1. Les conséquences sociales
D'après les enquêtés, « les
litiges fonciers ont eu des conséquences sociales considérables
dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména
».Selon madame ASSOUM, « plusieurs individus
déguerpis ceux qui ont perdus leurs terres injustement, et ceux qui ont
été arnaqués par les agents de l'Etat, se retrouvent dans
une crise profonde. Ainsi, certains individus ont eu des sérieux
problèmes de santé juste après la perte de leurs
147 Entretien avec un informateur au quartier Zaraf en novembre
2021
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terres, d'autres les troubles mentaux et certains la mort
». Les litiges fonciers dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména sont selon plusieurs informateurs mal tranchés. Selon
ces informateurs, les individus qui ont « un gros poids social
» gagnent pour la plupart le procès en rapport aux litiges
fonciers. C'est ainsi que monsieur SEMIDJIDA déclare en ce terme :
les litiges fonciers n'ont pas eu un arbitrage
sérieux dans notre arrondissement. C'est ce qui explique les
désordres qu'on observe sur la gestion des terres urbaines et rurales.
J'ai perdu mes parents dans un affrontement sanglant à cause de nos
terres arrachées, mais l'Etat n'a rien fait pour nous. Nous n'avons
jamais eu la justice à nos côtés. Je ne sais quoi faire
[...]. 148
Par ailleurs, l'arbitrage impartial des litiges fonciers
engendrent selon les informateurs, les tensions dans la société,
et aussi, dégradent le tissu social existant, créant le
problème du vivre-ensemble et du bien-vivre dans le premier
arrondissement de la ville de N'Djaména. Les acteurs ne se cohabitent
plus comme avant, car ils ont perdu leurs parents à cause des terres, et
ne pourrons facilement se réconcilier avec leurs « ennemis ».
L'arbitrage floue des litiges fonciers a donc eu des incidences majeures dans
le premier arrondissement de la ville de N'Djaména, les
sociétés et les liens sociaux se disloquent de plus en plus. En
analysant le propos de monsieur SEMIDJIDA. Ainsi, il se dégage, les
nerfs des plusieurs différends fonciers dans le premier arrondissement
de la ville de N'Djaména se trouvent dans le fait que, l'Etat abandonne
délibérément les individus sans terre dans les rues. Cette
situation a créé la désolidarisation sociale entre les
acteurs.
De plus, les individus déguerpis du quartier Jardin
Décès se
disent frustrés par les séances
répétées d'injustice. Ils affirment que les agents de
l'Etat les ont déguerpis sans une assistance sociale dans le cadre d'une
insertion sociale adéquate. Ils ont été abandonnés
dans les rues à leurs tristes sorts. Un informateur affirme avoir perdu
la plupart de ses voisins de l'ancien quartier Jardin Décès
à cause de ce problème opposant l'Etat aux individus. Les terres
arrachées par l'Etat pour les constructions des bâtiments
militaires ont laissé les pauvres. Jusque-là le gouvernement
tchadien n'a pas entrepris de telles mesures dans le premier arrondissement de
N'Djaména ; sauf dans le neuvième arrondissement de
N'Djaména il a transféré les individus vers un autre
site(TOUKRA).
Les problèmes rencontrés selon plusieurs
informateurs sont liés à leurs exclusions brusques de leurs
terres. Ils mentionnent aussi que, lorsque l'Etat déguerpi leurs
parents, il les laisse sans abris. Or, le gouvernement sénégalais
(pour trancher les litiges opposant trois
148 Entretien avec monsieur SEMIDJIDA à
Amsinéné en septembre 2021
89
communautés villageoises : les Diola Boulouf, Fogny,
Diola Fogny Combo) a dû crée un nouveau site pour répondre
aux exigences des villageois déguerpis.
De même, ceux ghanéens et ivoirien lorsqu'ils ont
entrepris la construction des grands projets, ont essayé de trouver une
issue. Lorsque le gouvernement ivoirien a initié la création d'un
barrage artificiel, lequel a affecté une partie du peuple Boulé,
et le gouvernement ghanéen a aussi entrepris des projets des
constructions, mais en prenant en compte les individus affectés par les
projets. C'est dans ce sens que deux sociétés d'Etat à
vocation d'aménagement intégré, la V.R.A. (Volta River
Autority) au Ghana ou A.V.B. (L'Autorité de l'Aménagement de la
Valée de Bandama) en Côte d'Ivoire. Les deux dirigeants ont
trouvé des nouveaux sites aux individus affectés par les
projets149. Ces mesures constituent une sorte de compensation
sociale150. Mais dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména, ces idées ne sont pas prises en compte. C'est ce qui
est à la base de plusieurs crises sociales observées. Ces
décisions jugées « antisociales » par les habitants du
premier arrondissement du fait du non prise en compte de l'aspect « social
» des individus seraient à la base des troubles dans les familles.
Les parents déguerpis n'ont pas assez de moyen pour assurer la location
des chambres à leurs familles, se sont endettés et ne parviennent
pas à payer ces dettes.
Aussi, comme ils n'ont pas assez d'argent pour couvrir tous
les besoins, certains de leurs enfants sont envoyés ailleurs, une sorte
de solution adoptée. Mais à ce niveau, nous constatons qu'il y a
la dislocation des familles à cause de leurs
précarités sociales liées à leurs terres perdues.
C'est ainsi qu'un informateur se confie à nous en ce terme :
walay Dieu doit agir contre cette injustice qu'on
rencontre. Ce n'est pas du tout sérieux de la part de l'Etat en chassant
les individus de leurs terres sans les trouver autres terres pour au moins
mettre leurs têtes. Où irons-nous à présent sans
terres ? Sommes-nous des étrangers ? Même les étrangers ne
sont pas traités comme l'Etat nous traite aujourd'hui...Humm [...], mes
enfants sont devenus des délinquants parce qu'ils ne dorment pas avec
moi à la maison, par manque des places. Je ne peux payer la location,
c'est très cher [...], voilà dans quel état le
gouvernement nous a mis. 151
149 LASSAILLY V.J. (1986). « Les grands projets
d'aménagement et de développement dans les domaines agricoles,
forestiers, hydrauliques, miniers ou pastoraux : transformation «
dirigée » de l'espace agraire et réponses paysannes à
la périphérie des Lacs Volta(Ghana) et Kossou (Côte
d'Ivoire) in Enjeux fonciers en Afrique noire, Paris, l'harmattan,
p.280-281
150 MBAYE D. (1986). « Le projet de mise en valeur de la
Valée de BAÏLA en basse Casamance(Sénégal) » in
Enjeux fonciers en Afrique noire, p.228-239
151 Entretien avec un informateur qui a peur de donner son
identité en Octobre 2020 au quartier Djougoulié
90
Les informateurs interrogés voulaient en effet, un
accompagnement de l'Etat après les séances de
déguerpissement. L'Etat sur la base du texte hérité de la
colonisation (la constitution) va donc prendre une place
privilégiée en privant les individus de leurs terres. Ce
phénomène de déguerpissement des individus sans recasement
est monnaie courante dans le premier arrondissement de N'Djaména.
D'abord, les individus déguerpis de l'ancien site du
marché de Farcha n'ont pas eu un accompagnement de l'Etat. Aussi, ils se
trouvent selon-eux, dans les rues sans abri. C'est ainsi que plusieurs
individus ont perdus leurs terres, laquelle a donc causé le
décès très brusque de ces derniers. C'est ce qui pousse un
informateur d'affirmer en ce terme :
Depuis quand le gouvernement tchadien s'inquiète
des pauvres [...] ; les gens qui sont venu vingt ans après nous ont
arrachés nos terres sur le regard de l'Etat et des agents du cadastre.
Sans vous mentir, je ne me retrouve plus dans ce pays. Certains membres de ma
famille se trouvent déjà dans d'autres cieux là où
il fait bon vivre [...] ; oui, ailleurs au Cameroun et au Nigéria depuis
que les problèmes de nos terres n'ont pas eu un arbitrage
sérieux. On attend la justice peut être de Dieu, au Tchad non. La
famille présidentielle nous a pris en otage en arrachant nos terres.
152
Il s'avère que, les litiges fonciers ont affecté
durablement les couches sociales les plus vulnérables. Ces litiges ont
entrainé une dégradation sans cesse du tissu social entre les
individus et aussi, a causé une dislocation des familles
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