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Aux detours de la voix et ses "en je"


par Sylvie ROSI DETTO ROZZI
Université Paul Valéry Montpellier III - Master II 2021
  

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VI -LA VOIX VOCALIQUE

VI - 1 Le chant dans la liturgie :

Pour Hildegarde Von Biden l'âme, est « symphonique » et s'exprime tout à la fois dans l'accord secret de l'âme et du corps et dans l'acte musical. A la fois terrestre et céleste, la musique joue alors le rôle d'un médium irremplaçable, capable de communiquer à l'humanité un peu de cette consonance céleste qui régnait dans le paradis avant la chute. La musique des hommes fait donc écho à la musique des sphères célestes et, à ce titre, elle est la forme la plus haute des louanges à la gloire de la création.

Dans l'Islam comme dans le christianisme la musique et le chant ont toujours été des médiums privilégiés comme relation à la divinité. Jean Chrysostome à propos des hymnes dit que : « l'homme n'est pas toujours disposé à entendre une parole divine qui les dépasse complètement ou qui est vidée de son sens à force d'être répétée. Utilisons le pouvoir de la voix pour l'amener à glorifier l'Etre divin », dit-il.

Dans le soufisme le chant ira jusqu'à susciter un forme de transe pour atteindre et pour susciter l'extase. En revanche, l'église ne tolère pas l'accession à l'extase qu'elle juge dangereuse et satanique notamment comme une transgression à la Loi canonique. La jouissance mystique doit s'affranchir de la jouissance érotique. C'est l'intelligence du coeur qui saisit celui qui chante selon Ghazzali « C'est celui qui aime Dieu, qui a une passion pour lui et qui aspire à le rencontrer, celui pour qui tout son frappe l'oreille est entendu comme venant de lui et en lui, c'est celui-là en qui la musique fait naître la transe. »89C'est la figure divine qui donne du sens pour éviter de se laisser submerger par la transe. La musique est utilisée comme garde-fou avec ses ensembles de règles pour empêcher le sujet d'être englouti dans le vide d'une jouissance dont- on ne reviendrait pas. Elle est plutôt une visée et non un but à atteindre. Hildegarde était consciente de se méfier du sentiment océanique que confère la transe mystique et de cette soumission à la loi du Verbe. Ne pourrait-on comparer sa métaphore selon laquelle : la Parole humaine est à considérer comme la Trinité dans l'Unité de la divinité le son (sonus), la force expressive (virtus) et le souffle (Flactus) c'est-à-dire : Le Son le Père, le fils né du père par le souffle et le sonus qui le manifeste et le présentifie, à la métaphore paternelle Réel symbolique imaginaire, le réel de la voix, la signifiant du père et le signifié le fils ? St Augustin ne dit-il pas : « Dieu est inconscient », « le désir, c'est la grâce »,

89Michel Poizat « la voix du diable » Ed. Métailié op.cit. Ghazzali cité par G.Rouget op.ci

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L'Esprit, n'est-ce pas, issu du NOM du père, cette articulation du désir au désir de l'Autre dans lequel il doit trouver sa place. Dans ce dont joui le sujet, il y a autre chose qu'un rapport à l'objet : un rapport à son désir à partir du NOM du père qui divise la jouissance et le désir, et induit le désir d'Autre-chose. L'esprit est issu de l'appel, de l'invocation, de la vocation : « Je (fais) dépendre mon désir de ton être, en ce sens que je t'appelle à entrer dans la voie de ce désir. » Dans l'allemand ancien, le Saint-Esprit se dit der heilige Witz (qui deviendra der heilige Geist). Or, dans le Witz, le mot d'esprit, l'Autre reconnaît la dimension du désir au-delà de ce que le signifiant peut signifier. Cet Autre est « au niveau de celui qui constitue la loi comme telle », il est « ce signifiant qui fonde le signifiant »,90

Les Pères de l'église se demandait s'il fallait maintenir les chants harmonieux à l'église, car provoquant trop d'émotion et « chatouillant les sens » au risque de détourner l'objet initial de réveiller l'ardeur à la louange. St Augustin dans le livre X des confessions se demande s'il faut laisser dans les églises un chant harmonieux, ou s'il vaut mieux s'attacher à la sévère discipline de St Athanase et de l'Eglise d'Alexandrie » « Je me plains qu'on ait si fort oublié ces saintes délicatesses des Pères et que l'on pousse si loin les délices de la musique, que loin de les craindre dans les cantique de Sion on cherche à se délecter de celles dont Babylone anime les siens »91

Jean-Laurent Le Cerf de La Viéville, seigneur de Fresneuse, (né en 1674 à Rouen où il mourut le 9 novembre 1707) était un magistrat et musicographe français. « Faire parler quelqu'un en chant » suppose que l'on accorde attention non seulement à ce qui est dit mains à la manière de le dire et au rapport entre le dicere et le dictum. Aussi applique-t-il une grille méthodique en vertu des vers d'Aristote : Quis, quid, ubi, quibus, auxililiis, cur, quomodi, quando. Qui s'exprime ? Avec quels sentiments ? En quel lieu eten quel langage pour oser parler de Dieu, comment parler à son Dieu, quand ? Ces règles correspondent pour Le Cerf au vrai et au juste, qui font une musique dévote en opposition à la musique théâtrale. Elle doit être simple, expressive et agréable en privilégiant le latin pour le chant dont les sonorités sont énergiques, douces, abondante et grave. 92

90 Jacques Lacan, Le Séminaire « Les formations de l'inconscient » (1957-1958) Ed. Seuil

91 Bossuet, « Maximes et réflexions » sur la Comédie, Paris Jean Anisson, 1694 p. 76-77

92 Monique Brulin « le verbe et la voix » théologie historique sur Le Cerf comparaison de la musique Française et Italienne

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Le Cerf de La Viéville (1674-1707) entre dans la magistrature et devient garde des sceaux du Parlement de Normandie, passionné de musique et d'opéra compare, la musique Française à l'Italienne. Concernant la musique en Eglise il met en évidence la convenance et la bienséance, que les choses soient bien claires dit Jean XXII la seule condition pour légitimer le plaisir sensuel de ces mélodies qui « caressent l'oreille » c'est d'exciter à la dévotion et de ne pas permettre à ceux qui psalmodient la louange divine de se laisser aller à l'engourdissement. Tout le reste est suspect ». Mais alors on peut se demander s'il n'y a pas une dichotomie, entre la volonté farouche de contrôler la jouissance lyrique dans la liturgie en y favorisant le grave, le rythme et la parole renvoyant à la voix paternelle et à la fois d'y rechercher au travers de la voix des castrats, une voix féminine enfantine peuplant les choeurs d'église. C''est en utilisant des voix des-sexuées en les maintenant dans des voix d'enfant que les castrats représentent la voix des anges. N'est-ce pas comme le dit Lacan pour éviter le regard que produit la voix sur l'autre et sa dimension maléfique, obscène ? Pour se tourner vers Dieu il faut détourner le regard de celui qui chante et à la fois éviter que ce regard pèse sur lui pour que celui qui chante soit tout à sa dévotion.

Nous sommes regardés sans savoir d'où « ça » nous regarde dit-il. Il faut bien détourner les adeptes de la pulsion démonique de la jouissance en une version angélique de la voix de l'ange gardien, voix parentale qui calme et prévient les débordements de la pulsion tel un démon.

« Le démon ou la voix de l'Autre, ce n'est pas un hasard si Lacan trouve dans une histoire de démon dans le texte de Jacques Cazotte, Le Diable amoureux le paradigme même du désir de l'homme comme désir de l'Autre.

Quand le héros évoque le démon, sa tête de chameau surgissant dans l'ouverture brutale d'une fenêtre, celui-ci fait résonner sa voix : ce qu'il articule, dans sa langue locale, c'est un retentissant : « Che vuoi ? » qui fait trembler tous les murs et surtout ébranle celui qui l'a invoqué jusqu'en ses tréfonds. Qu'est-ce à dire, sinon que, à travers la voix démoniaque,

le sujet se voit « réadressé », de façon tonitruante, la voix de son propre désir ? Il y a bien ici projection, mais ce qui est en jeu, en cette relecture, est cette instance de l'Autre en sa dimension symbolique. Rappel que l'homme est étranger à lui-même, sans pouvoir jamais s'échapper de ce qui constitue une forme de « damnation ». Vocifération de l'Autre à l'adresse du sujet, comme effet de retour de l'invocation, traduire par : « qu'as-tu fait de ton désir ? » Ou : « que veux-tu de l'Autre ? »

Ce qu'illustre bien le drame du « démon de midi » qui va de l'acédie monastique à la crise de mi-vie du profane. D'où le sujet se voit confronté à une déliaison pulsionnelle qui donne son

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caractère indéniablement « démonique » à ce tournant de vie, tourbillon de jouissance, mais épreuve de vérité du désir.

On le voit, le démon est un Janus bifrons, dieu à double visage. Il pourrait bien être la mise en voix ou « vocalises » du surmoi en sa double « valence », interdictrice et transgressive. Le plus curieux est qu'au-delà du mal, il y a l'angoisse du bien, comme l'atteste le destin du peintre Haitzmann analysé par Freud qui, guéri de sa névrose démoniaque, débarrassé de ses démons, découvre une angoisse des plus cuisantes : celle du bien, ce qui donne la vraie mesure de la complexité du sujet, tendu entre ange et démon, à redécouvrir, via le savoir de conscient, comme la version immanente de l'altérité »93.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery