3. La complaisance des Boulamat
Les Boulamat en tant qu'auxiliaires coutumiers et politiques
de l'Etat sont selon Monsieur MBAÏLASSEM impliqués dans «
les différends fonciers ». La plupart des
différends fonciers tranchés dans les juridictions ont pour cause
les ventes multiples des terres par les Boulamat, soit 60? de tous les
différends fonciers observés dans le premier arrondissement de la
ville de N'Djaména. Ainsi, selon monsieur MBAÏLASSEM,
cette implication des Boulamat se justifie d'une part, par
la gestion restreinte des terres, et d'autre part, dans les différentes
attitudes liées à la production des documents administratifs
attestant les ventes des terres à plusieurs acteurs. Les Boulamat
usurpent de leur titre et de leur statut social pour « écraser
» les classes sociales les plus vulnérables.129
la vente répétitive des rues
destinées aux usages publics à des fins égoïstes des
délégués et des Boulamat alimentent davantage les
différends fonciers dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména. Ce phénomène de vente sacrifie les individus
innocents, et qui ont occupés depuis plusieurs années des espaces
des terres « dites réservées ». En vendant les rues
destinées à la servitude, ces agents de l'Etat changent leurs
trajectoires originaires des routes vers d'autres zones d'occupations qui,
mettent les autres acteurs dans la rue sans abri. 130
En outre, selon le résultat obtenu auprès des
enquêtés, 65? des litiges fonciers sont liés aux ventes
multiples des terres, à la falsification des documents administratifs
par les Boulamat, les morcellements des terres des particuliers par les
Boulamat. Cette pratique semble une monnaie courante dans le premier
arrondissement de N'Djaména, au regard du résultat. Elle est donc
sous-jacente de tous les litiges fonciers observés. C'est ainsi que LE
BRIS, LE ROY et CROUSSE estiment que, « la gestion des terres est
tributaire de la bonne ou mauvaise foi des chefs gérants
»131. Curieusement, l'expérience congolaise
décrite par ces
129 Entretien avec monsieur MBAÏLASSEM à Farcha,
octobre 2021
130 Entretien avec monsieur MBAÏLASSEM au quartier Farcha,
octobre 2021
131 CROUSSE B et al. (1986). Espaces disputés en
Afrique noire : pratiques foncières locales, Paris, Karthala,
p.10;
78
auteurs se rapproche de la gestion foncière dans le
premier arrondissement de N'Djaména. Selon Monsieur OUAÏDOU,
les Boulamat décident de vendre les terres comme
ils veulent sans vérifier ou faire recours aux « agents
compétents » de l'Etat. De même, le manque de cadre de suivi
de la gestion des terres par l'Etat favorise les acteurs influents de se
positionner sur les autres acteurs, et aussi de se mettre dans les zones les
plus stratégiques surtout en ce qui concerne les activités
économiques, aussi pour l'habitation. La situation des habitants des
quartiers tels que, Zaraf, Djougoulié, Gilmey sont ceux-là
considérés comme les déviants, car ils occupent des
espaces anarchiquement.
L'Etat n'a pas prévu un plan d'occupation des terres,
ni une planification urbaine sérieuse. Souvent les acteurs
s'achètent les terrains et après quoi se mobilisent en cotissant
pour faire appel aux agents du cadastre de venir lotir leurs zones. Cette
pratique se solde souvent par des rides conflits opposants les agents du
cadastre, et les acteurs locaux d'une part, les Boulamat et les acteurs d'autre
part.132
En plus, l'Etat laisse donc les individus déguerpis du
premier arrondissement de la ville de N'Djaména sans abri Selon les
individus enquêtés, les acteurs chassés de leurs terres se
retrouvent sans habitations, ils dorment dans les lieux publics (écoles,
zones vertes, mosquées, hôpitaux, etc.). Selon monsieur
BOUMZINA,
cette situation précaire des habitants du premier
arrondissement de la ville de N'Djaména, limite leurs mobilités
quotidiennes. Car, ils ne parviennent pas à joindre les deux bouts, car
nombreux d'entre eux sont très endettés, et ont plusieurs mois
des arriérées liées à la location des maisons. Les
individus déguerpis devaient en principe bénéficier de
l'accompagnement des Etats concernés par les « drames
sociaux.133
En réalité, cette situation semble se rapprocher
de celle décrite par Karl Marx lorsqu'il estime que, « l'Etat
entretien des relations discriminatoires, et se plaçant aux
côtés des bourgeois, et qui, exclut les prolétaires ».
Ainsi, selon les acteurs interviewés, « les morcellements
des terres par les Boulamat est la cause première de tous les litiges
fonciers dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména
».
De plus, selon certains informateurs, « une seule
parcelle peut donc avoir plusieurs titres de propriétés, et
dès lors, les acteurs se confrontent par des rides combats physiques, et
quelque fois mystiques ». Ils estiment aussi que, « les
individus se font « justice », avant
132 Entretien avec monsieur OUAÏDOU au quartier
Djougoulié, septembre 2021
133 Entretien avec monsieur BOUMZINA à Milezi, octobre
2021
79
d'atteindre les instances juridiques qui ne tranchent
guère ces différends à cause de leurs liens avec ces
chefs. » Par ailleurs, selon NAHOUNNAGR, « dans la pratique,
nous apercevons certains chefs qui ont ce pouvoir de vente et ou des legs des
terres aux individus, mais ces derniers vendent secrètement les terres
des autres. C'est le cas des « Boulamat » dans le milieu rural et
urbain tchadien ».134
En effet, le résultat obtenu de notre recherche
révèle aussi que, dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména, les Boulamat ne se placent pas bien clairement dans leur
posture de garants des terres. Selon monsieur DOURKAMLA,
cette mésaventure commence lorsque, les Boulamat ne
possèdent plus assez des terres. De plus, certains informateurs estiment
que, les Boulamat connaissent bien le plan d'occupation de sol, mais ferment
les yeux sur ces réalités, et profitent des ventes non
réglementées des terres aux individus qui, quelque fois ignorent
le plan d'occupation du sol.135
Les informations recueillies confirment qu'en achetant les
terrains avec les Boulamat, les acteurs participent à une sorte de
« loterie de terre », parce qu'ils ne « savent pas,
avec exactitude, si ces terres sont-elles réellement
sécurisées, mais se disent qu'ils se confient à la bonne
volonté de « dieu » au cas où, les routes ne passent
à travers leurs portions des terres ». Aussi, le fait que, les
Boulamat vendent clandestinement les terres des autres à leurs insu
selon plusieurs informateurs, et cette situation constitue « un danger
de premier ordre », et met en relief, « le rôle
dangereux que le Boulamat joue dans l'alimentation des litiges fonciers dans le
premier arrondissement. »136 Ainsi, Monsieur LAMINE note
que,
les Boulamat vendent les terres des autres pendant la
soirée et peuvent délivrer plusieurs attestations des ventes sur
une seule parcelle des terres. Or, le danger surgit dans le fait que les
terrains appartenant aux autres sont vendus par les chefs gérants. Les
individus achètent ces terres parce qu'ils estiment que ces terres
appartiennent aux chefs gérants. 137
134 NAHOUNNGAR B. (2004). « La
décentralisation administrative, institutionnelle et la
problématique foncière au Tchad » in La question
foncière au Tchad, Acte du colloque scientifique de
N'Djaména 28 juin au 1er juillet 2004 ; septembre 2004, p.171-194
135 Entretien avec monsieur DOURKAMLA à Zaraf en octobre
2021
136 Entretien avec Maître tailleur Djimadoumadji
Bertrand
137 Entretien avec monsieur LAMINE à Karkandjeri en
novembre 2021
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