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Vulnérabilité des ressources en eau et sociétés insulaires de Basse-Casamance dans un contexte de variabilité climatique: exemple de l'accès à l'eau potable à Carabane (commune de Diembéring), Diogué et Niomoune (commune de Kafountine)par Pape Samba DIOP Université Cheikh Anta Diop - Master 2020 |
CHAPITRE IV : EVOLUTION DE LA SALINITE DANSL'ESTUAIRE DE LA CASAMANCE Le bassin versant de la Casamance fonctionne de nos jours comme un « bac évaporatoire », le déficit hydrique étant compensé par une intrusion des eaux marines de l'estuaire. Le fleuve étant devenu une source d'eau salée pour la région, les aquifères sont ainsi de plus en plus exposées à l'avancée du biseau salé. Pendant la saison sèche, le taux de salure en tout point est supérieur à celui de la mer (Barry B. et al., 1988). La sécheresse des années 1970 a fortement modifié le régime hydrique du fleuve et de ses affluents en Basse-Casamance. Ainsi, les nappes superficielles du CT, principale source d'approvisionnement en eau potable, de la région subissent cette péjoration pluviométrique avec une importante baisse de leur niveau entrainant l'avancé du biseau salé. I. LES FACTEURS FAVORABLES A LA SALINISATION DANS L'ESTUAIRE I.1. Le fleuve Casamance : un estuaire inverse Les estuaires sont des écosystèmes très complexes et biologiquement productifs qui forment une transition entre le continent et l'océan (Miranda L. B. et al.,2017). En effet, dans ces milieux, l'eau douce collectée du drainage des terres se déverse dans un océan, qui envoie à son tour l'eau salée en amont, bien au-delà de l'embouchure. Ce mélange de fluides produit un environnement unique et diversifié avec tout un ensemble de facteurs propices au développement et à l'adaptation des socio-écosystèmes (Tomczak M., 1998). Figure 17: Caractéristiques d'un estuaire (Source: https://professionnels.ofb.fr/fr/node/275 ) 54 55 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Plusieurs types d'estuaires sont identifiés en fonction de la morphologie et de l'hydrodynamique, de la géomorphologie ou de la structure verticale de la salinité (Valle-Levinson A., 2010). Dans ce présent travail, nous nous intéresserons spécifiquement sur la classification en fonction de la morphologie et de l'hydrodynamique qui donne naissance à trois types d'estuaire (Figure 18) d'après Valle-Levinson A. : les estuaires positifs, inverse et à faible débit. Les estuaires positifs sont ceux dont les apports d'eaux douces fluviales et pluviales sont supérieurs aux pertes par évaporation, d'où l'établissement d'un gradient longitudinal de densité des eaux qui décroit de l'océan vers le bassin (Niang A., 2014). Par conséquent, les estuaires à faible débit se trouvent dans les régions où le taux d'évaporation est élevé mais également où le débit des rivières a une faible influence. Les estuaires inverses, quant à eux, se trouvent le plus souvent également dans les régions où les pertes d'eau douce par évaporation dépassent les apports d'eau douce provenant des précipitations. Le gradient de densité longitudinal a de ce fait le signe opposé à celui des estuaires positifs. Ces estuaires sont plus sujets à des problèmes de qualité de l'eau que les estuaires positifs (Valle-Levinson A., 2010) car, dans ces milieux, la salinité est plus importante que celle de l'océan (Parker L. M. et al., 2017). De ce fait, le gradient longitudinal de l'océan est celui d'une salinité croissante. Figure 18: Classification des estuaires selon l'hydrodynamique (d'après VALLE-LEVINSON, 2010 modifié par NIANG, 2014) Dans le contexte de l'estuaire de la Casamance où est localisée notre zone d'étude, son caractère d'estuaire inverse fait de la région un milieu vulnérable en ce qui concerne la qualité de la ressource en eau douce (Sané T., 2017). Le fleuve Casamance se comporte comme un estuaire inverse (Pagés J. et al., 1987, Diop E. S., 1986, Pagès J. et Citeau J., 1990, Thior M. et al., 2019a). 56 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce fonctionnement actuel du fleuve notamment: la péjoration pluviométrique des années 1970. En effet, pour Diop E. S., (1986), le fleuve Casamance jusque dans les années 1970 connaissait un fonctionnement estuarien «normal». Mais la baisse d'apport pluvial à partir de 1968, associée à une géométrie particulière et une topographie irrégulière va entrainer une perturbation de ce régime hydrique «normal» et par conséquent une sursalinisation de l'estuaire. Ceci a rendu le bilan hydrique négatif (Lahoud A., 1988) dont les effets sont encore plus dramatiques sur les petits cours d'eau, notamment celui de la Casamance. Il en résulte alors un envahissement des eaux de mer dans l'estuaire qui devient de ce fait hyperhaline (Pagès J. et Citeau J., 1990). Cet envahissement des eaux marines se manifeste par des inondations et des risques de submersion surtout dans les îles de l'estuaire, ce qui en affecte les nappes localisées le plus à une faible profondeur (environ 3m) et maintient ainsi l'eau des puits saumâtre. Pendant la saison sèche, cette eau demeure la principale source d'approvisionnement pour la majeure partie de ces insulaires. Les intrusions salines sont l'une des principales conséquences du fonctionnement inverse de l'estuaire de la Casamance (Thior M. et al., 2019a). La proximité de la nappe avec la mer facilite les échanges entre les eaux douces du fleuve et celles salées de la mer. La particularité du fleuve Casamance reste sans doute liée à sa nature. Il dépend essentiellement des pluies locales contrairement au fleuve Sénégal qui prend sa source dans les massifs du Fouta Djalon en République de Guinée sous un climat tropical humide, ce qui favorise par conséquent sa forte dépendance au climat (Thior M. et al., 2019a). En d'autres termes, il suffit juste d'une anomalie en saison humide pour perturber le régime hydrique et rendre le bilan déficitaire (Lahoud A., 1988). Ainsi, la sécheresse a conduit à des modifications écologiques importantes dans cette région avec des conséquences immenses surtout sur la salinité des eaux conditionnée par un taux important d'évaporation. Ces modifications concernent l'augmentation de la salinité avec un gradient croissant de l'aval vers l'amont. En l'espace de quinze années (entre 1969 et 1988), la salinité des eaux de la Casamance dans la partie estuarienne a subi des variations considérables (Diop E. S., 1986) jusqu'à atteindre des valeurs de 170%o en 1986 à Diana Malari (Pagès J., 1986). I.2. La faiblesse de la topographie L'histoire géomorphologique renseigne beaucoup sur la formation des unités du relief. La région étant située dans une zone fluvio-marine, on note une faible variété structurale du relief (Badiane S. D., 2012). En effet, la Basse-Casamance présente, dans son ensemble, un relief très 57 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE plat et de faible dénivellation. C'est également une zone plate, basse parcourue de chenaux anastomosés. Le long de ce fleuve offre le même niveau que la mer, la pente y est également très faible. Cette faiblesse des pentes explique la pénétration profonde de la marée à l'intérieur du bassin plaçant ainsi l'ensemble de la Basse et une majeure partie de la Moyenne Casamance (jusqu'à Diana Malari), dans le bief maritime. Hormis les plateaux de Tandine, Ziguinchor et Oussouye, tout le paysage se situe au-dessous de 20 m. Figure 19: Altitude en mètres dans les communes de Kafountine et Diembéring I.3. L'influence de l'érosion côtière sur les facteurs de salinisation L'érosion côtière peut également être un facteur (direct ou indirect) de dégradation des ressources en eau douces. Il est plus connu du grand public en raison de ses effets visibles. 58 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Pour l'illustrer, dans l'ensemble des îles étudiées, les populations stipuleront lors des enquêtes que l'avancée de la mer est responsable de tous leurs malheurs (inondation des rizières, perte des terres, salinisation, etc.) Cette modification des conditions environnementales est en réalité le résultat de la conjonction des facteurs naturels et anthropiques. Ainsi, nous pouvons citer comme cause naturelle ; l'hydrodynamisme marin avec les facteurs de forçage et les paramètres dominants notamment le niveau marin, les vagues, les houles et les courants induits. A côté de ces facteurs naturels, peuvent s'associer les pressions humaines exercées sur le littoral notamment les prélèvements de sables pour les constructions, etc. (Thior M. et al., 2020). On peut aussi y associer les effets splash des toitures en zinc qui intensifient les facteurs sus-énumérés. Hypothèse du phénomène d'eustatisme dans les iles L'élévation du niveau de la mer (eustatisme) découle du double effet de la dilatation thermique des mers et de la fonte accrue des glaciers. Ce phénomène résulte des changements climatiques selon le GIEC et ont de larges répercussions sur les paysages humains et naturels de tous les océans et continents, menaçant donc les aspects du développement. Ainsi, l'élévation du niveau marin serait en partie responsable de la vulnérabilité des ressources en eau, surtout dans les zones côtières (Descroix L. et al., 2015a ; Janicot S. et al., 2015 ; Bates B. C. et al., 2008). Et, d'après le GIEC (2014), ces systèmes côtiers et les zones de faible altitude seront de plus en plus exposés aux effets de l'élévation du niveau marin notamment à la submersion, aux inondations, à l'érosion et à des intrusions salines pendant toute la durée du XXIème siècle et au-delà. Comme pour toute la zone côtière du Sénégal, le littoral Casamançais n'est pas épargné. En effet, il est très affecté par les impacts de l'élévation du marin selon Sané T. et al., 2010. Les conséquences qui en découlent sont nombreuses : érosion côtière, destruction des zones de marais littoraux (avec rizières, mangroves, pâturages, etc.), pénétration plus importante de l'eau salée dans l'estuaire, d'où la salinisation des sols, et le risque accru de submersion lors des fortes marées. De même, les îles dans ce milieu sont fortement menacées. En guise d'exemple, la phare de Diogué se trouve de nos jours à plus d'une centaine de mètres dans l'eau ; cela veut dire qu'en l'espace de 40 ans, la mer a gagné plus de 100m, obligeant des quartiers entiers à se délocaliser, des populations à abandonner leurs rizières (Descroix L. et al., 2015a). Ces problèmes accentuent la problématique de l'accès à l'eau potable qui est déjà très difficile du fait de la contamination des nappes par l'eau de mer. 59 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE II. DYNAMIQUE DE LA SALINITE DANS LA PARTIE AVAL DE L'ESTUAIRE La définition d'un estuaire inverse implique des facteurs hydrodynamiques en partie responsables des phénomènes d'invasion marine. Ces facteurs, engendrés par la circulation et la propagation des ondes et courants de marées, influent fortement sur les processus de salinisation des eaux (Diop E. S., 1986). Dans l'estuaire de la Casamance, quelle que soit la station, et l'époque de l'année, la salinité moyenne est plus forte à marée haute qu'à marée basse qui la précède ou la suit (Brunet-Moret Y., 1970). En effet, ce milieu fait partie de ces environnements où les processus de salinisation des eaux sont un phénomène marquant et bien documenté (Diop E. S., 1986 ; Marius C., 1985, Lahoud A., 1988, Sané T., 2017, Thior M. et al., 2019a). II.1. Régime des marées dans l'estuaire de la Casamance L'étude des marées en Casamance a bien été documentée par Brunet-Moret Y. (1970). Dans l'estuaire de la Casamance, l'essentiel de l'hydrologie est lié à la marée qui entraine l'existence d'une zone intertidale comprise entre les laisses de haute mer et de basse mer (Lahoud A., 1988). Dans cette région, les marées sont de régime semi-diurne, c'est-à-dire que les étales durent peu de temps. Il en résulte un ensemble de facteurs caractérisés par des variations de salinité en fonction de l'évolution des hauteurs d'eau (Brunet-Moret Y., 1969). En effet, la marée est le principal facteur du mouvement de l'eau dans les estuaires. Elle y exerce une influence prédominante sur les apports en eau douce (quand ils existent) en apportant de l'eau de mer responsable de la sursalure du fleuve tout en favorisant les phénomènes d'intrusion saline (Diop E. S., 1986). La faiblesse des pentes explique la pénétration profonde de ce phénomène (marée) à l'intérieur du bassin plaçant ainsi l'ensemble de la Basse Casamance dans le bief maritime (Malou R., 1992). 06/03/ 08 16 07/03/ 08 16 08/03/ 08 16 09/03/ 08 16 10/03/ 08 16 11/03/ 08 16 12/03/ 08 16 13/03/ 08 16 14/03/ 08 16 15/03/ 08 16 16/03/ 08 16 Jours H (mm) 1800 1600 1400 1200 1000 400 200 600 800 0 Figure 20: Hauteurs d'eau (mm) en fonction du temps à partir du 06/03/2020 à 00h au 16/03/2020 à 23h (Source : données LMI PATEO/UASZ, 2020) 60 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Dans la partie d'embouchure du fleuve, notamment à Carabane, la dynamique marine se fait sentir avec des fluctuations de hauteur d'eau très variables en fonction du temps. Ces variations sont constituées par les hautes eaux et les basses eaux. En effet, selon qu'il s'agisse de pleine mer ou de basse mer, le régime de salinité du fleuve est influencé. De plus, le marnage (différence entre les variations de hauteurs d'eau) est élevé avec des écarts considérables de l'ordre de 1507,7mm. Ainsi, les hauteurs d'eau varient entre 1554,3mm et 46mm à la station hydrométrique de Carabane. II.2. Evolution de la salinité à la station marégraphique de Carabane L'évolution de la salinité dans le fleuve Casamance est commandée par plusieurs facteurs à savoir la marée, les apports pluviométriques, les pentes etc. Dans la partie de l'embouchure, les pentes sont très faibles et l'influence de la marée océanique très sensible. Cette dernière constitue selon Brunet-Moret Y. (1970), la principale cause de sursalure du fleuve Casamance en raison de l'eau de mer qu'elle y apporte. C'est ce qui explique la salinité proche de celle de la mer (autour de 35g/l) observée dans cette partie aval du fleuve notamment la zone comprise entre l'embouchure et la pointe St-George (Sané T., 2017). Pour comprendre l'évolution de la salinité, il serait pertinent de remonter depuis les observations de Brunet-Moret Y. (1968-1970) jusqu'à celles récentes afin de comprendre la dynamique de celle-ci. En effet, pour ces observations, le profil de la salinité dans le fleuve Casamance serait saisonnier. Le minimum serait observé en fin d'hivernage vers le mois d'octobre et le maximum en début au mois de mai, juin ou juillet. Ainsi, sur les observations effectuées entre juin 1968 et juin 1970 à Ziguinchor, il apparaît que les plus faibles salinités ont été relevées en octobre 1969 (4,1g/l). Cependant, les fortes valeurs ont été notées le 29 juin 1969 (40,65g/l), le 4 mai 1970 (40g/l) ainsi que le 16 juin 1970 (40g/l). Salinité en g/l 45 40 25 20 35 30 15 10 5 0 Mois 1968 1969 1970 Figure 21: Evolution de salinité à Ziguinchor (Source données: Brunet-Moret Y., 1970) 61 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Au regard de ce graphique ci-dessus, il apparait que la distribution de la salinité varie d'année en année. Cette lecture annuelle est beaucoup plus illustrative sur les études réalisées par Le Reste L. et al., (1992). Ces dernières qui consistaient également à un recoupement des différentes observations de salinité effectuées dans le fleuve Casamance à Ziguinchor9, révèlent une évolution saisonnière et interannuelle. Ainsi, pour ces auteurs, la salinité dans cette partie du fleuve varie saisonnièrement devenant maximale en juin-juillet vers la fin de la saison sèche, et minimale, en octobre-novembre vers la fin de l'hivernage. Cette évolution est similaire à celle décrite par Brunet-Moret Y. (1970) et Diop E. S. (1986) mais avec une tendance à la hausse. Salinité en g/l 40 20 70 60 50 30 10 0 1966 1967 1968 1969 1975 1976 1977 1978 1981 1982 1983 1984 1985 Années Saison sèche Saison humide Figure 22: Evolution de la salinité en fonction
des saisons entre 1966 et 1985 à Ziguinchor La figure ci-dessous permet d'illustrer cette dynamique. Elle montre que les taux de salinité ont commencé à noter une hausse à partir de 1968. Selon qu'il s'agisse des maxima ou des minima, l'allure de la courbe tend à la hausse avec des maximas pouvant atteindre 58 g/litre (1978) et des minimas de l'ordre de 44 g/litre (1983). Selon Le Reste L. et al., (1992), cette évolution témoigne de la sensibilité de la salinité par rapport aux apports pluviométriques. Pour lui, l'augmentation observée des maximales tout comme des minimales de salinité entre 1966 et 1985 est due en grande partie à la baisse de la pluviométrie à partir de 1968. Cette sensibilité est très manifeste surtout si l'on associe les variations pluviométriques comme le montre la Figure 23. En analysant cette figure, il apparait que les dynamiques de précipitations et de salinité sont inversement proportionnelles. Cela témoigne tout simplement de la sensibilité de l'évolution de 9 Ces observations ont été effectuées par différents auteurs notamment BRUNET-MORET (1970); MARIUS (1976); ORSTOM (1977); PAGES, com. pers.; LE RESTE (1984,1987). 62 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE la salinité par rapport à l'évolution interannuelle de précipitation pendant la même période considérée. Le constat est surtout explicite avec les deux extrêmes encadrés. Plus il y a déficit, plus les taux de salinité augmentent. Evolution de la salinité en saison humide à la station hydrométrique de Ziguinchor de 1966 à 1985 60 40 20 33 31 9 8 38 37 3 30 23 12 44 Salinité (g/l) 3 25 3 Taux de salinité en saison humide 0 1966 1967 1968 1969 1975 1976 1977 1978 1981 1982 1983 1984 1985 1966 1967 1968 1969 1975 1976 1977 1978 1981 1982 1983 1984 1985 2,5 2 1,5 1 SPI Evolution des ISP à la station de Ziguinchor de 1966 à 1985 0,5 0
ANNEES EXCEDENTAIRES
ANNEES DEFICITAIRES
Figure 23 : Evolution de la salinité en saison humide en fonction des ISP dans la partie aval du fleuve Cependant, il convient de souligner que la dynamique saline dans la partie aval du fleuve est très versatile et n'interprète pas toujours la logique comme susmentionné. Pour corroborer, les observations récentes effectuées à la station de Carabane10 décrivent des évolutions très variables de même qu'une distribution très irrégulière avec des maxima et des minima qui varient d'une année à l'autre. Durant ces trois années étudiées (2017, 2019 et 2019), la salinité varie entre 10 (juin 2020) et 53,7g/litre (novembre 2017) ; ce qui témoigne d'une grande variation de celle-ci. L'année 2017 a enregistré des salinités beaucoup plus importantes ou parfois similaires à celles des années étudiées plus haut par Le Reste L. et al. (1992). Pendant cette période, la salinité la plus faible était de 39g/l et était observée au mois de février. 10 Les observations de la salinité à Carabane ont été réalisées par LMI PATEO IRD/UASZ 63 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Autrement dit, pendant l'année 2017, cette partie du fleuve était hypersalée comme le montre les taux de salinité. Cet état, de fait, peut-être expliqué soit par les apports pluviométriques, soit par la marée ou autres facteurs endogènes. Or si l'on se réfère à la pluviométrie de cette même année ou de la précédente, on voit qu'elles ont été toutes excédantes. Ce qui laisse à supposer que ces fortes valeurs observées ne peuvent être dues que par la marée ou autres facteurs que la pluviométrie. Ces fortes valeurs ne font qu'apprécier la forte salinisation des eaux de la zone. Cet état, de fait, démontre la complexité de la dynamique actuelle de la salinité, marquée par des distributions non saisonnières et parfois même insensibles à la pluviométrie annuelle locale. Salinité en g/l 40 20 60 50 30 10 0 Janvier Février mars avr mai juin juil août sept oct nov Dec Mois 2020 2019 2017 Figure 24: Evolution de la salinité à la station de Carabane (Source : données LMI PATEO IRD/UASZ, 2020) L'année 2019 n'est pas aussi en reste, elle présente également des taux de salinité élevés mais plus faibles que celles de 2017. Durant cette année, la salinité variait entre 25,6 et 35,7g/l. Cette situation peut être attribuée à la pluviométrie déficitaire observée cette même année. Par contre, même si les apports pluviométriques ont une forte influence sur la dilution des eaux salées, il convient d'émettre des réserves par rapport aux facteurs responsables de la salinité, sachant que l'année 2017 a été beaucoup plus pluvieuse et plus salée. Cependant, il faut noter que l'année 2020 est celle qui a connu les valeurs les plus modérées pendant toute la durée étudiée avec une salinité qui varie entre 36,7 et 10,1g/l. Cette année a connu une pluviométrie très excédentaire avec plus de 2000mm de cumul. Ce paramètre peut se révéler comme étant le facteur de cette baisse puisque les plus faibles salinités ont été observées entre mai et novembre. Pendant cette période, la salinité varie entre 24,9 et 10,1g/l. Tout comme Ziguinchor, la zone de Carabane à proximité de l'embouchure est sous influence saline. Même si les dynamiques ne sont pas les mêmes, les variations de salinité sont très importantes. La particularité réside par rapport à la distance à l'embouchure. Selon Diop E. S. 64 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE (1986), le profil de la salinité est croissant de l'aval vers l'amont en saison sèche et décroissant de l'aval vers l'amont en saison des pluies. Ces profils ont été illustrés par Brunet-Moret Y. (1970), Diop E. S. (1986) Pagès J. et al. (1987), Sané T. (2017). Toutefois, ils cachent plusieurs disparités et varient en fonction des années. L'analyse de la Figure 24 laisse beaucoup d'ambiguïté en raison de la forte dispersion des taux de salinité en fonction des années mais également des mois. De même, le caractère irrégulier des précipitations, les marées et l'influence de leur courant font que les profils de salinité ne suivent pas toujours les mêmes règles. Il est donc difficile d'interpréter cette variabilité en l'absence d'informations sur la distribution des variables de la marée ou autres données connexes. Seule la pluviométrie qui était disponible pour pouvoir analyser ce graphe et sa faible pertinence par rapport à la compréhension des fortes salinités de 2017 (année excédentaire) impose le doute. Pour ce faire, des études supplémentaires méritent d'être réalisées afin de comprendre tous les facteurs afférents à cette dynamique actuelle de la salinité à la station de Carabane. II.3. Etude diachronique de l'évolution des terres salées dans les communes de Kafountine et Diembéring L'analyse diachronique de l'évolution de la salinité à travers l'occupation du sol a pour objectif la compréhension de l'expansion des terres salées (tannes) afin de mieux voir la dynamique saline dans cette zone. Pour cela, le travail cartographique a été mené sur une grande partie des communes de Kafountine et Diembéring où est localisée la zone d'étude. Ce travail a permis de faire ressortir une monographie de quelques unités paysagères notamment les surfaces d'eau, la mangrove, les tannes, les rizières, les vasières ainsi que la forêt. La méthodologie utilisée a été décrite dans la partie introductive (III.3.2) de ce mémoire. Les années retenues pour l'étude concernent entre autres 1973, 1986, 2003 et 2019. Les résultats d'analyse de cette étude montrent d'importantes dynamiques durant la période étudiée. Ainsi, pour mieux comprendre cette dynamique, une analyse détaillée année par année sera effectuée afin de déterminer l'état des lieux du milieu de façon séquentielle. Pour Badiane S. D. (2012), cette démarche permet d'avoir une lecture référentielle plus nette permettant de rendre aisé l'analyse du processus d'évolution de l'espace selon les années considérées. Enfin, une analyse thématique de l'évolution des terres salées (tannes) pendant cette période sera réalisée afin d'avoir un aperçu de l'extension de ces dernières dans cette zone choisie. 65 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Tableau 9: Statistiques de l'occupation du sol de 1973 à 2019
Source : Landstat, DTGC II.3.1. Occupation du sol en 1973 à 2019 L'occupation du sol entre 1973 et 2019 a connu une dynamique très mouvementée des différentes unités paysagères. Cette dynamique est façonnée par divers facteurs. Ainsi en 1972, l'occupation était particulièrement prédominée par la forêt de mangrove qui occupait 35 469ha, suivi des surfaces à eau et des rizières avec respectivement 12 899,93ha et 11 372,59ha. Ensuite viennent les vasières, les tannes et la forêt avec respectivement 7302ha, 4977ha et 4513,662ha. Evolution en % -100 200 150 100 -50 50 0 TANNE EAU RIZIERE MANGROVE VASIERES FORET Unités paysagères Figure 25: Evolution de l'occupation du sol entre 1973 à 1986 en % 66 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Treize ans après, ces unités ont subi de grands changements avec parfois des régressions ou des extensions de surfaces. Parmi elles, les plus marquantes ont été les vasières (19 295ha) et les tannes (12 190,7ha) qui ont connu des extensions considérables de plus de 100% de leurs espaces entre 1973 et 1986. De même, la forêt (6 217,77ha), les surfaces d'eau (13 954,6ha) et la mangrove (36 086,704) ont vu leurs superficies augmentées respectivement de 37%, 8% et 1,7%. Par contre, les surfaces rizicoles (4 418,7ha) ont régressé de 37,7%. Ceci témoigne de l'existence de facteurs en partie responsables de ces mutations notamment le contexte climatique des années 1970-1980. Celui-ci comme renseigné au premier chapitre de cette partie, a eu de lourdes conséquences sur les écosystèmes. En effet, la sécheresse a favorisé un déficit hydrique et une augmentation des variables thermiques en parties responsable de l'évolution des terres salées et des vasières. Par conséquent, certains territoires rizicoles ont dû être abandonnés en raison de la salinisation des terres et des précipitations moins abondantes. Cependant, la stabilité d'évolution de la mangrove par rapport à ces problèmes de déficit pluviométriques et de salinisation peut s'expliquer par rapport à son adaptation à ceux-ci. En effet, selon Descroix L. et al., la mangrove est une formation végétale adaptée au battement des marées comme aux variations de la salinité de l'eau des mers. Toutefois, l'extension de la forêt peut être expliquée par sa capacité d'adaptation. Les surfaces d'eau, quant à elles, ont connu également une avancée en raison des phénomènes d'érosion qui favorisent leur extension à l'intérieur de certaines terres nues. DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE . 67 Figure 26: Occupation du sol en 1973 Figure 27: Occupation du sol en 1986 68 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Au regard des modifications notées en 1986, une nette amélioration des conditions environnementales est observée en 2003. Ces dernières peuvent être expliquées par le léger retour à la pluviométrie normale constatée. En effet, les années 1999, 2000, 2001 et 2003 ont connu des cumuls pluviométriques améliorés dans les trois stations (Oussouye, Diouloulou et Ziguinchor) variant entre 1945mm à 1141mm. On peut comprendre que ces conditions pluviométriques favorables soient à l'origine de la régression des terres salées (5262,7ha) avec -56% de l'occupation couvert en 1986. Avec un retour à la pluviométrie, les rizières (ont vu leur espace augmenté de 115,3%, ce qui témoigne de la volonté des populations à reprendre cette activité autrefois menacée. De même, le couvert forestier (8329,9ha) a connu une extension de 34% pendant cette période. Les surfaces d'eau (14511,9ha), les vasières (20020,4ha) et la mangrove (36900,74ha) eux aussi n'ont pas connu de régression puisqu'une légère augmentation de leur superficie a été observée avec respectivement 4%, 3,7% et 2,2%. Ces variables expriment le comportement des unités paysagères par rapport à l'évolution pluviométrique. Evolution en % 120 100 -20 -40 -60 40 20 60 80 0 TANNE EAU RIZIERE MANGROVE VASIERES FORET Unités paysagères Figure 28: Evolution de l'occupation du sol entre 1986 et 2003 Tout comme 1986, l'année 2019 sera marquée par une crise déterminante due à plusieurs facteurs tels que l'irrégularité des précipitations et les activités anthropiques. Il faut noter que les années 2018 et 2019 étaient déficitaires dans toutes les stations étudiées. Ces variations associées aux activités socio-économiques ont fortement modifié la dynamique paysagère. Ainsi, il en a résulté une forte extension des terres salées (345,6%) en partie responsable de la régression de la mangrove (-5%) et terres rizicoles (-52,7%). Les vasières ont également vu leur superficie régressée de -64,8%. Avec les activités socio-économiques, la forêt a perdue 48% de son aire entre 2003 et 2019. Toujours avec les phénomènes d'érosion côtière, on peut comprendre que les surfaces d'eau aient augmentées. DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN 69 Figure 29: Occupation du sol en 2003 Figure 30: Occupation du sol en 2019 70 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE TANNE EAU RIZIERE MANGROVE VASIERES FORET 350 300 Evolution en % 250 200 150 100 50 0 -50 -100 Unités paysagères Figure 31: Evolution de l'occupation entre 2003 et 2019 III.3.1. Analyse de l'évolution des tannes entre 1973 à 2019 dans les communes de Kafountine et Diembéring Parmi les variations paysagères observées au cours de la période 1973 à 2019, la plus marquante reste l'évolution des terres salées (tannes). Celles-ci ont connu des extensions considérables spatio-temporelles. En effet, excepté 2003, toutes les autres périodes ont connu des dynamiques très significatives de l'évolution de ces surfaces. Largement documentées par ces auteurs (Bassene O. A., 2016 ; Loyer J-Y. et al., 1986), l'évolution des tannes (sols nus pour certains) est étroitement liée à la dégradation des conditions météorologiques de la région. Ainsi, pour Bassene O. A., (2016), les périodes de faible pluviométrie, de fortes chaleurs et de remontée de la langue salée sont particulièrement responsables de l'extension de ces surfaces salées. Parallèlement, Loyer J-Y. et al., (1986) soutiennent que les conséquences dramatiques induites par la sécheresse dans le domaine fluviomarin casamançais seraient à l'origine de cette extension. Mais le facteur le plus déterminant de cette extension reste sans doute la particularité des variations de salinité observées dans cette partie aval du fleuve. Même si celle-ci peut être parfois attribuée à la pluviométrie un peu irrégulière caractérisée par tantôt des excédents, tantôt des déficits, il convient d'y associer la faible topographie de la zone et les mouvements de marée qui se font sentir. DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Figure 32: Evolution des terres salées entre 1973 et 2019 71 72 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE III. MECANISME DES INTRUSIONS SALINES DANS LES AQUIFERES EN MILIEU INSULAIRE (PRINCIPE DE GHYBEN-HERSBERG) Les aquifères côtiers sont le lieu de rencontre de deux types d'eaux souterraines. D'une part, nous avons les eaux douces provenant de l'infiltration des précipitations et des eaux de ruissellement au niveau de la surface continentale et d'autre part les eaux salées qui imprègnent les terrains au voisinage des côtes où pénètrent les cours d'eau au niveau des estuaires, pouvant ainsi donner lieu à la salinisation des eaux souterraines en relation hydraulique avec les eaux de surface (océan, rivières) (Dörfliger N. et al., 2013). La liaison de la Casamance avec la mer en fait par défaut un milieu thalassique (Marius C., 1980). Avec une faible topographie, la diminution des apports pluviométriques survenue pendant la période de sécheresse aura comme conséquence les phénomènes d'intrusions salines (Mikhailov, V. N., 2008). Ces intrusions salines parviennent le plus souvent à une contamination des aquifères côtiers, sous l'effet du biseau salé. Dans ces milieux insulaires, l'eau douce de l'aquifère est en contact permanent avec l'eau salée de la mer qui l'entoure. Ainsi, la nappe d'eau « flotte » sur une nappe d'eau salée avec pour seule séparation une zone de transition d'eau saumâtre (White et Falkland, 2010, cités par Chaillou G. et al., 2012). Ce qui fait que les nappes, en particulier celles superficielles du CT, seront sous influence saline hypothéquant par ailleurs l'approvisionnement en douce de la population (Montoroi J. P., 1989). De ce fait, une migration permanente du biseau salé sous un puits (source d'approvisionnement) rend la non potabilité de la ressource en eau pour les consommateurs insulaires. Les zones d'eau douce et d'eau salée au sein des aquifères côtiers sont séparées par une zone de transition ou d'interface explicitée par Ghyben (1888) et Herzberg (1901). En effet, le principe de Ghyben-Herzberg repose sur l'équation d'équilibre hydrostatique entre l'eau douce et l'eau de mer, supposées non-miscibles. Selon ce principe, en un point quelconque de la nappe, l'interface eau douce/eau salée se situerait à une profondeur égale à environ 40 fois l'altitude du niveau piézométrique de la nappe au-dessus du niveau moyen de la mer compte tenu des différences de salinité et donc de densité des eaux (Vittecoq B. et al., 2007). Dans cette zone de transition, les deux eaux se mélangent (Barlow, 2003). Il en résulte l'équation, appelé Ghyben-Herzberg, suivante : ?? = P?? h PS 73 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES VARIATIONS ENVIRONNEMENTALES RECENTES EN BASSE-CASAMANCE INSULAIRE Z : épaisseur située en dessous du niveau de la mer PÉ : densité de l'eau douce (1g/cm3) Ps : densité de l'eau de mer (1,025g/cm3) h : épaisseur située en dessus du niveau de la mer L'épaisseur totale de zone d'eau douce est la somme des zones d'eau douce situées au-dessus et au-dessous du niveau de la mer : Z+h. Figure 33: Modèle conceptuel de la lentille d'eau douce [échelle verticale non respectée] par Bourhane (2014) La présence de cette zone d'interface dans un environnement complexe (estuaire inverse), associée à une irrégularité des précipitations fait des îles un monde vulnérable en ce qui concerne la qualité de l'eau potable. |
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