II. LES RESPONSABILITES NON-ETATIQUES
L'Etat n'est pas la seule cause des conflits fonciers dans les
milieux urbains tchadiens en général, et dans le premier
arrondissement de la ville de N'Djaména en particulier. C'est ainsi que,
les individus impliqués dans les transactions foncières jouent
aussi un rôle non négligeable dans l'implémentation des
conflits fonciers. Ces causes dépendent des mobiles entrepris par ces
acteurs. Pour la plupart, ces causes se dégénèrent et
créent des sérieuses crises sociales.
140 Entretien avec madame ASSOUM à Madjorio en novembre
2021
141 Entretien avec monsieur DJIMADOUM à Farcha en octobre
2021
83
1. L'ignorance des textes fonciers
D'après le résultat obtenu durant dans ce
travail démontre que, l'ignorance des textes fonciers fait partie des
causes des litiges fonciers dans le 1er arrondissement de la ville de
N'Djaména. Sur 14103, seulement 18? de ménage possède le
titre foncier (n?14103). De même, selon certains informateurs, «
ils ne connaissent pas l'importance des textes sur le foncier. La plupart des
informateurs affirme avoir acheté leur terrain auprès de Boulamat
». Aussi, monsieur DJIMET affirme que,
je n'ai pas osé entamer la procédure pour
obtenir le titre foncier. Mon voisin qui a l'attitude de faire ce papier m'a
dit qu'il coûte très cher. Le jour où je vais construire
une villa, c'est ce jour-là que je vais chercher ce document. Ma maison
est en poto-poto et je fais quoi avec le document coûteux que mon terrain
?142
L'analyse sociologique qui ressort de ce propos est que, les
acteurs habitants dans le 1er arrondissement de la ville de N'Djaména
manque une information efficace en rapport au titre foncier, à la
gestion des terres au Tchad. Or, durant notre exploration, nous avons
découvert qu'il existe tout un ministère en charge des affaires
foncières. De plus, madame ZARA affirme, « je n'ai jamais
entendu parler des textes sur le foncier depuis que je vis. Sauf j'ai entendu
parler de l'attestation de vente de terrain, du gré à gré.
Mais je ne maîtrise plus rien dans ce domaine ».
En outre, certains Boulamat en dépit du poste qu'ils
occupent en tant qu'auxiliaire de l'Etat, ne maîtrisent pas selon
plusieurs informateurs interviewés. Ils estiment que, les Boulamat sont
choisi juste sur la base de leur appartenance au parti au pouvoir, aussi de
leurs liens sociaux avec les maires. Ainsi, monsieur MOUNGAR estime que,
la plupart des Boulamat n'a pas un niveau scolaire
acceptable. Les Boulamat qui ont trop fréquenté ont la licence.
Ils n'ont pas les notions de l'administration, pire encore de gestion des
litiges fonciers qu'ils créent souvent. Normalement, les gens qui
doivent gérer les terres doivent être les gens qui
maîtrisent le pays, les lois du pays. Hum chez les Boulamat c'est le
contraire. De pire, ils se livrent à une pratique dangereuse,
l'arbitrage des conflits alors qu'ils n'ont pas une protection
militaire.
Ainsi, il ressort clairement de ce propos que, l'Etat a
laissé la gestion des terres aux individus qui ne maîtrisent pas
les textes qui régissent les régimes dominicaux au Tchad. Rare
sont d'ailleurs les Boulamat et les acteurs qui connaissent le
bien-fondé de ces textes. A cet effet, monsieur SOUAVOURBE affirme
que,
142 Entretien avec monsieur DJIMET à Abcoma en novembre
2021
84
si je connaissais les textes sur le foncier, je n'allais
acheter bêtement les terrains. Maintenant, je me trouve sans terrain, je
suis déguerpi parce qu'ils m'ont dit que j'ai occupé le domaine
de l'Etat. Mais je me demande comment pouvons-nous faire pour savoir que tel
domaine est la propriété de l'Etat ? D'ailleurs c'est maintenant
que je prends connaissance de ce document grâce à votre
question.
Selon monsieur DATOLOUM, il faut au préalable que
l'Etat sensibilise la population sur les textes fonciers afin de limiter les
éventuels conflits.
2. Les poids des traditions tchadiennes
Le résultat obtenu lors de nos entretiens
révèle que, 97? de ceux qui ont des parcelles de terre sont de
sexe masculin, soit 03? seulement des femmes. Ces deux pourcentages montrent en
réalité les inégalités dans les gestions des terres
dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména. Ainsi, selon
Madame MAÏMOUNA,
les cultures tchadiennes pour la plupart ne garantissent
pas totalement une sécurité sociale de certains acteurs
estimés inférieurs aux autres. Parmi ces acteurs, figurent nous,
les femmes et les personnes étrangères, les orphelins, les veuves
; etc., qui, selon la grande partie des cultures locales n'ont aucun droit sur
les terres. Cette attitude discriminatoire est souvent source des conflits
fonciers observés dans le premier arrondissement.
De même, il ressort que ce phénomène
discriminatoire s'observe dans presque tout le territoire tchadien. C'est ainsi
que, Hélène LAMBATIM estime que, « l'acquisition
discriminatoire des terres dans les sociétés africaines
alimentent davantage les problèmes fonciers. L'exemple du Rwanda, Congo,
Tchad montre plus clairement que certaines catégories sociales sur la
base de leur statut social n'ont aucun droit sur les terres ». 143
143 LAMBATIM H. (2004). « Femme et foncier au
Tchad » in La question foncière au Tchad, Acte du colloque
scientifique de N'Djaména 28 juin au 1er juillet-septembre 2004,
p.171-194
85
Diagramme 1: Répartition des
enquêtés selon le sexe
MASCULINS
FEMININS
7%
93%
Source : enquête de terrain, septembre
2021
Le présent diagramme montre à suffisance le
faible taux de participation des femmes dans le processus d'acquisition des
terres. Selon les acteurs interrogés, ce faible taux se justifie par les
éléments culturels qui sont défavorable à
l'épanouissement des femmes.
De plus, selon Madame ZARA, « la discrimination ne se
limite pas seulement, dans le processus d'acquisition des terres, mais dans le
processus des gestions de terre après le décès de leurs
conjoints » 144. Ainsi, LAMBATIM estime que,
les femmes sont exclues de la gestion des terres par les
coutumes locales d'une part et, d'autres part la méconnaissance de leur
droit. Car, estime-t-elle que le fait que 95% des femmes tchadiennes sont
illettrées les met dans des situations précaires et
discriminatoires. C'est dans ce sens qu'une femme a affirmé ce qui suit
: « je ne suis qu'une simple femme ! », « qu'est-ce que je peux
dire ? », « ce n'est qu'une femme ». Telles sont les expressions
qu'on entend à l'égard des femmes qu'elles soient du milieu rural
qu'urbain. 145
Selon les enquêtées, « les hommes ont
une perception péjorative » à l'égard des femmes
Cette perception selon Madame DOUNIA, « relègue la femme
tchadienne au second plan sur tous les domaines. Aussi, souvent dans nos
familles, la place de la femme doit être garantie par sa capacité
à « procréer ». En plus, Madame FANE ajoute
que,
la femme dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména perd toute crédibilité si jamais elle ne donne
pas « un héritier » à la famille. Son droit à la
terre est lié à son mariage ; elle peut le perdre suite au
divorce. Ici, l'on est appelé à voir volontiers que les
144 Entretien avec Mme ZARA au quartier Gilmey
145 LAMBATIM H. (2004), ibidem
86
femmes tchadiennes ne sont pas prises en compte dans le
processus
de la gestion foncière.
C'est d'ailleurs dans ce sens que cette illustre et populaire
affirmation tchadienne fonde sa crédibilité : « la femme
doit occuper le second rang ». Cependant, dans la constitution de
1969, tous les acteurs ont les mêmes droits devant la loi. Nous voyons
ici, la difficulté liée à l'application des textes
régissant les droits de l'Homme au Tchad, mais aussi l'inexistence des
textes sanctionnant les acteurs qui tient des attitudes discriminatoires
à l'égard des femmes. L'injustice bat le record dans cette
situation.
Ainsi, selon Mme MAÏMOUNA, nous sommes dans «
une séance de discrimination et d'exclusion des femmes par les
sociétés patriarcales, appuyées par les coutumes locales
» ; « quelques fois barbares » sont prises
« pour argent comptant » car estime-t-on héritées
de nos aïeux. Faut-il exclure au nom d'une culture les autres
catégories sociales. Le rôle de la femme ne saurait se
réduire à la satisfaction du « biologique » en ayant
pour épicentre la « procréation ».146
Ne gagnerons-t-on pas à restaurer une gestion équitable des
ressources naturelles pour la restauration d'une paix durable au Tchad. Le
diagramme ci-dessous illustre cette situation discriminatoire.
3. la flexibilité lors de règlement des
conflits
La flexibilité lors de règlement des conflits
selon certains informateurs provient de l'arbitrage impartial des litiges
fonciers observes. De même, selon ces informateurs ajoutent que les
individus mettent leurs intérêts particuliers devant au
détriment de l'intérêt de la communauté.
En outre, l'aspect informel de certains procès issus
à la muable entre les différentes parties prenantes ne sont pas
respectés par ce qu'ils sont établis de façon anarchique.
Or, de telles décisions selon plusieurs informateurs doivent faire
l'objet d'une formalisation en passant par « au-devant les notaires
», matérialisés par la prise des décisions et la
signature des pactes publiquement.
De plus, l'implication impartiale des agents de justice dans
le processus d'arbitrage des différents fonciers ne garantis pas les
pauvres citoyens. Aussi, certains individus estiment exprimer leur ras-le-bol
par des violents affrontements aboutissant aux pertes en vies humaines et
aussi, aux distorsions des tissus sociaux entre les différentes
communautés. Ici, il
146 LAMBATIM H, idem, p.181
87
se pose le problème de lutte de classe qui se
matérialise par les places stratégiques qu'occupent certaines
personnes dans les transactions floues de terre.
Par ailleurs, le manque de compétence des
autorités administratives dans le domaine d'arbitrage des
différentes poses un sérieux problème. Pour la plupart,
ces autorités compétentes ne sont pas nommées selon un
profil bien défini. Ils sont nommés selon certains informateurs
par un décret présidentiel purement et simplement politique. Le
statut politique de ces autorités administratives joue un rôle de
premier plan dans le processus de leur nomination. C'est face à cette
situation qu'un informateur affirme :
dans quel pays au monde, en dehors du Tchad, les
autorités administratives telles que: les maires, les
délégués départementaux, les députés,
les sous-préfets, les préfets, les gouverneurs n'ont pas suivi
une formation en administration? Les autorités sont juste
récompensés parce qu'ils assurent une sale politique dans le
compte du gouvernement. De même, on trouve pour la plupart les militaires
qui occupant ces fonctions.147
Il se dégage de ces affirmations que, le
clientélisme institutionnel dans les administrations tchadiennes en
général, et dans la justice en particulier gangrènes le
fonctionnement du système foncier tchadien. Notons aussi que, selon
certains informateurs, les recrudescences des conflits fonciers, des conflits
agriculteurs-éleveurs sont causés par le manqué des
compétences des autorités compétentes.
III.LES CONSEQUENCES DES LITIGES FONCIERS DANS LE PREMIER
ARRONDISSEMENT DE LA VILLE DE N'DJAMENA
Les conflits fonciers dans le premier arrondissement de la
ville de N'Djaména ont eu plusieurs conséquences dans la vie des
acteurs. Le différent affrontement entre les individus, les destructions
des maisons lors des affrontements, les destructions des cultures ont des
incidences sur la vie des individus dans le premier arrondissement de la ville
de N'Djaména.
|