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Les boulamat et les conflits fonciers en milieu urbain tchadien: cas du premier arrondissement de la ville de N'Djaména


par Lawane LOGAM
Université de Yaoundé 1 - Master en sociologie 2022
  

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2. Les Boulamat

Les chefs de quartiers sont les acteurs assurant la vente des terres dans toutes les attendues du territoire tchadien. Ils sont pour la plupart, les descendants des premiers occupants des terres et assurent souvent la vente des terres aux autres individus. En matière de la gestion des terres, ce sont eux qui assurent la répartition des terres. Ils représentent deux instances à la fois dans la gestion foncière : une instance politique en tant que auxiliaires de l'Etat auprès de la communauté locale et aussi traditionnelle dans la mesure où ils représentent les ancêtres dans la gestion des terres.73

71 LE BRIS, E. et al, Ibidem

72 LE BRIS E. et al, Idem, p.27

73 Enquête de terrain auprès des habitants du premier arrondissement, 2021

35

Aussi, il convient de noter que les chefs gérants des terres (Boulamat) au nom du pouvoir ancestral qui leur est conféré, prennent des décisions sans regret en vendant une seule parcelle à plusieurs personnes. Le pire est que, ces chefs gérants ne maîtrisent pas les textes de base fonciers sur lesquels ils devraient s'appuyer. Ils ne connaissent que la coutume qui leur donne un plein droit selon eux, à la gestion totale des terres urbains et rurales.

En effet, les chefs des quartiers sont les auxiliaires de l'Etat dans la mesure où ils assurent quelques fois la médiation entre les individus dans la résolution des litiges fonciers et aussi, sont souvent impliqués dans les campagnes électorales. Les locaux des chefs de quartiers jouent souvent le rôle des bureaux de vote pendant les élections municipales, législatives et présidentielles.

Cependant, au Tchad, ces chefs jouent un jeu complexe dans la gestion foncière. Ils vendent une parcelle de terre à plusieurs individus et morcellent les terrains des individus pour leurs visées égoïstes. Cette attitude met les acteurs dans une impasse pendant et après l'achat. Aussi, les principales activités qu'ils exercent sur les terres sont diverses : la culture de « Béré-béré »74, les locations des terres pour les fabrications des briques, la pratique de la riziculture, etc.

II. LES ACTEURS NON INSTITUTIONNELS

Les acteurs non institutionnels renvoient ici à ceux qui ne sont pas liés formellement à l'Etat en tant qu'autorité suprême de gestion des terres au Tchad. Dans le cadre de la présente réflexion, quelques acteurs majeurs sont pris en compte dans l'optique de mieux appréhender le foncier dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména.

1. Les propriétaires provisoires

Les propriétaires provisoires sont ceux-là qui bénéficient d'un titre foncier provisoire ou précaire. On distingue généralement deux types à savoir :

2. Les propriétaires qui poursuivent des stratégies définitives

Ces propriétaires cherchent la sécurité foncière pour avoir une stabilité de logement, pour eux-mêmes ou pour les membres de la famille. Dans ce sens, ils acquièrent des espaces des terres ayant plus ou moins une garantie (remplissant les conditions juridiques) pour assurer la sérénité de celle-ci. Dans cette catégorie se trouvent les locataires résidant dans le

74 Culture du sorgho de décru. Cette culture se pratique sur les espaces d'eaux tarissables.

75 LE BRIS Emile et al. (1991). L'appropriation de la terre en Afrique noire : manuel d'analyse et des gestions foncières, Paris, Karthala, p.209

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premier arrondissement de N'Djaména dans le cadre des travaux provisoires (main d'oeuvres dans les grands chantiers ; main d'oeuvres dans certaines structures privées et publiques et qui bénéficient d'un contrat de travail provisoire).

3. Les propriétaires qui poursuivent des stratégies spéculatives

Ces propriétaires quant à eux, sont ceux-là, qui militent dans le but d'obtenir une rente foncière ou des revenus locatifs. Parmi les locataires, il convient de distinguer les deux types suivants :

4. Les locataires

Ils sont les individus qui louent les maisons ou les terres des individus pour une durée déterminée. Cette catégorie des personnes renvoie généralement aux certains migrants récents qui servent de la main d'oeuvre, des célibataires qui aspirent devenir eux-mêmes dans le plus long terme des propriétaires occupants. Ils opèrent sur le marché foncier et développent les stratégies foncières appropriées ;

5. Les locataires travailleurs

Ces locataires proviennent d'autres localités et sont dans le premier arrondissement pour travailler dans les industries comme la main d'oeuvre. Ils sont pour la plupart des travailleurs saisonniers, certaines femmes, hommes, les couches populaires les plus démunies qui pour une raison ou une autre ne peuvent ou ne veulent pas devenir propriétaires d'un terrain pour y construire. 75C'est ainsi que dans le premier arrondissement de N'Djaména, certaines catégories d'acteurs estiment que leur place est essentiellement au village, car c'est là qu'il y a leurs aïeux. Ils préfèrent rester en location ici en ville pour chercher juste un emploi temporaire. Généralement, le plus courants sont les jeunes provenant du grand Ouaddaï, de la Tandjilé, du Moyen Chari, du Logone Occidental, du Mayo Kebbi Est et Ouest. Un exemple de cette catégorie d'acteurs est le cas des jeunes MOUBI provenant de Mangalmé et des jeunes (MAGERE, GOULAÏ, GABRI, NANDJERE) qui s'estiment plus heureux dans leurs villages.

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6. Les « intouchables »

Cette catégorie d'acteur renvoie concrètement aux acteurs qui acquièrent les terres de manières officieuses et floues. Ils participent activement à la gestion des terres dans le premier arrondissement de N'Djaména.

Aussi, ils recourent à des pratiques illégales pour s'installer, tenterons de se prémunir contre les effets des interventions étatiques en développant selon leurs moyens, et en fonction des contraintes rencontrées, des stratégies de « débrouillardises ». S'ils n'arrivent pas à régulariser leur situation ou à sécuriser, tant peu soit leur maintien sur la parcelle (par exemple en entrant dans un système de clientélisme ou en adoptant leur construction aux normes officielles.

De plus, Ils essayent parfois d'anticiper sur la régulation immense ou attendue d'une autre zone urbaine en y acquérant un nouveau terrain (et cela se fait de nouveau en dehors des règles officielles). Les résultats de ces stratégies sont pourtant aléatoires et une grande partie de cette catégorie risque d'être des « exclus éternels » de la ville légale.76 C'est ainsi que dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména, ces acteurs développent des stratégies complexes autour des terres urbains et périurbains, notamment dans les quartiers Madaga, Zaraf, Ardeptiman, Karkandjeri, Guinebor, Amsinéné.

Tableau 1 : répartition des enquêtés selon les activités économiques pratiquées

Activités économiques pratiquées

Effectif

Total?

Agriculture

50

100

Elevage

28

Pêche

2

Commerce général

5

Fabrication des briques (cuites)

5

Autres

10

Source : enquête de terrain, octobre 2021

76 LE BRIS E., et al. Idem, p.210

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Graphique 1 : répartition des enquêtés selon les activités économiques pratiquées

Autres(activités mixtes)

 
 
 

10

 

Commerce général

 
 

5

 
 

Fabrication des briques...

 
 

5

 
 

Pêche

 

2

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Elévage

 
 
 
 

28

 
 
 
 
 
 

Agriculture 50

Activités économiques...

0 10 20 30 40 50 60

Source : enquête de terrain, octobre 2021

En se référant à ce résultat, les informations recueillies attestent que l'activité principale des habitants du premier arrondissement demeure l'agriculture. Ici, il est important de relever que, selon certains informateurs, ils ne parviennent pas à exercer aisément cette activité suite aux tracasseries des Boulamat d'une part, et des troupeaux des éleveurs qui dévastent chaque jour et chaque heure les champs d'autre part. Nous nous sommes rapprochés davantage vers les agriculteurs du quartier Madaga, de Mélizi, de Djougoulié, Miskiné, etc. Après une analyse de données recueillies, les informateurs disent qu'ils louent les terres auprès des Boulamat et aussi, auprès des propriétaires particuliers. Les conflits naissent selon les agriculteurs de la destruction de leurs plantations par les troupeaux de moutons, chèvres et boeufs. C'est ainsi que l'agriculture occupe 50? par rapport aux autres secteurs d'activités. Néanmoins, cette agriculture est archaïque, mal organisée.

7. Les agriculteurs

Les agriculteurs qui exercent dans le premier arrondissement de N'Djaména sont de plusieurs catégories. D'abord, une catégorie de ceux-là qui ont pour principales activités l'agriculture. Ce type d'agriculteur a besoin assez d'espaces pour réaliser des grands champs afin de répondre aux exigences familiales. Ils sont constitués de plusieurs sous-groupes ethniques à savoir : les arabes autochtones ; les arabes migrants provenant du Cameroun ; les Bornou autochtones ; les Bornou migrant prévenants de l'Etat Bornou du Nigéria, les Ngambay pêcheurs convertis en agriculteurs, les Toupouri, les Moundang, les Moussey, les Kotoko, etc. Généralement, ces acteurs pratiquent une agriculture mixte qui fait intervenir plusieurs variétés de cultures. La culture du riz dans les sols argileux, la culture des Béré-béré

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dans les terres noires argileux, la culture de la salade au bord des fleuves et des cours d'eaux temporaires, (voir la planche ci-dessous)

Planche 1 : case de jardinage à Milezi

Source : enquête de terrain, octobre 2021

Les jardiniers qui exercent dans le secteur agricole rencontrent plusieurs difficultés dans la gestion de l'exercice de leur métier. La demande très grande des habitants de la ville de N'Djaména en produits vivriers augmente les spéculations autour des terres qualifiées de « terres très stratégiques » pour les jardinages des produits agricoles. Ainsi, les Boulamat et/ou les propriétaires des terres rendent la vie difficile aux occupants passagers qui exploitent d'une manière provisoire les terres. Les « ennemis de la culture » (le troupeau des boeufs, chèvres, moutons, etc.) détruisent les champs des jardiniers. C'est ce qui explique souvent les conflits éleveurs-jardiniers d'une part, et les jardiniers-jardiniers pour les espaces stratégiques d'autre part.

Planche 1:Case de riziculture à Miskiné

Source : enquête de terrain, septembre 2021

40

Aussi, en dehors de la culture du riz pratiquée dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména, ils existent autres activités qui relèvent du domaine agricole, notamment la culture du Béré-béré sur les sols noirs. A cet effet, les conflits pour la plupart entre les acteurs sont liés d'une part à l'occupation des espaces stratégiques favorables pour ladite culture et d'autres parts, les destructions des champs des riz, gombo, de Béré-Béré par les troupeaux. Ces conflits représentent selon les acteurs interviewés près de 70% des conflits enregistrés annuellement au Tchad. Les éleveurs et les agriculteurs collaborent très rarement dans la mesure où, les éleveurs bénéficient d'un « appui invisible », mais « lourde » de la part des autorités compétentes. Selon un habitant du quartier Zaraf, les troupeaux appartiennent aux généraux, ministres, etc. Aucun agriculteur ne pourra se livrer dans une bataille toute en sachant qu'il perdra d'avance. Sinon, il faut être dans un parti politique influent, à l'instar du parti de la majorité présidentielle (MPS) pour avoir une couverture sociale aisée. (Voir la photo ci-dessus).

Photo 1: Champ de Béré-Béré à Madaga

Source : enquête de terrain, octobre 2021

Les propriétaires des champs de Béré-béré déplorent par ailleurs le fait qu'ils sont condamnés dans leurs champs de peur de les voir dévastés par le troupeau des boeufs ou moutons. Un informateur affirme qu'il rencontre plusieurs problèmes dans la pratique de cette activité rentable. Malheureusement, ils passent les nuits dans les champs avec tous les risques qu'ils encourent, lesquels sont liés à la chaleur en journée. La température varie souvent entre (35 à 40°C) en journée et pendant la nuit (10 à 20°C).

Ainsi, la peur de voir leurs champs dévastés, les propriétaires de Béré-Béré ne peuvent plus exercer autres activités économiques parallèles. Ils ne peuvent plus à cet effet, pendant la période de la culture de ce mil, joindre les deux bouts. Or, sur d'autres cieux, les propriétaires

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de Béré Béré exercent autres activités économiques dans le secteur informel (Clando, taxis, co mmerces divers, maçonneries, plomberie, etc.) L'Etat doit intervenir promptement afin de mieux cerner ces crises qui contribuent davantage à la dégradation du tissu social au Tchad. De même, le mieux serait de contrôler les élevages dans les villes et les orienter selon certaines trajectoires bien définies.

8. Les éleveurs

Les éleveurs sont ces acteurs propriétaires des terres pour la plupart. Ils sont les descendants des premiers occupants des terres dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména. On trouve dans cette catégorie, les arabes autochtones résidant dans les zones périphériques et même dans les « zones rurales » devenues « zones urbaines » par le processus d'urbanisation. Ces acteurs se retirent du centre urbain pour la sécurité de leurs troupeaux. On les trouve dans les quartiers tels que « Djougoulié village », le « Koudou » de Madjorio, Ardeptiman (Hillé Fulata77). Ils sont très présents sur les terres urbaines dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména. C'est ce type de phénomène que Jean Marc ELA qualifie de la « villagisation des villes » africaines. Ceci dans la mesure où, les villes africaines ont pour la plupart un pied en « ville » et un pied au « village ». C'est en quelque sorte les « villes villages ». C'est pourquoi on observe les troupeaux des éleveurs en ville.

L'élevage dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména ne fait pas d'une manière cadrée. La photo 1 à gauche montre quel point il y a une imbrication du rural dans « l'urbain » et/ou 80% des activités pratiquées dans les milieux urbains tchadiens proviennent du secteur primaire. L'industrie ne joue pas un très grand rôle dans le développement socioéconomique dans le premier arrondissement. La plupart des industries présente produit les boissons alcoolisées (les Brasseries du Tchad ; les Sociétés de FOKOU Fobert, etc.) ne produisent en grande partie que les boissons alcoolisées.

Or, plus de 80% des habitants du premier arrondissement sont impliqués dans le secteur primaire. Le problème survient lorsque les animaux qui huèrent dans la nature détruisent les cultures ou les produits d'autres personnes. Les conflits éleveurs-agriculteurs en Afrique subsaharienne en général et au Tchad en particulier expliquent davantage ce « danger » que constitue l'élevage non cadré en « ville ».

77 Mot signifiant en arabe tchadien le quartier des peuls

42

Planche 2: Troupeau de moutons et de boeufs à Djougoulié

Source : enquête de terrain, septembre 2021

De ces images, apparait clairement la notion d'ELA de « gros village » ou des « villes villages » dans la mesure où on observe dans les quartiers du premier arrondissement de N'Djaména les activités relevant du secteur primaire. Ainsi, les individus pratiquent à environ 80% les activités du secteur primaire. Le manque d'un emploi stable a donc contraint certains acteurs à s'investir dans d'autres secteurs pour chercher à « joindre les deux bouts ». Le président tchadien dans son discours à la nation le 31 décembre a demandé à la jeunesse tchadienne de s'investir dans l'agriculture. Il estime que les « portes de la fonction publique ne pourront contenir tous les acteurs ». Les agriculteurs que nous avons rencontrés peuvent être qualifiés de « mixtes », dans la mesure où, ces derniers ont suivi quelques fois autres cursus, professionnel ou académique. Le travail qui s'octroie désormais sur la base des « relations familiales », « claniques » et/ou politiques a donc causé un écart entre les acteurs dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména. Les acteurs interviewés durant notre recherche affirment n'avoir jamais suivi les formations en agronomie pour avoir la qualification des « pleins agriculteurs », mais disent qu'ils s'inscrivent dans une mouvance de Lavoisier où « rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme ».78

78 Source : enquête personnelle, Octobre 2021

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Graphique 1: Répartition des différents secteurs d'activités

50 50

40

30

20

10 2 5 5 10

0

28

Source: enquête de terrain, octobre 2021

Les résultats de ce graphique montrent que l'élevage occupe la deuxième place dans l'économie des habitants du premier arrondissement de la ville de N'Djaména, soit une valeur proportionnelle de 28?. Néanmoins, cette activité se fait d'une manière anarchique; elle n'est pas cadrée et cause des nombreux problèmes entre les éleveurs et les agriculteurs lorsque les troupeaux déciment les plantations des paysans. De même, il se pose les problèmes en rapport aux espaces d'une part pour les activités agricoles, et d'autre part, pour les pâturages des troupeaux. Les questions de l'ancienneté et des nouveaux venus dans les zones se posent tous les jours entre les différents auteurs.

9. Les fabricants de briques

Confrontés aux difficultés d'ordre économique, social, politique et même environnementale, certains individus se sont convertis très vite dans la culture de la « débrouillardise » relevant du domaine informel. Ces acteurs constituent une partie non négligeable des acteurs intervenant dans la gestion foncière dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména. Généralement, ces derniers n'achètent pas les espaces des terres qu'ils exploitent pour la fabrication des briques en « poto-poto »79.

Aussi, ces individus exposent les briques soient en terres, soient cuites pour les éventuels services et besoins des acteurs urbains. Ils peuvent affecter de très grandes surfaces des terres en creusant des vastes espaces des terres afin de bénéficier des terres exploitables. Ils louent les espaces qu'ils exploitent avec les chefs gérants et/ou certains propriétaires terriens. Les luttes surviennent dans le positionnement stratégique des espaces faciles à creuser et aussi de

79 Terme courant en Afrique subsaharienne qui renvoie aux constructions en terre non durable. Reprit par Balandier dans BALANDIER G. (1985) La sociologie des Brazzaville noire, 2e Edition, Paris, Collection de Sciences Politiques

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trouver des terres exploitables. Les acteurs de cette catégorie proviennent d'autres secteurs d'activités. Ils sont pour la plupart les jeunes diplômés sans-emplois, mariés et, qui sont contraints de chercher une activité rentable pour le « bien-être » de leurs familles.

Au vu de son importance dans l'économie tchadienne, l'Etat gagnerait en accompagnant ces acteurs par une couverture formelle. Car, ils subissent les « casses têtes » au quotidien de la part des Boulamat et/ou des propriétaires terriens. Ces acteurs loin de constituer un « danger social » comme les « virus »80, ils cherchent au contraire une insertion sociale à leur manière. Les photos suivantes montrent les briques produites.

Planche 3: Exposition des briques à la carrière de Madaga

Source : enquête de terrain, novembre 2021

Les véritables casse-têtes opposent ici certains individus non identifiés qui assurent la gestion des terres et des espaces exploitables pour la fabrication des briques destinées à la construction des bâtis modernes ou semi modernes. Cette activité de fabrication des briques est en effet, une sorte de mesure palliative à la cherté des prix des matériaux de construction au Tchad. Le tableau ci-après est celui de prix tarifaires des ciments dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména.

Tableau 1: Prix tarifaires des ciments dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména

NOMS DE PRODUITS

UNITES

PRIX UNITAIRES

1.

SONACIM

01

7500FCFA

2.

CIMENT CAM

01

11.000FCFA

3.

QUIFEROU DANGOTE

01

11.500FCFA

4.

CIMENT SAO

01

7.500FCFA

 

80 Le terme virus est utilisé dans la ville de Douala pour qualifier les agresseurs de premier ordre

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Source : enquête de terrain, septembre 2021

La spéculation des prix des ciments sur le marché dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména explique les fortes demandes en briques cuites par les acteurs issus des couches sociales les plus vulnérables et aussi certaines catégories des fonctionnaires civils ou militaires. La forte demande des briques cuites pour les constructions a augmenté les conflits des terres dans les milieux urbains lesquels se justifient pour des espaces disponibles pour les fabrications des briques. Les individus non identifiés prélèvent les rançons avec les travailleurs d'une manière journalière et quelque fois augmentent les prix de location des espaces. Les prix de location des espaces varient d'une personne à une autre est fonction des liens de parenté avec les propriétaires terriens. Les agents de l'Etats (communes) jouent un rôle non négligeable dans la spéculation au tour des terres disponibles pour les « industries des briques » qui relèvent de la débrouillardise.

Aussi, les manques d'intégration sociale et à la fonction publique des diplômés sans-emplois a aussi entrainé l'afflux des acteurs « oubliés » vers ce secteur des fabrications des briques qui est selon eux, « mieux porteurs ». Nous estimons que si l'Etat définit clairement les modalités d'occupation des terres pour les fabricants des briques, les litiges liés aux espaces pourront diminuer. Or, la latitude laissée aux particuliers de gérer les terres est très dangereuse dans la mesure où elle est non contrôlée par les acteurs. Les prix de briques un peu abordables expliquent aussi une forte demande au vu des prix très élevés des ciments pour un investissement durable. Le tableau ci-dessus illustre le prix de briques cuites selon les différentes qualités.

Tableau 2: Prix tarifaires des briques dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména

NOMS DE PRODUITS

VALEURS UNITAIRES

1.

BRIQUES DE 15 CM

75FCFA/unité

2.

BRIQUES DE 20 CM

100FCFA/unité

 

Source : enquête de terrain, septembre 2021

Comparativement aux prix de parpaing, le prix varie d'une manière considérable. Une brique de 15X10 CM en parpaing coûte 350CFA et 400FCFA les briques de 20X10 CM. Un tel prix ne permet pas à tous les acteurs de s'approprier très facilement des briques pour les constructions durables. Aussi, le fait que les terres ne sont pas loties au préalable sèment de

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confusions chez les acteurs qui ont peur d'investir de peur d'être déguerpis après par les séances de « chasses aux sorciers ».

10. Les ramasseurs des sables

Les ramasseurs des sables sont cette catégorie d'acteurs qui interviennent dans la gestion foncière à travers le ramassage des sables dans les carrières privées et/ou publiques. Ils participent dans la gestion des terres à presque 70% dans les transactions foncières urbaines en générale et du premier arrondissement de la ville de N'Djaména en particulier. Aussi, au regard de la forte demande des « citadins » et des acteurs des périphéries du premier arrondissement pour la construction de l'habitat durable « des maisons en dur »entrent dans le circuit des acteurs stratégiques de la gestion des terres dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména. Ces acteurs entassent souvent, les terres sur des vastes espaces pendant les saisons sèches afin de tirer un surplus à la saison de pluie.

De plus, pendant la saison sèche, une bene des sables coûte 60.000FCFA, mais à la saison de pluie et suite aux montées des eaux du Chari, une bene coûte 120.000FCFA. A travers ces stratégies, plusieurs individus déçues dans d'autres domaines d'activités se convertissent en chauffeurs-conducteurs de gros porteurs des sables dans le premier arrondissement de N'Djaména.

Toutefois, le risque lié à leur mobilité quotidienne est très élevé. Près de 60% de ces chauffeurs-conducteurs ont un permis de conduire, mais n'ont jamais eu une formation sérieuse dans les auto-écoles. Les accidents de circulation liés aux gros porteurs deviennent de plus en plus nombreux.81

11. Les pêcheurs

Les pêcheurs dans le premier arrondissement occupent une place importante dans la gestion des terres urbaines. Ils seraient venus selon plusieurs informateurs, du Logone Oriental, Occidental, du Mandoul, du Moyen Chari, de la Tandjilé, du Mayo Kebbi Est et Ouest, du Mali et du Cameroun. Selon un informateur, « les véritables casses têtes sont liés aux espaces réservés par les autres pour la pêche »82.

Par ailleurs, les produits de la pêche sont vendus sur les marchés locaux (marché de Farcha, de Djougoulié, de Zaraf), et le surplus, vers le marché central de la ville de

81 Entretien avec un habitant du quartier Zaraf en octobre 2021

82 Entretien avec un habitant du quartier Djougoulié en novembre 2021

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N'Djaména. Cette catégorie d'acteurs exerce leurs métiers à travers des méthodes traditionnelles de pêches avec les filets à petites mailles, les hameçons, etc. Ainsi, on y trouve dans cette catégorie d'acteurs les agriculteurs convertis en pêcheurs suite à la sécheresse que traverse le pays. Malheureusement, les pêcheurs professionnels n'existent pratiquement pas dans cette catégorie. Certains acteurs de cette catégorie disent qu'ils pratiquent cette activité (la pêche) juste pour chercher les poissons pour la consommation familiale ; sauf le surplus est vendue.83

Aussi, selon les plus anciens pêcheurs, les agents de l'Etat sont aussi des pêcheurs, mais des « pêcheurs masqués », parce que, les policiers, les gendarmes, les militaires, les agents forestiers utilisent les grenades dans les surfaces douces afin de capturer les poissons. Au vu du contexte sécuritaire inquiétant, et aussi, au vu de la détention des armes par ces agents, l'Etat devrait mettre sur pieds une commission chargée de suivi de ce secteur. Ainsi, monsieur DJIM déplore cette situation en ce terme,

les agents de l'Etats se « sucrent » sous la « couverture docile » de l'Etat. A travers ses différents services de renseignement, notamment ANS, l'Etat doit non seulement veiller à la protection de la sécurité des citoyens tchadiens, mais aussi veiller au contrôle du secteur pêche qui constitue une véritable perte pour le pays. La sécheresse et le réchauffement climatique déciment ce secteur et les agents de l'Etat viennent encore ajouter une marque de perte. Aussi, au regard de la menace climatique et des pratiques non contrôlées par l'Etat, plusieurs races des poissons ont malheureusement disparues des années 1970 aux années 2021.84

Planche 4: Pêcheurs dans la rive droite du Chari

Source : enquête de terrain, Novembre 2021

Les conflits fonciers opposent ici les pêcheurs dits Baou et les pêcheurs qui viennent simplement chercher « la sauce ». Les conflits sont liés aux espaces disponibles pour la pêche,

83 Entretien avec un habitant du quartier Farcha en octobre 2021

84 Enquête personnelle, septembre 2021

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les acteurs issus des autres secteurs d'activités se convertissent peu à peu dans la petite pêche pour chercher la « sauce » et qui, vendent le surplus de poissons. Ces pêcheurs se heurtent au quotidien aux Baou qui ne détiennent pas forcément une carte professionnelle des pêcheurs, mais se reconnaissent simplement du domaine juste par leur ancienneté dans le domaine et/ou, par leur attache à ce métier depuis plusieurs années par le biais de la socialisation à la pêche par leurs parents.

Les enjeux liés ici aux espaces disponibles sont grands dans la mesure où le gouvernement tchadien a interdit toute mobilité sur le fleuve Chari pour des questions sécuritaires et aussi sanitaire. Donc, les zones autorisées pour la pêche sont très restreintes, par conséquent des rides conflits éclatent entre les Baou et les chercheurs des « sauces ». Aussi, une stratégie des agents sécuritaires se développe autour des espaces disponibles pour la pêche. Les agents de sécurité et de contrôle fluvial (gendarmes, policiers, ANS, forestiers, douaniers, etc.) présent au bord du fleuve Chari imposent leur logique aux pêcheurs qui doivent les payer une somme d'argent afin d'exercer sur les rives du Chari. Ces agents de sécurité utilisent les pirogues motorisées pour traquer tous pêcheurs qui refusent d'adhérer à leur logique.

De plus, les Baou tchadiens s'opposent de plus en plus aux Baou LAKA originaires du Cameroun voisin qui développent eux aussi des stratégies très complexes dans le domaine de la sécurisation de l'espace disponible pour la pêche. A cet effet, comment connaitre la limite entre le Logone et le Chari. C'est une préoccupation très ambigüe mais qui, jusque-là semble échapper à toute analyse scientifique. Les différends entre les pêcheurs sur les bords tchadiens et camerounais sont récurrents. Lesdits différends ont aussi pour toile de fond l'exploitation des « Ngara » des Baou par les chercheurs de « sauce » et aussi par les Baou eux-mêmes. Désormais chaque Baou définit sa zone de pêche comme si les fleuves appartenaient officiellement à une catégorie de personnes. Les zones circonscrites par d'autres pour la pêche avec les « Mouchouk » ne doivent pas faire l'objet d'une présence d'autres pêcheurs. Malheureusement, selon monsieur MISSENGAR, « jusque-là le gouvernement tchadien n'a pas défini clairement les mesures pouvant permettre une pêche apaisée et bien claire ».

Aussi, les différends opposant les pêcheurs sont pour la plupart sous-estimés par les autorités compétentes au point de générer autres différends qui se soldent par les pertes en vies humaines. Il semble judicieux de recenser tous les acteurs qui interviennent dans ce secteur afin de mieux cerner le contour de ces différends. Souvent les mauvaises pratiques, notamment les trafics des drogues, des produits illicites se cachent derrière la pêche. L'Etat

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doit identifier tous les pêcheurs en mettant sur pied un fichier biométrique contenant leurs identifications.

De même, l'Etat doit définir clairement les zones de pêche et contrôler ses agents qui bloquent les mobilités des Baou au quotidien par les tracasseries financières qu'ils entretiennent depuis plusieurs décennies, mais « masquées » par les « gourous ».

Les Baou interviewés durant notre recherche se disent « asphyxier » par les agents de l'Etats dans l'exercice de leur métier de pêcheur. La situation sécuritaire dégradé et aussi les exactions terroristes qui frappent en plein fouet la sous-région CEMAC a obligé le gouvernement d'interdire toutes transactions sur le fleuve Chari. Aussi, monsieur DJIMANGAR affirme que, « les pêcheurs tchadiens entrent en conflit au profit des endroits stratégiques pour la pêche et aussi avec les pêcheurs originaires du Cameroun et du mali qui résident sur le sol tchadien pour la pêche ». Les personnes interviewées au carrée 5 du quartier Farcha disent qu'elles sont originaires du Cameroun voisin. Ils sont de la tribu LAKA du Cameroun.

A cet effet, les enjeux autour des espaces disponibles pour la pêche deviennent grands. Les pêcheurs ici sont confrontés aux « casses têtes » des premiers arrivants et des agents de l'Etat qui se positionnent comme les « acteurs de premier ordre » dans la gestion foncière et des fleuves.

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