La part de l'humain dans les problemes ecologiques selon Michel Serrespar Faustin MBUYU Université de Lubumbashi - Licence 2023 |
I.2.1.1.2. Le rationalisme cartésienA la suite de Francis Bacon, René Descartes écrit Le discours de la méthode. Celui-ci dans sa philosophie va plus loin que le précédent. A lire Raymond Matand, ce dernier souhaite que René Descartes soit considéré comme l'initiateur et le représentent du dualisme moderne qui a conduit à la dépréciation, exploitation et domination de la nature par l'homme.62(*) Si nous interrogeons Raymond Matand à ce sujet, la raison est simple : René Descartes a séparé l'humain et la nature ; il a fait de l'humain un sujet pensant et le reste un objet pensé, l'âme du corps, l'humain de la nature.63(*)Lui-même le dit clairement : « j'avais déjà connu en moi très clairement que la nature intelligente est distincte de la corporelle64(*) ». Ce dualisme esprit-corps est à l'origine de la méprise sur la nature. En rendant la nature comme objet pensé, celle-ci devient une machine de la fabrique pour les sciences expérimentales. A ce propos, Descartes écrit : Je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour être, n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle.65(*) Pourtant, séparer l'humain de la nature c'est lui couper en deux morceaux. C'est pratiquement l'isoler de la nature comme source de sa provenance. Raymond Matand souligne que le dualisme qui sépare et oppose l'humain à la nature conduit directement à la dévalorisation et exploitation de la nature66(*). Cette déduction du dualisme qui conduit à l'objectivation, dévalorisation et exploitation de la nature donne au sujet (humain) un pouvoir de manipulation sur les choses du monde. Que dit René Descartes par rapport à la nature dans ses écrits ? A lire Le discours de la méthode dans la sixième partie, René Descartes recommande une nouvelle pratique de la science. Cette pratique doit quitter la spéculation vers la pratique. Il faut que les sciences puissent d'abord chercher autant que possible la procuration du bien général de tous les humains. Et pour y arriver, elles doivent construire des connaissances qui soient fort utiles à la vie des humains.67(*)Soulignons, son souci premier est de rendre l'humain heureux. En d'autres termes ; procurer à l'humain le bonheur peu importe le moyen. La question reste à savoir de quelle manière va-t-il y arriver ? René Descartes répond à cette question de manière empiriste. Pour lui, les sciences doivent quitter les spéculations pour trouver une pratique, « par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et tous les autres corps qui nous environnent, [...] nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature68(*) ». Par ses dires, il a donné la voie à la science de se marier avec la technique pour rendre l'humain le maître et possesseur des éléments de la nature en général. A partir cette situation, nous le considérons comme une source à l'origine de la crise écologique. Ses idées ont servi de modèle dans les laboratoires de scientifiques et techniciens modernes ; faire de l'humain maître et possesseur pour son bonheur. A la lumière de ce que dit René Descartes, la nature se voit prisonnière de la raison humaine. Raison qui dans sa finalité est de donner à l'humain le pouvoir. En lui offrant le pouvoir, celui-ci devient le centre de toutes les préoccupations de la philosophie, science et de la technique. René Descartes ne s'arrête pas par-là, il ajoute que, devenir maître et possesseur n'est pas seulement à désirer mais aussi à inventer qui ferait l'objet d'une jouissance.69(*)Celle-ci est l'objectif de l'humain sur la nature. La considération de la nature chez René Descartes est autre que celle de Francis Bacon. Pour le premier la nature fonctionne de manière mécanique et c'est à la raison humaine d'expliquer le fonctionnement mécanique de la nature. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il dira que toute la nature fonctionne comme une mécanique réglée : automate. En raison de ce qui précède, pour Michel Serres, René Descartes a tracé effectivement le chemin qu'avait commencé Francis Bacon. Celui où la raison humaine est maîtresse de la nature. Dans Le contrat naturel, le philosophe Français souligne que : Le maître mot lancé par Descartes, à l'aurore de l'âge scientifique et technique, quand notre raison occidentale partit à la conquête de l'univers. [Conséquence] ; nous le dominons et nous l'approprions70(*). Ce maître mot cartésien a fait de la science moderne maîtresse de la nature. Ce pouvoir qu'à la science de nos jours rend la nature objet de toute utilisation et expérimentation. C'est pour cette raison, la philosophie cartésienne aux yeux de Michel Serres est dangereuse. Car elle crée un nouveau rapport entre l'humain et les choses du monde. Et ce rapport est celui de « dominer, mais aussi posséder71(*) ». Il s'agit en effet de droit de propriété. En d'autres termes, l'humain s'approprie les choses du monde comme si elles étaient une propriété privée dont il a tout le pouvoir de faire ce qu'il veut. De ce credo, Michel Serres ajoute que «la maîtrise cartésienne redresse la violence objective de la science en stratégie bien réglée le maître mot de René Descartes revient à l'application à la connaissance scientifique72(*) » sur les choses du monde. Cette recommandation cartésienne considère la nature comme un objet de l'humain. Retenons que ces conséquences qui dérivent des idées de René Descartes, souligne Bernard Feltz sont « l'objectivité, externalité, domination73(*) » de la nature. Pour être maître et possesseur, l'humain doit découvrir les lois de la nature. René Descartes rejoint en effet Francis Bacon, mais seulement que chez lui l'humain ne doit pas être humble pour apprendre de cette nature, il doit par ces choses qui l'environnent devenir maître. La mission est de dompter la nature en un agresseur pour la soumettre aux caprices, jouissance et besoins de l'humain. Nous soulignons en effet, que ce cordon ombilical qui considère la nature en un objet de jouissance et de sans valeurs est visible même dans la philosophie cartésienne. Celle d'appliquer la science par l'expérience des faits dans la nature pour la maîtriser en retour. Cette attitude constitue comme nous avons souligné pour Francis Bacon aussi un mal capital qui nous a conduits à la crise écologique que nous sommes en train de subir aujourd'hui. Par leurs idées, le monde scientifique a soumis la nature au crible de la raison humaine et a fait d'elle un champ d'expérimentation. C'est ce que dira Roger Bacon que, « sans expérience rien ne peut être connu de manière suffisante74(*) ». Ce que nous reprochons à René Descartes est le fait de placer l'humain au centre de toute pensée sur la nature. Le rendre maître et possesseur. Par ces affirmations selon lesquelles l'être est celui qui pense sur la nature ; l'humain est exalté et mis à un haut niveau comme un dieu sur terre. La pensée cartésienne est d'une part la racine à l'idéologie anthropocentriste. Et d'autre part à l'exaltation de l'humain comme maître de la Terre. Ainsi, toute la science moderne aura comme mobile : utiliser la nature pour le plus grand bonheur de l'être humain.75(*)Et ce credo sera qui se constituera en une seconde idéologie dite scientifique * 62 Raymond MATAND MAKASHING, Op. Cit., p. 57. * 63Ibidem, p. 61. * 64 René DESCARTES, Discours de la méthode, Paris, Éd. Aubier-Montaigne, 1951, p. 54. * 65René DESCARTES, Discours de la méthode, Paris, Éd. Aubier-Montaigne, 1951, p. 52. * 66 Raymond MATAND MAKASHING, Op. Cit., p. 62. * 67 René DESCARTES, Op. Cit., p. 74. * 68Ibidem, p. 74. * 69René DESCARTES, Discours de la méthode, Paris, Éd. Aubier-Montaigne, 1951, p. 74. * 70 Michel SERRES, Op. Cit., p. 58. * 71Ibidem, p. 59. * 72Ibidem, p. 59. * 73 Bernard FELTZ, La science et le vivant. Philosophie des sciences et modernité critique, Paris, Éd. De Boeck, 2014, p. 97. * 74 Roger BACON cite par Dario ANTISERI, L'actualité de la pensée franciscaine. Réponses aux questions présentes. Italie-Soveria, Éd. Rubbettino, 2008, p. 78. * 75 Bernard FELTZ, Op. Cit., p. XII. |
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