Aux detours de la voix et ses "en je"par Sylvie ROSI DETTO ROZZI Université Paul Valéry Montpellier III - Master II 2021 |
IV-2 La voix psychogène :Une patiente vient me voir, pour des problèmes vocaux, liés à une angoisse de perdre le souffle et que ce souffle s'arrête. On ne peut pas dire j'ai perdu le regard, mais j'ai perdu la vue, et non pas ma vue, alors qu'on dit j'ai perdu ma voix. Du coup on est muet comme une carpe après avoir perdu sa voix comme si nous étions amputés de notre voix. Cela démontre qu'au coeur de la voix quelque chose nous convoque à notre insu, au niveau inconscient qui traverse le corps. a) L'angoisse : 60 groupe ORL de Toulouse 5 avril 2011 par L'équipe GORG. https://www.doctolib.fr/cabinet-medical/toulouse/groupe-orl-rive-gauche 38 Il y aurait au coeur de l'aphonie le témoignage d'une souffrance. En effet, Cicéron dit qu'au coeur de la voix git un « cantum obscirior » un chant obscur. La détresse de l'être humain oblige celui-ci à demander à l'autre de lui désigner ce qui est désirable et ce qui ne l'est pas et d'être un grand donateur des objets. Cet appel à l'autre celle dont on dépend notre mère, se fait d'abord par le cri qui fut le premier rapport au corps comme support de cet appel. De la réponse de la mère ou non réponse dépendra tous notre vie inconsciente, et nos symptômes qui se logeront comme le dit Freud en 1926 « dans Inhibition, symptôme et angoisse »,61 vers le haut du corps, notamment le coeur, le souffle et la voix. Françoise Dolto dans l'image inconsciente du corps que : « Derrière la dysphonie, ou aphonie se révèle le symptôme d'une souffrance, que la voix vient dévoiler comme une fracture du discours. La voix réduite au silence présentifie l'inaudible d'une parole perdue dans le trou vocalique. L'altération de la voix est certes d'origine organique, mais elle peut être aussi la marque d'une béance à être ou d'un manque à être. »62 Freud fait une nette différence entre la peur face à un danger qui est connu, reconnu et l'angoisse dont l'objet de la peur est inconnu. L'angoisse est une réaction dans le but de se protéger face à un danger à venir. Ce qui fait trauma chez l'individu c'est d'avoir eu à faire face à un évènement inattendu, induisant un énorme stress, un effroi. L'angoisse serait donc une défense au service du moi. Freud nous indique que « l'angoisse est liée à la pulsion. Un excès de tension crée une surcharge d'énergie qui ne peut se libérer et provoque l'angoisse. »63 Pour Freud il y aurait un facteur t de l'angoisse dès la naissance. «La situation traumatique ou la situation de danger à l'origine de l'angoisse ont la même caractéristique de signifier une séparation ou une perte d'un objet aimé ou la perte d'amour de cet objet. L'angoisse a besoin de s'exprimer. Si elle ne peut s'exprimer en parole, c'est par le comportement ou le fonctionnement corporel, par le comportement du corps en société ou le comportement caractériel ou par un dysfonctionnement végétatif ou moteur que l'angoisse s'exprime »64 Paradoxalement l'inhibition vocale est un cri d'une souffrance, un appel au secours. 61 Freud. « Inhibition, symptôme et angoisse », ed.Puf 62 Françoise Dolto « l'image inconsciente du corps « Ed, du Seuil 1984 63. Freud. « Inhibition, symptôme et angoisse, » ed.Puf, Op.cit 64 Ibid. 65 Ibid. 39 « Au cours du développement, lorsque le moi est devenu capable de passer de la passivité à l'activité, il parvient à reconnaître le danger, à le prévenir par le signal d'angoisse: « L'angoisse réaction originaire à la détresse dans le traumatisme, est reproduite ensuite dans la situation de danger comme signal d'alarme du danger menaçant son intégrité. » 65 Quel évènement va-t-il bien pu provoquer une telle décharge d'énergie dans le haut du corps au niveau du coeur et des poumons ? Pour Freud c'est le traumatisme de la naissance dans sa forme la plus archaïque Deux possibilités s'offrent alors au sujet une réaction réflexe à chaque fois qu'il se situe dans une position de danger dans certains aspects rappelle ce qu'il a vécu initialement. L'autre est ce que Freud nomme le signal. Il s'agit de la reproduction atténuée de ce qui a été vécu initialement, parce que le sujet reconnait l'approche du danger, parce que corréler à son impuissance biologique, et à la dépendance totale à l'autre. La vie intra-utérine comme après la naissance est liée au besoin biologique et affectif de l'enfant. C'est donc un dispositif mis en place par le moi, permettant de déclencher des opérations de défense telle que l'angoisse. Le nourrisson donne un signal d'angoisse avant même que le danger arrive. Des éléments d'excitations qui n'ont pas pu être déchargés, sentiments d'abandon, détresse, déplaisir etc. Apparait donc une tension vers le haut du corps, une énergie qui demande à être apaisée par la mère de telle sorte que l'enfant pourra expulser ces tensions et retrouver sa sérénité Quelque chose « la chose » viendra se répéter dans la vie du sujet créant une tension demandant à d'être expulsés, liquidés. C'est le noyau propre du danger dit Freud. Pour Freud l'angoisse est un symptôme de névrose qui se manifeste de façon symptomatique, aboutissant à son évitement. C'est-à-dire que le symptôme est une parade à l'angoisse. Donc il protège le sujet d'un danger réel ou supposé. Les manifestations somatiques de l'angoisse au niveau vocal sont une gorge serrée, du mal à respirer, une bouche sèche ce qui quelques fois provoque à la longue des problèmes de parotidomégalie (problèmes de glandes salivaires). Les cordes vocales étant moins alimentées par la salive se fatiguent et souvent s'enflamment. En général le larynx est haut placé et 40 provoque un essoufflement. La glotte fermée entraîne un timbre sans vitalité, et le débit de ses mots peu fluide. Tous ces symptômes sont en rapport étroit avec la signification du mot « Angoisse » qui vient du grec « angxo » qui signifie « j'étrangle » « passage étroit» et du latin« angustia » qui signifie« resserrement». L'angoisse, provoque une montée du larynx qui provoque un resserrement de la gorge et une sensation d'étouffement. Ce resserrement provoque également une difficulté à déglutir et une mobilité de la mâchoire réduite. Il y a aussi une sensation de bouche sèche et de glotte fermée qui peut renvoyer à une idée de ne pas pouvoir dé« glottir » comme un sanglot non abouti, d'où« sans glotter ». Il y a une faille dans quant à la satisfaction organique lié au plaisir du fait que l'aspect gustatif dans cette pathologie est altéré. La dialectique du désir articulé à l'autre fait défaut du fait que le mot ne peut plus faire corps avec la voix. Ce qui est repérable à l'effet du symptôme c'est qu'il parle du sujet, de l'objet de sa plainte, de sa perte de son histoire inscrite dans le corps. C'est pourquoi le sujet s'accroche à son symptôme comme le vers sur le fruit, il n'y a pas de sujet sans symptôme dit Lacan. Le symptôme dit une vérité qui arrivé voilé à la conscience, et la souffrance est porteuse de jouissance. Dans le Séminaire 13, le 20 avril 1966 de Lacan « L'objet de la psychanalyse »,66 douleur et voix sont intriquées et que la voix est liée au corps dans sa matérialité sonore : rappelle bien que parler de la voix, ce n'est pas en parler dans sa matérialité sonore. En effet dans la séance du, il parle en ces termes des rapports du langage : « Qui, incontestablement, en effet est coupure et écriture, avec ce qui se présente comme discours, langage ordinaire et qui nécessite ce support de la voix, à ceci près, bien sûr, que vous ne preniez pas la voix pour simplement la sonorité. Ce qui la ferait dépendre du fait que nous sommes sur une planète où il y a de l'air qui véhicule du son, ça n'a absolument rien à faire avec ça. Quand je pense que nous en sommes encore dans la phénoménologie de la psychose à nous interroger sur la texture sensorielle de la voix [...] on peut interroger le phénomène de la voix. Il n'y a qu'à prendre le texte de Schreiber et à y voir distingués, comme je l'ai fait, ce que j'ai appelé message de code et code de message pour voir qu'il y a là moyen de saisir d'une 66Jacques Lacan : Séminaire 13, le 20 avril 1966 « L'objet de la psychanalyse », 41 façon non abstraite mais parfaitement déjà « phénoménologisée » la fonction de la voix en tant que telle. Moyennant quoi, on pourra commencer à se détacher de cette position invraisemblable qui consiste à mettre en question l'objectivité des voix de l'halluciné [...] En quoi la voix sous prétexte qu'elle n'est pas sensorielle, serait-elle de l'irréel, de l'irréel, au nom de quoi ? [...] Est-ce que la voix est irréelle, allons-nous dire de ce que nous la soumettions aux conditions de la communication scientifique, à savoir qu'il ne peut pas la faire reconnaître, cette voix qu'il entend ; et la douleur, alors ? Est-ce qu'il peut la faire reconnaître ? Et pourtant ? Va-t-on discuter que la douleur soit réelle ? Le statut de la voix est à proprement parler encore à faire [...] il y a de ces phénomènes de voix qui s'accompagnent de mouvements laryngés et musculaires autour de l'appareil phonatoire et que ceci bien sûr a son importance, n'épuise certainement pas la question mais en tout cas, lui donne un mode d'abord. Ça n'a pas fait avancer pour autant, d'un pas de plus, le statut de la voix [...] Ce serait tout à fait folie de méconnaître ce que le statut de la science préconise - je parle de la nôtre - [et ce qu'elle] doit à Socrate qui se référait à sa voix. Il ne suffit pas de prétendre en finir avec, et se satisfaire ou croire qu'on a satisfait à un phénomène comme celui-là au fait que Socrate disait expressément référer à sa voix, pour dire, oh ben oui, il y avait dans un coin un truc qui tournait pas rond. [...] Il faut dire d'ailleurs, que nous, qui ne sommes pas de parti pris, nous n'avons pas de visée spéciale vers l'humiliation de l'homme, nous nous apercevrons qu'il y a deux autres objets a, chose curieuse, restés même dans la théorie freudienne à demi dans l'ombre, encore qu'ils y jouent leur rôle d'instance active, à savoir le regard et la voix [...] l'obscurité n'est pas sur le désir de l'Autre, que vous sentirez déjà immédiatement supporté par la voix, que ce désir à l'Autre qui représente une dimension que j'espère, à propos du regard, pouvoir vous ouvrir. [...] La double dimension qui se révèle ici est, vous le verrez, quelque chose qui différencie le caractère se dérobant, le caractère insaisissable de la substantialité de l'objet a quand il s'agit du regard et de la voix, ce caractère se dérobant, caractère insaisissable n'est absolument pas de la même nature quant à ces deux objets et quant au phallus. » b) La voix peau : Suite aux cherches approfondies de Didier Anzieu « le moi peau et le moi pensant » Editions Dunod (1994), sur le Moi-peau, celui-ci a élaboré la notion « d'enveloppe sonores du Soi ». En effet il a mis en évidence l'existence précoce d'un miroir sonore ou d'une peau « audio-phonique » en lien avec l'appareil psychique par étayage. En effet le « Le soi se forme comme une enveloppe sonore dans l'expérience du bain de sons, concomitante de celle de l'allaitement. Ce bain de son préfigure le Moi-peau et sa double face tournée vers le dedans 42 dehors, puisque l'enveloppe sonore est composée de sons alternativement émis par l'environnement et par le bébé. Le bain mélodique la voix de la mère, ses chansons, la musique qu'il entend, le bain mélodique de la voix de la mère, donne l'illusion d'un miroir sonore dont il fera l'expérience par des cris, puis par des gazouillis puis par des jeux d'articulation phonématique. Il s'agirait d'un miroir à double face à partir duquel s'ébaucherait une identité pré-individuelle par le jeu de l'expérience d'une « memeté » (terme employé par F. DOLTO), vocalique permettant de palier l'angoisse de la présence de la mère relativement à des éprouvés vibratoire constituant une image du corps pré-individuelle en y mêlant des éléments propres (ses éprouvés) et ceux qu'il emprunte à autrui (sa mère) même si la voix de la mère n'est pas encore perdue. Alain Delbe dans « Le stade vocal » préfère isoler la notion de la voix du bain sonore en établissant la conception du stade vocal. 67 La voix maternelle est identifiée par le nourrisson très précocement et sont associés aux soins affectifs et maternels. Par ailleurs l'enfant ne peut produire que des sons vocaux, et l'adulte reproduit en miroir les sons vocaux du bébé. Plutôt que de parler d'enveloppe sonore, ne serait-il pas judicieux de parler d'enveloppe vocale ? La voix rompant le silence pallie l'angoisse de l'absence de la mère. Il y aurait donc un aspect contenant de la voix de la mère qui rassure le bébé en lui parlant et le regardant avec tendresse. La voix par l'intermédiaire des creux des résonateurs, de la cavité bucco pharyngée et des vibrations qu'elle entraîne conduit à la notion de centre indissociable de l'équilibre psychique et physiologique, d'où le sentiment d'un centre vide vocale en lien avec l'image inconsciente du corps. D'ailleurs les techniciens du chant conseillent de rassembler leur voix au centre du corps. D'autre part, l'enfant est inscrit dans un langage soutenu par la voix s'inscrivant dans la dialectique contenant/contenu. c) Jeu du dedans et du dehors : D.W Winnicott fait référence à la voix comme un objet transitionnel car en effet, par le médium voix, ce qui se rejoue c'est de la présence et de l'absence de l'autre. Il y a aussi ce qui se joue du dedans et du dehors puisque la voix est intégrée au corps, et de ce 67 Alain Delbe psychologue « Le stade vocal » Édition le Harmattan 1995 43 qu'elle a de contenu dans ce même corps et qui au fur et à mesure de l'élaboration symbolique, devient contenant. Par cette construction symbolique nous avons créé d'autres liens avec notre mère. Sa voix nous appelant nous aide à comprendre que nous n'étions pas elle et que nous tenions une place à part entière dans le monde. 68 Denis Vasse nous parle de la voix comme d'un nouvel ombilic qui relie la mère et l'enfant. C'est par sa voix que la mère a pu donner sa place à l'enfant dans le monde. C'est par sa voix que la mère recrée le lien brisé par la rupture du cordon ombilical. Avant d'avoir un sens, la voix est synonyme de présence. Lorsque le bébé fera l'expérience du manque, les vocalises l'aideront à supporter l'absence de la mère, paroles abstraites qui le mèneront plus tard au langage. La guérison consiste à revenir en arrière, à rebrousser chemin afin de réactualiser le traumatisme.69 Alain Delbe définit le stade vocal aux alentours de six mois lorsque le nourrisson s'approprie sa voix, ou il comprend que les émissions vocales lui appartiennent. L'identification à sa voix sera fondamentale pour la structuration de sa personnalité. Même si l'enfant communique avec de multiples canaux -geste, mimique toucher etc. seule la voix quand elle est parole est langage.70 d) La voix vide : M. vient me voir car elle a peur de perdre sa voix. L'examen médical ne décèle rien de suspect au niveau organique. Au cours des séances M. me confie que son père était injurieux et qu'elle avait pris l'habitude pour éviter les affres de son père de se taire. Elle subit les violences verbales de la même manière de son mari. Ce qui fut l'élément déclencheur de ses problèmes vocaux fut une gifle qu'elle aurait reçu d'une dame à l'occasion d'une démarche administrative. Cet acte mit en exergue tout son vécu pulsionnel de l'enfance, le fait de vouloir s'émanciper de la voix paternelle qui lui disait « tais-toi » outre le fait que par des paroles violentes et haineuses l'humiliantes. Donc il s'agissait de se faire de plus possible oublier de son père et de de ce fait, de se taire, (terrer). La voix de son père venait se substituer à la sienne au point que la sienne était perdue cachée dans la grotte laryngée. C'est comme si 68 D.W Winnicott dans « objets transitionnels » coll. "Petite Bibliothèque Payot", 69 Denis Vasse « L'ombilic et la voix », Editions du Seuil 1974 op.cit. 70 Alain Delbe « Le stade vocal » Ed. L'Harmattan 44 elle endossait la peau de l'autre « vocale » pour s'en protéger accablée par le poids du surmoïque. La voix réduite au silence présentifie l'inaudible d'une parole perdue dans le trou vocalique. L'altération de la voix est certes organique, mais elle peut être aussi la marque d'une béance à être ou d'un manque à être. Derrière la dysphonie se révèle le symptôme d'une souffrance, que la voix vient révéler comme une fracture du discours. La voix est pulsionnelle elle peut n'être que jouissance, dans l'errance d'une voix qui ne porte plus le mot (maux) ou désir à l'autre soutenant le discours qui prend corps. Le corps est mis à nu par la sonore qui l'érotise. Phallique elle se fait geste intrusif qui déborde le corps. La voix prend alors le pas sur la parole à l'effet de la jouissance qui prend en otage le corps excluant le sujet de la parole. Malgré tout la voix peut revêtir plusieurs peaux au bénéfice de la sociabilité pour rendre la vie plus tolérable dans nos rapports à l'autre. Elle se fait enjôleuse, plaintive, geignardes, autoritaire etc. Le vocal donc endosse comme un manteau, la souffrance que le sujet extériorise par le jeu vocal au jeu de la rencontre. La voix devient un par-dessus recouvrant le mot telle une peau qui étouffe la parole au risque de devenir un carcan. La voix s'éraille, s'étrangle à l'effet d'un mot qui chu dans le silence d'une voix qui ne peut soutenir le signifiant. La parole se délite étouffée par une voix qui voile le discours mais qui dévoile la souffrance du mal à dire. La voix se perd dans les méandres du discours, elle transporte avec elle un manque à dire, à être. De qui de quoi cette voix se fait-elle le portevoix ? Bredouiller, bafouiller, bégayer etc. cela vient marquer plus qu'un « raté »de la profération, une buttée de l'acte de parole sur sa propre jouissance corporelle, vocale. 71 « La voix tient de la faille et du gouffre. La voix surgit de l'abîme du silence et par la résonance qu'elle donne au mot, elle indique la béance de l'abîme tout autant qu'elle l'occulte. La voix tien de l'esprit de la langue, celle du sujet ; elle lui donne une limitée nécessaire à la perception ; elle est ce par quoi l'esprit ou la langue s'appréhende. Mais en même temps elle donne aux mots une résonnance sans limites, celle de l'esprit. C'est en cette limite précisément que je placerai la voix en sa fonction symbolique, là où viennent à rencontre et à séparation la langue 71 Jean-Michel Vives « Les enjeux de la voix en psychanalyse dans la cure et hors cure « Presses Universitaire de Grenoble 2002 45 et le sujet, et pour autant que sans elle, ni la langue ni le sujet ne saurait - et pour cause se dire. » « Lorsque la voix se noie dans une langue qui n'aurait pas d'attache particulière, elle indique, par sa défaillance délirante, le vertige d'un sentiment océanique où tout se dissout dans un mutisme imaginaire, d'un un sans Autre. »72 d) La perte : Guy Rosolato rappelle que la « mémoire sonore « opère sur le phénomène du manque parce qu'articulée à la séparation du corps d'avec celui de la mère. 73 Cette perte est évoquée dans le poème de Lamartine dans ses méditations : Les images de ma jeunesse S'élèvent avec cette voix, Elle m'inonde de tristesse, Et je me souviens d'autrefois, L'absence incite le poète à la faire revivre de façon sublimatoire au travers de l'écriture comme un retour fantasmé au corps maternel. E.Sechaud parle « d'un effet sublimatoire en de ça des mots qui se supplée à la perte de l'objet perdu. Pour elle, la sublimation issue de la perte maintient le lien à l'objet perdu, dans un mouvement de ré-objectivisation dont la force trouve sa source dans un réinvestissement libidinal de l'objet. « 74 Rappelons que l'infant est confronté à deux pertes, celle du cri lié à la demande et celle de la mère qui l'invite à la fusion vocale. Il devra pouvoir rester sourd au chant de la sirène, pour n'entendre que le chant de la poétesse qui l'invite à advenir. Cette surdité créera au sein de la psyché, un point sourd tout comme il y a un point aveugle pour pouvoir voir. Le sujet, pour advenir comme parlant, doit en tant qu'émetteur à venir, pouvoir oublier qu'il est récepteur du timbre originaire. Il doit pouvoir se rendre sourd au timbre primordial pour parler sans savoir ce qu'il dit, c'est à dire comme sujet de l'inconscient. Pour devenir parlant, le sujet doit acquérir une surdité spécifique envers cet autrui qu'est le réel du son musical de la voix. De même qu'un 72 Denis Vasse « l'arbre de la voix » Ed.Bayard 73 Guy Rosolato « Revue française de psychanalyse, January-February,1974 « la voix entre corps et langage » 74 E.Sechaud « La sublimation, un mouvement, la création » Revue Francaise de Psychanalyse, tome 69, année 2005 (65ème congrès des psychanalyses) e) La jouissance comme « J'ouïr (de la voix). 46 point aveugle structure la vision, l'acquisition d'un point sourd - acquis par le refoulement originaire - s'avère nécessaire. Pour pouvoir entendre et parler. La voix primordiale est devenue "inouïe" et le sujet pourra conquérir sa propre voix. Bien qu'ayant perdu la jouissance de l'autre , qui serait de l'ordre de la » mal e diction »par ce que hors mots, pour trouver sa voix il faut que la voix de l'autre soit mal-entendue, comme si la perte n'était que partielle et qu'il en reste un bout, d'où l'objet « a » Le principe même de la pulsion invocante montre que le sujet de l'inconscient n'a pas oublié que pour devenir invoquant il a dû se rendre sourd à la pure continuité vocale de l'Autre. Cette surdité à la voix primordiale permettra au sujet à venir, à son tour, de donner de la voix. Celui ou celle qui n'aura pas été sourd à la voix de l'autre y restera suspendu et envahi, d'où les voix fantôme dans le cadre de la psychose. Le mythe d'Echo : « Les métamorphoses d'Ovide » (livre III, 339-510) : Dans la mythologie grecque, Écho est le nom d'une nymphe. Elle est l'héroïne de plusieurs mythes différents. Zeus qui demande de détourner l'attention de sa femme Héra, en lui parlant sans cesse. Pendant ce temps Zeus peut se livrer à des « aventures amoureuses ». Héra, jalouse, comprend la tromperie et lance une malédiction sur Écho. Désormais, celle-ci ne peut plus parler la première, mais doit se contenter de répéter ce que les autres ont dit avant elle. Dans un autre mythe, Écho rencontre Narcisse et en tombe amoureuse ; mais Narcisse, qui n'aime que son reflet, ne répond pas à son amour. De chagrin, la nymphe se retire dans une grotte. Comme elle ne se nourrit plus, elle finit par s'évaporer ; il ne reste d'elle que sa voix qui, toujours soumise à la malédiction d'Héra, répète sans cesse les dernières syllabes que l'on prononce. Echo se trouve donc confrontée à imprononçable, sans une voix qui se fait jouissance d'un amour perdu à jamais. Une voix qui n'a pas d'adresse. La voix n'est que mélopée qui ne dit pas les mots mais se fait musique. Mais Echo disparait derrière cette voix jouissive car il n'y a pas d'adresse ni d'invocation. L'histoire d'Echo montre à quel point la parole est liée au désir envers Narcisse, qui reste incapable de l'entendre. Il ne reste plus qu'à se taire «se terrer» jusqu'à tel un spectre vocalique, qui ne dit plus rien. 47 L'impossible possession de l'objet de la voix entraine une tension permanente entre le convoité et redouté. Convoitée en tant qu'étant liée au corps comme promesse de jouissance et redoutée car peut nous entraîner dans l'abysse d'un l'illimité vocalique aboutissant à la folie. Michel Poizat dans le mythe du « Covenant (pacte)» établit bien la limite entre « Le principe du « sama » est la jouissance de l'injonction créatrice. Se pose la question de l'incorporation, de nourriture, associée à cette audition primitive d'un verbe primordial créateur, et la notion de souvenir, de résonance, d'écho de cette voix impérative qui ordonne le monde. Le mythe de l'audition primordiale du Verbe créateur se prolonge par celui qui met en scène un pacte primitif liant Dieu à l'ensemble de ses créatures humaines. Toutes les âmes étaient plongées dans l'ivresse de cette parole. Il y a une articulation de la voix et le remémoration de la dimension sonore d'une parole fondant l'alliance entre Dieu et les hommes mais aussi le « OUI »d'Adam qui romps avec cette jouissance en acceptant d'obéir à la voix divine car « ob-ouir » (obaudire) c'est écouter se soumettre au temps de parole de l'autre, obéir c'est incorporer, assimiler cette parole. 75 La voix peut-être un ancrage à l'érotisation du corps de l'autre, dont la voix de l'aimé se ferait écho. Elle vient donc incarner quelque chose qui attendu de l'autre, qui vient à manquer. Le mythe des Sirènes : Dans la mythologie grecque, les Sirènes sont des créatures mi- femme mi- oiseau. Filles du fleuve Achéloos et de la muse Calliope, une punition d'Aphrodite ou de Déméter leur donnera cet aspect monstrueux. Dans la tradition la plus usitée elles sont au nombre de trois. L'une joue de la lyre, l'autre de la flûte et la troisième chante. Elles séjournent dans le détroit de Messine où les marins, charmés par leurs chants, perdent leur sens de l'orientation et leurs bateaux se fracassent sur les rochers. Rejetés sur les récifs, ils seront dévorés par les Sirènes. Histoire d'Ulysse et les Sirènes : Après la prise de Troie, Ulysse, ayant encouru la colère de Poséidon, dieu de la Mer, erra durant 10 ans sur les flots, affrontant de multiples dangers et aventures. Au moment de quitter la Magicienne Circée, chez qui il avait dû passer un an, elle le mit en garde sur le danger des Sirènes qu'il allait affronter. S'il tenait à écouter leurs chants, il devra boucher avec de la cire les oreilles de ses compagnons, et lui-même se faire attacher solidement au mât du bateau. Il suivit ses conseils, et les oreilles non bouchées, put ainsi, sans risque entendre leurs chants. 75 Michel Poizat « la voix du diable » Ed Métailié L'oreille se fait regard et ce fait regard porte sur ce que le sujet donne à dé-voiler le narcissisme est mis rudement à l'épreuve. Cela traduit une peur mortifère d'un corps malade 48 La voix de la jouissance dont parle Lacan J (le Séminaire Livre X, L'angoisse (1962-1963) non publié), se rapproche du râle de jouissance et de la mort du père de la horde primitive. La voix rejetée (werfen) partie ré réelle non symbolisée va subsister comme père mort increvable menaçant. La perte de la voix dans le cadre de la dysphonie ou aphonie peut en cacher une autre. Théodore Reik parle d'une mise en écho de la parole du sujet inconscient, qui pourrait être l'objet cause de la pulsion invocante. L'absence de voix, exclut le sujet du social qui peine à se faire entendre. La voix s'entend comme le visage se voit et nous renseigne sur comment la voix se porte et comment le sujet supporte sa souffrance. La couleur de la voix est comme la couleur de la peau elle nous dit l'état du patient. Elle informe donc sur le désir, colère, haine peur, confiance, etc. Elle exhibe ce que nous croyons dissimuler c'est pour cela que (B .DeJurquet 1999) dit qu'elle est un secret visible. L'impossible appel à l'autre le renvoie à sa solitude et ébranle un corps qui s'épuise car « rien ne sort. » Le starter vocal ne fonctionne plus. Cet impossible appel va de pair avec le scopique car le patient ne regarde plus l'autre, son regard s'enlise dans une rêverie scopique, tout comme la voix s'enkyste dans le larynx. Cette idée de rien ne sort nous renvoie au problème de l'anorexique qui ne rentre rien ou rien ne rentre. Dans le cadre de la dysphonie ou aphonie c'est la même chose. Le sujet présentifie sa souffrance par une « anorexie vocale » la parole étant dépossédée de la chair vocalique. Le corps en est réduit à un squelette consonantique dépouillé de la chair vocalique. La voix est réduite à un souffle qui s'évertue à atteindre l'autre par son appel au-secours. La voix s'organise comme elle peut, elle se fait crie, sanglot, aphonie, dysphonie, toux, déjection etc, pour se faire entendre de l'autre. Le mot est écorché par cette voix qui marque le trouble, voile le discours, mais dévoile le malaise. Alors le sujet crie à corps perdu son angoisse, malgré une voix perdue dans les méandres laryngés, béance de la demande du sujet à l'autre. La faille du désir empêche le geste vocale permettant l'appel à l'autre. Cette voix perdue serait la voix du désir de l'autre. Le cri du nouveau-né n'est pas d'abord appel, il ne le deviendra que par la réponse de la voix de l'Autre où se marque son désir. La première intervention de la voix d'Olympia est un aria « les oiseaux dans la charmille... ». Les vocalises y sont scandées, acrobatiques et aiguës. Le système langagier d'Olympia est une 49 de sa voix qui ne soutint plus le mot, au risque de la mort intérieur du sujet. Le sujet cherche le moyen d'un geste vocale qui lui permettrait de faire peau neuve avec sa voix. Le geste vocale consiste en une pulsion qui permet l'envoie de la voix « l'en voix » à l'autre. Le sujet est pris par la perte du jeu présence/absence correspondant au fort/da dans « Au-delà du principe de plaisir »dont parle Freud. Ce qui est forclos c'est l'appel à l'autre et cet impossible appel empêche la présence de l'autre. L'aphonie vient marquer l'absence de l'autre. Il reste le souffle le filet de voix qui donne la perspective de retrouvaille possible d'avec l'autre. On peut donc espérer une mue vocale qui permette de régler le conflit présence/absence. La voix surmoïque de l'autre, peut prendre une telle place, parlant au lieu et place du sujet, qu'il en est réduit 'à un porte-parole de l'autre. La voix du sujet est déshabillée de sa propre peau pour revêtir celle de l'autre. La voix du sujet n'a plus qu'à se terrer « taire » au profit de l'autre qui parle à sa place. La voix de l'autre devient persécutrice car elle revient occuper tout l'espace. Le père devient un étranger persécuteur car non incorporé. Il s'agit donc de se débarrasser de cette voix qui encombre la zone laryngée. La voix du sujet brille par son absence désertant la parole et laissant un trou, une indicible parole provoquant une aphonie. Dans le 1er acte des contes d'Hoffmann d'Offenbach, Spallanzani, un brillant physicien construit un automate qu'il s'apprête à présent à la société comme « sa fille ». Il la nomme Olympia. Hoffmann, son élève, tombe éperdument amoureux d'Olympia sans reconnaître la nature inanimée d'Olympia. Après avoir chanté, l'automate offre au poète Hoffmann l'occasion d'une valse folle. Mais Coppélius un vendeur, qui a donné la vue à l'androïde en vendant des yeux à Spallanzani, vient en pleine fête réclamer le prix de ses services. Dupé puis éconduit par Spallanzani, le pourvoyeur d'yeux se venge en brisant la poupée devant les invités hilares qui accablent Hoffmann effaré. 50 discontinuité de micro-silences, qui montre que le sens est perdu, mais que la jouissance pointe à cause des aiguës proches du cri. Cet automate sur la demande de son « père » chante cet air qui obéit par de nombreuses notes piquées à la Loi du signifiant imposée par son créateur. Objectivée, réduite à l'état de machine, elle dépend de lui pour donner de la voix « Ma fille obéissant à vos moindres caprices... dit Spallanzani», la voix devient un objet anal répondant à la demande de l'autre. Jusque-là obéissant aux sollicitations paternelles, Olympia n'est pas en danger. Mais c'est grâce à la valse avec Hoffmann qu'Olympia va acquérir de l'autonomie. Elle dira « oui » à son père mais s'autorisera à valser en chantant un chant qui devient pratiquement orgasmique. Tant que les vocalises étaient scandées le rapport au signifiant était encore présent. Désir sans Loi, jouissance sans limite tout cela est dangereux, mieux vaut le détruire. Olympia n'avait d'existence que par la demande de l'autre. Sa voix se faisant déchet devra se briser en même temps qu'elle. 51 |
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