2. Le désintérêt de l'Etat
Le gouvernement tchadien en tant que législateur des
textes sur le foncier n'assure pas pleinement son rôle. Ainsi, le
résultat obtenu durant notre recherche relève que, 70% des
acteurs se disent insatisfait de la gestion actuelle des terres et de
législation tchadienne sur les questions foncières. De
même, sur 14103 ménages dans le 1er arrondissement de
la ville de N'Djaména, seulement 18%(n?14103) possède le titre
foncier. Selon monsieur
114 ABBA DANA, idem, p.125
115 Entretien avec le Délégué Provincial de
la ville de N'Djaména, en septembre 2021
73
NOURADINE, « le fait que l'Etat ait mis un accent sur
les affinités politiques a donc creusé davantage les fosses entre
les acteurs ». 116Allant dans la même lancée,
selon Me NEMBE,
sur le papier, ils existent les textes qui semblent
assurer la gestion harmonieuse des terres au Tchad. Mais paradoxalement, les
agents de l'Etat sont toujours impliqués dans les corruptions qui se
manifestent par les morcellements des terres des pauvres, les modifications du
plan d'occupation du sol à leurs intérêts personnels.
117
De plus, selon madame MADJITA, « c'est l'Etat qui
définit les modalités d'acquisition des terres qui se font par
attribution sous le contrôle du CATZU (Comité d'Attribution des
Terres en Zones Urbaines) et aussi quelque fois par achat auprès des
Boulamat118. Mais, l'attribution des terres se fait de
manière arbitraire, discriminatoire, voir exclusivement relationnelle
». De plus, Me NEMBE mentionne que, les terres concrètement ne
font pas l'objet d'une attribution comme le définit CATZU, il existe ici
les réseaux influents des acteurs qui appartiennent au clan du
président DEBY, ainsi Me NEMBE ajoute que,
une seule parcelle des terres a souvent plusieurs titres
fonciers. Aussi, certains agents de l'Etat en occurrence les agents du
cadastre, les délégués communaux ; les chefs des quartiers
falsifient les titres fonciers des terrains d'autrui à leur guise. Le
véritable souci se situe dans le fait que l'Etat ne parvient pas
à assurer la gestion contrôlée des terres dans les milieux
urbains. C'est ainsi on constate son absence sur le terrain en ce qui concerne
la gestion des terres. 119
Par ailleurs, selon monsieur HOUWE, l'Etat semble inactif dans
le terrain en ce qui concerne la gestion des terres. Selon lui, le bâton
de commandement que l'Etat accorde aux Boulamat dans la gestion des terres pose
un sérieux problème du fait que, les Boulamat sont toujours
impliqué dans les ventes multiples des terres, des ventes des
réserves de l'Etat aux particuliers, des morcellements des terres des
acteurs. Aussi, selon lui, les Boulamat vendent des terres issues des zones
accidentelles aux acteurs, alors que l'Etat se dit « garants de toutes
les terres » De plus, monsieur HOUWE poursuit son propos en disant
que :
L'inefficacité de l'Etat dans les terrains est
très bien visible et aussi, le manque d'un comité de suivi de la
gestion des terres amplifie davantage les conflits fonciers dans le premier
arrondissement de
116 Entretien avec monsieur NOURADINE au quartier Zaraf, octobre
2021
117 Entretien avec monsieur NEMBE au quartier Madjorio
118 Entre avec le délégué provincial de la
ville de N'Djaména septembre 2021
119 Entretien avec NEMBE en octobre 2021
74
N'Djaména. A ce problème s'ajoutent autres
causes étatiques. Il s'agit de l'occupation anarchique des terres par
les individus.120
De plus, selon monsieur ACHERIF MAHAMAT BACHAR,
délégué provincial auprès de la commune de
N'Djaména, « la part de l'Etat dans l'implémentation des
litiges fonciers s'observe par l'occupation anarchique des terres dans le
premier arrondissement de la ville de N'Djaména faute d'une politique
d'urbanisation au préalable ». L'analyse sociologique de ce
propos révèle une sorte de discrimination sociale dans les
gestions des terres et aussi, une crise sociale marquée par la
montée en puissance d'une élite politique méconnaissable.
Ainsi, Monsieur ACHERIF MAHAMAT BACHAR estime que,
normalement le gouvernement tchadien doit au
préalable définir clairement le plan d'occupation du sol et
après que, mettre sur pied une mesure d'accompagnement visible afin
d'éviter toute confusion en rapport aux ventes, aux occupations des
espaces à N'Djaména et plus précisément dans le
premier arrondissement de N'Djaména. L'Etat au lieu d'assurer le
lotissement des terres au préalable, ne le fait pas toujours dans tous
les cas, sauf dans certaines zones. Cette manière étatique
crée des énormes désordres dans le milieu urbain en
général, et dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména en particulier. 121
Aussi, le député TCHARI MADI MAÏNA oriente
ses préoccupations sur la question de la double attribution qui est
à l'origine de ces épineuses crises foncières. Selon le
député, « l'Etat laisse les acteurs mal
intentionnés malmenés les autres alors qu'il se dit garant de
toutes les terres. Aussi, l'honorable TCHARI s'est penché sur la
double attribution des terres. Selon TCHARI, « la double attribution
des terres serait la cause imminente des différends fonciers au Tchad.
Cette pratique est l'une des causes des différends fonciers dans le
neuvième et le premier arrondissement de la ville de N'Djaména
». Aussi, il ajoute que,
L'occupation anarchique des terrains avant leur
lotissement par les agents de l'Etat, alors que l'Etat a un arsenal juridique
permettant le strict respect de ces textes ». Les terrains devraient
être lotis bien avant leurs occupations par les individus. Il a aussi
soulevé le fait que la décision d'immatriculation des terres et
de production des documents dominicaux n'est pas très fluide.122
C'est ce qui expliquera selon lui, la prépondérance des
litiges fonciers au Tchad.123
120 Entretien avec monsieur HOUWE à Karkandjeri, octobre
2021
121 Entretien avec le Délégué provincial
auprès de la commune de N'Djaména, monsieur ACHERIF MAHAMAT
BACHAR
122 « Presse écrite Hebdomadaire `'INFO»
» Ibidem
123 Député TCHARI in Presse écrite
Hebdomadaire `'INFO» » ibidem
75
De même, selon les résultats obtenus, 85% des
problèmes traités au tribunal sont liés à la terre
et pour cause, le déguerpissement des acteurs par l'Etat d'une part, et
la falsification des documents administratifs par les agents de l'Etat d'autre
part. De même, les Boulamat vendent une seule portion de terre à
plusieurs acteurs dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména. Cette situation est très délicate et
préoccupante selon Mme ACHTA AHMAT BREME. C'est ainsi qu'elle note que
:
les doubles attributions des terres deviennent de plus en
plus récurrentes dans nos arrondissements. Du jour au lendemain on voit
les personnes se plaindre de cette pratique. A mon avis, la justice doit
s'impliquer à fond dans ce dossier afin de minimiser les
dégâts causés. De même, il faut fusionner les forces
pour espérer gagner ce pari. Cette situation rend tout lotissement
problématique et les attributaires ont difficilement accès
à leurs parcelles parce que d'autres personnes détiennent chacune
une attestation de vente sur les mêmes parcelles.124
Par ailleurs, la patronne du MATUH estime que, « le
fait que le ministre de la justice n'a pas pris part au congrès tenu ce
jour du 13 au 16 septembre 2018 montre à quel point il semble
sous-estimer l'épineuse préoccupation, le « foncier ».
125De même, elle ajoute que la justice est intimement
liée avec le MATUH, à cet effet, elle (la justice) doit
s'impliquer totalement dans le processus de résolution des litiges
fonciers. Ainsi, « elle suggère au ministre en charge de la
justice à se joindre à eux afin d'atteindre les objectifs
escomptés ».126
Aussi, le rôle de l'Etat dans les causes des conflits
fonciers se justifie par le fait que, le gouvernement tchadien n'a pas lotis au
préalable les terres dans le premier arrondissement de N'Djaména.
Selon monsieur TOK-ALLAH, « les individus construisent des maisons de
façons anarchiques, ils n'ont pas les routes secondaires, ni
principales, et aussi, les terres réservées pour les grands
projets de l'Etat ne sont pas identifiables clairement
».127 L'Etat a laissé la gestion des terres aux
Boulamat qui vendent les terres à leur guise. Aussi, il estime que,
« les Boulamat ne connaissent pas forcément les terres
réservées (celles du domaine public) et privée
(appartenant aux individus ou industries) ».
124 Mme ACHTA AHMAT BREME, Ministre de l'Aménagement du
Territoire, du Développement de l'Habitat et de l'Urbanisme in «
Presse écrite Hebdomadaire INFO », p.3
125 Mme ACHTA AHMAT BREME in « Presse écrite
Hebdomadaire INFO», ibidem
126 Mme ACHTA AHMAT BREME in « Presse écrite
Hebdomadaire INFO », idem
127 Entretien avec monsieur TOK-ALLAH au quartier Zaraf, octobre
2021
128 CROUSSE B et al. (1986). Espaces disputés en
Afrique noire : pratiques foncières locales, Karthala, Paris,
p.141-142
76
D'autres informateurs mentionnent aussi que, le «
laissez-faire » étatique impacte négativement les
activités des individus dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména. C'est dans cette lancée que CROUSSE, LE BRIS et LE ROY
mentionnent que, « la plupart des conflits concernent le tracé
des rues, et aussi la désignation des maisons à détruire,
les conflits de désignation de l'occupant auquel on attribue le terrain.
»128 L'analyse sociologique qui ressort de ce
résultat est que, les habitants du premier arrondissement de la ville de
N'Djaména sont marginalisé dans la gestion des terres. Cette
situation se réfère en quelque sorte à une «
discrimination des opprimés » au profit des «
dominants ». L'Etat semble prendre le côté de ses agents
en dépit des multiples crises causées par les Boulamat.
La photo ci-dessous illustre mieux le cas des maisons
détruites par l'Etat sans une assistance morale et une insertion. (Voir
la photo suivante).
Planche 5: Maisons détruites à
Djougoulié
![](Les-boulamat-et-les-conflits-fonciers-en-milieu-urbain-tchadien-cas-du-premier-arrondissement-de-la9.png)
Source : enquête de terrain, octobre
2021
Les images ci-dessus illustrent les rôles joués
par les Boulamat dans les transactions floues de terre. Ici, il est question
des images des maisons déguerpies suite au changement des plans des
routes ou des servitudes destinées à utilités publiques.
Ainsi, les individus perdent de jour au jour leurs petites portions des terres
au profit des Boulamat.
De plus, les individus chassés de leurs terres par les
opérations semblables à une « chasse aux sorciers »
se verront désormais sans abris. Le gouvernement tchadien en tant
que garant et responsable de toutes les terres au Tchad ne les accompagne
pratiquement pas. Ce gouvernement depuis plusieurs décennies a
cédé son pouvoir de garant de terre « officiellement »
aux Boulamat. C'est ce qui a donné le plein droit aux Boulamat de vendre
les terres non sécurisées, les ruelles et/ou les terres issues du
domaine national aux
77
« innocents vulnérables ». Ledit gouvernement
après avoir été absent vient juste procéder aux
séances de restructuration des rues et des espaces, sans bien
organisé les zones d'occupations.
Par ailleurs, même de nos jours, plusieurs quartiers de
la périphérie ne sont pas sécurisés, à
l'instar de : Gilmey, Madaga, Adré, Abcoma, Zaraf, Bouta wali (Kebir et
Saker, Madjorio (les zones occupées par les arabes), Djougoulié
(les zones occupées par les arabes)
|