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Le Rwanda: analyse géopolitique d'une puissance émergente africaine


par Guy Herod PAMBO MIHINDOU
Université Omar Bongo - Master 2023
  

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1.2. Objet, objectifs et champ de l'étude

Notre travail a pour objet la montée en puissance de l'État du Rwanda en Afrique et s'articule autour de quatre concepts-clés : géopolitique, puissance, puissance émergente et petit État. Dans la littérature scientifique, ces différents concepts font l'objet de diverses interprétations et définitions. Il est donc important de les clarifier en précisant le sens de leur utilisation dans le cadre de notre étude.

La géopolitique est, selon Yves Lacoste, « l'étude des différents types de rivalités de pouvoir sur les territoires »7. Autrement dit, elle étudie les adversités, les concurrences et les conflits potentiels qu'il peut y avoir sur un territoire entre plusieurs acteurs pour davantage de contrôle et pour sa maîtrise.

Avant de définir ce qu'est une puissance émergente, il convient de définir la notion de puissance. De prime abord, celle-ci est difficile à cerner et à caractériser, car les critères qui permettent de l'évaluer sont sans cesse fluctuants et évolutifs. En relations internationales, tout comme en géopolitique, de nombreux spécialistes s'accordent à la définir comme étant la capacité d'agir que possède un acteur sur la scène internationale. Ainsi, selon Samuel Huntington « la puissance c'est la capacité d'un acteur, habituellement mais pas forcément un gouvernement, d'influencer le comportement des autres acteurs qui peuvent être ou ne pas être des gouvernements »8. Dans le même ordre d'idée, Frédéric Encel définit la puissance comme « la capacité d'agir en toute souveraineté, à dissuader efficacement autrui d'entraver cette

4S. CHABOUNI. (2020). Stratégies diplomatiques rwandaises et ambitions de Kagame. In S. ALIDOU (Dir.), Conjonctures de l'Afrique centrale 2020. Paris : L'Harmattan, pp. 61-89.

5 Ibid.

6 P-S. HANDY. (2021, 27 septembre). Rwanda : l'émergence d'une « smart power » africaine. Institut d'études et de sécurité. Disponible à l'adresse : https://issafrica.org/fr/iss-today/rwanda-lemergence-dune-smart-power-africaine

7 P. BONIFACE. (2018). La géopolitique (5e éd.). Paris : Eyrolles, p.13.

8 P. BONIFACE. (Dir.). (1994). La puissance internationale. Paris : Dunod, p.12.

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capacité, et le pouvoir réel et assumé d'imposer, le cas échéant, son autorité ou du moins d'influer dans son intérêt et à son avantage sur l'environnement politique, militaire, économique ou culturel. »9. Elle repose sur deux types de facteurs : les facteurs « classiques » et les facteurs « novateurs ». Les facteurs « classiques » (ou Hard power) comprennent les moyens coercitifs de la puissance. Il s'agit essentiellement des capacités militaires, de la dimension du territoire, de la taille démographique et des moyens économiques. Les facteurs « novateurs » (ou Soft power) reposent sur les éléments non coercitifs de la puissance. Ils visent à contraindre ou persuader d'autres acteurs sans avoir recours à la force.10 Développé par Joseph Nye dans les années 1990, le Soft power privilégie la séduction plutôt que la coercition ; il mobilise des ressources intangibles telles que les valeurs culturelles, idéologiques, politiques, l'éducation de même que le rayonnement des institutions.11 Dans son ouvrage intitulé The Means to Success in the World Politic, J.Nye propose une vision qui combine le Hard power et le Soft power : le smart power ou puissance intelligente.12 Selon lui, le pouvoir intelligent n'est ni dur ni doux, c'est l'habile combinaison des deux. La puissance intelligente consiste pour un État à développer une stratégie intégrée qui prend en compte les deux types de puissance pour atteindre ses objectifs. Les éléments de la puissance moderne combinés aux capacités économiques donnent la possibilité aux États moins nantis en ressources naturelles stratégiques, en superficie et même en démographie de tirer leur épingle du jeu sur la scène internationale.

La notion de « puissance émergente » est tout aussi complexe à cerner que celle de puissance tout court. Associé à celui de puissance, le terme « émergence » renvoie en premier lieu à des réalités avant tout économiques. C'est l'économiste néerlandais Antoine Von Agtmaël qui l'a utilisé pour la première fois en 1981; en évoquant l'expression « marchés émergents », il souhaite caractériser la montée en puissance de certains marchés économiques attractifs présents dans les pays en développement (Chine, Russie, Brésil...).13 Jim O'neill, économiste britannique, a introduit en 2001 l'acronyme BRIC14 (Brésil, Russie, Inde et Chine)-qui deviendra BRICS avec l'ajout de l'Afrique du Sud en 2011-pour désigner un groupe de

9 F. ENCEL. (2021). Les voies de la puissance, penser la géopolitique au XXIème siècle. Paris : Odile Jacob,293p. 10S. ROSIERE. (2007). Géographie politique et géopolitique. Une grammaire de l'espace politique. Paris : Ellipses, p.383.

11 J.S.NYE. (1990). Soft power. Foreign policy, (80), pp.153-171.

12 J.S.NYE. (2004). Soft power : The means to success in world politics. Public affairs, 191p. Voir également

J.S.NYE. (2010). Le temps du smart power. Politique internationale, (129), pp.105-116.

13 B. DESCHAUX-DUTARD & B. NIVET. (2015, Octobre). Concepts de puissance et d'émergence. In 19ème colloque de l'Association France-Canada d'études stratégiques (AFCES) : Puissances émergentes et sécurité internationale, une nouvelle donne ? 20, pp. 27-43.

14J.O'NEILL.(2011). Building better global economic BRIC. (66), 16p. Disponible à l'adresse : https://www.goldmansachs.com/insights/archive/archive-pdfs/build-better-brics.pdf

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pays qui, par leurs poids économiques, sont parvenus à atteindre des niveaux de développement proches de ceux des pays développés. En relations internationales et en géopolitique, une « puissance émergente » est un État qui est appelé à exercer un rôle de premier plan sur les affaires internationales de par son poids économique et démographique, mais aussi de par ses capacités militaires et son influence diplomatique.15 C'est cette définition que nous considérerons dans la présente étude.

La définition du concept de « petit État » dans la terminologie des relations internationales est loin de faire l'unanimité. Cependant, bien qu'une définition qui fasse consensus soit difficile à dégager, un certain nombre de critères, quantitatifs et qualitatifs permettent néanmoins de caractériser et de qualifier les États en relations internationales. Selon les critères quantitatifs, les États sont classés en fonction de leur superficie, population, produit national brut (PNB), produit intérieur brut (PIB/hab.) et de leurs dépenses militaires.16 Pour les critères quantitatifs, une difficulté subsiste au niveau de la définition des seuils devant déterminer la place des États. À quel seuil démographique doit-on parler de « petit État » ? Pour ce critère, par exemple, les organisations internationales telles que le Commonwealth et la Banque Mondiale définissent pour les « petits États » une population d'un demi-million d'habitants17. Le même problème se pose lorsque l'on veut établir la différenciation des États à partir du PNB et du PIB. En plus des seuils difficiles à établir, on peut rencontrer des États aux superficies et aux tailles démographiques modestes qui ont des PNB et des PIB bien supérieurs aux États mieux dotés en superficie et en taille démographique. C'est l'exemple de la Suisse dont la superficie et la démographie18 sont pourtant inférieures à celles de la République Démocratique du Congo (RDC), et présente des indices économiques largement supérieurs à cet État africain, avec un PIB estimé à 84 558 dollars US en 2022, contre à peine 47,23 dollars US pour l'ex-Zaïre19. Les critères qualitatifs reposent, quant à eux, sur la qualité du leadership, la capacité à entraîner l'opinion derrière une cause nationale, la nature du caractère national, le moral de la nation et

15F. LAFARGUE. (2011). Des économies émergentes aux puissances émergentes. Questions internationales, (51), pp.101-108.

16 D.TSAFACK. (2018). La Guinée Équatoriale face au couple Cameroun-Gabon en Afrique centrale (19602012) : Histoire d'un petit État en quête d'émancipation et de puissance (Thèse de doctorat, Université de Dschang),416p. Disponible à l'adresse : https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-02906136

Pour les critères concernant la taille des États voir également : A-L. SANGUIN. (1977). Géographie politique. Paris : Puf, 183p.

17 H.W. ARMSTRONG & R. READ. (2003). The determinants of economic growth in small states. The Round Table, 92(368), pp.99-124.

18 La Suisse a une superficie de 41 285 km2 pour une population de 8 603 900 d'habitants, tandis que la RDC a une superficie de 2 345 000 km2 pour une population évaluée, d'après la banque mondiale, à 108 407 721 d'habitants. (2022)

19 Données économiques et démographiques de la Banque Mondiale 2022.

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sa confiance en elle.20 Au regard de tous ces critères et définitions, nous considérons comme « petit État » celui dont la superficie oscille entre 20 000 et 150 000 km2. Ce qui est le cas du Rwanda.

La présente recherche a pour objectifs : i) d'examiner l'ensemble des moyens mobilisés par le Rwanda pour peser sur la scène africaine par le truchement des outils du Hard power et du Soft power ; ii) d'analyser la posture du Rwanda sur la scène internationale et ses ambitions. Toute réflexion sur la puissance, les moyens de son exercice et la projection sur un espace de celle-ci sont au coeur de la géopolitique, de la géostratégie et des relations internationales. La notion de puissance est un des maîtres mots de la stratégie et un des concepts-clés des relations internationales, si ce n'est son objet central.21 Pour ces raisons, nous avons choisi d'inscrire notre recherche dans les champs de ces trois disciplines. Nous allons convoquer les notions de géopolitique et des relations internationales pour comprendre ce qui motive les déploiements militaires et diplomatiques du Rwanda sur la scène africaine depuis l'arrivée au pouvoir en 1994 du Front Patriotique Rwandais (FRP). La géostratégie nous aidera à cerner et identifier les stratégies (économiques, politiques, diplomatiques, culturelles et militaires) de projection de la puissance émergente rwandaise au niveau continental.

20 B. TONRA. (2002). Les petits pays ont aussi une politique étrangère. In F. CHARILLON (Dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris : Presses de Sciences Po, pp. 331-359.

21 S. ROSIERE, S. (2007), op.cit., p.9.

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Carte 1. Le Rwanda à l'échelle de l'Afrique

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2. Revue de la littérature

Les études sur la politique étrangère et la puissance du Rwanda en Afrique sont relativement récentes. Jusqu'au début des années 2000, ces études portaient essentiellement sur le génocide et les aspects technocratiques ou coercitifs de la mise en oeuvre de l'action publique de ce pays qui connait une croissance économique impressionnante.22 Néanmoins, depuis le début des années 2000, de nombreuses publications de tous ordres ont été consacrées à la diplomatie rwandaise. Les spécialistes de la géopolitique de l'Afrique centrale et particulièrement de la région des Grands lacs africains y consacrent désormais une place de choix dans leurs analyses. De cette abondante littérature, trois éléments explicatifs de la montée en puissance du Rwanda reviennent avec insistance : la «rente du génocide», le recours aux forces armées et les relations diplomatiques difficiles avec les pays voisins.

Dans son article intitulé « Stratégies diplomatiques rwandaises et ambitions de Kagame », Samia Chabouni offre une lecture dualiste de la politique étrangère du Rwanda. D'une part, elle montre comment le Rwanda a su s'imposer sur le continent comme une puissance émergente à travers l'utilisation de ses forces armées, aussi bien de façon agressive que pacifique. D'autre part, elle examine la manière dont le Rwanda se sert du génocide comme un outil de sa politique étrangère. A ce propos, cette auteure qualifie le génocide comme étant une « ressource stratégique » pour la diplomatie rwandaise.23 S'inscrivant dans la même veine, Gaëlle Loir24 et Filip Reyntjens25 mettent en exergue l'usage du génocide comme un outil diplomatique important pour le Rwanda. Parmi les spécialistes qui se sont penchés sur les relations que le Rwanda entretient avec les pays voisins on peut citer : Bernap Leloup, Filip Reyntjens et Pierre Jacquemot. Pour le premier cité, il examine de façon chronologique l'histoire des relations que le Rwanda entretient avec l'Ouganda, en passant par les moments clés de rapprochement jusqu'aux différents moments de tensions et d'affrontements militaires.26 Filip Reyntjens27 et Pierre Jacquemot28 renseignent sur les moyens que le Rwanda a mobilisés pour maintenir sa présence en RDC après le second conflit du Congo notamment via des groupes armés en

22B. CHEMOUNI. (2020). Introduction au thème. La recherche sur l'État rwandais en débat. Politique africaine, 160(4), 7p.

23 S. CHABOUNI. (2015). De la bénédiction à l'isolement : le Rwanda et l'occident vers une nouvelle rupture ? in F. REYNTJENS & al. Annuaire des grands lacs : 2015-2016. Paris : UPA-L'Harmattan, pp.279-297.

24 G. LOIR. (2005). Rwanda : le régime de la dette perpétuelle De l'instrumentalisation des massacres et du génocide en relations internationales. Outre-Terre, (2), pp.415-421.

25 F. REYNTJENS. (2014). Rwanda. Gouverner après le génocide. Bruxelles : Les belles lettres, p.158.

26 B. LELOUP. (2004). Tentatives croisées de déstabilisation dans l'Afrique des Grands Lacs : Le contentieux rwando-ougandais. Politique africaine, (96), pp.119-138.

27 F. REYNTJENS. (2020). L'araignée dans la toile. Le Rwanda au coeur des conflits des Grands Lacs. Hérodote, (1), pp.73-90

28 P. JACQUEMOT. (2014). Le Rwanda et la République démocratique du Congo : David et Goliath dans les Grands Lacs. Revue internationale et stratégique, (3), pp.32-42.

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particulier celui du M23 (ex CND). Ils expliquent comment le Rwanda a pu devenir un acteur incontournable de la géopolitique régionale des Grands lacs en usant de la force. Serge Loungou aborde également la question des groupes armés à l'est de la RDC (notamment le M23 soutenu par le Rwanda) dans un article où il démontre que l'exploitation illicite des matières premières est un facteur qui explique la pérennisation des conflits dans cette partie du Congo.29 Sur l'émergence de la puissance du Rwanda en Afrique, on note aussi les travaux de Worou A. Chérif. Celui-ci, fait une analyse de la diplomatie rwandaise, avec en point d'orgue ses relations avec les grandes puissances occidentales et les éléments qui caractérisent la puissance rwandaise sur les plans économique et militaire.30

Si les études sur la diplomatie du Rwanda en Afrique semblent désormais abondantes, les motivations de son déploiement intense sur le continent n'ont pas, à notre humble connaissance, fait l'objet d'une étude scientifique poussée. Tout en s'appuyant sur les différents travaux précités, notre étude voudrait approfondir la réflexion sur la diplomatie rwandaise et contribuer à combler les manquements observés en apportant un éclairage sur les raisons du déploiement du Rwanda en Afrique, ainsi que sur les leviers qu'il mobilise pour asseoir son influence à l'échelle continentale.

29S. LOUNGOU. (2002). Economies parallèles et pérennisation des conflits armés en Afrique subsaharienne. Stratégique, (80), pp.89-109.

30A.C. WOROU. (2019). Analyse de la politique étrangère du Rwanda : Émergence d'une puissance régionale (Mémoire de Master). Université Toulouse 1 Capitole,75p.

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Carte 2.Le Rwanda à l'échelle de l'Afrique centrale

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3. Problématique et cadre théorique

Depuis son arrivée à la tête du Rwanda en mars 2000, Paul Kagame31 s'est engagé à changer l'image de son pays. Pour y parvenir, il a impulsé une nouvelle ère de gestion du pays sur les plans économique, diplomatique et politique. Les résultats de cette nouvelle impulsion sont perceptibles. Sur le plan économique, le pays a enregistré la croissance économique la plus rapide du continent en 2019, ce qui a permis de réduire la pauvreté. Entre 2000 et 2016, celle-ci est passée de 78 % à 57 % de la population.32 Sur le plan diplomatique, le Rwanda a pu s'adjuger des postes importants dans des grandes organisations internationales. L'ancienne ministre des affaires étrangères Louise Mushikiwabo a été élue la tête de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) en 2018 ; Monique Nsanzabaganwa, ancienne vice-gouverneur de la Banque Nationale du Rwanda (BNR), a été élue vice-présidente de la Commission de l'Union africaine (UA) en février 2021, chargée d'améliorer la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation ; François Kanimba, un autre rwandais, occupe depuis 2020 le poste de commissaire au marché commun, affaires économiques, monétaires et financières de la Communauté Économique des États d'Afrique Centrale (CEEAC).En outre, sa capitale Kigali est devenue une des places fortes du tourisme des affaires sur le continent, où se déroulent chaque année des grandes conférences internationales.33 Enfin, l'armée rwandaise est devenue non seulement la principale force de la région des Grands-Lacs, mais également l'une des plus disponibles comme force de maintien de la paix en Afrique (Darfour, Soudan du sud, Centrafrique, Mozambique).34 Ainsi, au gré de ses intérêts économiques et sécuritaires, le Rwanda n'hésite pas à faire usage de ses capacités militaires, notamment à l'est de la RDC. En somme, visiblement offensive, l'attitude générale du Rwanda tranche avec celle associée généralement aux « petits États » africains.

Au regard de ce qui précède, nous sommes amené à nous interroger : qu'est-ce qui motive son déploiement diplomatique et militaire sur la scène africaine ? Quels sont les leviers de ce déploiement continental ?

Nous formulons trois hypothèses. Premièrement, à l'exemple d'Israël, le Rwanda parait politiquement isolé dans son environnement proche en raison des relations diplomatiques et

31 Avant d'être président de la République il a été vice-président et ministre de la Défense de 1994 à 2000.

32 B. CHEMOUNI. (2020), op.cit., p.13.

33 Sommet extraordinaire de l'Union Africaine en 2018.

34 F. ENCEL. (2021), op.cit., p.9.

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politiques difficiles qu'il entretient avec ses voisins.35 En effet, l'État hébreu s'est toujours senti « encerclé » par les États arabes qui l'entourent et soutiennent la cause palestinienne.

Les guerres de Six jours (1967) et du Kippour (1973) sont des exemples concrets de l'hostilité régionale dans laquelle Israël évoluait à l'époque. La guerre menée en 2006 contre le Hezbollah36 dans le sud du Liban a également contribué à renforcer la peur de l'encerclement arabe.37 Au regard des relations pour le moins conflictuelles que le Rwanda entretient avec une partie de son voisinage (RDC, Burundi, Ouganda), nous postulons comme Frédéric Encel que celui-ci considère aussi son environnement régional comme hostile.38 En plus de son enclavement géographique, le Rwanda a développé un complexe d'obsidionalité vis-à-vis de ses voisins. Aussi, le déploiement important du Rwanda en Afrique vise-t-il, entre autres à briser cet encerclement. La diplomatie active du Rwanda matérialisée par la signature de plusieurs accords économiques et/ou militaires avec les États situés dans la deuxième ceinture de son voisinage ( Mozambique, République du Congo, Soudan du Sud, Centrafrique) est dans une moindre mesure, semblable à la stratégie d'alliance de revers adoptée par Israël dans les années 1950 : signer des accords et nouer des alliances avec des pays situés à rebours des pays qui lui sont problématiques ou limitrophes.39

Deuxièmement, depuis son arrivée au pouvoir, Paul Kagame s'attèle à se donner une aura continentale dans une Afrique à la recherche d'un leadership.40 Il n'hésite pas à faire des critiques sur le fonctionnement des instances africaines qu'il estime être trop dépendantes des subventions extérieures, notamment celles venant des grandes puissances. Cette attitude est d'ailleurs appréciée au niveau du continent surtout par une bonne partie de la jeunesse.41 Il a profité de son mandat à la tête de l'Union africaine (du 28 janvier 2018 au 11 février 2019) pour conduire de nombreuses réformes en faveur de l'indépendance de cette organisation continentale. Si les réformes engagées en faveur d'une plus grande intégration et émancipation du continent semblent conforter ses postures panafricanistes, cet engagement africain serait,

35 S. CHABOUNI. (2020), op.cit., p.8.

36 Le Hezbollah (« Parti de Dieu »), est un parti politique et groupe islamiste chiite basé au Liban à Beyrouth fondé en juin 1982 et révélé publiquement en février 1985.

37 C.BRUNEL. (2008, 11 mai). Israël : la peur de l'encerclement. Le Journal du Dimanche. Disponible à l'adresse : https://www.lejdd.fr/International/Israel-la-peur-de-l-encerclement-93301-3278717

38 F. ENCEL. (2018). Atlas géopolitique d'Israël. Paris : Autrement, 98p.

39 P. RAZOUX. (2011). Les déterminants de la pensée stratégique d'Israël. Revue Internationale Stratégique, (82), pp.143-145.

40C.CHATELOT. (2022, 4 janvier). « L'Union africaine manque de dirigeants à la vision réellement panafricaine ». Le monde Afrique. Disponible à l'adresse : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/04/l-union-africaine-manque-de-dirigeants-a-la-vision-reellement-panafricaine_6108185_3212.

41 P. BOISSELET. (2016, 5 octobre). Rwanda : Paul Kagame à la conquête de l'Ouest. Jeune Afrique. Disponible à l'adresse : https://www.jeuneafrique.com/mag/359889/politique/rwanda-paul-kagame-a-conquete-de-louest/

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pour certains, une manière pour lui de faire taire les critiques internes et externes sur la gestion de son pays, ainsi que sur les actions de son armée dans les Grands lacs.42 Paul Kagame serait un « vrai faux panafricaniste » puisque, dans le même temps, il soutient, d'après plusieurs rapports onusiens, des groupes rebelles qui mènent des actions subversives dans son voisinage, ce qui est contraire à l'idée de la solidarité africaine souvent évoquée par les dirigeants rwandais lorsqu'ils déploient leur armée sur d'autres théâtres de conflits africains.43

Troisièmement, l'influence grandissante du Rwanda s'explique en partie par le soutien extérieur important dont il bénéficie pour son développement économique. Le génocide est un élément phare de la diplomatie rwandaise, un levier sur lequel ses promoteurs s'appuient pour attirer une partie des investissements directs et l'aide au développement des pays tels que les États-Unis d'Amérique et la Grande Bretagne. Le pouvoir rwandais joue sur la responsabilité morale de ces pays lors du génocide de 1994. Ainsi, les grandes puissances occidentales, qui d'habitude sont sensibles aux questions des droits humains, semblent indifférentes au sujet de l'implication du Rwanda dans les conflits armés en cours à l'est de la RDC. Selon plusieurs spécialistes, l'État rwandais vit d'une sorte de « rente mémorielle » en jouant sur la culpabilité des grandes puissances. Gaëlle Loir, par exemple, qualifie la politique étrangère du Rwanda comme étant une « diplomatie de la dette »44, tandis que Filip Reyntjens utilise l'expression de « crédit génocide »45.

42 COURRIER INTERNATIONAL. (2023, 10 janvier). Diplomatie. Comment le Rwanda s'est imposé comme

l'acteur sécuritaire incontournable en Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-comment-le-rwanda-s-est-impose-comme-l-acteur-securitaire-incontournable-en-afrique

43 GROUPE D'INITIATIVE FRANCE-RWANDA. (2021, 2 juin). Le président Paul Kagame, un vrai-faux panafricaniste. La Tribune Franco-Rwandaise. Disponible à l'adresse : https://www.france-rwanda.info/2019/10/le-president-paul-kagame-un-vrai-faux-panafricaniste.html

44 G. LOIR. (2005), op.cit., p.13.

45 F. REYNTJENS. (2014), op.cit., p.13.

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Carte 3.Le Rwanda à l'échelle des Grands Lacs

4. 20

Cadre méthodologique

Notre travail s'appuie sur une diversité de ressources écrites et audio-visuelles, pour l'essentiel tirées d'internet. Les sources écrites se répartissent en deux catégories : d'une part celles à caractère académique ou scientifique ; d'autre part celles issues des supports médiatiques et des sites officiels du gouvernement rwandais. Les premières sont constituées d'ouvrages, des travaux académiques ou scientifiques (thèses, mémoires et articles); les secondes comprennent les articles de presse de plusieurs journaux ou revues (Africa Intelligence, Jeune Afrique, Courriel International, Le Monde, Le Soir) et des rapports de plusieurs institutions du Rwanda tirés des sites internet officiels de celles-ci.46

5. Annonce du plan

Le présent mémoire est subdivisé en deux grandes parties, composées chacune de deux chapitres. La première partie est intitulée les fondements d'un déploiement diplomatique et militaire intense sur le continent. Le premier chapitre de cette partie traite de la géographie physique et humaine du Rwanda et le second aborde les mobiles d'une diplomatie active sur le continent africain. La deuxième partie est intitulée l'Afrique, espace de projection privilégié de la diplomatie rwandaise. Nous y aborderons dans un premier temps les leviers de la politique étrangère du Rwanda en Afrique et, dans un second temps, les limites de la puissance du Rwanda.

46 Il s'agit notamment des sites suivants : ( www.minecofin.gov.rw ; minaffet.gov.rw ; mod.gov.rw ; www.statistics.gov.rw).

21

PREMIERE PARTIE

LES FONDEMENTS D'UN DÉPLOIEMENT
DIPLOMATIQUE ET MILITAIRE INTENSE SUR LE
CONTINENT

22

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La Quadrature du Net

Ligue des droits de l'homme