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La part de l'humain dans les problemes ecologiques selon Michel Serres


par Faustin MBUYU
Université de Lubumbashi - Licence 2023
  

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I.2.1.2. L'idéologie scientifique : déterminisme et scientisme

Il faut d'abord rappeler que la première idéologie dite philosophique nous a montré comment certaines affirmations et recommandations de philosophes sur la nature, ont été départagées d'après la compréhension et la méthode de chacun. Mais de leurs affirmations et recommandations, notre rapport avec les choses du monde a changé. Premièrement, elles demandent aux humains de triompher sur la nature par la connaissance des lois. Deuxièmement d'en être maîtres et possesseurs. Pour y arriver, ils questionnent la nature et cherchent de réponse en elle. Par ailleurs, ce que voulaient les savants philosophes, ce n'était pas la connaissance passive sur la nature, mais plutôt celle agissante et transformatrice de la nature. Cette connaissance agissante et transformatrice est le socle de l'idéologie scientifique. Cette idéologie dite scientifique souligne Michel Serres, « quitte la mathématique à la grecque où la déduction commande, pour une méthode plus inductive qui ne peut pas réussir. Laissant la maîtrise pour la soumission76(*) » de la nature à l'humain. Une soumission qui plonge l'humanité dans le chaos.

De plus, l'idéologie dite scientifique est tributaire du rationalisme cartésien ; celui de vouloir rendre l'humain maître et possesseur de la nature. En effet, Descartes étant à la recherche d'un principe fondateur de toute connaissance, aboutit à des résultats qui l'amènent à ne concevoir clairement que l'étendue figurée et mobile, et aussitôt il néglige la réalité de tout le reste. Il fait de l'univers matériel un mécanisme infini où tout se produit selon les lois de la mécanique et de la géométrie.77(*) Le fait que René Descartes néglige la réalité par la connaissance claire et distincte, celui-ci ouvre la porte aux sciences afin de s'intéresser uniquement du savoir scientifique en oubliant ce qui fonde la vie. En revanche, par les lois de la mécanique et de la géométrie, René Descartes introduit le déterminisme dans la nature avec comme base les lois mathématiques.

Relativement avec René Descartes, l'objectif de la science est de conduire l'humain à la certitude et cela grâce au recours à la mathématique. C'est par la mathématique qu'on arrive à la certitude. En effet, la philosophie cartésienne a légué à la science moderne la logique mathématique comme fondement. Cette logique a pour mission d'amener l'humain à la certitude. Ainsi, même certaines sciences comme les sciences de la nature pour arriver à la certitude doivent l'utiliser. Et donc l'étude de la logique mathématique entre dans la compréhension de la nature. Raison pour laquelle, nous pensons que cette logique est en effet un réalisme. Une logique dont la réalité est indépendante de la nature, mais que l'humain peut connaitre. Ce réalisme est antécédent du déterminisme de la nature comme conséquence. Finalement, l'étude de la physique entre aussi dans la nature et ainsi commence aussi l'idée mécanique et déterministe de la nature. Cette idée développée par la physique classique, interprète la nature partant des théories mathématiques où l'humain est centré.

En plus, la tendance déterministe et mécanique pose un problème fondamental dans la nature ; celui dans laquelle les conséquences que subit l'humanité aujourd'hui sont sous la détermination comme antécédents partant des idées énoncées par Francis Bacon et René Descartes. Et aussi l'exaltation de la réalité par les sciences modernes. En fait, l'interprétation de la nature défendue aujourd'hui a comme référence dans les sciences dures : des données d'Isaac Newton et de la physique classique par la démarche mécanique et déterministe de la nature. Ce déterminisme s'est constitué en un réductionnisme de la nature qui ne voit en elle qu'une seule facette sans tenir compte de sa diversité ou complexité. Raison pour laquelle, nous critiquons l'idéologie scientifique parce qu'elle est un mal écologique. Son mal vient du fait que la nature est le lieu où les lois scientifiques s'appliquent et cela grâce à la technique.

De plus, à lire l'article de Noël Léon, « Aux yeux du savant, le déterminisme, c'est la relation nécessaire d'un phénomène avec ses antécédents, c'est la base de la loi naturelle, [...] il suppose une nécessité soumise à quelque règle rationnelle, accessible à l'intelligence78(*) ». Avec le déterminisme, la nature est interprétée par la science (raison scientifique) de façon unidimensionnelle, fixiste, immobile, unique et réduite la capacité de l'humain L'idée liée à la question du déterminisme de la nature est d'ordre global déterminé par les lois. Elle a fait de la nature une chose soumise inéluctablement à la nécessité de l'humain selon sa rationalité. C'est pour cette raison que les scientifiques évoquentle déterminisme dans les actes humains. Ceci pour montrer que, tous les actes que l'humain posent sont déterminés d'avance. Qu'ils soient posés sur la nature, ceux-ci sont déterminés. Le déterminisme veut que l'acte soit le résultat de ses antécédents, qu'il soit rattaché à certaines conséquences qu'il implique.79(*)Ici les antécédents sont les idées baconienne et cartésienne de la science.

En outre, une autre tendance s'inscrit dans l'idéologie scientifique. Il s'agit du scientisme. Par scientisme, on entend cette idéologie qui pense tout expliquer du monde par les données de la science moderne. Son maître mot est que « la science est notre jugement dernier80(*) ». Il pose le problème de la réductibilité, de la logique, voire aussi de la réalité. Tout ceci explique en quoi René Descartes a influencé la manière de pratiquer la science. Son influence dans l'interprétation de la nature est celle « de la raison, réduite à n'être qu'une raison instrumentale fabricante d'outils, de machines81(*) », etc. Ceci étant, le scientisme a fait de la raison la décideuse des choses du monde. Ces choses sont en d'autres termes comme un ensemble de faits sur lesquels la science donne les lois à la technique, et cette dernière les met en pratique. Ainsi, la science devient alors un savoir sur la nature et la technique un pouvoir sur la nature. Adrien Lentiampa ajoute que « la science a abandonné sa mission explicative du monde phénoménal pour s'adonner à la recherche effrénée de l'efficacité à travers l'omniprésence de la technique82(*) ». L'expression actuelle de la science est l'élaboration technique de mesure applicable par la technique actuelle au besoin de l'humain peu importe le moyen.

De ce qui précède, les conséquences qui en découlent font que les sciences actuelles sont à la conquête de la réalité dans la nature pour le bonheur de l'humain. Pour reprendre l'expression de Bernard Feltz : « la science est perçue comme un facteur d'amélioration de la condition humaine83(*) ». L'idée est celle de vouloir connaitre les choses du monde telles qu'elles se présentent, partant des investigations de la science et la technique. Rendre la raison humaine une nécessité imposée dans la nature. Cela va sans dire, c'est s'exposer au danger. Le scientisme a inauguré l'anthropocentrisme qu'avaient commencé les lumières.

En ce qui regarde notre maître à penser, la place de la science aujourd'hui est devenue décisive. Elle peut contrôler ou violenter le monde. La connaissance scientifique résulte de l'idéologie qui a « fait de la cause une chose, [...] où un fait devient un droit et inversement84(*) ». Avec l'idéologie cartésienne nous savons que la science au XXIème siècle a reçu une mission, celle de posséder la nature. Cette mission est devenue pour la science un droit avec lequel l'humain transforme la nature puisque c'est sous prétexte des données scientifiques. En ce sens et paraphrasant Michel Serres dans Le contrat naturel, l'on voit dans toutes les théories spéculatives et scientifiques une objectivation fidèle et exacte fondant toute application de la science et la technique dans les choses du monde.85(*)

De plus, analysant les dommages collatéraux que la nature subit aujourd'hui, ceux-ci ont aussi pour racines et se trouvent dans la connaissance appliquée dérivée du scientisme. Les expressions du savoir « ne font pas la paix avec le monde86(*) » c'est pourquoi, l'idéologie scientifique, plaide de nos jours « contradictoirement des bienfaits ou des méfaits d'une connaissance » des choses de la nature. Michel Serres ne partage pas la visée de la science actuelle, parce que cette dernière ne tient pas compte des choses du monde. La place décisive que l'humain a maintenant dans les sciences de la nature n'échappe pas au contrôle et à la violence de la nature. Cette place réduit la nature à une réalité sans valeur. Réduire la nature à la simple compréhension de l'humain a fait de lui malheureusement le centre de la Terre (nature). La conséquence qui découle de cette vision anthropocentrique, nous avertit que, « la nature se réduit à la nature humaine qui se réduit soit à l'histoire, soit à la raison : le monde a disparu87(*) ».

Dans un même ordre d'idées, pour Michel Serres, cette conséquence réductionniste de la nature enracinée dans le programme scientifique venant du rationalisme critique, ouvre la voie à la victoire de la raison humaine sur les restes de la nature, « dans un combat qui dure depuis la préhistoire88(*) ». Il s'agit bel et bien de la science et du droit ; le savoir et la loi. A en croire l'article de Adrien Lentiampa, la domination de la nature a dorénavant pris racine dans l'esprit humain moderne suite aux avancées de la science qui la considèrent comme la seule manière d'appréhender la réalité.89(*)

A ce propos, Michel Serres souligne que, l'autre problème de l'idéologie scientifique est celui de coupler la science et le droit. Pourtant, questionnant l'histoire ; la science et le droit sont deux domaines qui généralement sont en opposition. Pour cette raison, la science a le projet et le droit à la loi. Inversement, la science moderne s'érige en une idéologie contractant la science et le droit. Le savoir se fait passer pour une loi. Voilà pourquoi, les désirs du savoir sont les ordres de la loi. Ainsi, nous imitons pour dominer et nous emportons pour détruire.90(*) Ce mariage a donné le droit aux sciences modernes de manipuler la nature selon leur mode opératoire. Aujourd'hui par exemple il y a accélération sévère de la révolution industrielle comme cause majeure à la crise écologique. Par le vouloir mettre en pratique ce que les savants disent, la science domine la nature et la détruit aussi. Car il s'agit du savoir pour appliquer. C'est pour cette raison que Michel Serres affirme : « le maître mot de Descartes revient à l'application à la connaissance scientifique et aux interventions techniciennes du droit de propriété91(*) ».

Ce qu'il faut retenir à ce sujet c'est que, les idéologies philosophico-scientifiques inaugurent l'âge moderne de la science, celles recommandées par Francis Bacon, René Descartes et aux sciences modernes d'avoir le pouvoir d'être maître et possesseur de la nature. De ces recommandations, la nature a été vue comme une chose, un objet de la science, c'est-à-dire de la rationalité humaine. Celles-là ont engendré l'idée déterministe et scientiste de la nature. Dès lors, de plus en plus la nature et ses éléments dépendent de l'humain. Ces idéologies ont fait de l'humain le centre de tous les éléments de la nature(Terre). A cet effet, l'humain a mis les éléments de la nature dans une prison réductrice et fixiste. Il a cependant oublié qu'il est dépendant de cette collectivité des choses d'où il tire les origines. La science moderne quant à elle, a mis la nature au premier plan de son projet et de son agenda. Tout ceci par pire vouloir connaitre et dominer. Michel Serres condamne cette philosophie parce que « le savoir se confond avec la domination92(*) ». Les scientifiques ont confondu ce qu'est le savoir par rapport au pouvoir. Pour eux savoir veut dire pouvoir. C'est de leurs propos que l'humain se construit un pouvoir absolu sur les choses du monde. Étant convaincu en esprit qu'il est absolu, il ne peut que se considérer fort sur la nature. Ainsi, l'humain moderne devient par voie de conséquence grâce à la science et la technique le centre de la nature ; c'est de l'anthropocentrisme.

* 76Michel SERRES, Rameaux, Paris, Éd. Le Pommier, 2007, p. 41.

* 77 Léon NOËL, « Le principe du déterminisme », In Revue néo-scolastique, 12? année, n°45, 1905. p. 9.

* 78Léon NOËL, « Le principe du déterminisme », In Revue néo-scolastique, 12? année, n°45, 1905, p. 7.

* 79Ibidem, p. 6.

* 80 Michel SERRES, Op. Cit., p. 135.

* 81 Raymond MATAND MAKASHING, Op. Cit., p. 77.

* 82 Adrien. LENTIAMPA, Art. Cit., p. 1127.

* 83Bernard FELTZ, La science et le vivant. Philosophie des sciences et modernité critique, Paris, Éd. De Boeck, 2014, p. IX.

* 84 Michel SERRES, Op. Cit., p. 43.

* 85Ibidem, p. 43.

* 86Ibidem, p. 43.

* 87Michel SERRES, Le contrat naturel, Paris, Éd. Flammarion, 1992, p. 44.

* 88Ibidem, p. 63.

* 89 Adrien LENTIAMPA, Art. Cit., p. 1127.

* 90 Michel SERRES, Op. Cit., p. 96.

* 91Ibidem, p. 59.

* 92Michel SERRES, Le contrat naturel, Paris, Éd. Flammarion, 1992, p. 43.

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