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Espace public et rationalité communicationnelle chez Jà¼rgen Habermas


par Divin Gloire Roselin MOUZEMBO
Université de Tours - Maîtrise 2023
  

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Chapitre 5 Chapitre 3 : DE LA TRANSFORMATION STRUCTURELLE DE L'ESPACE PUBLIC À SA REFONDATION PAR LA RATIONALITÉ COMMUNICATIONNELLE

1- Industrie du divertissement et déclin de la sphère publique littéraire bourgeoise :

La sphère publique bourgeoise s'est formée sur fond de tensions entre la société et l'État, ces deux entités qui formaient sa structure principale. Avec le développement des échanges, du commerce et la formation des États nationaux, la concentration du pouvoir public par « l'autorité publique » voit le jour et l'État ne peut s'empêcher d'accroître son interventionnisme en réduisant de ce fait « l'autorité des personnes privées sans pour autant porter réellement atteinte au caractère privé de leurs échanges » (Habermas, 1978, p. 150). Cet interventionnisme serait surtout la conséquence de la transformation des conflits d'intérêts en conflits politiques et l'extension de l'autorité de l'État à des domaines relevant jadis du privé le conduit à se substituer dans certaines situations au pouvoir social. À partir du moment où la base de la sphère publique bourgeoise (État et société) commence à se désagréger, commencent à naître simultanément la dialectique de la « socialisation de l'État » et une sorte « d'étatisation progressive de la société ».

La sphère publique politique où les personnes rassemblées en un public réglaient ensemble leurs affaires relatives aux échanges commence à disparaître au profit d'un État « veilleur de nuit »122(*), ou encore un État aux dires de Franz Leopold Neumann « aussi fort que l'exigeait, dans l'intérêt de la bourgeoisie, la situation sociale et politique ». Le fait que quelques-uns détiennent la plupart des échanges d'un côté et de l'autre que la sphère publique soit devenue un organe de l'État a occasionné une certaine forme de violence auprès des couches sociales paupérisées. Ce qui signifie que la sphère publique « n'est pas parvenue à évacuer les intérêts privés » et que les décisions de l'État se penchent tantôt du côté des minorités économiquement vulnérables tantôt en faveur des propriétaires. Ces derniers ont pour le moins en commun ceci : « l'absence de tout usage de la raison sur le plan littéraire comme dans le domaine politique » (Habermas, 1978, p. 171).

Le modèle des activités économiques, du succès, de l'efficacité et de la rentabilité remplace avec l'essor du capitalisme le paradigme de la discussion de société entre les individus. Mais le besoin de faire usage publiquement de sa raison ne disparaît réellement en tant que tel puisqu'il existe toujours au XVIIIe siècle puisqu'il existe encore des activités littéraires pour former l'opinion publique comme le « salon » bourgeois, des forums politiques et les maisons d'édition, les stations de radio, des associations développent des débats publics et animent des tribunes. Malgré leur apparente rationalité, ces activités culturelles revêtent une valeur commerciale et ont le statut de « bien de consommation » car il fallait payer pour lire, aller à une conférence mais « pas pour parler de ce qu'on avait lu, vu ou entendu » à tel point que les « débats publics, tables rondes -- l'usage que les personnes privées faisaient de leur raison devient un show où se produisent les stars de la télé et de la radio »123(*). La discussion réduite à une affaire formelle, le consensus qui en découle paraît superflu.

Cette transformation structurelle de l'espace public s'attaque aussi aux oeuvres d'art dont la « rationalité » était le résultat d'une cohérence, expression d'un engagement social. Mais cette rationalité critique de l'art s'est convertie avec l'avènement de la société de consommation en « rationalité instrumentale » qui abolit comme le précisent Adorno et Horkheimer l'autonomie de l'oeuvre d'art puisque ses réalisations sont conçues comme des marchandises que « la masse consomme passivement »124(*). Si cette culture de masse a abouti à une « massification des consciences » selon l'expression de Georges Lukács125(*) dans le domaine de la culture de consommation lié à l'art, cette tendance a des incidences aussi dans la vie et l'engagement politique où l'industrie culturelle en plein essor cherche uniquement l'extension de son chiffre d'affaires en offrant au public dont le niveau culturel s'appauvrit continuellement des contenus de détente et de distraction126(*).

Horkheimer et Adorno constatent que la fusion de la culture et du divertissement « n'entraîne pas seulement une dépravation de la culture, mais une intellectualisation forcée du divertissement »127(*) et le marché du divertissement en donnant accès au public au contenu de sa marchandise adapte le contenu de ses productions culturelles aux attentes de cette même masse « de sorte qu'il leur en facilite la réception sur le plan psychologique aussi » (Habermas, 1978, p. 174). Dans La dialectique de la raison, ils font remarquer que l'industrie culturelle bourgeoise emprunte des voies détournées et inaperçues pour manipuler les masses, -- l'opinion publique -- lesquelles masses qui non seulement sont incapables de lui résister mais surtout ne le veulent pas non plus parce qu'elles sont d'accord et approuvent ce statut de « consommateur exploité et abusé ». Dans l'industrie culturelle s'engage le processus autoritaire de la raison en tant qu'instrument de domination au service de « l'abrutissement de l'opinion publique » occasionnant le déclin de la sphère publique128(*).

a. Les mass media et la « publicité consommée » :

Quant aux organes publicitaires des clubs de lecture, ils préfèrent renoncer à toute critique en court-circuitant toute communication parce qu'ils se posent et s'imposent comme « le seul lien existant entre l'éditeur et le lecteur. Les clubs du livre régissent leur clientèle sans qu'il y ait d'intermédiaire entre l'édition et la réception »128(*). Vers la fin du XIXe siècle, le style américain de la grande Presse commence à s'imposer sur le continent européen avec un style d'informations qui se repose essentiellement sur des présentations à des fins commerciales et qui élimine « les informations et les éditoriaux politiques qui traitent de thèmes à caractère moral comme la tempérance et le jeu »129(*). Les informations sur les affaires publiques, les problèmes sociaux, l'économie, l'éducation ou la santé qui ne présentent pas de bénéfice immédiat pour les médias sont évincées au profit de celles qui procurent plus de plaisir comme les bandes dessinées, les new stories, etc. La « distance émancipatoire » (Mündigkeit)130(*) longtemps présente dans les médias comme la radio et la télévision disparaît à mesure que l'information tend à s'imposer comme vérité à l'auditeur ou au téléspectateur par l'assimilation « car les émissions, telles qu'elles sont diffusées par les nouveaux média, réduisent singulièrement la possibilité qu'ont leurs destinataires de réagir, ce qui est moins le cas des informations imprimées » (Habermas, 1978, p. 179).

Les mass media n'ont pas selon l'analyse habermassienne réellement remplacé la sphère publique réelle où la subjectivité était corrélative de la Publicité131(*). Ils ont au contraire transformé l'espace public littéraire en un bien de consommation doté d'un public consommateur qui vient nourrir son esprit non plus de « thématisations contradictoires » mais des gloires et réalisations personnelles selon une « stratégie commerciale ». En outre, ils se répandent plus d'abord vers les classes supérieures, celles qui sont capables de se procurer des télévisions encore un luxe à l'époque pour ensuite se propager vers les classes inférieures, les plus pauvres. On passe donc d'un public qui faisait un usage culturel de sa raison à un public de consommateurs de culture, lequel serait envahi et écartelé par la masse des consommateurs, les journaux à sensation, la presse de loisir :

Il est possible de résumer ainsi encore une fois le déclin de la sphère publique littéraire : la surface de résonance que devait constituer cette couche sociale cultivée, et éduquée pour faire de sa raison un usage public, a volé en éclats ; le public s'est scindé d'une part en minorités de spécialistes dont l'usage qu'ils font de leur raison n'est pas public, et d'autre part en cette grande masse des consommateurs d'une culture qu'ils reçoivent par l'entremise de media publics. Mais, par là même, le public a dû renoncer à la forme de communication qui lui était spécifique.132(*)

Ce modèle de la culture de consommation fait son entrée également dans les campagnes publicitaires politiques et économiques pout contrôler et manipuler l'opinion au service des plus forts désorganisant totalement la sphère publique qui autrefois jouait le rôle de médiateur entre l'État et la société. De la publicité « dispensée par le haut », l'on ne peut attendre rien d'autre qu'une volonté de « domination » de l'opinion non-publique dans laquelle les catégories d'universalité, de justesse, de vérité et de justice sont absentes. Cette « Publicité » permet de manipuler le public, en même temps qu'elle est le moyen dont on se sert pour se justifier face à lui. Ainsi la « Publicité » de manipulation prend-elle le pas sur la Publicité critique ».133(*) La rupture du lien entre discussion publique et norme légale a transformé l'idéal émancipatoire de la sphère publique et son autonomie, ce qui fait en sorte que les procédures de délibération ne peuvent plus garantir l'intérêt général public. Les pouvoir législatif et exécutif s'enchevêtrent dans un jeu d'influence, le premier empiétant sur le fonctionnement de l'administration et le second étendant son activité au-delà de ses limites (la loi des pleins pouvoirs).

Si avant les intérêts concurrents pouvaient trouver leur prétention à la rationalité par une justification publique, la publicité comme commercialisation et trafic d'influence de l'information se charge à travers la « propagande publicitaire » s'est substituée à la discussion rationnelle « et le consensus qui résultait d'un usage public de la raison cède le pas au compromis non-public qu'on arrache ou tout simplement qu'on impose »134(*). Dans ce cas de figure, les lois promulguées et les normes sociales en vigueur sont celles qui conviennent aux détenteurs des outils de propagande que sont les propriétaires pour Marx et les lois sortant de telles procédures ne peuvent plus posséder quelconque caractère de vérité.

La sphère publique parlementaire -- la pierre de touche de la « vérité » des lois -- elle aussi s'est décomposée en Allemagne au début du XIXe siècle avec un « public vassalisé », requis aux fins plébiscitaires d'une acclamationet totalement éloigné des procédures d'exercice et de rééquilibrage des pouvoirs. On ne peut plus compter sur le principe de « Publicité » pour « rationaliser la domination » ni d'en être garant car sa subversion est la conséquence d'une transformation des structures de l'espace public. C'est ce qui fait dire au professeur Gerhard Leibholz, juriste et membre du Tribunal constitutionnel fédéral allemand que :

La discussion perd son caractère heuristique (...). Les discours tenus lors des réunions plénières du Parlement n'ont plus pour fonction de convaincre les députés dont les opinions sont divergentes, mais ils s'adressent directement à la bourgeoisie active -- tout du moins lorsqu'il s'agit de questions fondamentales qui décident de la vie politique (...). La sphère publique, qui autrefois vivait des débats parlementaires en donnant de son côté un éclat particulier au Parlement, revêt ainsi un caractère plébiscitaire135(*)

Autant dire que les mass media comme nouvelle forme de communication ont donné une nouvelle dynamique à l'espace public en le modelant autrement « par une désintégration au sein des États-providence du capitalisme industrialisé »136(*). La sphère publique envahie par la « commercialisation », l'on ne peut plus délimiter la frontière qui séparait le privé du public d'autant plus que l'autonomie de l'information relayée par les médias est sans cesse menacée. Si avant, le contenu de l'information médiatisée était contrôlé par les savants et les écrivains qui en étaient les « garants de l'objectivité morale » et de sa fiabilité137(*), au début du XIXe siècle, la relation éditeur (gérant) et rédacteur devient fortement intéressée en vue du profit de l'entreprise. Rabaissée au rang d'une simple entreprise et non comme « institution d'un public dont elle reflétait les discussions » en assumant une fonction critique, la Presse voit l'étau se serrer autour d'elle à travers les ordonnances des autorités administratives et les règlements de police.

Cet interventionnisme de l'État participe de sa volonté à restreindre l'espace public dont la puissance de publicité devenait si menaçante avec le développement des nouveaux médias comme la radio et la télévision. À défaut de les contrôler ou de les nationaliser, l'État a pris des mesures qui « transforment en organismes publics des institutions privées qui étaient le propre d'un public constitué par des personnes privées. (...) l'État s'est emparé de l'héritage d'une sphère publique tombée sous l'influence de diverses puissances sociales »138(*). De la sphère publique impliquant les institutions du public faisant usage de sa raison à l'abri de l'interventionnisme étatique, on est parvenu à une sphère publique « restée sous contrôle privé » avec une publicité tantôt commercialisée par la Presse tantôt « concentrée ou totalisée » par l'État. Le passage des mass media de médiateur et stimulant de l'opinion publique à celui de moyen de son « conditionnement » prétendument rationnel serait l'expression de leur caractère « plébiscitaire et ostentatoire » et de la mutation d'intérêts privés en publics.

La publicité commerciale avec la culture d'intégration soumet les consommateurs qui jadis constituaient un public critique de personnes privées à la « douce contrainte d'un perpétuel entrainement à consommer » par le biais d'un travail ourdi de manipulation des consommateurs. La naissance des relations publiques semble consolider selon Habermas cet état de fait du fait que leur destinataire principal est l'opinion publique ; c'est-à-dire les personnes privées en tant que public et non pas directement considérées comme consommateurs. Par un « travail sur l'opinion », les relations publiques utilisent une stratégie planifiée et exploitent l'attention du public par la psychologie, les techniques de la publicité graphique, l'image, les histoires d'intérêt humain mettant en relief une « programmation sensationnaliste ».

Ce travail sur l'opinion en dramatisant la présentation des faits et en fabriquant des stéréotypes appropriés n'est en réalité comme le précise Habermas « qu'une mise en scène de l'opinion publique »139(*). Dans sa volonté de garantir une image de marque aux grandes firmes naissantes, la publicité déployée dans les relations publiques a voulu un crédit « quasi politique aux intérêts commerciaux privés, la sorte de respect qu'on témoigne aux autorités publiques »140(*). Dès lors que des intérêts privés, privilégiés ont envahi la sphère publique à travers la publicité commerciale, le consensus social qui jadis était le résultat des opinions concurrentes s'exprimant dans des discussions publiques n'a presque plus de lien avec l'opinion publique censée le produire. La « publicité entendue comme un exercice politiquement orienté du débat public, ou usage critique de la raison publique » selon Jean-Marc Ferry141(*)s'éclipse au profit de firmes multinationales qui font croire à leurs clients qu'ils agissent en citoyens alors que leurs décisions sont celles des consommateurs :

Les critères du raisonnable font défaut de toute façon à un tel consensus fabriqué avec tous les raffinements qu'emploient des instituts de conditionnement de l'opinion à le produire sous l'égide d'un prétendu intérêt général. La critique compétente qui s'exerçait à l'occasion de problèmes discutés en public cède la place à un conformisme atone où règnent seules des personnifications ou des personnalités présentées au public. L'adhésion est identifiée à la disponibilité que la publicité requiert. La Publicitésignifiait autrefois démystifier la domination politique le tribunal devant le tribunal d'un usage public de la raison ; la publicité d'aujourd'hui se contente d'accumuler les comportements-réponses dictés parun assentiment passif. Dans la mesure où les relations publiques en modifient la structure, la sphère publique bourgeoise revêt à nouveau certains aspects féodaux : les « porteurs d'offres » déploient de la représentation face à des clients prêts à suivre.

Comment s'est concrètement effectuée la modification ou la déformation du rôle de l'espace public ?

b. De la subversion du principe de publicité :

« Aujourd'hui, l'espace public doit de nouveau être instauré. Il « n'existe » plus »142(*). Tel est le propos liminaire tenu par Habermas à peine âgé de 29 ans dans l'introduction d'une étude qu'il venait de mener avec d'autres assistants de l'Institut für Sozialforschungsur la problématique du lien que les étudiants entretiennent avec la politique. Si au départ Habermas avait une lecture positive sur la contribution des médias à la construction d'un espace public critique et raisonné143(*), il s'est vite avisé peut-être sous l'influence des tenants de l'École de Francfort (Horkheimer, Adorno, Benjamin, Marcuse) que les médias étaient progressivement devenus des instruments au service de la domination des propriétaires, « des objets de divertissement, qui endorment le peuple et contribuent à le maintenir dans un état de soumission et de passivité »144(*). Les formes de conditionnement de l'opinion publique en parfaite contradiction avec l'idéal libéral de Publicité ont été consolidées par les grandes entreprises privées en complicité presque inavouée avec la bureaucratie étatique. Le pouvoir de l'administration publique a souvent outrepassé celui du législatif et même de l'exécutif, ce qui fait que le transfert des pouvoirs de l'État vers les groupements sociaux a donné à l'administration le pouvoir de « contraindre sans être réellement contrainte », de substituer le compromis à l'autorité de l'État. Certains accords réalisés en dehors du Parlement, en dehors de toute Publicité l'ont été par le biais d'une campagne d'opinion qui ne respectait pas les formes plus ou moins rationnelles de la délibération.

Ces délibérations non-publiques ont déguisé des intérêts privés organisés en associations qui se sont dotés d'une structure politique à teneur publique. Ce conflit entre intérêts public et privé nécessitait d'être résolu sinon rééquilibré par la sphère publique conformément aux formes traditionnelles de l'accord et du compromis parlementaires malgré l'existence des groupes de pression opposés (lobbies). Mais les compromis généralement passés entre groupementsd'intérêts divergents paraissait littéralement marchandé parce que les décisions prises désormais sortaient du cadre des « structures traditionnelles de l'exercice du pouvoir (hierarchy et democracy) »145(*). Dans tous les cas, le marchandage des compromis en sortant du domaine contrôlé par le Parlement se pratiquait soit « officiellement, les organes de l'État déléguant certaines de leurs compétences à des organisations sociales, soit officieusement, par le biais d'un transfert effectif des compétences qui s'opère en marge de la loi (ou en constitue une violation) » (Habermas, 1978, p. 207).

Les compromis officieux passés entre ces groupements d'intérêts divergents disposant d'une large puissance politique ont aussi permis qu'ils échangent en forme de troc des avantages privés, des gains personnels sans que cela ne soit contrôlé par l'autorité du public. Après avoir réussi à manipuler l'opinion publique, les associations officielles reconnues par l'État et ayant un statut juridique « ont fait sauter les limites du droit bourgeois des associations ; leur but avoué est de convertir les intérêts privés d'une masse d'individus en un intérêt public commun, et de faire passer la représentation et la revendication des intérêts qui leur sont propres pour une défense de l'intérêt général »146(*). Ce qui fait en sorte que le « travail publicitaire » (Öffentlichkeitsarbeit) de ces entités privées se focalise uniquement sur leur réputation et leur notoriété auprès du « public vassalisé » et ne se soucie guère de faire du contenu d'un compromis passé le sujet d'une discussion publique. La subversion du principe de Publicité a transformé la sphère publique en une cour devant laquelle un prestige est mis en scène devant un public au lieu de développer une critique au sein de ce public :

Autrefois, la Publicité avait dû se frayer une voie en s'opposant à la politique du secret pratiquée par l'absolutisme : elle s'efforçait de soumettre personnalités et problèmes à la discussion publique, et faisait en sorte que les décisions politiques fussent révisables devant le tribunal de l'opinion publique. De nos jours, en revanche, ce n'est qu'avec l'aide d'une politique du secret pratiquée par les groupements d'intérêts que la « Publicité » est imposée : elle confère à des personnalités ou à des choses un prestige public, et les rend par-là susceptibles d'être adoptées sans réserve ni discussion, au sein d'un climat d'opinion non-publique147(*).

La publicité fabriquée et démonstrative selon les circonstances et au coup par coup entend influencer les décisions des consommateurs par une pression politique qui subvertit l'essentiel à savoir « le rapport qui liait le public, les partis et le Parlement » (Habermas, 1978, p. 201). Les partis politiques qui avaient au départ uniquement l'ambition d'être des instruments de formation de la volonté, se voient en plus doter d'instruments de propagande systématique appelés à donner des mots d'ordre aux électeurs sans demander leur consentement (le parti de classe). Le parti « intégrationniste » quant à lui a tenté depuis son apparition au XIXe siècle de se constituer en modèle dominant de l'organisation politique par une stratégie qui consiste à « disposer des moyens de pression et d'information qui permettent d'influencer le comportement électoral de la population en la manipulant ou en lui imposant une campane démonstrative »148(*). Tout constat fait, même les partis politiques ne sont plus entre les mains du public mais plutôt de ceux qui les dirigent ou les ont fondés et la volonté de ces derniers priment sur celle des députés dans les grandes décisions concernant les débats parlementaires. Ce qui signifie que le député qui reçoit son mandat du « peuple » et représenteen principeles intérêts de ses électeurs voit son autonomie s'envoler au profit de « différents groupes d'intérêts » déguisés sous la bannière de partis politiques.

Le Parlement cesse ainsi d'être le lieu institutionnalisé de la discussion qui rassemblait des hommes avisés de toutes les couches sociales et dont l'instrument de persuasion restait la pragmatique du discours argumenté (à l'intérieur comme à l'extérieur du Parlement). Cette mutation structurelle subie par les fonctions du Parlement profite aux media qui saisissent cette occasion pour altérer, déformer les débats et perturber le travail parlementaire d'autant plus que les débats parlementaires ressemblent plus à des shows, des mises en scène dont la publicité critique a été pervertie en Publicité « acclamative ». La sphère judiciaire subit la même perversion selon Habermas au point où certains procès du pénal sont jugés assez « intéressants » pour être retransmis par les mass media non pour permettre au public de contrôler le pouvoir judiciaire par des analyses critiques mais pour leur vendre les plaidoyers et envolées lyriques des avocats comme un bien de consommation culturelle. Les procès deviennent des spectacles pour distraire les consommateurs par une publicité « augmentée par des impératifs publicitaires non orthodoxes149(*). Mais la sphère publique peut toujours être refondée malgré cette « pollution fonctionnelle » qui l'a dénaturée et lui a retirée sa nature « émancipatoire » des Lumières par l'idéal-type de la communication publique. Cette qui autorise « la confrontation libre, rationnelle et publique des opinions »vise la pacification de rapports sociaux dans le « monde vécu », ce « vrai espace social dans lequel nous pouvons agir et penser avec plus d'aisance parce qu'il est moins immédiatement soumis à la contrainte de la reproduction du capital et de la technicisation à marche forcée qu'elle impose - le monde de la vie vraiment vécue, de la vraie vie »150(*).

La sphère publique désintégrée151(*), « mobilisée pour la seule durée des élections limitée des élections et reconstituée à titre provisoire » (Habermas, 1978, p. 219) n'est plus cette sphère fondée sur la participation continue à l'exercice de la raison « en prise sur les pouvoirs publics ». Si la dimension de la discussion et des arguments opposés a été mise aux oubliettes par la culture d'intégration fabriquée et diffusée par les media, Habermas revendique plus que jamais sa remise en place en lieu et place des media qui « n'ont que la fonction de supports publicitaires »152(*). La réinvention de l'espace public par un modèlediscursif ou communicationnel auquel un public formé de citoyens dotés d'une autonomie politique participerait paraît plus qu'urgente pour rationaliser réellement la domination. L'usage public de la raison que les participants y font en élargissant l'espace publicpourrait permettre simultanémentle consensus sur les intérêts divergents/opposés, une rationalité communicationnelle en vue « de la formation démocratique de l'opinion et de la volonté »153(*). Comment Habermas entend refonder l'espace public par sa théorie de la rationalité communicationnelle conçue comme procédure d'une formation discursive de l'opinion en vue du consensus social ou de l'intercompréhension ?

2- Rationalité communicationnelle et éthique discursive

a. Habermas et les Lumières:

Admirateurdu modèle des Lumières (Aufklärung) et de leur engagement émancipatoire, Jürgen Habermas fait partie de cette longue tradition critique allemande qui reconnaît implicitement aux philosophes des Lumières d'avoir contribué à « émanciper » la conscience humaine du corset des traditions154(*) et du joug du dogmatisme155(*) sans être un « postmoderne réactionnaire »155(*). Dans un entretien accordé à la Revue Esprit en 2015, Habermas cite clairement les sources d'inspiration de sa théorie politique et son goût prononcé pour la rationalisation critique de la sphère publique :

Les facteurs déterminants de ma conception de la démocratie restent jusqu'à aujourd'hui Kant et la Révolution française. Dans l'immédiate après-guerre, nous vivions dans la zone d'occupation britannique et en savions davantage sur la démocratie anglo-saxonne. En partant de là, au regard de l'histoire brisée de la démocratie allemande, nous avons alors tenté de comprendre l'incompréhensible retour dans l'abîme du fascisme. Ma génération a été marquée par une profonde défiance envers elle-même ; nous nous sommes mis en quête de ces obscurs gènes ennemis de la raison qui devaient avoirs leurs racines dans notre propre tradition.Avant même d'étudier la philosophie, il s'agissait là pour moi de la leçon fondamentale à tirer de la catastrophe : nos traditions étaient remises en cause, elles ne pouvaient plus être transmises sans faire l'objet d'une critique, il était désormais possible de se les approprier uniquement de manière réflexive : tout devrait être soumis au crible de l'analyse rationnelle et être légitimé par des arguments.156(*)

Avec les Aufklärer, l'esprit humain par la « lumière de la raison » a osé s'affranchir de la tutelle du sacré en se dépouillant des dieux par une forme de « désenchantement du monde » (Weber, 2001, p. 28)157(*). Cette prétention des modernes de guider l'homme vers « la majorité intellectuelle »158(*) a fortement contribué à ce qu'on a appelé la devise des Lumières : « Aude sapere » (Ose savoir, connaître ou te servir de ton propre entendement) ; elle a en outre favorisé le triomphe de la raison dans l'espace public, la naissance de l'esprit critique et de l'idéal démocratique d'inclusion et d'égalité, d'universalité, de participation et de délibération rationnelle159(*). Kant lui-même qualifiait le siècle des Lumières de « siècle de la critique » de toutes les catégories :

Notre siècle est le siècle de la critique à laquelle il faut se soumettre. La religion (...) et la législation(...) veulent ordinairement y échapper ; mais alors elles excitent contre elles de justes soupçons et nepeuvent prétendre à cette sincère estime que la raison accorde seulement à ce qui a pu soutenir son libreetpublic examen.160(*)

L'analyse habermassienne des espoirs de l'Aufklarüngsur la revitalisation de l'espace public critique fondé sur la raison et non sur l'arbitraire de « la volonté du roi » se distingue de celle de ses aînés de la Théorie critique que sont Horkheimer et Adorno. Si ces derniers ont focalisé leurs analyses sur les limites et « perversions » de la raison « totale et totalisatrice », utilitariste, mystifiée, mystificatrice voire dogmatique, c'est parce qu'ils ont été habités par un « sentiment de catastrophe » à la suite des crimes nazis de la Shoah (l'Holocauste du siècle) et donc par ricochet face aux ratés de l'État moderne. Par la raison instrumentale, ils entendent donc une rationalité stratégique qui sert les intérêts du capitalisme qui « consolide plus fermement la domination que l'absolutisme » (Marcuse, 1968)161(*). Horkheimer et Adorno interprètent ainsi l'impératif hypothétique kantien162(*) commel'expressiondeladéfensedesintérêtsdelasociétéindustriellesousleprismedelamanipulationetsondevoir163(*)(agirparrespectpourlaloimorale)comme une«tentative bourgeoise de donner au respect, sans lequel la civilisation ne saurait exister, des fondementsautres que l'intérêt matériel et la violence ». Cette limite de la raison des « Aufklärer » vient àbonpointdénoncerl'illusiond'unerationalitéayantaméliorélaqualitédel'existencehumaine dans la vie sociale et qui n'a rien changé à la place du mythe qu'elle prétendaitsupprimerquandbienmêmequele« mytheestdéjàraisonetlaraisonseretourneenmythologie »(Horkheimer&Adorno,1989,p.18)164(*).

La critique acerbe et unilatérale de la raison instrumentale (Habermas préfère tantôt l'appeler raison fonctionnaliste) de Horkheimer et Adorno a conduit le natif de Düsseldorf à changer de paradigme car de son avis ses devanciers ont omis la dimension « communicationnelle de la raison » dans l'espace public. Habermas repositionne le sujet solitaire des modernes dans un espace public où il communique avec ses semblables et décide avec eux des normes sociales de leur monde vécu immédiat pour un consensus social. Dans l'idée de la rationalité communicationnelle telle que le préconise Habermas, le langage assume le rôle d'un intermédiaire sollicité par les hommes pour « se faire entendre raison mutuellement » afin de parvenir à une entente pouvant fixer les attentes normatives de comportement réciproques dans l'horizon de leur monde vécu commun. Par une opération de « détranscendantalisation du sujet moral kantien, la théorie de la rationalité communicationnelle habermassienne renouvelle les bases de l'espace public. Ce« circuit communicationnel »qui met ensemble des volontés individuelles s'effectue par des actes de langage au sein d'un « projet d'une communauté de communication idéale »165(*).

b. Éthique de la discussion, agir communicationnel et rationalité publique consensuelle :

La dimension publique de la raison qui se déploie dans l'agir communicationnel habermassien dont le but est de participer à une discussion publique et de se concentrer sur un objet commun d'intérêt commun dans l'espace public implique des relations interpersonnelles établies dans la communication. Cette dernière promeut l'intersubjectivité discursive et s'assigne la difficile mission d'unir les participants à une discussion sans prétendre « nécessairement aplanir leur différence » dans une sphère publique qui selon Habermas est le « coeur d'une démocratie ». Si la sphère publique est un élément capital pour ausculter, « tâter le pouls » ou l'état de santé d'une démocratie, elle permet en outre de rassembler les citoyens d'une cité qui se rétractent souvent dans leur individualisme s'ignorant réciproquement : « Or, entre des citoyens qui ne peuvent plus tous se connaître personnellement, le seul moyen de créer et de reproduire une communauté, même fragile, est d'entrer dans le processus permettant de former une opinion et une volonté publiques »166(*).

L'homme comme animal politique (zôon politikon) chez Aristote est pour Habermas un animal qui existe dans un espace public, « un animal qui ne développe les compétences lui permettant de devenir une personne que grâce à son insertion originelle dans un réseau public de relations sociales »167(*). Autrement dit, c'est dans un faisceau de relations que l'homme développe l'usage de la parole et du langage pour discuter avec ses semblables. Si dans l'agir stratégique « l'un influe sur l'autre empiriquement en le menaçant d'une sanction ou en lui faisant miroiter des gratifications, dans l'activité communicationnelle chacun est motivé rationnellement par l'autre à agir conjointement »168(*), ce par des actes de parole qui laissent voir explicitement ce que l'on propose dans l'espace public comme exigences de validité pour fonder en raison une norme. Dans l'agir « communicationnel du quotidien », les sujets émettent implicitement leurs avis sur certaines dispositions légale ou normative qui régissent leur monde social et le légitiment, sur des comportements qui dérogent aux normes préétablies. Le caractère implicite de cet agir est selon Habermas une activité communicationnelle naïve parce qu'il lui manquerait l'esprit de la critique objective et la dynamique de l'appréciation intersubjective.

C'est dans la raison communicationnelle (Kommunikative Vernunft) et particulièrement dans la discussion que les citoyens échangent dans l'espace public des raisons afin d'examiner les prétentions à la validité normative devenues problématiques en usant du médium langagier pour « communiquer et pour que chacun puisse prendre position par « oui » ou non par « non » aux prétentions à la validité émises par autrui » (Habermas, 1991). Cette dynamique d'appréciation intersubjective des propositions émises par chacun signifie le refus de vivre dans des conventions non justifiées, des normes arbitraires, inacceptables qui excluraient certaines personnes en avantageant d'autres et menaceraient la cohésion sociale. Il en ressort que l'agir communicationnel cherche les « traces d'une raison communicative, qui trouve son origine dans les processus d'entente, dans les pratiques sociales elles-mêmes » (Habermas, 2015, p. 49).

Les acteurs engagés dans la communication se doivent de réguler leur agir par desnormesacquisesensemblemalgrélacomplexitédesactionslangagièresquiexprimentàlafois un contenu propositionnel et une intention du locuteur. Cela signifie aussi que personnedans les discussions ne détient le monopole de la vérité, ni ne doit imposer son point de vueauxautressansleurconsentement.Habermas(1991,p.79)affirme :« J'appellecommunicationnelles,lesinteractionsdanslesquelleslesparticipantssontd'accordpourcoordonner en bonne intelligence leurs plans d'actions ; l'entente ainsi obtenue se trouve alorsdéterminéeàla mesuredela reconnaissanceintersubjectivedes exigencesdevalidité». Ainsi, la raison communicationnelle est une refondation du sujet transcendantal desmodernes qui le met peu ou prou à l'abri de l'usage d'une raison instrumentale sans cessetournée vers la domination et la manipulation. Habermas veut par-là « décoloniser le mondevécu » en osant desserrer l'étau que la raison instrumentale (marquée par le goût de l'intérêtet de la violence) impose. En clair, la modernité est à son égard une période qui n'a pas tenutoutes ses promesses mais de qui on a hérité l'usage de la raison critique. Pour nuancer,Habermas(1987) écrit :

Nous nommons instrumentale une action orientée vers le succès, lorsque nous la considérons sousl'aspect de la poursuite de règles techniques d'action et que nous évaluons le degré d'efficience d'uneintervention dans un contexte d'états de choses et d'événements ; nous nommons stratégique une actionorientée vers le succès, lorsque nous la considérons sous l'aspect de la poursuite de règles de choixrationnellesetquenousévaluonsledegrédel'influenceprisesurlesdécisionsd'unpartenairerationnel.Lesactionsinstrumentalespeuventêtreraccordéesàdesinteractionssociales,(tandisque)les actions stratégiques représentent elles-mêmes des actions sociales. En revanche, je parle d'actionscommunicationnelles,lorsquelesplansd'actionsdesacteursparticipantsnesontpascoordonnéspardescalculs desuccès égocentriques,mais par des actesd'intercompréhension.

L'éthique de la discussion telle que développée par Jürgen Habermas peut se définir comme une « logique de l'argumentation morale », une communication publique destinée à l'intercompréhension présupposant un proposant et un opposant qui par des actes de langage cherchent à fonder en raison des normes, que tous dans l'espace public peuvent vouloir ensemble et reconnaître de ce fait comme valides. Ce procès « fictif de l'entente » est une forme de procedere ou procédure où sont thématisées des exigences de vérité prétendant à la validité normative par des participants et ce par le biais des argumentations morales. Le caractère procédural de cette théorie s'explique aussi par les processus d'intercompréhension qui le jalonnent, à telle enseigne qu'elle exige et commande par sa nature même aux participants de parvenir à « une recherche coopérative de la vérité organisée sous forme de compétition, telle par exemple, la reconnaissance de la compétence et de la bonne foi des participants » (Habermas, 1991, p.109).

Elle se veut en outre une entreprise de justification des prétentions à la validité normative qui n'acquièrent leur force morale donc leur valeur universelle en tant qu'elles se justifient par de bonnes raisons qui transcendent les limites culturelles et surtout incarnent des intérêts communs, et non égoïstes ou particuliers. L'éthique discursive habermassienne apparaît comme une « procédure d'après laquelle des normes et des manières d'agir peuvent être fondées, et respectivement critiquées » communicationnellement (Habermas, 1992). En mettant à l'honneur les présuppositions de l'argumentation, elle médiatise par l'usage du langage les discussions qui favorisent la formation éclairée de la volonté, de façon à préciser les intérêts de tout un chacun sans déchirer le tissu social qui relie préalablement chacun à tous. Elle est une procédure de formation de la volonté où la rationalité du jugement est orientée non en vertu d'une fin stratégique, des valeurs préférentielles des participants mais plutôt en vertu de leur justification fondée et de leur objectivité. La volonté libre de tout participant à la discussion est celle d'un sujet qui se laisse convaincre par des arguments moraux ou transcendantaux, c'est-à-dire ceux « dont l'universalité est telle qu'on ne peut rien trouver, ayant une fonction équivalente, qui puisse y suppléer, autrement dit des arguments relatifs à des discussions » (Habermas, 1991, p.104) ; l'éthique du discours garantit l'égal traitement de tous les concernés dans une dynamique interne entre le souci du bien-être du prochain et l'intérêt pour le bien commun.

La discussion pratique « se laisse concevoir comme un processus d'intercompréhension qui (...) sur la base des inévitables présuppositions de l'argumentation, pousse simultanément tous les concernés à une adoption idéale de rôle » (Habermas, 1992). Elle permet d'élucider argumentativement la validité des arguments, tout en mettant au clair la distinction entre les normes réellement valides, c'est-à-dire morales, universelles, qui méritent d'être reconnues et celles dont la validité va de soi ou celles qui sont simplement problématiques. On peut comprendre par-là que la procédure « d'après laquelle nous pouvons juger des normes et les accepter comme valides n'est pas à notre disposition, mais s'impose à nous ; la pratique de cette procédure sert (...) à la connaissance morale des principes d'une coexistence justement réglée » (Habermas, 1992, p.118)169(*). Elle est l'essence même de toute délibération dans l'espace public parce qu'elle met en valeur l'intersubjectivité et promeut le débat et la participation effective des destinataires de toute éventuelle disposition normative qui, au lieu de la subir tout simplement comme c'est de coutume dans certaines sociétés, deviennent les artisans incontournables de son élaboration, de sa fondation. Habermas (1991, p.36) la définit aussi comme « une procédure qui sert non pas à la production des normes justifiées (seulement), mais à l'examen de la validité de normes déjà là, mais devenues problématiques et considérées sous un angle hypothétique ». Quels sont les principes de l'éthique de la discussion ?

c.  Les principes de l'éthique de la discussion :

L'éthique discursive habermassienne repose principalement sur trois principes à savoir le principe d'universalisation (U), le principe de discussion (D) et le principe d'adéquation (A).

· Le principe d'universalisation :

L'éthique de la discussion de Jürgen Habermas comme toutes les éthiques procédurales d'inspiration kantienne se définit par un principe moral qui sert à la fondation des normes, maximes ou commandements dans l'espace publicprétendant à l'universalité, en ajoutant à ce premier principe celui de discussion et d'adéquation. Eneffet, la question « que dois-je faire ? » est l'interrogation par laquelle Emmanuel Kant aborde le domaine de la morale, des valeurs et de la validité normative. À travers ses impératifs catégoriques, Kant a conçu des principes d'une législation universelle qui transcendent les différences culturelles (traditions, institutions, le relativisme axiologique) et dont l'universalité est motivée rationnellement. « Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle » est selon Kant (1993, p.47) une invite pour tout sujet d'agir selon la loi morale sans inclination ni intérêt, agir par devoir et uniquement par devoir en faisant un usage public de sa raison (Benjamin Constant).

Pour Habermas, cet impératif est un monologue solitaire du for intérieur qui ne prend pas en compte la perspective d'autrui qui est aussi un membre de l'espace public. La loi morale élaborée monologiquement perd son équilibre moral car la volonté s'exerçant dans le vide est déliée des rapports sociaux réels, or il s'avère que pour garantir la possibilité du consensus public les normes doivent être fondées avec la participation d'autrui, d'un autre que soi, qu'il soit ami ou ennemi, étrange (r) ou familier (Derrida, 1996)170(*). L'impératif catégorique par cette insuffisance est empreint d'un rigorisme moral du même ressortqu'une éthique de la conviction ayant ancré la conscience morale dans le moi intelligible du sujet solitaire qui ne se suffit plus à lui seul pour fonder la loi morale, d'autant plus que « le sujet jugeant moralement ne peut pas vérifier par lui tout seul, mais seulement socialement avec tous les concernés - publiquement -, si une manière d'agir litigieuse serait, en tant que praxis universelle, dans l'intérêt commun » (Habermas, 1992, p.60). Pour poser les bases de cette éthique pragmatique-transcendantale de la délibération publique et de la décision intersubjectives, Habermas (1991, p. 88-89) dans son ouvrage Morale et communication rappelle la nécessité de reformuler l'impératif catégorique kantien en ces termes :

Au lieu d'imposer à tous les autres une maxime dont je veux qu'elle soit une loi universelle, je dois soumettre ma maxime à tous les autres afin d'examiner par la discussion sa prétention à l'universalité. Ainsi s'opère un glissement : le centre de gravité ne réside plus dans ce que chacun peut souhaiter faire valoir, sans être contredit, comme étant une loi universelle, mais dans ce que tous peuvent unanimement reconnaître comme une norme universelle.

Le principe d'universalisation chez Habermas (1992, p.34) se formule comme suit : « Chaque norme valide doit satisfaire la condition selon laquelle les conséquences et les effets secondaires qui, de manière prévisible, résultent de son observation universelle dans l'intention de satisfaire les intérêts de tout un chacun peuvent être acceptés sans contrainte par toutes les personnes concernées ».

Ø Le principe de discussion :

Comme la validité d'une norme est inséparable de la discussion qui aide à la fonder (justifier) par le biais des présuppositions pragmatiques universelles de l'argumentation, l'éthique de la discussion peut se déduire de façon restreinte par le principe (D) qui stipule : « Chaque norme valide devrait pouvoir trouver l'assentiment de tous les concernés, pour peu que ceux-ci participent à une discussion pratique »171(*). L'idée exprimée par le principe d'universalisation signifie qu'une norme ne peut aspirer à la validité que si toutes les personnes concernées et présentes dans la sphère publique à laquelle la disposition normative est destinée sont d'accord (ou pourraient l'être) en tant que participants à une discussion pratique sur la validité de cette norme. La discussion devient donc le moyen par lequel s'effectue la procédure d'universalisation des intérêts communs à travers le principe d'universalisation, ce dernier étant le « principe-passerelle (qui) permet d'accéder à l'entente mutuelle dans les argumentations morales, et ce, dans une acception qui exclut l'usage monologique des règles argumentatives » (Habermas, 1991, p.78).Si l'on admet qu'aucune norme ne porte les règles de sa propre application ou encore que la fondation discursive des normes ne peut pas simultanément, assurer la réalisation de jugements moraux, le principe d'universalisation est dans l'incapacité de régler les problèmes de sa propre applicabilité.

Ø Le principe d'adéquation :

Il vient donc finaliser l'activité du principe d'universalisation dans la mesure où il permet aux membres d'une sphère publique agissant moralement de savoir quelle manière d'agir adopter dans une situation déterminée et dans un contexte précis, de telle sorte que le jugement singulier qui s'ensuit se fondant sur la validité d'une norme soit aussi juste. Ce principe tel que conçu par le juriste et philosophe allemand Klaus Günther (1988, p.50)172(*) se formule comme suit : « Une norme est valide et adéquate dans chaque cas lorsque les conséquences et les effets secondaires d'une observation universelle de la norme peuvent être acceptées par tous dans chaque situation particulière dans l'intérêt de tout un chacun. » De même, l'intercompréhension est tissée sur le fil de la reconnaissance réciproque, preuve que le tissu de l'intégration sociale ne doit pas se déchirer bien que l'entente mutuelle qu'exige l'éthique de la discussion doit transcender les limites de toute communauté naturelle. Deux conditions sont incontournables pour aboutir à toute intercompréhension :

« Les deux choses jouent : sans la liberté illimitée de la prise de position à l'égard de prétentions à la validité normative, l'accord obtenu factuellement ne pourrait être véritablement universel ; mais sans l'empathie solidaire de chacun pour la position de tous les autres, on ne pourrait même pas s'engager dans la voie d'une solution porteuse de consensus » (Habermas, 1992, p.70).

3- Consensus et utopie dans l'espace public : lecture de Habermas par Paul Ricoeur :

Il est reconnu à Paul Ricoeur d'avoir élaboré une théorie de l'imaginaire social politique qui s'intéresse aux fondements du pouvoir, à la légitimité et la légalité démocratiques, deux concepts qui demeurent en tension entre l'idéologie et l'utopie.La faillibilité de l'éthique de la discussion comme publicité de la rationalité communicationnelle selon Ricoeur viendrait du fait qu'elle semble être uneutopie quise manifestetoujours comme réponseau phénomènedun imaginaire social servant de guide pour renforcer un système ou un pouvoir politique173(*).Si l'idéologie désigne le modèle de pensée dominant, une fausse conscience ou théorie qui masque la réalité et qui cherche consciemment ou non à la déformer pour mieux servir des intérêts plus ou moins inavouables174(*), l'utopie quant à elle se perçoit souvent comme le contraire de l'idéologie, une extraterritorialité, un « pas de côté »175(*) avec pour ambition le renversement de l'ordre dominant et l'ouverture vers de nouveaux possibles.

a. Le consensus public habermassien comme imaginaire social :

L'utopie n'est pas seulement un ensemble d'idées mais une mentalité (Geist), une configuration de facteurs qui organisent l'ensemble des idées et des sentiments. Ricoeur dira même qu'elle est un système symbolique englobant, un « désir dominant », un système d'organisation qui est davantage éprouvé que pensé. L'idéologie est aussi une théorie dont le but est de légitimer par des discours un pouvoirpolitique ou une organisation, à asseoir sa notoriété et à défendre son « idéalité » contre ventset marrées face à tous ses contestataires. Elle est un concept polémique qui cherche à dévaloriser l'adversaire dans l'expérience de la réalité politique.

Quand nous dénonçons quelque chose comme idéologique, nous sommes pris dans une relation au pouvoir et Mannheim rappelle que Marx a fait de l'idéologie une « conception plus globale de l'orientation psychologique qu'elle signifie » (Ricoeur, 1997, p.218). La première contribution de Marx est d'avoir fait de l'idéologie non pas un simple phénomène psychologique des individus, une distorsion mais au contraire une structure totale de l'esprit, la caractéristique d'une formation historique concrète incluant une classe. L'idéologie est totale au sens où elle exprime une Weltanschauung de base. La seconde contribution de Marx selon Mannheim est d'avoir vu que si l'idéologie n'est pas seulement un phénomène psychologique, il faut une méthode spécifique pour la démasquer : une interprétation en termes de situation de vie de celui qui l'exprime. Nous vivons continuellement dans une situation polémique de visions du monde en conflit, qui se considèrent mutuellement comme des idéologies. L'idéologie est toujours dans ce cas l'idéologie de l'autre, mais nous oublions que nous sommes « un autre parmi des autres » (Ricoeur, 1997, p.220).

Le marxisme en voulant faire du prolétariat une classe universelle parce qu'il exprimait un intérêt public universel est tombé dans l'utopie qu'elle dénonçait car en voulant incarner les intérêts de la totalité, il s'est désintégré entraînant dans cet effondrement toute conscience de classe. Autrement dit, « l'évolution de la société humaine n'a plus de centre. Aucun groupe ne peut prétendre être porteur d'universalité, car il n'y a plus nulle part d'universalité. Le marxisme en généralisant le concept d'idéologie a affecté la vision du monde en conjuguant deux critères à savoir « un critère théorique, la critique des illusions, et un critère pratique, la lutte d'une classe contre une autre » (p.221).

Si l'idéologie est censée consolider un ordre, l'utopie dans son élan vient contrer les ardeurs de l'idéologie.La prétendue fécondité de l'utopie s'oppose à l'apparente stérilité de l'idéologie. L'utopie paraît pour ainsi dire le remèdequi cherche à combattre l'idéologie en proposant une alternative qui prétend toujours êtremoins obsessionnelle que l'idéologie, mais la réalité montre que les deux finissent par devenir pathologiques. Cela signifie tout simplement que les deux finissent par se détourner de leurobjectif premier, à savoir servir les intérêts de tous dans l'espace public pour le bien commun et deviennent soitl'expressiond'unerationalitéinstrumentale(pourl'idéologie),soitunemégalomaniepathologique, « le refuge dans le rêve, ou la recherche d'un état de perfection qui peut tourneràla schizophrénie» pour l'utopie(Roman, 2015,p.13).

L'idéologie et l'utopie ne sont pas des concepts théoriques mais pratiques, politiques. Les concepts politiques doivent demeurer polémiques et si « l'utopie est ce qui ébranle un ordre donné, l'idéologie est ce qui préserve cet ordre. Cela veut dire que la problématique de la domination et la place du pouvoir dans la structure de l'existence humaine deviennent des questions centrales » (Ricoeur, 1997, p. 238). La question n'est plus qui détient le pouvoir, mais plutôt sur la légitimation du pouvoir, le questionnement de tout système public du pouvoir. La légitimité est donc pour Ricoeur l'enjeu réel du conflit entre l'utopie et l'idéologie.

Ricoeur pense que le caractère utopique de l'éthique discursive c'est de prétendre supprimer leproblème de la lutte des classes ou des intérêts antagonistes dans la sphère publique en facilitant en même temps une reconnaissance réciproquedesparticipantsparleurparticipationinclusiveetsanscondition176(*). L'utopie constitue une variation imaginative sur le pouvoir dans l'espace public, « un écart entre l'imaginaire et le réel qui constitue une menace pour la stabilité et la permanence de ce réel »177(*). Ricoeur mentionne l'influence des Lumières dans la construction de la théorie habermassienne de l'espace public : « Habermas comprend l'idéal des Lumières comme un plaidoyer en faveur de la rationalité utopique, comme la promotion d'une espérance rationnelle » (Ricoeur, 1997, p. 325).

b. Idéologie, utopie et « consensus conflictuel » chez Ricoeur :

En réalité, la particularité de la sphère publique réside dans la pluralité des points de vue antagonistes et c'est même la tension de ces intérêts divergents qui vitalise le débat public poussant chacun à élever des exigences de validité performative plus denses pour convaincre les participants aux délibérations publiques. La distorsion-dissimulation de l'idéologie pour servir les intérêts des groupes dominants au détriment des intérêts commun et collectif est inhérente à tout pouvoir politique qui tend naturellement à se légitimer par un discours symbolique et affectif à même de toucher « les coeurs et les esprits » des citoyens dans l'espace public178(*) au détriment de toute « rationalité transcendantale ». LeconsensusquipourHabermas exclut toute distorsion langagière en appelant à une communication transparente estselon Ricoeur difficilement réalisable car chaque individu ne peut émettre ses prétentions à lavalidité dans l'espace public que sous l'influence des préjugés qu'il a et dont il ne peut pas facilement se séparer aunom d'une communication objective : « La compétence communicationnelle de Habermas estl'utopie d'une communication non déformée qui permettrait une reconnaissance mutuelle desinterlocuteurs » (Roman, 2015, p.78)179(*).

Si la reconnaissance mutuelle des participants nesupprime pas les luttes pour la reconnaissance180(*), le consensus que doit viser l'éthique de ladiscussion ne peut-être que « conflictuel » (Ricoeur, 2004, p.302-303)181(*) et non effectif, définitif. Le reprochefait à Habermas par Ricoeur est de réduire l'espace politique auregistrelangagierdelarationalitécommunicationnellequiprétendêtrelemoyendela« publicité de la raison » et le modèle d'une démocratie délibérative, participative et inclusive182(*). Leformalismedel'éthiquedeladiscussionignorepeut-êtrelesméthodesd'exercicedela« politique politicienne » (utilisation de la manipulation, de la pression, agir stratégique dans l'espace public) et l'utopiede la pensée procédurale habermassienne de la démocratie paraît « froide et sans coeur »183(*).

Ricoeur propose plutôt que la discussion publique se réalise sous la mouvance de l'imaginaire social qui se traduit en allemand par l'expression « Phantasie » signifiant littéralement « activité imaginative ». Si Habermas considère l'utopie comme une distorsion/perversion de la communication, une « altération de la relation dialogique »184(*), Ricoeur estime pour sa part que la communication publique ne peut être strictement rationnellement. L'on ne peut réduire la rationalisation de l'espace publique à la « notion de compétence communicationnelle. Il s'agit d'une construction utopique, d'une situation idéale de langage qui ouvre la possibilité d'une communication non déformée »185(*). Lorsqu'on parle de compétence précise Ricoeur, il s'agit de quelque chose qui est à notre disposition, une « potentialité dont nous nous servir ou pas »186(*). J'ai la compétence d'encadrer des troupes militaires, donc je peux être affecté sur telle ou telle base pour conduire des éléments lors d'une expédition militaire. Or ce que l'on appelle par compétence communicationnelle pour Paul Ricoeur « n'est pas quelque chose qui serait à notre disposition : c'est plutôt quelque chose qui s'apparente à l'Idée kantienne, à une idée régulatrice »187(*).

L'utopie dans cette perspective présente trois caractéristiques essentielles qui la structurent. Elle est d'abord soutenue par la notion d'autoréflexion qui est le coeur de la composante téléologique (composante transcendantale), critique de toute analyse et restauration de la communication. Cet élément d'autoréflexion n'est pas historique mais transcendantal, c'est-à-dire « intemporel, sans origine historique assignable »188(*). Ensuite, la structure utopique est culturelle dans l'optique de la tradition des Lumières et comme activité imaginative elle prétend mettre à l'épreuve les limites du réalisable. Pour autant, « l'utopie n'est alors pas uniquement un élément transcendantal et anhistorique : elle est une partie de notre histoire » (Ricoeur, 1997, p. 332).

Enfin, l'utopie relève de l'activité imaginative qui correspond chez Habermas à ce que Freud appelle l'illusion189(*). Cette dernière est différente d'une idée invérifiable ou irréalisable et correspond plus ou moins dans l'espace public à « l'élément d'une espérance rationnelle »190(*) qui poursuit une satisfaction utopique. L'utopie dans sa fonction imaginative peut empêcher aux participants à toute procédure de délibération publique de retomber dans le piège de l'intérêt instrumental en se représentant des intérêts élargis d'une société idéale : « L'imagination utopique est celle d'un acte idéal de langage, d'une situation idéale de communication : l'idée d'une communication sans frontières et sans contraintes. Il se peut que cet idéal constitue notre véritable idée du genre humain » (Ricoeur, p. 333). Les hommes faisant un usage public de leur raison construisent souvent leur raisonnement sur des images, figures et symboles qui représentent leur monde immédiat et auxquels ils s'identifient.

Tout est imagination avant d'être concept selon Ricoeur et l'utopie devient imaginaire dans l'espace public dans la mesure où elle espère incarner par son modèle les fonctions de contestation, de délégitimation et de renversement du système au pouvoir qu'est l'idéologie en aspirant à la remplacer après sa chute. Cette utopie habermassienne rappelle essentiellement que c'est au bout de la démarche critique que nous pouvons reconquérir et reposséder réellement l'espace public comme une oeuvre foncièrement humaine et « cette reconquête va de l'ex-communication et de la désymbolisation vers la reconnaissance et la communication » (Ricoeur, 1997, p. 334) ; elle est une manière de « rêver l'action communicationnelle en évitant de réfléchir sur les conditions de possibilités de son insertion dans la situation actuelle »191(*). Aussi, convient-il de rappeler que l'idéologie et l'utopie sont chez Ricoeur « deux expressions de l'imaginaire social »192(*):

« Là où l'idéologie apparaît comme une distorsion, l'utopie se présente comme une fantasmagorie irréalisable. Là où l'idéologie est légitimation, l'utopie est une alternative au pouvoir en place. La fonction positive de l'idéologie est de préserver l'identité d'une personne ou d'un groupe. Le rôle positif de l'utopie consiste à explorer le possible »193(*), les possibilités latérales du réel.

* 122Nachtwächterstaat, cette expression du socialiste allemand Ferdinand Lassale signifie que l'État vaut mieux que l'anarchie et son rôle est de protéger les droits individuels fondamentaux de ses citoyens.

* 123 Ibidem, p. 172.

* 124Horkheimer M & Adorno T W., La dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 2018.

* 125Lukács G., Histoire et conscience de classe, trad. K. Axelos et J. Bois, Minuit, Paris, 1960 [1923], p. 384.

* 126« La technologie de l'industrie culturelle - écrivent-ils - n'a abouti qu'à la standardisation et à la production en série, en sacrifiant tout ce qui faisait la différence entre la logique de l'oeuvre et celle du système social?» (Horkheimer & Adorno, ibidem, p. 130). Horkheimer et Adorno pointent du doigt la fabrication de produits standardisés, faciles à consommer qui servent ainsi à tromper et manipuler la masse. L'existence de l'art moderne dans ce sens se déploie sous le voile du battage publicitaire et la reconnaissance des oeuvres d'art par la presse (publizistisch) suffit pour les valider. Ce qui retire au public son rôle de critique qui valide ou non les créations artistiques par son appréciation.

* 127 Ibidem, p. 152.

* 128 Habermas, 1978, p. 175

* 129Bleyer W. G., Histoire du journalisme américain, Boston, Houghton Mifflin, 1927, p. 184.

* 130 C'est-à-dire la possibilité de prendre la parole, de contredire et d'être contredit, de parler de ce qu'on a consommé, suivi, écouté.

* 131 « Cette Presse qui s'était développée à partir de l'usage que le public faisait de sa raison et qui se contentait d'être le prolongement des discussions qui y avaient lieu restait de part en part une institution propre à ce public même ; son rôle était d'être un médiateur et un stimulant des discussions publiques --non plus simple organe de la circulation des informations, mais pas encore media d'une culture de consommation » (Habermas, 1978, p. 191).

* 132Ibidem, p. 183.

* 133 Ibidem, p. 186.

* 134 Ibidem, p. 188.

* 135Leibholz G., Problèmes structurels de la démocratie moderne (conférences et essais), Mueller, Karlsruhe, 1958, p. 94.

* 136Dahlgren P., et al. « L'espace public et les médias. Une nouvelle ère ? », Dans Hermès, La Revue 1994/1 (N°13-14), p. 244, Paris, Éditions CNRS Éditions.

* 137 Les idées prenaient le pas sur les affaires et les entreprises de presse ont accordé cette forme de liberté « qui était partout au principe de la communication entretenue par les personnes privées formant le public » (Habermas, 1978, p. 191).

* 138 Ibidem, p. 195.

* 139 Ibidem, p. 203.

* 140 Idem.

* 141Ferry J-M., « Civilité, légalité, publicité. Considérations sur l'identité politique de « l'homme européen » », Dans Revue d'Éthique et de théologie morale, Paris, Éditions du Cerf, 2011/4 (n° 267), p. 9. Consulté en ligne le 31 mai 2023

* 142 Habermas J., « Réflexions sur le concept de participation politique », in : J. Habermas et al., Étudiant et politique. Une étude sociologique de la conscience politique des étudiants de Francfort, Neuwied, Luchterhand, 1961, p. 11-55, citation p. 31 (l'étude fut publiée en 1961, mais achevée en 1958).

* 143Lits M., « L'espace public : concept fondateur de la communication », Dans Hermès, La revue, Paris, Éditions du Cerf, p. 77, 2014/3 (n° 70).

* 144 Idem

* 145Dahl R., « Hiérarchie, démocratie et marchandage en politique et en économie », in Research Frontiers in Politics and government, Washington, 1955, p. 47.

* 146 Habermas, op. cit. p. 208.

* 147 Ibidem, p. 209.

* 148 Ibidem, p. 212.

* 149 Ibidem, p. 218.

* 150Haber S., « Le « monde de la vie » comme catégorie critique aujourd'hui », in Cahiers Philosophiques, Chasseneuil-du-Poitou, 2013/1 (N° 132), p. 67. Consulté en ligne le 1er juin 2023 à 06h45.

* 151 Ce que Habermas (1978, p. 225) appelle encore « la sphère publique politique fabriquée pour une durée limitée qui intègre le domaine de la politique grâce à des techniques psycho-sociologiques, au monde de la consommation ».

* 152 Idem.

* 153Habermas J., Droit et démocratie : entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997, p. 401.

* 154«Les idées d'une philosophie des Lumières proviennent du fonds des illusions transmises historiquement. Aussi devons-nous comprendre les actions d'une philosophie des Lumières comme la tentative de tester la limite du réalisable en ce qui concerne le contenu utopique du patrimoine culturel dans des circonstances données » (cf.Habermas J.,La technique et la science comme idéologie[1968], préf. et trad. Jean-René Ladmiral, Paris, Éditions Denoël, 1984). Cet ouvrage est une leçon inaugurale prononcée par Habermas à l'Université de Francfort en 1965.

* 155 Habermas nuance en rappelant que ces idéaux de la modernité ne sont pas « des acquis définitifs » mais des « intuitions » qu'il faut renouveler sans cesse par une « veille rationnelle critique » (cf. Howard D., « Habermas citoyen. Les « Petits écrits politiques » du philosophe allemand », Dans Revue Esprit 2015/8-9 (Août-Septembre), Paris, Éditions Esprit.

* 156Foessel M., « Critique et communication : les tâches de la philosophie. Entretien avec Jürgen Habermas », traduit de l'allemand par Lucien Boulaire, Dans Revue Esprit 2015/8-9 (Août-Septembre), Paris, Éditions Esprit, p. 41-42.

* 157 Weber M., Le savant et le politique, Paris, Union Générale d'Éditions, 2001.

* 158 Kant E., Qu'est-ce que les Lumières ? Traduction de Jean -François Poirier et Françoise Proust, Paris, Flammarion, 2020, p. 6.

* 159Durand-Gasselin J-M., « La fin des mandarins allemands », Dans Revue Esprit 2015/8-9 (Août-Septembre), Paris, Éditions Esprit.

* 160 Kant E., Critique de la raison pure, Paris, PUF, 2012.

* 161MARCUSE H.,L'homme unidimensionnel, trad. Wittig M, Paris, Éditions de Minuit, 1968.

* 162 Les impératifs hypothétiques sont chez Kant contrairement aux impératifs catégoriques, conditionnés par le rapport moyen-fin. Ils ne prescrivent quelque chose que si la volonté veut atteindre telle ou telle fin et peuvent être l'objet d'un désir, d'un plaisir ou d'un intérêt personnel qui ne prétend pas s'universaliser. Parmi les impératifs hypothétiques, il y a ceux dits, techniques ou de l'habileté, les impératifs pragmatiques ou de la prudence.

* 163 Kant E., Fondements de la métaphysique des moeurs, trad. Victor Delbos, Paris, Librairie Générale Française, 1993.

* 164 Horkheimer & Adorno, op. cit. p. 18.

* 165Habermas J., Théorie de l'agir communicationnel, t. I, trad. Jean-Marc Ferry, Paris, Fayard, 1987, p. 8.

* 166Habermas J., « Espace public et sphère publique politique. Les racines biographiques de deux thèmes de pensée », trad. Christian Bouchindhomme, Dans Revue Esprit 2015/8-9 (Août-Septembre), Paris, Éditions Esprit, p. 24.

* 167 Ibidem, p. 15.

* 168 Habermas J., Morale et communication. Conscience morale et activité communicationnelle, trad. Christian Bouchindhomme, Paris, Les Éditions du Cerf, 1991, p. 79.

* 169 Habermas J., De l'éthique de la discussion, trad. Mark Hunyadi, Paris, Les Éditions du Cerf, 1992.

* 170 Derrida J., Politiques de l'amitié, Paris, Galilée, 1996.

* 171 Habermas, ibidem, p. 34.

* 172Günther K., Le sens de la pertinence : discours d'application en morale et en droit, Frankfort, Suhrkamp, 1998.

* 173Ricoeur P., L'idéologie et l'utopie [1986], trad. Myriam Revault d'Allonnes et Joël Roman, Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 1997. Cet ouvrage reprend les leçons prononcées par Ricoeur en 1975 à l'Université de Chicago.

* 174 http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-2/opinion-publique-et-ideologie.html?item_id=2749. Consulté en ligne le 16 mai 2023 à 10h52.

* 175 Ricoeur, 1997, p. 36.

* 176 « L'utopie est une expression de l'imagination pour penser autrement » (Ricoeur, 1984, p. 61).

* 177 Ibid, p. 61-62.

* 178Habermas J., Une époque de transitions. Écrits politiques 1998-2003, trad. Christian Bouchindhomme, Paris, Fayard, 2005, p. 100.

* 179Roman S. ; « Consensus et utopie. Lecture de Habermas par Paul Ricoeur »,Dans Revue Esprit 2015/8-9 (Août-Septembre), Paris, Éditions Esprit.

* 180 « La critique de l'idéologie fait partie d'un processus de lutte et non de reconnaissance. L'idée de communication libre reste une idée inaccomplie, une idée régulatrice, une « illusion » au sens où Freud distingue ce terme d'une idée délirante » (Ricoeur, 1997, p. 329).

* 181Ricoeur P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Stock, coll. « Les Essais », 2004.

* 182 « L'utopie nous fait faire un saut dans l'ailleurs, avec tous les risques d'un discours fou et éventuellement sanguinaire. Une autre prison que celle du réel est construite autour de schémas d'autant plus contraignants pour la pensée que toute contrainte du réel en est absente. Il n'est dès lors pas étonnant que la mentalité utopique s'accompagne d'u mépris pour la logique de l'action et d'une incapacité foncière à désigner le premier pas qu'il faudrait faire en direction de sa réalisation à partir du réel existant » (Ricoeur, 1984, p. 62).

* 183Osiel M., Juger les crimes de masse : la mémoire collective et le droit [1997], trad. Jean-Luc Fidel, Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2006, p. 293.

* 184Habermas J., Connaissance et intérêt [1968], trad. Gérard Clémençon, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1976, p. 93.

* 185 Ricoeur, 1997, p. 330.

* 186 Idem.

* 187 Idem.

* 188 Ibid, p. 331.

* 189 « L'utopie nous fait faire un saut dans bailleurs, avec tous les risques d'un discours fou (...). Une autre prison que celle du réel est construite dans l'imaginaire autour de schémas d'autant plus contraignants pour la pensée que toute contrainte du réel en est absente. Il n'est dès lors pas étonnant que la mentalité utopique s'accompagne d'un mépris pour la logique de l'action et d'une incapacité foncière à désigner le premier pas qu'il faudrait faire en direction de sa réalisation à partir du réel existant » (Ricoeur, 1984, p. 62).

* 190 Ibid, p. 332.

* 191 Ricoeur, 1984, p. 53.

* 192 Ricoeur P., « L'idéologie et l'utopie : deux expressions de l'imaginaire social », communication faite à la session de Juillet 1983 sur « Éthique et politique » au Centre Protestant de l'Ouest, 79370, Celles/Belle, in Autres Temps, Les cahiers du Christianisme social, N°2, 1984, p. 53. Consulté en ligne le 02 juin 2023 à 01h40.

* 193 https://www.seuil.com/ouvrage/l-ideologie-et-l-utopie-paul-ric-ur/9782020217965. Consulté en ligne le27 mai 2023 à 01h55.

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