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Aux detours de la voix et ses "en je"


par Sylvie ROSI DETTO ROZZI
Université Paul Valéry Montpellier III - Master II 2021
  

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I-2 DU CRI A L'INVOCATION :

C'est la voix qui permet de recevoir le nouveau-né dans le monde. Denis Vasse par le la voix comme étant le 1er lien avec le nouveau-né après la rupture du cordon ombilical.20

Invocare en latin renvoie à l'appel. Mais pour appeler, il faut donner de la voix et la déposer comme on dépose le regard devant un tableau c'est pourquoi elle est aussi scopique. Pour cela, il faut que le sujet l'ait reçue de l'autre, qui aura répondu au cri qui à son tour l'aura interprété comme une demande, puis l'oublier ou ne plus l'entendre afin de pouvoir lui-même disposer de sa propre voix sans se trouver encombrer par celle de l'autre.

Mais comment notre premier cri, première manifestation de la souffrance comme une décharge, est-il devenu appel dont la réponse de l'autre marquera le désir ? Le cri du nouveau-né est perçu

19 .ibid. p. 103.

20 DenisVasse « L'ombilic et la voix »Ed. Du Seuil

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par l'entourage comme la première manifestation vitale de l'enfant. Il n'est donc plus perçu comme une simple manifestation corporelle de la souffrance mais comme un appel, une demande.

« Déjà le foetus bien avant la naissance vit dans un bain sonore, ce sera les viscères de la mère, ses battements cardiaques. On sait qu'à partir de 5 mois il répond aux sollicitations vocales de la mère par transmission osseuse. Didier Anzieu an parle comme des enveloppes sonores. »21

D.Stern parle dans une étude de la nature du processus d'interaction sociale entre enfants et parents, durant les six premiers mois de la vie du bébé, de « l'enveloppe pré narrative du bébé se « Co construit » dans une interaction constante avec l'identité narrative individuelle des parents et l'identité narrative collective de leur communauté culturelle d'appartenance. »22

D.W. Winnicott médecin psychiatre et psychanalyste va s'intéresser à la vie première du nourrisson et va instaurer la notion de :

Handling : (soins, manipulation de l'enfant, toilette, habillage, caresse cutanée....

Holding : maintien, soutien de l'enfant d'un point de vue physique et psychique. Au début de sa vie, l'enfant est le prolongement de la mère (illusion primaire). La manière dont la mère exercera le « Handling » est essentiel car il déterminera la confiance ou pas que l'enfant aura avec son environnement.23

« C'est par la voix du bébé et son agitation « qui touche le désir qu'éprouve la mère de donner soin à celui-ci, et qui lui fait interpréter sa demande : « il a faim ou il est mouillé » etc. « La voix de la mère donne corps à l'enfant.24 « La parole est don du langage, et le langage n'est pas immatériel. Il est corps, subtil, mais il est corps. Les mots sont pris dans toutes les images corporelles qui captivent le sujet »25 Il se reconnaitra comme sujet du discours, avant que de l'être du sien.

C'est déjà lorsque la mère instaurera le baby-talk constituant un bain sonore essentiel, qui sera fondateur de la capacité langagière du futur enfant et pour créer la possibilité subjective de

21 Didier Anzieu « Les enveloppes psychiques »ed.Dunod

22 Daniel Stern « Mère enfant » : les premières relations » Ed Margada

23 D.W Winnicott « Jeu et réalité » Ed. Folio/essais 1971

24 Denis Vasse « l'ombilic et la voix » Ed. Essais

25 Jacques.Lacan « Fonction et champ de la parole et du langage », in Ecrits, Paris 1966, Ed. Du Seuil p.301

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réaliser la voix de l'autre comme étant différente de la sienne. La voix deviendra source d'apaisement ou d'inquiétude si la mère est suffisamment bonne pour répondre à ses angoisses de frustration. 26Le cri de l'enfant deviendra l'expression d'un sentiment, de fureur, de joie de colère etc. Si le cri est la première expression affective, la voix va le relayer introduisant des phénomènes sonores spécifiquement humains comme des vibrations harmoniques. Petit à petit l'enfant se fera une représentation de sa propre voix.

« Dans l'espace, le lieu ou dans le temps, se répète la rencontre qui répond aux besoins et désirs devient espace de sécurité pour l'enfant. Par exemple l'enfant entend plus qu'il ne voit. Son espace de sécurité auditif est plus grand que son espace visuel. Et son espace tactile est encore plus réduit que son espace de sécurité visuel. » A chaque séparation, le sommeil, s'ensuit et à chaque affamement de l'enfant, une retrouvaille, qui lui fait continuer d'éprouver comme érogène le lieu et l'ensemble des lieux qui le relie à la mère »27

Freud 28 nous parle du fort-/da c'est-à-dire de la capacité à jouir de l'absence et de la réapparition de son objet d'amour. Il remarque que l'enfant va jeter des objets ou jouets au loin avec une grande satisfaction.

Au moment où il ne les voit plus, il émet un son (Oooo) que Freud traduit par le fort « loin, parti ». Le fait de jeter l'objet traduit de l'agressivité et de la vengeance par rapport à la mère partie loin de lui et produit une tension désagréable, mais les retrouvailles lui procure plus de plaisir et se manifeste un (haaa) correspondant à Da. Par le jeu l'enfant est capable d'assumer et d'anticiper la disparition de l'objet. En effet, l'enfant est capable d'assumer et d'anticiper la disparition de l'objet par des vocalisations.

Donc l'enfant par ces vocable « Oh et Ah » est capable non seulement de transcender l'absence mais aussi de l'exprimer. Le vocable devient signifiant chargé de signifié, de sens, source de symbole lui permettant de maîtriser les évènements. C'est donc de la frustration qu'est né le plaisir. Le désir de l'homme est d'une nature telle qu'l ne peut trouver aucun objet qui pleinement adéquat à son appel ? Tout objet de l'homme fonction comme « remplaçant », le substitut d'un autre, de cet objet irrémédiablement absent, à jamais perdu. « De même une

26 Ibid .P 29

27 Françoise .Dolto « L'image inconsciente du corps » Ed. Essais p.38

28 Sigmund. Freud «au-delà du principe de plaisir» Editions Petite Biblio Payot

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sonorité de la voix maternelle à distance est une promesse d'une rencontre qu'il attend, avec une tension ver son jouir qui lui fait développer la reconnaissance auditive de cette voix.29

Marcel Proust parlant de la voix de sa grand-mère avec nostalgie, ayant marqué toute son enfance, « puis je parlai, et après quelques instants de silence, tout d'un coup, j'entendis cette voix que je croyais à tort connaître si bien, car jusque-là, chaque fois que ma grand-mère avait causé avec moi, ce qu'elle me disait, je l'avais toujours suivi sur la partition ouverte de son visage où les yeux tenaient beaucoup de place ; mais sa voix elle-même, je l'écoutais aujourd'hui pour la première fois. Et parce que cette voix m'apparaissait changée dans ses proportions dès l'instant qu'elle était un tout, et m'arrivait ainsi seule et sans l'accompagnement des traits de la figure, je découvris combien cette voix était douce... »30

Le souvenir de la voix de la mère peut être associé à l'eau, lorsqu'elle le baigne en même temps qu'il est baigné dans un bain langagier. Lamartine parle du souvenir de la voix de sa mère qui se mêle à l'image de l'eau « elle avait des accents d'harmonieux amour, que je buvais... » En buvant la voix de la mère il l'incorpore et la fait résonner au sein de son être contribuant à un plaisir érotique aural/oral articulé à l'oreille et à la bouche.31

Dans son essai sur la voix Rosolato rappelle que la « mémoire sonore » opère sous le signe du manque. La voix de la mère suppose une absente et une séparation d'avec le corps de la mère.

Fondamentalement il n'y a que le vide qui nous fait désirer, or la voix est fugitive, dont l'amour

qu'elle relie se place dans la mémoire dans l'espoir de la retrouver.

« Les images de ma jeunesse

S'élève avec cette voix,

Elles m'inondent de tristesse,

Et me souviens d'autrefois. »

Lamartine « les Méditations »

La voix devient donc un objet de jouissance impossible à atteindre car irrémédiablement

perdue. La voix de la mère comme du cri est devenue la « chose »objet (a) suspendue à la

dimension de l'autre dont le corps a été marqué.32

29 Sigmund Freud « pulsion et destin des pulsions Op.cit p.39

30 Marcel Proust « A la recherche du temps perdu » Ed. Gallimard

31 Jacques Wagner « La Voix dans la culture et la littérature Française 1713-1875 » Presses Universitaires Blaise Pascale

32 Jaques .Lacan 1965-1966 « l'objet de psychanalyse », Le séminaire inédit 27 avril 1966

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La voix est un objet (a) qui a une fonction spécifique : instaurer l'articulation signifiante. Lacan parle de « voix pure »33, sans donner beaucoup plus de précisions. Qu'est-ce exactement que la voix pure? En quoi s'oppose-t-elle à une voix impure ?

« On peut supposer que cette dernière est la voix courante, la voix audible, celle d'autrui, par opposition à la voix pure qui se situerait au lieu de l'Autre, au point de l'articulation signifiante, c'est-à-dire de l'objet (a) »

Cette définition, comme toutes celles de Lacan, fonctionne par ses renvois. Ainsi le lieu de l'Autre, qui est le lieu où s'articule la chaîne signifiante en ce qu'elle supporte de vérité »34.

« Que serait la voix pure, sans médiation, sans le filtre des signifiants ? On pourrait soutenir

que cela n'existe pas. Car, par définition, une voix véhicule des signifiants. Cela dit, par ses

effets ces signifiants peuvent être désarticulés de la chaîne. C'est le message interrompu de

l'hallucination acoustique-verbale. La voix qui émerge comme injure dans l'hallucination rend

compte de l'objet qui a été rejeté. C'est le phénomène de chaîne brisée qui se traduit pour un

sujet en retour dans le réel. C'est le signifiant dans le réel comme forme pure de la voix »35

Lacan parle « Des voix égarées de la psychose, et le caractère parasitaire sous la forme des

impératifs interrompus du surmoi »36

Ce serait des voix disjointes du signifiant, désincarnées.

C'est quoi, le lieu de l'Autre? C'est, selon Lacan,» là où la chaîne signifiante s'article !» Autrement dit là où le langage se subjective »37.

Cette voix, une fois émise, n'est et ne sera jamais la mienne. Ce n'est pas en moi que se fabrique ma subjectivité, c'est en un ou plusieurs points de la chaîne signifiante qui ne sont pas moi, parce que la parole est toujours référée à l'autre habillée de la voix.

Pour que la voix soit devenue « objet a » (objet du désir de ce qui manque au sujet de l'objet partiel (fesses, regard, sein) dont la voix fait partie d'une promesse de jouissance d'un corps parlé avant que d'être parlant, il faut que la voix soit marquée de la perte de jouissance. Pour que la pulsion « invocante » devienne objet du désir et non objet de la chose, il a fallu que nous soyons castrés du cri initial en tant qu'objet de la demande. Par l'invocation de l'Autre,

33 Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre), L'angoisse X (1962-1963) op. cit.,

34 J. Lacan Sem14, 26 avril 1967).

35 Luis Izcovich «La voix dans l'interprétation «publication dans ESSAIN 2014/1 `n°32) P.15 à 23

36 Op.cit

37 Jacques Lacan, » D'un Autre à l'autre », Séminaire de 1968-1969

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le signifiant entre dans le réel et produit le sujet en tant qu'effet de signification, en guise de réponse, de sorte que le cri pur deviendra le cri pour.38

C'est la voix de l'Autre qui introduira l'infans à la parole et lui fera perdre pour toujours l'immédiateté du rapport à la voix comme objet de la demande. La matérialité du son sera dans ces conditions irrémédiablement voilée par le travail de la signification.

Ce voilement permettra qu'un jour advienne le sujet. C'est donc grâce à la dépossession de son cri que l'infans perd sa voix au profit de la parole. Il existe une possibilité ou la voix de la mère invite l'enfant à rejoindre la sienne pour jouir ensemble d'une indifférenciation, d'un même bonheur en ne fondant qu'un seul choeur en disant viens.

L'infans devra se rendre sourd à cette invitation à la rejoindre pour entendre sa propre voix et advenir en tant que sujet parlant « Je». C'est là que nous rejoignons le mythe des sirènes dont je parlerai plus loin.

Pour qu'il puisse se faire entendre il faut qu'il cesse d'entendre la voix originaire, la voix qui ne faisait qu'un avec celle de sa mère. C'est là que la voix primordiale est devenue inouïe. L'infans doit rester sourd à l'appel de la voix de l'autre pour devenir sujet invoquant. Il devra être sourd au timbre de la voix de l'autre pour entendre le sien tout comme il y a un point de la vision aveugle pour pouvoir voir.

Au cri de l'infans l'autre répond et l'appelle à advenir comme sujet en le supposant

« Deviens » !

Donc au viens se substitue le « deviens » par un processus de forclusion vocale permettant un dessaisissement de la voix en tant objet « a » libidinal pour se constituer en « parle-être ». C'est ainsi que la voix est devenu support de la parole servant de transition entre la représentation des choses pour peu que l'entourage de l'enfant parle et lui parle, permettant de laisser des traces acoustique de la chaîne signifiante sonore pendant l'expérience de la satisfaction.

La voix, évoluant de cris en gazouillis, de gazouillis en vocalises, deviendra parole. Dans un premier temps du processus primaire, le lien vocal avec la mère, est le support sonore des images de satisfaction et l'enfant s'initie aux phonèmes dans la reproduction vocale ludique des expériences gratifiantes :

38 Didier-Weill A., « Invocations », Paris, Calmann-Lévy, 1998.

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C'est ce que porte la voix qui est donneur de message, c'est pourquoi lorsqu'on écoute quelqu'un c'est certainement les mots que nous écoutons, mais aussi la tonalité de la voix, car c'est par elle que se livre le non-dit, le sens profond caché, l'indicible, l'inconscient...

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II- LE NOMS DU PERE - LA VOIX DE PÈRE DANS LA FILIATION

Freud sur sa théorie sur la sexualité dit « qu'une première organisation prégénitale est celle que nous appellerons orale, ou si vous voulez cannibale. L'activité sexuelle, dans cette phase n'est pas séparée de l'ingestion des aliments, la différenciation des deux courants n'apparaissent pas encore. Les deux activité ont le même objet et le but sexuel est constitué par l'incorporation de l'objet, prototype de ce que sera plus tard l'identification ».39

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote