Section 4. L'état de siège en
République Démocratique du Congo
4.1. Considérations juridiques
4.1.1. Conditions
Quelles sont les circonstances susceptibles de justifier la
proclamation de l'état de siège ? Poser cette question revient
à se demander si, sur ce point, l'état de siège est
différent de l'état d'urgence. Selon l'article 85 de la
Constitution : « Lorsque des circonstances graves menacent, d'une
manière immédiate, l'indépendance ou
l'intégrité du territoire national ou qu'elles provoquent
l'interruption du fonctionnement régulier des institutions, le
président de
21
la République proclame l'état d'urgence ou
l'état de siège ». Deux positions peuvent
être défendues sur la base de cet article.22
On peut dans un premier temps considérer qu'il y a
identité parfaite entre l'état de siège et l'état
d'urgence, en ce qui concerne les circonstances justifiant leur proclamation.
Une autre question va alors se poser, celle de savoir si les conditions
posées à l'article 85 sont alternatives ou cumulatives. En
fonction du sens qu'on attribue à la conjonction « ou », on
peut soutenir deux positions. Si « ou » signifie
« soit », l'état de siège ou
l'état d'urgence peut être proclamé lorsque l'on est,
alternativement, dans l'un des cas de figure suivant : soit lorsque
les circonstances graves menacent, de manière immédiate,
l'indépendance ou l'intégrité du territoire national ;
soit lorsqu'elles provoquent l'interruption du fonctionnement régulier
des institutions. Cette interprétation, prévisible et souple,
accorde une grande marge de manoeuvre au Président de la
République.
Si, en revanche, « ou » signifie «
et », on peut soutenir que la proclamation de l'état de
siège ou de l'état d'urgence exige, cumulativement, que les
circonstances graves « menacent, d'une manière immédiate,
l'indépendance ou l'intégrité du territoire national
», et provoquent l'interruption régulier des institutions. Cette
position, non évidente de prime abord, soumet la proclamation de
l'état de siège ou de l'état d'urgence à des
conditions beaucoup plus contraignantes, et restreint la marge de manoeuvre du
Président de la République. C'est cette seconde position que la
Cour constitutionnelle semble avoir consacré [Cour Const., R.Const. 1200
du 13 avril 2020, Ordonnance n°20/014 du 24 mars 2020 portant proclamation
de l'état d'urgence sanitaire pour faire face à
l'épidémie de covid-19.23
Dans un deuxième temps, on peut considérer que
l'état de siège est différent de l'état d'urgence,
en ce qui concerne les conditions de leur proclamation. L'état de
siège serait proclamé lorsque les circonstances graves
provoqueraient l'interruption du fonctionnement régulier des
institutions ; alors que l'état d'urgence s'envisagerait lorsque ces
circonstances menaceraient (tout simplement ?), de manière
immédiate, l'indépendance ou l'intégrité du
territoire national.
4.1.2. Procédure
Le Président de la République n'est pas soumis
à l'autorisation préalable du Congrès pour proclamer
l'état de siège. La Cour suprême de justice, dans son
arrêt R.Const. 061/TSR du 30 septembre 2007, a préconisé
cette position.
22 Article 85 de la constitution de la RDC
23 , Journal Officiel, numéro spécial,
61e année, 16 avril 2020, p. 18].
22
La Cour constitutionnelle, dans son arrêt R.Const. 1200
du 13 avril 2020, l'a corroborée. Elle a, en outre, consacré la
norme de l'appréciation souveraine du Président de la
République dans le choix de la procédure à suivre pour
proclamer l'état de siège. Désormais, le Président
de la République peut soit proclamer l'état de siège
après concertation avec le Premier ministre et les Présidents de
deux chambres du Parlement (article 85 de la Constitution) ; soit saisir le
congrès pour autorisation (article 119 alinéa 2 de la
Constitution). Ces deux options sont alternatives et non cumulatives.
4.1.3. Implications
Quelles sont les mesures qui peuvent être prises dans le
cadre de l'état de siège ? Et qui est habilité à
les prendre ? La Constitution (article 145) parle des « mesures
nécessaires pour faire face à la situation » que le
Président de la République doit prendre. En même temps, la
même Constitution (article 85) prévoit que les modalités de
l'état de siège sont prévues par une loi. On peut estimer
qu'une loi doit préalablement être votée pour fixer de
manière générale les principales mesures susceptibles
d'être prises en cas d'état de siège. Elle peut ainsi
prévoir la substitution des autorités civiles par les
autorités militaires, en ce qui concerne uniquement les missions de
maintien et de rétablissement de l'ordre public, les autorités
civiles continuant à s'occuper de leurs autres tâches
administratives. Autrement dit, l'état de siège ne doit pas
être un prétexte pour dépouiller les autorités
civiles de toutes leurs prérogatives. La loi sur l'état de
siège peut aussi prévoir l'élargissement des
compétences matérielle et personnelle des juridictions militaires
; le renforcement des pouvoirs de police des autorités militaires en
matière de perquisition, d'interdiction des publications et des
réunions.
Une fois la loi votée, le Président de la
République peut prendre des mesures qu'il juge nécessaires pour
faire face à la situation, en se basant sur le cadre
général tracé par la loi. Cette optique permettra au pays
d'avoir un cadre juridique général et pérenne sur
l'état de siège, et éviterait au pays des débats et
polémiques comme ceux survenus lors de la proclamation de «
l'état d'urgence sanitaire », alors que les
périodes de crise nécessitent plus que jamais cohésion et
unité nationales.
4.1.4. Contrôle
Le juge constitutionnel protège les droits et
libertés fondamentaux face aux mesures susceptibles d'être prises
dans le cadre de l'état de siège. L'état de siège
étant proclamé pour gérer une situation exceptionnelle, la
Constitution permet qu'il soit dérogé à certains droits et
libertés fondamentaux. Font souvent les frais pendant l'état de
siège : la liberté d'aller et de venir, l'inviolabilité du
domicile, la liberté de réunion, la liberté de manifester,
la liberté
23
d'expression et la liberté de presse. Mais la
Constitution, en son article 61, prévoit le « noyau dur
» des droits et libertés ainsi que des principes fondamentaux
auxquels on ne peut pas déroger. Il s'agit de : le droit à la vie
; l'interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants ; l'interdiction de l'esclavage et de la servitude ; le
principe de la légalité des infractions et des peines ; les
droits de la défense et le droit de recours ; l'interdiction de
l'emprisonnement pour dettes ; la liberté de pensée, de
conscience et de religion.
C'est ainsi que lors de l'examen de la
constitutionnalité des mesures contenues dans l'ordonnance du 24 mars
2020 proclamant l'état d'urgence sanitaire, le juge constitutionnel a
principalement vérifié si celles-ci respectaient le noyau dur des
droits et libertés fondamentaux.
4.2. Considérations politiques
4.2.1. Pari ambitieux
La proclamation de l'état de siège par le
Président de la République souligne l'attention qu'il accorde
à la situation sécuritaire préoccupante à l'Est du
pays. Elle traduit aussi une certaine bravoure dans le chef du Président
de la République, étant donné que c'est une
première sous la troisième république. Mais c'est surtout
l'ambition de mettre fin aux tueries de l'Est qu'il faut souligner.
4.2.2. Pari risqué
Le délai constitutionnel de l'état de
siège est l'un des principaux risques. En effet, l'état de
siège est proclamé pour une durée de trente jours (article
144 de la Constitution). Au vu de la complexité de la situation
sécuritaire à l'Est - implications et complicités internes
et externes, nationales et étrangères, selon plusieurs rapports
des nations-unies, prétendre y mettre fin en trente jours parait
irréaliste. Bien évidemment qu'il y a possibilité de
proroger pour des périodes successives de quinze jours. Or, si
après trente jours et quelques prorogations, la situation ne change pas,
chaque nouvelle prorogation sera interprétée comme une preuve de
l'incapacité à trouver la solution. La lassitude peut gagner du
terrain, et toute mise à terme de l'état de siège sans
avoir mis fin aux tueries à l'Est sera vue comme une capitulation ou un
échec. C'est en cela que l'état de siège est un pari
risqué. Mais ne dit-on pas : « qui ne risque rien, n'a rien »,
mieux, « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire
». La teneur d'un succès est toujours fonction du risque pris.
Comme patriote, je ne peux que souhaiter la réussite de l'état de
siège.
24
4.2.3. Obstacle à certaines
initiatives
La Constitution interdit de la réviser pendant
l'état de siège (article 219 de la Constitution). Or, certaines
initiatives que le Président de la République soutient - la
double nationalité par exemple - nécessitent
inéluctablement une révision constitutionnelle. Dans ce sens, ces
initiatives ne pourraient pas être concrétisées si
l'état de siège était toujours en vigueur. Il en est de
même de la dissolution de l'Assemblée nationale : la Constitution
ne la permet pas pendant l'état de siège (article 148).
La question qui se pose est alors celle de savoir si ces
interdictions - révision constitutionnelle ou dissolution de
l'Assemblée nationale - valent uniquement en cas d'état de
siège total (proclamé sur toute l'étendue du territoire
national), ou même en cas d'état de siège partiel
(proclamé sur une partie du territoire national), elles demeurent
opposables au Président de la République. Le juge constitutionnel
aura surement à se prononcer là-dessus, et tout porte à
croire qu'il adopterait la seconde position.
4.2.4. Nécessité de
rassembler
Au regard des points précédents, pour que
l'état de siège réussisse, il doit être de courte
durée. Pour qu'il le soit, il faut rassembler : on ne gagne jamais un
combat en étant divisés. Si l'« union sacrée de la
nation » est une large base pour le Président de la
République, force est de constater que ce n'est pas suffisant. Il y a
encore beaucoup de frustrations.
Le Président de la République doit tendre la
main à d'autres leaders du pays, pour avoir un large consensus et
soutien autour de l'état de siège. Il ne doit pas s'agir du
« partage de gâteau », mais plutôt d'une mobilisation
générale autour uniquement de la réussite de l'état
de siège : nos militaires doivent se sentir soutenus par tous les
courants politiques et par toutes les forces vives de la nation. Une sorte de
trêve politique doit être observée pendant l'état de
siège, en ce qui concerne uniquement les questions sécuritaires.
Ce large consensus peut se traduire par un communiqué commun de soutien
à l'état de siège signé par les principaux leaders
politiques, toute tendance confondue. Il peut s'agir aussi des messages de
soutien à nos militaires. La grandeur d'âme est donc
demandée aux uns et aux autres.
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CHAPITRE DEUXIEME : LES JURIDICTIONS MILITAIRES
CONGOLAISES Cette justice a été créée
après qu'on ait constaté que les civils ne pouvaient plus
être jugés ensemble avec les militaires, les policiers et les
personnes de services nationaux, les civils lorsqu'ils commettent les
infractions aux lois et règlements militaires, lorsqu'ils commentent
avec les militaires des infractions prévues et punies par le code
pénal militaire ; d'où le principe « jugés par ses
paires, jugés par ses supérieurs ».
C'est de la qualité et du grade de la personne
justiciable que dépend de la compétence personnelle des cours et
tribunaux.
Tout comme la justice de droit commun, la justice militaire
est organisée par la loi, celle n0023/2002 du 18 novembre
2002 modifiée par celle n015/023 du 31 décembre
2015.
Dans les sections qui suivent, nous analyserons tour à
tour l'organisation et le fonctionnement des juridictions militaires
congolaises, puis les peines prévues par le code pénal
militaire.
Section 1. L'organisation et le fonctionnement des
juridictions militaires congolaises La loi précitée
divise les juridictions militaires en pyramide de quatre :
- Au sommet nous avons la haute cour militaire (HCM) ;
- Puis les cours militaires et la cour militaire
opérationnelle (CM et CMO) ;
- Les tribunaux militaires de garnison (TMG) ;
- Enfin les tribunaux militaires de police (TMP).
A. La haute cour militaire (HCM)
Elle est organisée par les articles 6 à 11, 82
et 83 de la loi n0023/2002 du 18 novembre 2002 modifiée par
celle n015/023 du 31 décembre 2015 portant code judiciaire
militaire. Il existe une seule Haute Cour Militaire sur toute l'étendue
de la RDC a son siège à Kinshasa la capitale.
1) Composition de la Haute Cour Militaire
Elle est composée d'un premier président, d'un
ou plusieurs présidents et des conseillers. Ils sont nommés et le
cas échéant révoqués par le président de la
République conformément aux statuts de magistrats.
Les CM connaissent les recours en appel contre les
décisions des tribunaux de garnison.
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La HCM siège avec 5 membres, tous officiers
généraux ou supérieurs dont 2 magistrats de
carrière. Lorsqu'elle siège en appel, elle est composée de
5 membres dont 3 magistrats de carrière.
2) Personnes justiciables de la HCM
La HCM à la compétence de juger les officiers
généraux des FARDC, les membres de la police nationale congolaise
(PNC), les personnes du service national du même rang, les magistrats
militaires membres de cette cour, les magistrats militaires de l'auditorat
général, des cours opérationnelles, des auditorats
militaires près ces cours et les membres non magistrats militaires des
dites juridictions. La HCM connait des recours en annulation contre les
arrêts et les jugements rendus en dernier ressort par les cours et
tribunaux militaires excepté ceux de CMO qui ne connaissent pas des
recours.
B. Les cours militaires (CM)
Elles sont prévues par les articles 12 à 17, 84
et 85 de la loi précitée. Il est institué une cour
militaire dans chaque province et 2 dans la ville de Kinshasa la capitale.
1) Composition de la CM
Elle est aussi composée d'un premier président,
d'un ou plusieurs présidents et des conseillers.
Elle siège à 5 membres tous officiers
supérieurs au-moins dont 2 magistrats de carrière. Le premier
président peut en cas de nécessité requérir les
services d'un magistrat civil en vie de compléter le siège.
Préconisé par les articles 21, 22, 88 et 89 de la loi
citée ci-haut.
2) Les personnes justiciables de la CM
Cette cour est compétente pour juger les officiers
supérieurs des FARDC, de la PNC, et du service national de même
rang, les fonctionnaires de commandement du ministre de la défense, les
magistrats militaires des tribunaux de garnisons et ceux des auditorats
près ces tribunaux.
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C. Les cours militaires opérationnelles
(CMO)
Sont prévues par les articles 18 à 20, 86 et 87 de
ladite loi.
Elles ne sont créées que par ordonnance
présidentielle, elles ne sont pas permanentes et ne sont établies
que dans certains cas, par exemple en cas de guerre ou dans toute circonstance
exceptionnelle (rébellion ou insurrection militaire).
Il est établi dans les zones d'opération de
guerre des CMO qui accompagnent des fractions de l'armée en
opération. L'implantation des CMO est décidée par le
président de la République.
Les CMO n'ont pas des limites de compétence
territoriale. Elles sont compétentes pour connaitre toutes les
infractions relevant des juridictions militaires qui leurs sont
déférées ou soumises.
Elles siègent avec 5 membres dont un magistrat au moins
et leurs décisions sont sans recours.
D. Tribunaux militaires de garnison (TMG)
Normalement il est prévu 1 ou 2 TMG dans le ressort
d'un district, d'une ville, d'une garnison ou d'une base militaire.
1) Composition du TMG
Le TMG est composé d'un président (officier
supérieur ou subalterne, magistrat de carrière) et 4 juges
assesseurs (OPJ a beaucoup d'expérience assimilé au juge question
de compléter le siège).
2) Personnes justiciables du TMG
Le TMG est compètent pour juger les officiers des
FARDC, de la PNC, des SN d'un grade inférieur à celui de
major.
E. Les tribunaux militaires de police (TMP)
Les TMP sont prévus par les articles 23 à 26, 90
et 91 de la loi n0023/2002 du 18 novembre 2002 modifiée par
celle n015/023 du 31 décembre 2015 portant code judiciaire
militaire
24 Art 26 CJM
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1) Composition du TMP
Il est institué un ou plusieurs TMP dans le ressort
d'un TMG, ce sont les magistrats du TMG qui sont désignés pour
composer le TMP. Il siège à 3 juges dont un magistrat de
carrière.
Ces magistrats sont désignés par le premier
président de la CM.
2) Personnes justiciables
Ce tribunal est compétent pour juger les militaires des
FARDC ou assimilés d'un grade inférieur à celui de major
qui se rendent coupables des infractions punies de 1 an de SP au maximum.
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