1- Revues
théoriques
Dans le cadre théorique, l'emphase sera mise sur
l'effet du changement climatique sur la production agricole, qui est l'un des
éléments majeurs qui contribue, entre autre, à la
définition du concept des prix des produits agricoles. Le spectre des
théories sur la corrélation entre changements climatiques et
production agricole d'une part et la dynamique des prix des produits agricoles
d'autre part a ressurgi récemment après une décennie de
léthargie. Les effets des changements climatiques apparaissent comme une
menace réelle pour le développement économique et social.
En effet, le phénomène de changement climatique semble être
un fait avéré et validé par de nombreux scientifiques
(Mendelson et al, 1994; Mendelsohn et Dinar, 2003; Parry et
al, 1999). Sa modification peut induire une variabilité de sa
production, et dans la même logique une variabilité des prix au
niveau du marché.
Plusieurs approches ont été mobilisées
afin d'analyser l'effet de la variation des paramètres climatiques sur
la variabilité des prix desproduits agricoles via l'agriculture. Elles
diffèrent l'une de l'autre par leur point de vue qui se focalise, d'un
côté, vers l'agronomie et de l'autre, vers l'économie. A
cet effet, on distingue généralement l'approche par fonction de
production (Adams et al. 1995), l'approche ricardienne (Mendelsohn et
al. 1994) etl'approche qualifiée de « structurelle ou
agro-économique » (Darwin et al. 1994).
a- L'approche par fonction de production ou
agronomique
L'approche par fonction de production ou agronomique est
Fondée sur l'existence d'une fonction de production pour toute culture
qui met directement en relation le rendement de la culture à son
environnement biophysique.
Les études menées par Warrick (1984) sont parmi
les premières à utiliser cette approche pour analyser l'effet du
climat sur la production agricole. Warrick pense que l'effet du changement
climatique sur l'agriculture repose sur des modèles de croissance des
cultures. En effet, ces modèles analysent les effets du changement
climatique sur les rendements des cultures, car ils incorporent des
données quotidiennes sur la température, les
précipitations, le rayonnement solaire et (souvent) le dioxyde de
carbone atmosphérique, ainsi que des données sur les sols, ce qui
entraine la variation des prix des principaux produits agricoles. Une
pensée confirmée plus tard par Robertson et al. (1987).
Seulement, ces derniers ont constaté que de nombreuses diminutions du
rendement seraient en grande partie compensées par des effets positifs
sur la croissance du dioxyde de carbone atmosphérique.
Ainsi, Adams et al. (1995) pensent que les
modifications des rendements des cultures, de la demande en eau des cultures et
de l'eau d'irrigation résultant du changement climatique
entraînent des modifications du bien-être économique. En
effet, les effets d'amélioration du rendement du dioxyde de carbonesont
un déterminant important des conséquences économiques
potentielles. L'inclusion des changements dans la production alimentaire
mondiale et les changements d'exportation associés ont
généralement un effet positif sur l'agriculture américaine
et, par conséquent, l'amélioration des prix des produits
agricoles.
Dans cette même perspective, Carter et
al. (1991) affirment que l'effet du changement climatique sur
l'agriculture repose sur les changements potentiels dans les zones climatiques
favorables à des cultures particulières (approche de
région comparable). Il s'agit d'observer si les régions qui sont
préalablement propices à des cultures ne le seront plus
après un changement climatique ou si certaines qui n'étaient pas
favorables le seront plus tard.
Toujours dans la même veine, Rosenzweig et Parry (1994)
pensent, à leur tour, qu'il faut prendre en compte des adaptations pour
évaluer l'impact potentiel des changements climatiques sur la production
céréalière mondiale et la répartition de ces
impacts entre pays développés et en développement à
l'horizon 2060. En effet, quatre types de scénario sont possibles. Le
premier consiste à avoir les changements de température et de
précipitations uniquement, c'est-à dire un scénario
initial sans changement climatique qui suppose une croissance de la population,
une croissance économique, des progrès techniques et une
libéralisation du commerce international. Le second comprend un
changement climatique (changement de la température et la pluie) en plus
d'une croissance accrue des cultures, en raison des concentrations
élevées de CO2. Le troisième inclut un premier niveau
d'adaptation qui comprend la modification des dates de semis d'au plus un mois,
l'utilisation des variétés de plantes facilement disponibles plus
adaptées au climat espéré et l'irrigation. Le dernier
inclut un second niveau d'adaptation qui implique plus de changements dans les
systèmes agricoles, qui peuvent même requérir des
ressources au-delà de celles du fermier, de l'investissement dans les
infrastructures agricoles régionales ou nationales et les changements de
politiques.
Par conséquent, Darwin et al.
(1995) affirment que la méthode de prise en compte de l'adaptation par
Rosenzweig et Parry (1994) n'est pas appropriée car elle utilise la
variation des rendements pour capter l'éventuelle adaptation des
fermiers. Or, il existe une large gamme de réactions d'adaptation
potentielles avec les modèles de croissance des cultures par exemple. Il
s'agit d'intégrer les ressources en terres et en eau, ce qui leur permet
de simuler la façon dont le changement climatique affecte la
disponibilité de terres agricoles appropriées, et, en
conséquence, de permettre aux facteurs économiques de
déterminer la nature et l'étendue des réponses
adaptées aux changements climatiques par les agriculteurs. Le
problème relevé par Darwin et al. (1995) sur ces
études est qu'elles ne tiennent pas compte de l'adaptation au niveau des
agriculteurs. Ainsi, d'autres études, au niveau régional ou d'un
pays et au niveau mondial vont essayer d'en tenir compte, en se basant
principalement sur les modèles de croissance des cultures qui vont
devenir importants dans la modélisation économique.
A l'opposé de Darwin et al. (1995), Mendelsohn
et al. (1994) vont faire une nouvelle proposition de
l'évaluation de l'impact des changements climatiques sur l'agriculture
qui tient aussi compte de l'adaptation mais en rompant totalement avec
l'évaluation des rendements agricoles. Ces derniers, tout en
reconnaissant l'originalité des modèles « fonction de
production » leur reproche fondamentalement de ne pas prendre en compte de
façon claire l'adaptation des fermiers et suggèrent donc leur
nouvelle approche.
b- L'approche Ricardienne
L'approche ricardienne trouve son fondement dans la
théorie de la rente, élaborée par David Ricardo
(1772-1823) en se basant sur les principes de la raréfaction des biens
et des rendements décroissants : d'où l'appellation «
approche ricardienne ».
Plusieurs auteurs ont également utilisé cette
approche afin de déterminer les effets du climat sur la
variabilité des prix via la production agricole.
Mendelsohn et al. (1994) affirment que le climat est
un déterminant important de la valeur des exploitations agricoles.
L'utilisation de la valeur agricole totale fournit une description plus
satisfaisante de la sensibilité au climat. En effet, l'agriculture
tempérée a plus de valeur que l'agriculture tropicale et polaire,
ce qui est cohérent avec les observations connues.
S'inscrivant dans la même optique,
Mendelsohn et Dinar (2003), à leur tour, pensent que la rente
foncière reflète la productivité nette des terres
agricoles. En effet, la valeur des terres agricoles conduit à la valeur
actualisée des productivités nettes futures. L'effet du climat
sur la valeur des terres et le rendement agricole ainsi que les mesures
d'adaptation des agriculteurs, face au climat, reflètent à la
valeur actualisée des revenus futurs issus de l'exploitation la plus
productive de la terre. En d'autres termes, ils arrivent à la conclusion
telle que des modifications climatiques sur la rente foncière,laquelle
est théoriquement un élément d'appréciation de la
valeur ajoutée dégagée par l'activité agricole.
Aussi, Da Silva (2009) présente
l'avantage d'intégrer implicitement les mesures d'adaptations aux
conditions climatiques locales. Car, un producteur dit rationnel doit
être proactif dans la gestion de sa terre, minimisant ses pertes en
s'adaptant face aux impacts négatifs et maximisant ses profits en
capitalisant sur les effets positifs des changements climatiques sur ses
activités.
De même, Schlenker et al.
(2006) affirment que le réchauffement climatique provoque des pertes de
profit.En effet, La baisse de la production agricole liée à la
variabilité climatique entraîne une diminution de la
disponibilité alimentaire. Étant donné que la demande
alimentaire est très inélastique, une diminution de l'offre
commercialisée peut entraîner une augmentation importante des prix
des produits agricoles, réduisant ainsi l'accessibilité des
aliments. La proposition de Schlenker et al. (2006) se base aussi sur
le rôle de l'irrigation et pensent que l'une des hypothèses de
l'approche hédonique de Mendelsohn et al. (1994) selon laquelle
les précipitations mesurent l'approvisionnement en eau des cultures
n'est pas adaptée aux zones irriguées. Ainsi donc, pour des
raisons tant hydrologiques qu'économiques, les effets économiques
du changement climatique sur l'agriculture doivent être
évalués différemment dans les zones arides et
irriguées.
Ainsi, Ouédraogo (2012) pense que la pratique de
l'irrigation et l'accès à la vulgarisation peuvent servir
d'options viables pour l'adaptation au changement climatique en agriculture. En
effet, les performances des économies, pour la plupart, sont
étroitement liées à celles du secteur agricole, qui sont
tributaires du climat caractérisé par un important déficit
pluviométrique, une rigueur de la nature et un environnement naturel
fragile à risque. C'est ainsi qu'il est évident que la pratique
de l'irrigation soit une option viable pour les adaptations dans l'agriculture.
Le modèle ricardien permet également d'effectuer
des comparaisons entre les effets potentiels sur les pays
développées et en développement.
Mendelsohn et al. (2001) affirment que les pays en
développement sont beaucoup plus sensibles aux effets de la variation
des paramètres climatiquesque les pays développés. En
effet, le secteur agricole des pays en développement sont susceptibles
de souffrir des effets négatifs du réchauffement
planétaire que les pays développés. Ce qui explique que
le niveau de développement a un effet significatif sur la
sensibilité au changement climatique. Ce qui fait que l'effet
négatif de réchauffement climatique sur l'augmentation des prix
des produits alimentaires soit plus important dans les pays en
développement que dans les pays développés dans la mesure
où les effets négatifs de réchauffement climatique sont
plus élevés dans les pays en conflit et dans les pays
vulnérables aux chocs de prix alimentaires.
c- La troisième approche qualifiée de
« structurelle ou agro-économique » concilie les deux
précédentes. Elle mesure les effets directs de la
variabilité climatique sur diverses cultures et sur leurs besoins en
intrants à travers des simulations agro-économiques. Dans cette
approche, les pratiques telles que le choix des cultures, l'irrigation et le
calendrier agricole sont incluses dans les modèles structurels. Deux
modèles économiques sous-tendent cette approche à savoir:
Le modèle d'équilibre
général calculable qui simule l'impact économique
global, soutenue par:Yates et Strzepek, 1996 et 1998 ; Darwin et al.
1994 ; Rosenzweig and Parry, 1994 ; Parry et al. 1999.
Le modèle d'équilibre partiel
proposé parChang (2002) ainsi que Kumar et Parikh (2001). La
principale limite de cette approche est que dans l'ensemble des études
les conclusions faites sur de vastes zones et sur les systèmes de
production divers sont fondés sur les résultats des
expérimentations. De plus, les modèles structurels sont
généralement associés aux coûts extrêmement
élevés. Ce qui rend difficile leur implémentation dans les
pays pauvres et en développement.
En somme, le débat sur le changement climatique et la
dynamique des prix des denrées alimentaires reste très
controversé, mais il existe certaines zones d'accord. La section
suivante contribue à enrichir le débat en l'évaluant
empiriquement à partir d'une analyse économétrique.
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