CONCLUSION PARTIELLE
Le foncier dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména a eu plusieurs conséquences. Ces conséquences
étaient sur plusieurs plans (économiques, politiques, sociaux et
culturels). Les différentes luttes autour des terres urbaines ont
entrainés les pertes en vies humaines, les destructions des maisons et
la distorsion des tissus sociaux entre les individus. Désormais, chacun
acquiert ses terres sans compter sur les autres et les modalités
liées au processus d'acquisition des terres ont changés.
158 MFEWOU A. (2010). Migrations, Dynamiques Agricoles et
problèmes fonciers dans le Nord-Cameroun : le périmètre
irrigué de Lagdo, Paris, L'Harmattan, p.162
159 MAHAMAT A.B. (2013). « Extension urbaine et
problèmes fonciers dans les quartiers périphériques de la
ville de N'Djaména : le cas du quartier Toukra, Mémoire
de master en géographie, option géographie et
développement du territoire, Université de Maroua, p.59
CHAPITRE IV: INSTANCES D'ARBITRAGES DES
LITIGES FONCIERS ET PERSPECTIVES DES RESOLUTIONS DES DIFFERENDS FONCIERS
DANS LE PREMIER ARRONDISSEMENT DE LA VILLE DE N'DJAMENA
96
INTRODUCTION PARTIELLE
Le présent chapitre met en exergue les
différentes instances d'arbitrages des litiges fonciers dans le premier
arrondissement de N'Djaména. Plus concrètement, les lieux, les
acteurs qui jouent un rôle particulier dans la résolution des
différends fonciers. Les instances d'arbitrages reconnues sont : les
instances interpersonnelles, les instances extra-personnelles et les instances
juridiques. Les conflits fonciers avant d'atteindre les instances
supérieures (la justice) sont tranchés d'abord entre les
individus à la muable et aussi devant les Boulamat. Les conflits qui
arrivent en justice sont pour la plus part les conflits liés à la
perte en vies humaines et/ou à la destruction importante du bien
matériel.
I. LES INSTANCES NON ETATIQUES D'ARBITRAGES DES LITIGES
Les litiges fonciers sont liés à plusieurs
facteurs lesquels nécessitent une réflexion un peu poussée
pour une perspective durable de la résolution desdits litiges. A cet
effet, au vue de la complexité du « fait foncier »
dans le premier arrondissement et aussi, pour souci de mieux cerner les
contours de ce fait, l'apport de chaque acteur semble être une option
sérieuse, voir judicieuse. C'est dans cette optique que plusieurs
acteurs en fonction de leurs propres expériences arbitrent les litiges
fonciers au quotidien. D'abord, les chefs et les individus impliqués
entre-deux, ensuite les chefs gérants et les juridictions
compétentes.
1. Les résolutions à l'amiable
Les litiges fonciers observés dans le premier
arrondissement de N'Djaména font intervenir plusieurs acteurs dans le
processus de résolution des litiges. Le plus souvent, les
problèmes surviennent dans le déplacement des bornes qui
séparent les voisins. A cet effet, ils essaient de trouver un terrain
d'entente à leur niveau. Généralement, les
différents acteurs impliqués dans les problèmes en rapport
au déplacement des bornes convoquent une rencontre pour pouvoir
définir clairement les places des bornes. Cet acte se fait à la
présence de tous les voisins, des Boulamat, des
délégués auprès de la commune.
Aussi, il faut noter que, cette instance favorise les acteurs
influents et ceux qui ont vde un capital relationnel solide. Ces derniers
violent les plus souvent les clauses de la résolution des litiges qui
les opposent aux autres. Ils se réfèrent toujours là
où ils gagneront les procès. De plus, certains individus sur la
base de leur capital financier minimisent la résolution des litiges
fonciers à la muable entre eux voisins-voisins. Ils estiment gagner le
procès comme la plupart de cas, ceux qui ont une position sociale
élevée sont à l'aise même en justice par
97
rapport aux couches sociales les plus
vulnérables.160 C'est dans cette perspective que monsieur
Tessem Nasrangar habitant du quartier Farcha donne son avis en ces termes :
Kay les résolutions des problèmes des terres
ici, ça ne vaut plus la peine f...] ; les citoyens ne sont jamais
égaux devant la loi, depuis plusieurs années, j'ai
été déguerpi par un groupe de personne me disant que mon
terrain était la réserve de l'Etat f...], hum way, ce sont les
intouchables qui ont les privilèges dans ce pays. Leurs terrains sont
bien lotis f...] nous d'autres les accompagnons seulement. Si Dieu est
là, qu'Il nous écoute au moins. 161
En prenant en compte ces réactions, nous pouvons dire
que l'injustice dans la gestion des litiges fonciers semble être un fait
réel. Car plusieurs autres acteurs soutiennent les mêmes
idées et demandent un arbitrage sérieux des litiges fonciers dans
leur circonscription administrative. Ils déplorent aussi le fait que,
depuis plusieurs décennies ils sont laissés à leur compte.
Par contre, ceux qui ont des « relations » avec les mairies ; les
agents du cadastre ; les ministres ont les « marteaux en fer » pour
caser leurs têtes. D'autres ajoutent que le manque d'un arbitrage
sérieux des litiges fonciers a poussé certains d'entre eux soit
de retourner dans leurs villages d'origines et d'autres vers le Cameroun,
notamment dans la ville voisine Kousseri où ils s'estiment très
heureux.
Par ailleurs, certains individus affirment que le fait que les
clauses issues des résolutions des litiges fonciers entre les
différents acteurs ne sont pas formelles, alimentent davantage les
litiges. Car selon eux, juste quelques jours ou quelques mois après les
résolutions des litiges fonciers entre les acteurs, certains reviennent
sur les décisions et redemandent une nouvelle assise pour l'arbitrage
des litiges les opposant aux autres. Or, pendant les premières
résolutions, ils se sont accordés sur certains faits relatifs
à leurs problèmes. Au cas où les autres acteurs
n'acceptent pas siéger pour une énième fois, ils
entreprennent des voies illégales, voir mystiques pour se faire «
justice eux-mêmes » ; alors que la justice demeure la plus haute et
dernière instance pour la résolution de tous les problèmes
que les individus rencontrent au Tchad, y compris les litiges fonciers. C'est
ce qui fait dire à monsieur TAHIR HASSABALLAH que :
les tchadiens f...] ; ils n'acceptent pas qu'ils ont perdu
un procès ou qu'ils ont tort quelque part. Sinon, comment peut-on
expliquer le fait qu'un problème résolu revient encore juste
quelques semaines après ? Je me demande f...] ; vraiment, est-ce que les
gens mourront avec les terres. J'ai trouvé des ossements enterrés
dans mon terrain, je me confis à Allah. Qui est parti au ciel avec les
terres ? Les Tchadiens
160 Entretien avec monsieur Mahamat Zène en Octobre 2020
à Amsinéné.
161 Entretien avec monsieur Tessem Nasrangar en Octobre 2020
à Farcha.
98
doivent apprendre à respecter leurs
décisions. Le respect des différentes décisions
entreprises fera de nous un maillon central dans la construction de la partie.
Sinon, c'est de l'anarchie organisée [...]. 162
Nous pouvons dire au regard des tendances que l'arbitrage
biaisé des litiges fonciers a des conséquences
considérables sur la vie des acteurs impliqués dans lesdits
litiges. Le problème nait souvent dans le non-respect des pactes issues
des certaines assises que les acteurs eux-mêmes ont convoqués. Le
véritable problème ici est le manque des auxiliaires permettant
le transfert des litiges très complexes au niveau du tribunal des
grandes instances pour un meilleur arbitrage. Aussi, l'aspect informel des
signatures des pactes entre les individus impliqués dans les litiges
fonciers dans le premier arrondissement. Le mieux serait selon nous, la
signature par « devant les notaires » des clauses entre eux. Sinon,
les problèmes surviendront toujours. C'est ainsi qu'une informatrice
ajoute :
les résolutions des problèmes des terrains
doivent se faire à la présence de tous les acteurs
concernés et aussi, à la présence de tous les voisins. Car
certains voisins alimentent souvent les problèmes après le
départ de l'un ou l'autre victime. Il faut que les décisions
prises soit respectées par tous les acteurs afin d'éviter les
fractures sociales liées à la terre. Nous devons être les
gens de parole [...]. 163
Partant de cette logique, il est évident que, les
litiges fonciers quel que soit leurs causes, doivent être mise en surface
à la présence de tous les acteurs concernés afin
d'envisager des perspectives durables qui, pourrons éviter la distorsion
du tissu social. Déjà, les citoyens tchadiens
déchirés par les différentes tensions politico-militaires
ne se voient pas prêt à sombrer dans d'autres tensions.
A cet effet, le contrôle de la gestion des terres au
Tchad doit être une priorité du gouvernement tchadien. Car, plus
de 80% des problèmes que les juges tranchent au tribunal ont trait aux
fonciers et, ces problèmes perdurent depuis toujours entre les
différentes couches sociales qui constituent le Tchad. C'est ainsi que
le 10 décembre dernier la famille de l'ex première dame du Tchad
HINDA DEBY ITNO a été chassé par la famille d'un colonel
assassiné à cause des parcelles de terres. La famille du colonel
en voulant faire elle-même la justice a attaqué la famille de
HINDA DEBY ITNO.164 Les litiges fonciers négligés
semblent se consolider pour donner « un noyau dur » entrainant ainsi
une tension sociale grave. Les conflits éleveurs agriculteurs,
éleveurs-éleveurs, agriculteurs-agriculteurs,
pêcheurs-pêcheurs sont récurrent et attestent la
présence du danger à craindre, « les litiges fonciers »
qui,
162 Entretien avec monsieur TAHIR HASSABALLAH en septembre 2O2O
à Zaraf
163 Entretien avec une informatrice à Djougoulié
164 RADIO FM LIBERTE, 10 décembre 2021, « Journal de
19H »
99
« négligés », « mal
tranchés », « ignorés » constituent une source
permanente de l'insécurité dans le milieu
urbain.165
2. Les instances extra-personnelles
Les instances de résolution des litiges fonciers comme
il est démontré sont multiples et varient d'un lieu à un
autre et d'une personne à une autre. C'est ainsi que les individus
impliqués dans les litiges fonciers entreprennent des perspectives qui
le permettent de mieux envisager des solutions en rapport aux litiges fonciers
observés dans les milieux urbains tchadiens en général, et
dans le premier arrondissement de N'Djaména en particulier. Les
instances extra-personnelles renvoient ici à la résolution des
litiges fonciers impliquant plusieurs individus, mais qui font appel à
d'autres personnes pour arbitrer les litiges auxquels ils sont
confrontés. A ce niveau, plusieurs acteurs interviennent dans la
médiation des litiges fonciers dans le premier arrondissement de
N'Djaména.
Ainsi, « certains individus non satisfaits des
résolutions des litiges fonciers dans leur circonscription
administrative décident de faire recours vers autres acteurs pour
espérer une solution plus adéquate ». A cet effet, la
résolution des litiges fonciers devient complexe dans la mesure
où chaque individu se réfère à un réseau
relationnel pour trouver une satisfaction lors des résolutions des
différends fonciers. C'est dans ce sens que certains individus sur la
base de leurs « réseaux » parviennent à marginaliser
les autres individus en usant leurs relations familiales pour gagner les
procès. C'est ce qui explique d'ailleurs la proximité de certains
maires, délégués départementaux, les agents du
cadastre, les personnes qui travaillent au tribunal des grandes instances.
Cette situation est similaire à l'expérience foncière
camerounaise décrite par ABDOULAY MFEWOU166 dans le nord.
Dans le premier arrondissement de N'Djaména par contre,
nous ne savons qu'exactement si les autorités compétentes
prennent en compte les requêtes des individus. La même pratique des
résolutions des litiges fonciers par les affinités s'observe dans
le premier arrondissement dans le quartier Amsinéné où, un
éleveur a été trainé par un général
de l'armée. Car les litiges fonciers qu'on observe souvent ont pour
épicentre les problèmes des bornages, des tracés des rues,
de dégagement des réserves de l'Etat, le maire, le ministre en
charge ne descendent jamais sur les terrains pour observer de très peu
l'ampleur du problème. Ils attendent pour la plupart les rapports
effectués par leurs délégués.167
165 Entretien avec un administrateur civil à Madjorio
166 MFEWOU, idem, p.162
167 Entretien avec Monsieur Mahamat Issa à Gilmey en
Octobre 2020
168 MFEWOU, ibidem
100
Aussi, l'arbitrage biaisé des litiges engendrent de
nombreux dégâts. C'est ainsi que, MFEWOU estime que,
la gestion impartiale des litiges fonciers par les
autorités compétentes en charge affecte durablement les acteurs
lésés à leur triste sort et, lesquels espèrent une
réparation de leurs problèmes par tous les moyens disponibles.
Cette « injustice étatique » dans la gestion impartiale des
litiges fonciers crée un climat de méfiance entre les acteurs et
accentue l'aspect relationnel dans les juridictions tchadiennes.168
Ainsi, l'acteur qui n'a pas un appui des « gros
poissons » ne peut espérer des résultats fiables suites
aux différents différends qui les opposent aux autres.
L'injustice dans les résolutions des litiges fonciers occasionnent des
désordres urbains et des très grands actes des violences
liées aux terres.
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