de vingt nouvelles entreprises kenyanes (principalement des banques) qui se sont établies en RDC. Il s'agit notamment d'Equity Group, le premier établissement financier d'Afrique de l'Est, qui dès 2015, a racheté ProCrédit Bank, puis la Banque commerciale du Congo (BCDC) en 2020, devenant ainsi le plus grand réseau de services financiers existant en RDC. Quant à la Kenya Commercial Bank (KCB), possession de l'État kényan, elle a acquis, en août 2022, 85 % des actions de la Trust Merchant Bank (TMB), bien connue du secteur minier dans la province congolaise du Katanga.242 Nonobstant les minéraux et son investissement dans le domaine bancaire en RDC, le Kenya souhaite développer un commerce bilatéral plus étroit avec la RDC et ambitionne de faire du port stratégique de Mombasa la principale porte d'entrée des marchandises du Congo et sa principale porte d'exportation des marchandises.243 Tableau 4. Soldats par pays de l'EAC déployés dans le cadre de la lutte contre les groupes armés en RDC
Sources : Courriel International et Jeune Afrique Réalisation : PAMBO MIHINDOU Guy Herod 242 Ibid. 243 COURRIER INTERNATIONAL. (2022, 23 novembre). Le Kenya veut «imposer la paix» dans l'«est troublé» de la République démocratique du Congo.
Disponible à l'adresse : 95 L'investissement de l'Angola dans la région des grands lacs n'est pas nouveau si l'on se refaire à l'histoire des conflits qui ont touché cette partie du continent, notamment dans les années 1990. Arguant des préoccupations sécuritaires, l'Angola par le biais des dirigeants du Mouvement pour la Libération de l'Angola (MPLA) s'est lancée dans une série d'interventions militaires tout azimut entre 1990 et 2003 en Afrique centrale.244 Il a apporté son soutien à toutes les rebellions qui voulaient renverser des régimes qui soutenaient les actions de l'Union pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA) et des Forces de Libération de l'enclave de Cabinda (FLEC). En 1997, il a fourni un appui matériel et logistique aux Tigres de Katanga en soutien à l'offensive de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) contre le président zaïrois Mobutu et pour mener des attaques contre les bastions de l'UNITA que Mobutu avait accueillis. En 1998, les troupes angolaises sont parties de Cabinda pour soutenir le nouveau président, Laurent Désiré Kabila, dans la deuxième guerre en RDC (ex-Zaïre).245 C'est l'attaque du Rwanda à Kitona durant ce second conflit du Congo qui avait convaincu l'Angola d'intervenir surtout que cette zone était très proche d'importants gisements pétroliers de Cabinda. Le projet de déstabilisation et de renversement du président Kabila initié par le Rwanda menaçait de facto les intérêts économiques stratégiques de l'Angola.246 En intervenant dans ce second conflit, les forces angolaises ont ainsi contrecarré les ambitions des dirigeants rwandais qui voulaient renverser Laurent Désiré Kabila et installer un régime qui serait acquis à leur cause. Aujourd'hui, même si l'investissement angolais dans la crise congolaise actuelle se limite à la conduite de la médiation entre les parties en conflit sous les auspices de l'UA, le déploiement prochain de soldats angolais à l'est de la RDC comme annoncé par les dirigeants angolais semble rappeler un vieux scénario de régionalisation du conflit. D'après un communiqué de la présidence angolaise, l'objectif principal des soldats qui seront déployés en RDC sera de sécuriser les zones où sont stationnés les membres du M23 dans l'est du pays et de protéger l'équipe chargée de surveiller le respect du cessez-le-feu.247 Riche en ressources naturelles, l'est de la RDC est de fait de plus en plus convoité et le Rwanda voit arriver dans sa sphère d'influence une multitude d'acteurs y compris l'Angola qui nourrissent eux aussi des ambitions économiques dans la région contrariant ainsi les siennes. 244 P. LE BILLON, & al. (2008). Au-delà du pétro-militarisme. Politique africaine, 110(2), pp.102-121. 245 Ibid. 246 F. LASSERRE, É. MOTTET, & E. GONON. (2020), op.cit., p.77. 247 JEUNE AFRIQUE & AFP. (2023, 11 mars). L'Angola va envoyer des troupes en RDC après l'échec du cessez- le-feu. Disponible à l'adresse : https://www.jeuneafrique.com/1426376/politique/langola-va-envoyer-des-troupes-en-rdc-apres-lechec-du-cessez-le-feu/ 96 |
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