2. Les Boulamat
Les chefs de quartiers sont les acteurs assurant la vente des
terres dans toutes les attendues du territoire tchadien. Ils sont pour la
plupart, les descendants des premiers occupants des terres et assurent souvent
la vente des terres aux autres individus. En matière de la gestion des
terres, ce sont eux qui assurent la répartition des terres. Ils
représentent deux instances à la fois dans la gestion
foncière : une instance politique en tant que auxiliaires de l'Etat
auprès de la communauté locale et aussi traditionnelle dans la
mesure où ils représentent les ancêtres dans la gestion des
terres.73
71 LE BRIS, E. et al, Ibidem
72 LE BRIS E. et al, Idem, p.27
73 Enquête de terrain auprès des
habitants du premier arrondissement, 2021
35
Aussi, il convient de noter que les chefs gérants des
terres (Boulamat) au nom du pouvoir ancestral qui leur est
conféré, prennent des décisions sans regret en vendant une
seule parcelle à plusieurs personnes. Le pire est que, ces chefs
gérants ne maîtrisent pas les textes de base fonciers sur lesquels
ils devraient s'appuyer. Ils ne connaissent que la coutume qui leur donne un
plein droit selon eux, à la gestion totale des terres urbains et
rurales.
En effet, les chefs des quartiers sont les auxiliaires de
l'Etat dans la mesure où ils assurent quelques fois la médiation
entre les individus dans la résolution des litiges fonciers et aussi,
sont souvent impliqués dans les campagnes électorales. Les locaux
des chefs de quartiers jouent souvent le rôle des bureaux de vote pendant
les élections municipales, législatives et
présidentielles.
Cependant, au Tchad, ces chefs jouent un jeu complexe dans la
gestion foncière. Ils vendent une parcelle de terre à plusieurs
individus et morcellent les terrains des individus pour leurs visées
égoïstes. Cette attitude met les acteurs dans une impasse pendant
et après l'achat. Aussi, les principales activités qu'ils
exercent sur les terres sont diverses : la culture de «
Béré-béré »74, les locations des
terres pour les fabrications des briques, la pratique de la riziculture,
etc.
II. LES ACTEURS NON INSTITUTIONNELS
Les acteurs non institutionnels renvoient ici à ceux
qui ne sont pas liés formellement à l'Etat en tant
qu'autorité suprême de gestion des terres au Tchad. Dans le cadre
de la présente réflexion, quelques acteurs majeurs sont pris en
compte dans l'optique de mieux appréhender le foncier dans le premier
arrondissement de la ville de N'Djaména.
1. Les propriétaires provisoires
Les propriétaires provisoires sont ceux-là qui
bénéficient d'un titre foncier provisoire ou précaire. On
distingue généralement deux types à savoir :
2. Les propriétaires qui poursuivent des
stratégies définitives
Ces propriétaires cherchent la sécurité
foncière pour avoir une stabilité de logement, pour
eux-mêmes ou pour les membres de la famille. Dans ce sens, ils
acquièrent des espaces des terres ayant plus ou moins une garantie
(remplissant les conditions juridiques) pour assurer la
sérénité de celle-ci. Dans cette catégorie se
trouvent les locataires résidant dans le
74 Culture du sorgho de décru. Cette culture se
pratique sur les espaces d'eaux tarissables.
75 LE BRIS Emile et al. (1991). L'appropriation
de la terre en Afrique noire : manuel d'analyse et des gestions
foncières, Paris, Karthala, p.209
36
premier arrondissement de N'Djaména dans le cadre des
travaux provisoires (main d'oeuvres dans les grands chantiers ; main d'oeuvres
dans certaines structures privées et publiques et qui
bénéficient d'un contrat de travail provisoire).
3. Les propriétaires qui poursuivent des
stratégies spéculatives
Ces propriétaires quant à eux, sont
ceux-là, qui militent dans le but d'obtenir une rente foncière ou
des revenus locatifs. Parmi les locataires, il convient de distinguer les deux
types suivants :
4. Les locataires
Ils sont les individus qui louent les maisons ou les terres
des individus pour une durée déterminée. Cette
catégorie des personnes renvoie généralement aux certains
migrants récents qui servent de la main d'oeuvre, des
célibataires qui aspirent devenir eux-mêmes dans le plus long
terme des propriétaires occupants. Ils opèrent sur le
marché foncier et développent les stratégies
foncières appropriées ;
5. Les locataires travailleurs
Ces locataires proviennent d'autres localités et sont
dans le premier arrondissement pour travailler dans les industries comme la
main d'oeuvre. Ils sont pour la plupart des travailleurs saisonniers, certaines
femmes, hommes, les couches populaires les plus démunies qui pour une
raison ou une autre ne peuvent ou ne veulent pas devenir propriétaires
d'un terrain pour y construire. 75C'est ainsi que dans le premier
arrondissement de N'Djaména, certaines catégories d'acteurs
estiment que leur place est essentiellement au village, car c'est là
qu'il y a leurs aïeux. Ils préfèrent rester en location ici
en ville pour chercher juste un emploi temporaire. Généralement,
le plus courants sont les jeunes provenant du grand Ouaddaï, de la
Tandjilé, du Moyen Chari, du Logone Occidental, du Mayo Kebbi Est et
Ouest. Un exemple de cette catégorie d'acteurs est le cas des jeunes
MOUBI provenant de Mangalmé et des jeunes (MAGERE, GOULAÏ, GABRI,
NANDJERE) qui s'estiment plus heureux dans leurs villages.
37
6. Les « intouchables »
Cette catégorie d'acteur renvoie concrètement
aux acteurs qui acquièrent les terres de manières officieuses et
floues. Ils participent activement à la gestion des terres dans le
premier arrondissement de N'Djaména.
Aussi, ils recourent à des pratiques illégales
pour s'installer, tenterons de se prémunir contre les effets des
interventions étatiques en développant selon leurs moyens, et en
fonction des contraintes rencontrées, des stratégies de «
débrouillardises ». S'ils n'arrivent pas à
régulariser leur situation ou à sécuriser, tant peu soit
leur maintien sur la parcelle (par exemple en entrant dans un système de
clientélisme ou en adoptant leur construction aux normes officielles.
De plus, Ils essayent parfois d'anticiper sur la
régulation immense ou attendue d'une autre zone urbaine en y
acquérant un nouveau terrain (et cela se fait de nouveau en dehors des
règles officielles). Les résultats de ces stratégies sont
pourtant aléatoires et une grande partie de cette catégorie
risque d'être des « exclus éternels » de la ville
légale.76 C'est ainsi que dans le premier arrondissement de
la ville de N'Djaména, ces acteurs développent des
stratégies complexes autour des terres urbains et périurbains,
notamment dans les quartiers Madaga, Zaraf, Ardeptiman, Karkandjeri, Guinebor,
Amsinéné.
Tableau 1 : répartition des enquêtés
selon les activités économiques pratiquées
Activités économiques pratiquées
|
Effectif
|
Total?
|
Agriculture
|
50
|
100
|
Elevage
|
28
|
Pêche
|
2
|
Commerce général
|
5
|
Fabrication des briques (cuites)
|
5
|
Autres
|
10
|
Source : enquête de terrain, octobre
2021
76 LE BRIS E., et al. Idem, p.210
38
Graphique 1 : répartition des
enquêtés selon les activités économiques
pratiquées
Autres(activités mixtes)
|
|
|
|
10
|
|
Commerce général
|
|
|
5
|
|
|
Fabrication des briques...
|
|
|
5
|
|
|
Pêche
|
|
2
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Elévage
|
|
|
|
|
28
|
|
|
|
|
|
|
Agriculture 50
Activités économiques...
0 10 20 30 40 50 60
Source : enquête de terrain, octobre
2021
En se référant à ce résultat, les
informations recueillies attestent que l'activité principale des
habitants du premier arrondissement demeure l'agriculture. Ici, il est
important de relever que, selon certains informateurs, ils ne parviennent pas
à exercer aisément cette activité suite aux tracasseries
des Boulamat d'une part, et des troupeaux des éleveurs qui
dévastent chaque jour et chaque heure les champs d'autre part. Nous nous
sommes rapprochés davantage vers les agriculteurs du quartier Madaga, de
Mélizi, de Djougoulié, Miskiné, etc. Après une
analyse de données recueillies, les informateurs disent qu'ils louent
les terres auprès des Boulamat et aussi, auprès des
propriétaires particuliers. Les conflits naissent selon les agriculteurs
de la destruction de leurs plantations par les troupeaux de moutons,
chèvres et boeufs. C'est ainsi que l'agriculture occupe 50? par
rapport aux autres secteurs d'activités. Néanmoins, cette
agriculture est archaïque, mal organisée.
7. Les agriculteurs
Les agriculteurs qui exercent dans le premier arrondissement
de N'Djaména sont de plusieurs catégories. D'abord, une
catégorie de ceux-là qui ont pour principales activités
l'agriculture. Ce type d'agriculteur a besoin assez d'espaces pour
réaliser des grands champs afin de répondre aux exigences
familiales. Ils sont constitués de plusieurs sous-groupes ethniques
à savoir : les arabes autochtones ; les arabes migrants provenant du
Cameroun ; les Bornou autochtones ; les Bornou migrant prévenants de
l'Etat Bornou du Nigéria, les Ngambay pêcheurs convertis en
agriculteurs, les Toupouri, les Moundang, les Moussey, les Kotoko, etc.
Généralement, ces acteurs pratiquent une agriculture mixte qui
fait intervenir plusieurs variétés de cultures. La culture du riz
dans les sols argileux, la culture des Béré-béré
39
dans les terres noires argileux, la culture de la salade au
bord des fleuves et des cours d'eaux temporaires, (voir la planche
ci-dessous)
Planche 1 : case de jardinage à
Milezi
Source : enquête de terrain, octobre
2021
Les jardiniers qui exercent dans le secteur agricole
rencontrent plusieurs difficultés dans la gestion de l'exercice de leur
métier. La demande très grande des habitants de la ville de
N'Djaména en produits vivriers augmente les spéculations autour
des terres qualifiées de « terres très stratégiques
» pour les jardinages des produits agricoles. Ainsi, les Boulamat et/ou
les propriétaires des terres rendent la vie difficile aux occupants
passagers qui exploitent d'une manière provisoire les terres. Les «
ennemis de la culture » (le troupeau des boeufs, chèvres, moutons,
etc.) détruisent les champs des jardiniers. C'est ce qui explique
souvent les conflits éleveurs-jardiniers d'une part, et les
jardiniers-jardiniers pour les espaces stratégiques d'autre part.
Planche 1:Case de riziculture à
Miskiné
Source : enquête de terrain, septembre
2021
40
Aussi, en dehors de la culture du riz pratiquée dans le
premier arrondissement de la ville de N'Djaména, ils existent autres
activités qui relèvent du domaine agricole, notamment la culture
du Béré-béré sur les sols noirs. A cet effet, les
conflits pour la plupart entre les acteurs sont liés d'une part à
l'occupation des espaces stratégiques favorables pour ladite culture et
d'autres parts, les destructions des champs des riz, gombo, de
Béré-Béré par les troupeaux. Ces conflits
représentent selon les acteurs interviewés près de 70% des
conflits enregistrés annuellement au Tchad. Les éleveurs et les
agriculteurs collaborent très rarement dans la mesure où, les
éleveurs bénéficient d'un « appui invisible
», mais « lourde » de la part des autorités
compétentes. Selon un habitant du quartier Zaraf, les troupeaux
appartiennent aux généraux, ministres, etc. Aucun agriculteur ne
pourra se livrer dans une bataille toute en sachant qu'il perdra d'avance.
Sinon, il faut être dans un parti politique influent, à l'instar
du parti de la majorité présidentielle (MPS) pour avoir une
couverture sociale aisée. (Voir la photo ci-dessus).
Photo 1: Champ de Béré-Béré
à Madaga
Source : enquête de terrain, octobre
2021
Les propriétaires des champs de
Béré-béré déplorent par ailleurs le fait
qu'ils sont condamnés dans leurs champs de peur de les voir
dévastés par le troupeau des boeufs ou moutons. Un informateur
affirme qu'il rencontre plusieurs problèmes dans la pratique de cette
activité rentable. Malheureusement, ils passent les nuits dans les
champs avec tous les risques qu'ils encourent, lesquels sont liés
à la chaleur en journée. La température varie souvent
entre (35 à 40°C) en journée et pendant la nuit (10 à
20°C).
Ainsi, la peur de voir leurs champs dévastés,
les propriétaires de Béré-Béré ne peuvent
plus exercer autres activités économiques parallèles. Ils
ne peuvent plus à cet effet, pendant la période de la culture de
ce mil, joindre les deux bouts. Or, sur d'autres cieux, les
propriétaires
41
de Béré Béré exercent autres
activités économiques dans le secteur informel (Clando, taxis, co
mmerces divers, maçonneries, plomberie, etc.) L'Etat doit intervenir
promptement afin de mieux cerner ces crises qui contribuent davantage à
la dégradation du tissu social au Tchad. De même, le mieux serait
de contrôler les élevages dans les villes et les orienter selon
certaines trajectoires bien définies.
8. Les éleveurs
Les éleveurs sont ces acteurs propriétaires des
terres pour la plupart. Ils sont les descendants des premiers occupants des
terres dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména. On
trouve dans cette catégorie, les arabes autochtones résidant dans
les zones périphériques et même dans les « zones
rurales » devenues « zones urbaines » par le
processus d'urbanisation. Ces acteurs se retirent du centre urbain pour la
sécurité de leurs troupeaux. On les trouve dans les quartiers
tels que « Djougoulié village », le « Koudou » de
Madjorio, Ardeptiman (Hillé Fulata77). Ils sont très
présents sur les terres urbaines dans le premier arrondissement de la
ville de N'Djaména. C'est ce type de phénomène que Jean
Marc ELA qualifie de la « villagisation des villes » africaines. Ceci
dans la mesure où, les villes africaines ont pour la plupart un pied en
« ville » et un pied au « village ».
C'est en quelque sorte les « villes villages ». C'est pourquoi on
observe les troupeaux des éleveurs en ville.
L'élevage dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména ne fait pas d'une manière cadrée. La photo 1
à gauche montre quel point il y a une imbrication du rural dans «
l'urbain » et/ou 80% des activités pratiquées dans les
milieux urbains tchadiens proviennent du secteur primaire. L'industrie ne joue
pas un très grand rôle dans le développement
socioéconomique dans le premier arrondissement. La plupart des
industries présente produit les boissons alcoolisées (les
Brasseries du Tchad ; les Sociétés de FOKOU Fobert, etc.) ne
produisent en grande partie que les boissons alcoolisées.
Or, plus de 80% des habitants du premier arrondissement sont
impliqués dans le secteur primaire. Le problème survient lorsque
les animaux qui huèrent dans la nature détruisent les cultures ou
les produits d'autres personnes. Les conflits éleveurs-agriculteurs en
Afrique subsaharienne en général et au Tchad en particulier
expliquent davantage ce « danger » que constitue
l'élevage non cadré en « ville ».
77 Mot signifiant en arabe tchadien le quartier des
peuls
42
Planche 2: Troupeau de moutons et de boeufs à
Djougoulié
Source : enquête de terrain, septembre
2021
De ces images, apparait clairement la notion d'ELA de «
gros village » ou des « villes villages » dans la mesure
où on observe dans les quartiers du premier arrondissement de
N'Djaména les activités relevant du secteur primaire. Ainsi, les
individus pratiquent à environ 80% les activités du secteur
primaire. Le manque d'un emploi stable a donc contraint certains acteurs
à s'investir dans d'autres secteurs pour chercher à «
joindre les deux bouts ». Le président tchadien dans son discours
à la nation le 31 décembre a demandé à la jeunesse
tchadienne de s'investir dans l'agriculture. Il estime que les «
portes de la fonction publique ne pourront contenir tous les acteurs ».
Les agriculteurs que nous avons rencontrés peuvent être
qualifiés de « mixtes », dans la mesure où, ces
derniers ont suivi quelques fois autres cursus, professionnel ou
académique. Le travail qui s'octroie désormais sur la base des
« relations familiales », « claniques » et/ou politiques a
donc causé un écart entre les acteurs dans le premier
arrondissement de la ville de N'Djaména. Les acteurs interviewés
durant notre recherche affirment n'avoir jamais suivi les formations en
agronomie pour avoir la qualification des « pleins agriculteurs »,
mais disent qu'ils s'inscrivent dans une mouvance de Lavoisier où «
rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme
».78
78 Source : enquête personnelle, Octobre 2021
43
Graphique 1: Répartition des différents
secteurs d'activités
50 50
40
30
20
10 2 5 5 10
0
28
Source: enquête de terrain, octobre
2021
Les résultats de ce graphique montrent que
l'élevage occupe la deuxième place dans l'économie des
habitants du premier arrondissement de la ville de N'Djaména, soit une
valeur proportionnelle de 28?. Néanmoins, cette activité se fait
d'une manière anarchique; elle n'est pas cadrée et cause des
nombreux problèmes entre les éleveurs et les agriculteurs lorsque
les troupeaux déciment les plantations des paysans. De même, il se
pose les problèmes en rapport aux espaces d'une part pour les
activités agricoles, et d'autre part, pour les pâturages des
troupeaux. Les questions de l'ancienneté et des nouveaux venus dans les
zones se posent tous les jours entre les différents auteurs.
9. Les fabricants de briques
Confrontés aux difficultés d'ordre
économique, social, politique et même environnementale, certains
individus se sont convertis très vite dans la culture de la «
débrouillardise » relevant du domaine informel. Ces acteurs
constituent une partie non négligeable des acteurs intervenant dans la
gestion foncière dans le premier arrondissement de la ville de
N'Djaména. Généralement, ces derniers n'achètent
pas les espaces des terres qu'ils exploitent pour la fabrication des briques en
« poto-poto »79.
Aussi, ces individus exposent les briques soient en terres,
soient cuites pour les éventuels services et besoins des acteurs
urbains. Ils peuvent affecter de très grandes surfaces des terres en
creusant des vastes espaces des terres afin de bénéficier des
terres exploitables. Ils louent les espaces qu'ils exploitent avec les chefs
gérants et/ou certains propriétaires terriens. Les luttes
surviennent dans le positionnement stratégique des espaces faciles
à creuser et aussi de
79 Terme courant en Afrique subsaharienne qui
renvoie aux constructions en terre non durable. Reprit par Balandier dans
BALANDIER G. (1985) La sociologie des Brazzaville noire, 2e
Edition, Paris, Collection de Sciences Politiques
44
trouver des terres exploitables. Les acteurs de cette
catégorie proviennent d'autres secteurs d'activités. Ils sont
pour la plupart les jeunes diplômés sans-emplois, mariés
et, qui sont contraints de chercher une activité rentable pour le «
bien-être » de leurs familles.
Au vu de son importance dans l'économie tchadienne,
l'Etat gagnerait en accompagnant ces acteurs par une couverture formelle. Car,
ils subissent les « casses têtes » au quotidien de la part des
Boulamat et/ou des propriétaires terriens. Ces acteurs loin de
constituer un « danger social » comme les « virus
»80, ils cherchent au contraire une insertion sociale à
leur manière. Les photos suivantes montrent les briques produites.
Planche 3: Exposition des briques à la
carrière de Madaga
Source : enquête de terrain, novembre
2021
Les véritables casse-têtes opposent ici certains
individus non identifiés qui assurent la gestion des terres et des
espaces exploitables pour la fabrication des briques destinées à
la construction des bâtis modernes ou semi modernes. Cette
activité de fabrication des briques est en effet, une sorte de mesure
palliative à la cherté des prix des matériaux de
construction au Tchad. Le tableau ci-après est celui de prix tarifaires
des ciments dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména.
Tableau 1: Prix tarifaires des ciments dans le premier
arrondissement de la ville de N'Djaména
N°
|
NOMS DE PRODUITS
|
UNITES
|
PRIX UNITAIRES
|
1.
|
SONACIM
|
01
|
7500FCFA
|
2.
|
CIMENT CAM
|
01
|
11.000FCFA
|
3.
|
QUIFEROU DANGOTE
|
01
|
11.500FCFA
|
4.
|
CIMENT SAO
|
01
|
7.500FCFA
|
|
80 Le terme virus est utilisé dans la ville de
Douala pour qualifier les agresseurs de premier ordre
45
Source : enquête de terrain, septembre
2021
La spéculation des prix des ciments sur le
marché dans le premier arrondissement de la ville de N'Djaména
explique les fortes demandes en briques cuites par les acteurs issus des
couches sociales les plus vulnérables et aussi certaines
catégories des fonctionnaires civils ou militaires. La forte demande des
briques cuites pour les constructions a augmenté les conflits des terres
dans les milieux urbains lesquels se justifient pour des espaces disponibles
pour les fabrications des briques. Les individus non identifiés
prélèvent les rançons avec les travailleurs d'une
manière journalière et quelque fois augmentent les prix de
location des espaces. Les prix de location des espaces varient d'une personne
à une autre est fonction des liens de parenté avec les
propriétaires terriens. Les agents de l'Etats (communes) jouent un
rôle non négligeable dans la spéculation au tour des terres
disponibles pour les « industries des briques » qui relèvent
de la débrouillardise.
Aussi, les manques d'intégration sociale et à la
fonction publique des diplômés sans-emplois a aussi
entrainé l'afflux des acteurs « oubliés » vers ce
secteur des fabrications des briques qui est selon eux, « mieux porteurs
». Nous estimons que si l'Etat définit clairement les
modalités d'occupation des terres pour les fabricants des briques, les
litiges liés aux espaces pourront diminuer. Or, la latitude
laissée aux particuliers de gérer les terres est très
dangereuse dans la mesure où elle est non contrôlée par les
acteurs. Les prix de briques un peu abordables expliquent aussi une forte
demande au vu des prix très élevés des ciments pour un
investissement durable. Le tableau ci-dessus illustre le prix de briques cuites
selon les différentes qualités.
Tableau 2: Prix tarifaires des briques dans le premier
arrondissement de la ville de N'Djaména
N°
|
NOMS DE PRODUITS
|
VALEURS UNITAIRES
|
1.
|
BRIQUES DE 15 CM
|
75FCFA/unité
|
2.
|
BRIQUES DE 20 CM
|
100FCFA/unité
|
|
Source : enquête de terrain, septembre
2021
Comparativement aux prix de parpaing, le prix varie d'une
manière considérable. Une brique de 15X10 CM en parpaing
coûte 350CFA et 400FCFA les briques de 20X10 CM. Un tel prix ne permet
pas à tous les acteurs de s'approprier très facilement des
briques pour les constructions durables. Aussi, le fait que les terres ne sont
pas loties au préalable sèment de
46
confusions chez les acteurs qui ont peur d'investir de peur
d'être déguerpis après par les séances de «
chasses aux sorciers ».
10. Les ramasseurs des sables
Les ramasseurs des sables sont cette catégorie
d'acteurs qui interviennent dans la gestion foncière à travers le
ramassage des sables dans les carrières privées et/ou publiques.
Ils participent dans la gestion des terres à presque 70% dans les
transactions foncières urbaines en générale et du premier
arrondissement de la ville de N'Djaména en particulier. Aussi, au regard
de la forte demande des « citadins » et des acteurs des
périphéries du premier arrondissement pour la construction de
l'habitat durable « des maisons en dur »entrent dans le
circuit des acteurs stratégiques de la gestion des terres dans le
premier arrondissement de la ville de N'Djaména. Ces acteurs entassent
souvent, les terres sur des vastes espaces pendant les saisons sèches
afin de tirer un surplus à la saison de pluie.
De plus, pendant la saison sèche, une bene des sables
coûte 60.000FCFA, mais à la saison de pluie et suite aux
montées des eaux du Chari, une bene coûte 120.000FCFA. A travers
ces stratégies, plusieurs individus déçues dans d'autres
domaines d'activités se convertissent en chauffeurs-conducteurs de gros
porteurs des sables dans le premier arrondissement de N'Djaména.
Toutefois, le risque lié à leur mobilité
quotidienne est très élevé. Près de 60% de ces
chauffeurs-conducteurs ont un permis de conduire, mais n'ont jamais eu une
formation sérieuse dans les auto-écoles. Les accidents de
circulation liés aux gros porteurs deviennent de plus en plus
nombreux.81
11. Les pêcheurs
Les pêcheurs dans le premier arrondissement occupent une
place importante dans la gestion des terres urbaines. Ils seraient venus selon
plusieurs informateurs, du Logone Oriental, Occidental, du Mandoul, du Moyen
Chari, de la Tandjilé, du Mayo Kebbi Est et Ouest, du Mali et du
Cameroun. Selon un informateur, « les véritables casses
têtes sont liés aux espaces réservés par les autres
pour la pêche »82.
Par ailleurs, les produits de la pêche sont vendus sur
les marchés locaux (marché de Farcha, de Djougoulié, de
Zaraf), et le surplus, vers le marché central de la ville de
81 Entretien avec un habitant du quartier Zaraf en
octobre 2021
82 Entretien avec un habitant du quartier
Djougoulié en novembre 2021
47
N'Djaména. Cette catégorie d'acteurs exerce
leurs métiers à travers des méthodes traditionnelles de
pêches avec les filets à petites mailles, les hameçons,
etc. Ainsi, on y trouve dans cette catégorie d'acteurs les agriculteurs
convertis en pêcheurs suite à la sécheresse que traverse le
pays. Malheureusement, les pêcheurs professionnels n'existent
pratiquement pas dans cette catégorie. Certains acteurs de cette
catégorie disent qu'ils pratiquent cette activité (la
pêche) juste pour chercher les poissons pour la consommation familiale ;
sauf le surplus est vendue.83
Aussi, selon les plus anciens pêcheurs, les agents de
l'Etat sont aussi des pêcheurs, mais des « pêcheurs
masqués », parce que, les policiers, les gendarmes, les
militaires, les agents forestiers utilisent les grenades dans les surfaces
douces afin de capturer les poissons. Au vu du contexte sécuritaire
inquiétant, et aussi, au vu de la détention des armes par ces
agents, l'Etat devrait mettre sur pieds une commission chargée de suivi
de ce secteur. Ainsi, monsieur DJIM déplore cette situation en ce
terme,
les agents de l'Etats se « sucrent » sous la
« couverture docile » de l'Etat. A travers ses différents
services de renseignement, notamment ANS, l'Etat doit non seulement veiller
à la protection de la sécurité des citoyens tchadiens,
mais aussi veiller au contrôle du secteur pêche qui constitue une
véritable perte pour le pays. La sécheresse et le
réchauffement climatique déciment ce secteur et les agents de
l'Etat viennent encore ajouter une marque de perte. Aussi, au regard de la
menace climatique et des pratiques non contrôlées par l'Etat,
plusieurs races des poissons ont malheureusement disparues des années
1970 aux années 2021.84
Planche 4: Pêcheurs dans la rive droite du
Chari
Source : enquête de terrain, Novembre
2021
Les conflits fonciers opposent ici les pêcheurs dits
Baou et les pêcheurs qui viennent simplement chercher « la sauce
». Les conflits sont liés aux espaces disponibles pour la
pêche,
83 Entretien avec un habitant du quartier Farcha en
octobre 2021
84 Enquête personnelle, septembre 2021
48
les acteurs issus des autres secteurs d'activités se
convertissent peu à peu dans la petite pêche pour chercher la
« sauce » et qui, vendent le surplus de poissons. Ces pêcheurs
se heurtent au quotidien aux Baou qui ne détiennent pas forcément
une carte professionnelle des pêcheurs, mais se reconnaissent simplement
du domaine juste par leur ancienneté dans le domaine et/ou, par leur
attache à ce métier depuis plusieurs années par le biais
de la socialisation à la pêche par leurs parents.
Les enjeux liés ici aux espaces disponibles sont grands
dans la mesure où le gouvernement tchadien a interdit toute
mobilité sur le fleuve Chari pour des questions sécuritaires et
aussi sanitaire. Donc, les zones autorisées pour la pêche sont
très restreintes, par conséquent des rides conflits
éclatent entre les Baou et les chercheurs des « sauces ».
Aussi, une stratégie des agents sécuritaires se développe
autour des espaces disponibles pour la pêche. Les agents de
sécurité et de contrôle fluvial (gendarmes, policiers, ANS,
forestiers, douaniers, etc.) présent au bord du fleuve Chari imposent
leur logique aux pêcheurs qui doivent les payer une somme d'argent afin
d'exercer sur les rives du Chari. Ces agents de sécurité
utilisent les pirogues motorisées pour traquer tous pêcheurs qui
refusent d'adhérer à leur logique.
De plus, les Baou tchadiens s'opposent de plus en plus aux
Baou LAKA originaires du Cameroun voisin qui développent eux aussi des
stratégies très complexes dans le domaine de la
sécurisation de l'espace disponible pour la pêche. A cet effet,
comment connaitre la limite entre le Logone et le Chari. C'est une
préoccupation très ambigüe mais qui, jusque-là semble
échapper à toute analyse scientifique. Les différends
entre les pêcheurs sur les bords tchadiens et camerounais sont
récurrents. Lesdits différends ont aussi pour toile de fond
l'exploitation des « Ngara » des Baou par les chercheurs de «
sauce » et aussi par les Baou eux-mêmes. Désormais chaque
Baou définit sa zone de pêche comme si les fleuves appartenaient
officiellement à une catégorie de personnes. Les zones
circonscrites par d'autres pour la pêche avec les « Mouchouk »
ne doivent pas faire l'objet d'une présence d'autres pêcheurs.
Malheureusement, selon monsieur MISSENGAR, « jusque-là le
gouvernement tchadien n'a pas défini clairement les mesures pouvant
permettre une pêche apaisée et bien claire ».
Aussi, les différends opposant les pêcheurs sont
pour la plupart sous-estimés par les autorités compétentes
au point de générer autres différends qui se soldent par
les pertes en vies humaines. Il semble judicieux de recenser tous les acteurs
qui interviennent dans ce secteur afin de mieux cerner le contour de ces
différends. Souvent les mauvaises pratiques, notamment les trafics des
drogues, des produits illicites se cachent derrière la pêche.
L'Etat
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doit identifier tous les pêcheurs en mettant sur pied un
fichier biométrique contenant leurs identifications.
De même, l'Etat doit définir clairement les zones
de pêche et contrôler ses agents qui bloquent les mobilités
des Baou au quotidien par les tracasseries financières qu'ils
entretiennent depuis plusieurs décennies, mais « masquées
» par les « gourous ».
Les Baou interviewés durant notre recherche se disent
« asphyxier » par les agents de l'Etats dans l'exercice de
leur métier de pêcheur. La situation sécuritaire
dégradé et aussi les exactions terroristes qui frappent en plein
fouet la sous-région CEMAC a obligé le gouvernement d'interdire
toutes transactions sur le fleuve Chari. Aussi, monsieur DJIMANGAR affirme que,
« les pêcheurs tchadiens entrent en conflit au profit des
endroits stratégiques pour la pêche et aussi avec les
pêcheurs originaires du Cameroun et du mali qui résident sur le
sol tchadien pour la pêche ». Les personnes interviewées
au carrée 5 du quartier Farcha disent qu'elles sont originaires du
Cameroun voisin. Ils sont de la tribu LAKA du Cameroun.
A cet effet, les enjeux autour des espaces disponibles pour la
pêche deviennent grands. Les pêcheurs ici sont confrontés
aux « casses têtes » des premiers arrivants et des agents de
l'Etat qui se positionnent comme les « acteurs de premier ordre »
dans la gestion foncière et des fleuves.
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