V- LA VOIX ET TRAUMATISME - LE TROU-VOCALIQUE
A la suite d'un stage que j'organisais sur la voix en
art-thérapie, une jeune femme vient me rendre visite inquiète du
fait qui lui est impossible de chanter car l'idée de chanter la paralyse
complètement. C'est un travail qu'elle veut faire du fait de l'effet du
contre transfert, qui risque d'envahir la séance art-thérapie
orientée par la psychanalyse. Claire Gillie parle d'une automutilation
vocale qui renvoie à une forme d'anorexie vocale. Chanter serait prendre
des risques de donner à voir ou en entendre quelque chose de soi qui
doit rester dans l'inouï, la voix chantée comme objet est
rejeté au rebu de l'abject, menaçant. Ne serait-ce pas le risque
de converger vers l'engloutissement de la relation duelle avec la mère
« au risque de perdre une partie de la castration mais de se perdre tout
entier comme vivant ? »76 Ne serait-ce pas un retour à
la relation archaïque d'avec la mère par cet objet voix ? Ne
serait-ce pas un dérapage, qui contreviendrait à la loi
paternelle de flirter avec la jouissance de l'objet chu de la parole? Car que
se passerait-il si elle y trouvait quelque jouissance ? « Mozart dans la
flûte enchantée avait bien compris le déchaînement de
la jouissance maternelle incarnée par la Reine de la nuit dont les
performances vocaliques défient la loi du verbe, qui conduit Tamino au
piège du fantasme à cause de la fascination que constitue la
vocalité de la Reine de la nuit. Sarastro le père arrache sa
fille Pamina à l'emprise de la jouissance maternelle. Les reines de la
nuit remettent à Tamino une flûte taillée par Sarastro,
c'est donc une quelque chose du père qui est transmis par les femmes.
Cette flûte consiste à protéger Tamino de la quête
séductrice de la reine de la nuit. La Flûte revêt un aspect
symbolique ambivalent car elle à la fois féminine par la
possibilité d'une virtuosité vocalique et à la fois
masculine par son aspect phallique. L'instrument support de la voix du
père et du verbe taillé par Sarastro fait barrage au
débordement. La voix est à mi-chemin entre l'imaginaire et le
symbolique, elle est mi- dire, et c'est le versant divinisé du
père représenté par le prêtre qui permettra à
Tamino et Pamina de renoncer à ce lieu de jouissance originel
incarné par la Reine de la Nuit. »77La voix devient donc
un lieu de désir assumé par l'un et par l'autre et de sortir du
lieu de jouissance mortifère conférée à l'objet
propre à la psychose.
76 Julia Kristeva « Pouvoirs de l'horreur
» Ed.Essais
77 Michel Poizat « La voix du diable »
Ed. Métaillé
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A l'effet du traumatisme, il y aurait un échec de
l'appel de l'autre comme secourable qui fait défaut au moment où
on aurait eu besoin de l'autre. La voix s'échoue alors comme une
épave à la mère faute d'avoir été entendu.
Le traumatisme laisse le sujet vide de sens, quat, dans un état de
sidération. Cela renvoi à l'échec d'un dire d'une plainte
et de la mise en place du symbolique qui en découle. Une position
fantasmatique liée à la pulsion invocante s'installe de
façon paranoïde et revendicatrice en l'existence d'un autre
malfaisant, celui qui nous oblige à nous taire et qui jouit de notre
douleur, ce qui conduit à une forme d'aliénation à cet
autre méchant. La patiente à son récit à partir des
cartes contes, en choisit un représentant un personnage en prison ayant
un boulet au pied. D'autre part, elle me précise que quasiment tous les
mois elle se trouve clouée au lit pétrifiée de douleurs.
Pour elle ce boulet signifiait ce quelque chose auquel elle était
aliénée, dont elle ne pouvait se débarrasser et qui la
faisait souffrir. Ces symptômes ne seraient-ils pas la réponse
à un autre persécuteur ou persécutrice, auquel elle
obéit et l'oblige à se terrer (taire) percluse de douleurs comme
enchaînée. Ce serait prendre le risque de découvrir ce dont
on ne veut rien savoir « ça voir » que de chanter. Comme
mécanisme de défense, il est préférable de s'en
dispenser. Pourtant le chant libère, il est émancipateur, or le
surmoi est si puissant qu'il l'empêche d'accéder à ses
désirs qui ré-enchanteraient sa vie.
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